Le jour de l’investiture du nouveau président gaulliste
Nicolas Sarkozy le 16 mai, il y a eu des manifestations de jeunes dans un
certain nombre de grandes villes. Bien que ne regroupant pas énormément de
monde, pour la plupart, ces manifestations exprimant frustration et colère venaient
en réponse à la crainte de voir Sarkozy mettre rapidement en place sa
« réforme » de l’enseignement supérieur.
A Paris, 1 500 étudiants sont descendus dans la rue,
après une semaine de harcèlement policier contre les manifestants dans toute la
France. Une étudiante qui manifestait Place de la Nation a dit au quotidien Libération,
« Il y a eu plus d’un millier d’arrestations en une semaine.
C’est plus que pendant le mouvement anti-CPE [Contrat première embauche]
de l’an dernier. »
Un autre s’inquiétait de n’avoir pas de nouvelles
d’un ami qui avait été condamné en comparution immédiate à quatre mois,
la nuit du 6 mai, et emprisonné à Fleury-Mérogis. Les étudiants ont dit que la
répression policière était bien plus dure que lors des manifestations anti-CPE
de l’an dernier. C’est aussi ce qui a durci
les manifestations. « Cette fois, on n’a pas
les gentils manifestants d’un côté et les casseurs de l’autre.
Quand on se fait gazer et charger, n’importe qui peut ramasser un truc et
le balancer. »
Des manifestants se sont aussi mobilisés à Rennes, Lyon,
Nantes et Toulouse. Le syndicat étudiant majoritaire UNEF, ne soutenait pas cette
journée d’action du fait qu’il considère le régime de Sarkozy comme
pleinement légitime. Bruno Julliard, président de l’UNEF a déclaré face à
la vague de protestations déclenchée par la victoire de Sarkozy le 6 mai, « On
pense qu'il faut respecter le résultat du suffrage. D'un point de vue
démocratique, personne n'a la légitimité de contester ce vote… ces
actions sont "contre-productives". » Julliard est proche du
Parti socialiste et avait appelé les étudiants à voter pour Ségolène Royal.
L’assaut de Sarkozy sur l’Education nationale fait
partie d’une de ses soi-disant « premières décisions ». La
privatisation en catimini des universités, au moyen d’une plus grande « autonomie »
accordée aux présidents d’université et à leur conseil d’administration,
va favoriser le partenariat avec les patrons locaux et permettra à chaque
université de décider du coût des frais d’inscription, à la manière de
Blair en Grande-Bretagne.
Sarkozy a clairement dit que sera mis en place un « service
minimum » dans les établissements scolaires lors des grèves. Cette mesure
visant à limiter le droit de grève des enseignants, section de travailleurs qui
ont été parmi les opposants les plus acharnés des récents gouvernements, est
similaire à la nouvelle loi qui sera introduite sur le « service minimum dans
les transports publics », qui vise les cheminots, une couche de
travailleurs traditionnellement combative. Le service d’Education
nationale « obligera tous les établissements scolaires à accueillir tous
les enfants pendant les grèves ».
La pénurie globale d’enseignants, au quotidien,
notamment dans les quartiers défavorisés, ne sera pas une question que Sarkozy
va traiter. Il se base sur le rapport Darcos qui dit qu’il y a perte
d’heures d’enseignement du fait de décharges de cours chez les
enseignants appelés à des tâches autres que l’enseignement. Cette étude
affirme que ces heures de décharge équivalent à 20 000 postes
d’enseignants à temps plein. On proposera aussi aux enseignants de faire
des heures supplémentaires pour les études dirigées. L’intensification de
la charge de travail et l’attaque sur les droits démocratiques sont à
présent à l’ordre du jour.
Sarkozy a non seulement proposé des postes ministériels à
plusieurs membres du Parti socialiste, mais il a aussi tendu une branche
d’olivier nationaliste populiste en direction du Parti communiste et de
ses sympathisants. Le jour même de sa prise de fonction, le nouveau président
s’est rendu au mémorial du Bois de Boulogne à Paris où 35 résistants
avaient été exécutés par les nazis en 1944.
Sarkozy a déclaré que son premier geste de président serait de
faire en sorte que la lettre écrite par Guy Môquet, communiste de 17 ans, à sa
famille à la veille de son exécution en 1941 (l’un des 50 communistes
exécutés en représailles de l’assassinat d’un officier allemand)
soit lue à tous les lycéens au début de chaque année scolaire. Môquet avait été
pris en train de distribuer des tracts anti-nazis à Paris. Dans sa lettre, le
jeune homme n’exprime aucun regret et dit à sa famille, « Ce que je
souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort serve à quelque chose. »
Quand Sarkozy avait essayé pour la première fois
d’utiliser Guy Môquet à ses propres fins lors de la campagne
présidentielle, Marie-George Buffet, candidate à la présidentielle pour le
Parti communiste, avait exprimé son indignation déclarant que Môquet et les
autres comme lui se seraient aujourd’hui opposés aux attaques racistes du
candidat gaulliste envers les sans-papiers et aux autres mesures réactionnaires
prônées par lui.
Buffet a maintenant changé de position et déclaré son soutien
au décret de Sarkozy stipulant que la dernière lettre de ce jeune résistant
devait être lue publiquement dans les établissements scolaires. Le 16 mai, elle
a publié un communiqué de presse n’exprimant aucune critique sur ce
stratagème cynique de Sarkozy. Buffet se contente de rendre compte de cette
décision et dit que la lecture de cette lettre est « un symbole
fort ». La secrétaire nationale stalinienne dit de Môquet qu’il
était « porteur de patriotisme par son engagement dans la
résistance » et aussi quelqu’un engagé dans un combat « pour
l’émancipation humaine avait un but, celui de construire une République
des droits et des libertés dans une démocratie ». Elle déclare, « il
est donc important que ce message soit délivré aux futures générations et
contribue ainsi à placer au coeur de notre République, des valeurs, des droits
et un idéal ». A leur manière les staliniens signalent leur volonté de
travailler avec Sarkozy.
L’écrasante majorité de la bourgeoisie française, représentée
aujourd’hui par Sarkozy, brillait par son absence dans la lutte contre
l’occupation nazie. Beaucoup soutenaient le régime collaborationniste de
Vichy du maréchal Pétain qui avait remplacé la devise de la Révolution
française « Liberté, Egalité, Fraternité » par « Travail,
Famille, Patrie », une devise beaucoup plus en phase avec la croisade
actuelle de Sarkozy.