Le discours inaugural prononcé le 9 mai dernier par le premier
ministre libéral Jean Charest à l’occasion de la rentrée parlementaire constitue
une répudiation de la volonté populaire exprimée lors de l’élection québécois
du 26 mars.
Cette élection a enregistré une chute historique du soutien
populaire pour les deux partis de la grande entreprise qui ont alterné au
pouvoir au cours des trente dernières années. Le Parti
libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ) n’ont récolté à eux
deux que 60 pour cent du vote exprimé. Si l’on tient compte du taux
d’abstention d’environ 30 pour cent, les deux partis traditionnels
de l’establishment québécois n’ont été endossés que par 44 pour
cent de l’électorat, comparé à 65 pour cent il y a seulement neuf ans.
Ce vote doit être vu à la lumière de la politique mise en
œuvre par ces deux partis. Les libéraux de Charest ont appliqué en quatre
ans de pouvoir une série de mesures de libre-marché tels que des amendements
au Code du travail pour faciliter la sous-traitance, des baisses d’impôt
favorisant les riches, l’imposition de contrats de travail à la baisse sur
un demi-million de travailleurs du secteur public, et l’adoption
d’une loi permettant l’expansion au Québec d’un système de
santé axé sur le profit.
Les conditions politiques d’un tel programme de
démolition sociale ont été mises en place sous les gouvernements péquistes
précédents qui, de 1994 à 2003, ont
lancéun assaut frontal sur les
services publics au nom de la lutte au déficit, tout en accordant
d’importantes baisses d’impôt aux plus riches.Autrement dit, c’est la politique de droite,
appliquée tant par les libéraux que par le PQ, qui a été sévèrement sanctionnée
par la population en mars dernier.
Le désaveu massif des Québécois envers
l’establishment a reçu une reconnaissance purement verbale dans le
discours du 9 mai qui ouvrait la session parlementaire. « Par votre choix
du 26 mars dernier », a reconnu du bout des lèvres le premier ministre,
« vous nous avez envoyé un message clair. Vous voulez un gouvernement
différent. »
Charest, dont le gouvernement a été réduit à un statut
minoritaire après la gifle politique subie à l’élection de mars, a
consacré le reste de son discours à présenter un programme de gouvernement qui
poursuit et renforce l’orientation néo-libérale qui a été précisément
rejetée par l’électorat.
« Pour que vous ayez plus d’argent, nous baisserons
vos impôts », a promis le chef libéral. Cette mesure s’adresse à la grande entreprise, qui a sévèrement critiqué son premier
gouvernement pour avoir manqué à sa promesse de diminuer les impôts de 15
milliards $ sur cinq ans et pour avoir été en général trop hésitant dans
l’application de mesures impopulaires.
« Nous allons ouvrir plus grande la porte à une
participation du privé dans notre système public de soins de santé », a continué
Charest. « L’Etat achètera des services au secteur privé, comme le
permet maintenant la loi 33, adoptée en décembre dernier. »
Cette mesure va à contre-courant de ce qui est régulièrement
rapporté dans les sondages d’opinion comme étant la préoccupation première
des citoyens : le maintien et l’amélioration du réseau public de la
santé. Le Québec est la province où la part occupée par le privé dans le
secteur de la santé est déjà la plus élevée. Cette part risque de subir une
forte hausse avec le recours des hôpitaux publics à la sous-traitance privée.
Le résultat inévitable sera une dégradation du réseau public, qui souffre déjà
d’un sous-financement chronique, et la création d’un système de
santé à deux vitesses où l’accès de chacun à des soins de qualité sera
déterminé par l’épaisseur de son portefeuille.
Se tournant vers le domaine de l’éducation, Charest a
annoncé que « nous procéderons au dégel des frais de
scolarité ». L’élimination du plafond relativement bas des frais de
scolarité post-secondaires au Québec, comparé au reste du Canada et aux
États-Unis, rendra la formation collégiale et universitaire moins accessible
aux jeunes issus de milieux modestes.
Une réaction significative au discours inaugural de Charest a
été celle du chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ), le parti radical
de droite qui a profité de l’étouffement par la bureaucratie syndicale
des mobilisations de masse anti-Charest pour prendre une pose
anti-establishment aux élections de mars et gagner sur cette base démagogique
assez de voix pour former l’opposition officielle.
« Il y a certainement des engagements dont … on va
se réjouir », a indiqué Mario Dumont, dont le parti réclame depuis
longtemps le dégel des frais de scolarité ainsi que la privatisation de la
santé. Il a ensuite mis à nu le rôle que l’ADQ est appelée à jouer sur
l’échiquier politique, et la raison pour laquelle la presse patronale lui
a accordé une couverture favorable aux dernières élections.
« Je me souviens du discours inaugural de 2003 », a
fait savoir le chef adéquiste, « ça parlait … d’un autre
modèle d’Etat, de … transformer le Québec de fond en
comble. Rien de ça n’est arrivé ». Cette critique des libéraux
pour ne pas avoir attaqué de front les acquis sociaux des travailleurs vise àfaire pencher l’axe de la vie politique québécoise
encore plus à droite.
C’est pour donner une couverture à ce tournant de
l’élite dirigeante vers la réaction que ses représentants dans les médias
et le monde politique ont détourné l’attention publique ces derniers mois
vers la menace supposément représentée par le fondamentalisme religieux qui serait
introduit dans la société québécoise par l’immigration en provenance
d’Etats musulmans.
Charest n’a pas manqué d’y faire référence dans
son discours inaugural, en y opposant « les valeurs québécoises »,
qu’il a définies comme étant « les libertés individuelles,
l’égalité entre les femmes et les hommes, la séparation entre la religion
et l’Etat ».
De tels appels creux visent en fait à camoufler
l’émergence, au sein même du monde occidental, d’un niveau sans
précédent d’inégalités sociales et d’une indifférence croissante
chez les élites dirigeantes pour les droits démocratiques les plus
élémentaires, au nom de la « lutte au terrorisme ».
Un autre but visé est de transformer des minorités religieuses,
les musulmans en particulier, en boucs-émissaires contre qui canaliser les
frustrations causées par l’insécurité économique croissante et
l’explosion de violence dans le monde. Il y aussi un parallèle à faire
avec la rhétorique de la libération des femmes afghanes derrière laquelle se
cache le gouvernement canadien dans son intervention néo-coloniale en
Afghanistan.
Charest a profité de la rentrée parlementaire pour apporter sa
voix à la campagne aux relents xénophobes qui a été amorcée sous
l’impulsion d’un Mario Dumont se faisant le champion de
l’ « identité québécoise ». « Nos chartes ont
toujours eu pour but de protéger les minorités contre les abus de la
majorité », a pontifié le premier ministre dans son discours du 9 mai.
« Elle n’ont jamais eu pour dessein de permettre l’inverse.
C’est donc dire qu’il y a une limite, une ligne qui doit être
tracée.»
Le discours inaugural de Charest a reçu un accueil
enthousiaste de la part des éditorialistes. Selon André Pratte, rédacteur en
chef à La Presse, le principal quotidien du monde des affaires au
Québec : « Le chef libéral a donc tiré enseignement de ce qui
s’est passé sur les scènes politiques fédérale et québécoise au cours des
derniers mois. »
Pratte parle au nom de la grande entreprise qui cherche à présenter
le relatif succès politique de démagogues de droite, tels que le conservateur
Stephen Harper ou l’adéquiste Mario Dumont, comme un mandat populaire
pour un virage prononcé vers la droite. Le véritable processus politique
sous-jacent est d’abord et avant tout l’effondrement du soutien
populaire pour les partis traditionnels de l’establishment.