La loi introduite par Russ Feingold au
Sénat américain mercredi, appelant les forces de combat américaines à se
retirer de l’Irak avant la fin de mars 2008 a été l’occasion d’une
nouvelle tournée de postures anti-guerre de ceux qui espèrent devenir candidat
présidentiel pour les démocrates. La loi a été battue par une grande majorité,
près de la moitié des sénateurs démocrates ayant voté contre.
Derrière l’écran de fumée de mesures
anti-guerre sans dents introduites pour leur donner une couverture politique,
les démocrates de la Chambre des représentants et du Sénat se préparent à voter
par une majorité écrasante pour la continuation de la guerre sous la forme
d’une loi autorisant le financement de la guerre qu’ils espèrent
être déposée sur le bureau du président Bush pour le Memorial Day, soit le 28
mai.
Les démocrates de la Chambre des
représentants ont voté une loi la semaine passée, finançant la guerre pour les
deux prochains mois. Dans deux mois, ils étudieront de nouveau la question,
liant l’octroi de nouveaux crédits à l’assurance de la part de
l’administration Bush que le gouvernement irakien a accompli des pas vers
l’ouverture des ressources pétrolières irakiennes à l’exploitation
américaine, vers la stabilité politique et dans la répression des milices
anti-américaines. Ils ont voté en sachant d’avance que Bush opposera son
veto à une telle mesure et que le Sénat sous contrôle des démocrates
refuserait, peu importe ce qui adviendrait, de voter en faveur d’une loi
n’autorisant qu’un financement partiel de la guerre.
La plupart des démocrates de la Chambre des
représentants, comme leurs vis-à-vis du Sénat, se sont ralliés aux républicains
pour rejeter une proposition distincte qui imposerait une date butoir à la
présence des troupes en Irak.
Dans un contexte où l’opposition
populaire à la guerre grandit et où plusieurs indices que l’accroissement
du nombre des soldats américains à Bagdad promulgué par Bush se dirige vers un
échec militaire et politique, les candidats à la candidature présidentielle du
Parti démocrate veulent se donner l’ apparence d’être anti-guerre.
Les manœuvres d’hier se
concentraient sur un amendement proposé par Feingold, un démocrate du
Wisconsin, portant sur un projet de loi sur l’eau de 14 milliards de
dollars sans lien avec la guerre. L’amendement lui-même, dans une
phraséologie de « soutien aux troupes », a essentiellement mandaté un
redéploiement tactique des forces américaines en Irak qui se concentreront
principalement sur le « contre-terrorisme », l’entraînement des
forces irakiennes et la protection des actifs et du personnel américains. Loin
de proposer le retrait de toutes les forces américaines et de mettre fin à la
violence de l’armée américaine contre le peuple irakien, cet amendement
aurait autorisé la présence de dizaines de milliers de soldats après la date
butoir du 31 mars 2008.
L’amendement a néanmoins été décrit
par ses supporteurs et ses détracteurs au Congrès ainsi que par les médias
comme étant un geste pour mettre fin à la guerre. Il était soutenu par les
candidats à la candidature présidentielle démocrate Hillary Clinton de
l’état de New York, Barack Obama de l’état de l’Illinois,
Chris Dodd de l’état du Connecticut et Joe Biden de l’état du
Delaware.
Alors que 60 votes sur un total de 100 étaient nécessaires
pour discuter et voter sur l’amendement, ce dernier n’en a obtenu
que 29. Aucun républicain n’a appuyé cette mesure.
Parmi les 19 démocrates qui se sont opposés à
l’amendement, nombreux sont ceux qui ont répété la litanie que tout arrêt
du financement « mettrait les troupes en danger ».
« Nous allons soutenir ces troupes », a insisté
le sénateur démocrate du Michigan Carl Levin, président de la commission du
Sénat sur les forces armées, qui a voté contre l’amendement.
Le sénateur démocrate du Nebraska, Ben Nelson, a offert l’explication
la plus ahurissante pour avoir voté contre l’amendement. « On ne
peut établir un calendrier de retrait ou imposer des sanctions sans avoir
d’abord pris connaissance du bilan », a-t-il affirmé. Et ce, alors
que la guerre en est à sa cinquième année !
Le sénateur Obama a caractérisé son vote en faveur de
l’amendement comme « un puissant message envoyé au gouvernement
irakien, au président et à mes collègues républicains qu’il est grand
temps de changer de cap ». Clinton, quant à elle, a insisté que
« nous, en tant que parti uni, devons travailler ensemble dans un but et
une mission clairement définis afin de commencer à ramener nos soldats à la
maison et mettre un terme à cette guerre ».
Depuis mardi, Dodd a fait diffuser des messages
publicitaires qui mettent l’accent sur son soutien à l’amendement
Feingold, qui est faussement présenté comme un moyen permettant de mettre un
terme à la guerre.
Dans les coulisses, des négociations pour en arriver à un
compromis avec l’administration Bush sont en cours, comportant fort
probablement des « critères » inapplicables, que le Congrès acceptera
et que Bush signera.
Mercredi, le New York Times est venu bien près
d’admettre cette situation, affirmant qu’avec l’amendement
Feingold, « les démocrates peuvent soulager leur frustration de la
politique irakienne, et tenter par la suite de trouver un compromis avec la
Maison-Blanche sur les dépenses de guerre ».
Le véritable objectif des coups de publicité comme celui
organisé mercredi est de tromper les Américains ordinaires qui s’opposent
à la guerre en les attirant vers le Parti démocrate, qui est entièrement
complice dans le déclenchement et la poursuite de la guerre, et qui la
continuera advenant sa prise de contrôle de la Maison-Blanche en 2008.
Levin et le dirigeant de la majorité démocrate Harry Reid ont
préparé des projets de loi séparés hier, également sous la forme d’un
amendement au projet de la loi sur l’eau, qui accorderait à Bush tout le
financement nécessaire à la continuation de la guerre en même temps qu’il
forcerait le début du retrait des troupes de combat à partir du 1er octobre de
cette année et qui devra être complété le 31 mars de l’an prochain. Cependant,
ces échéanciers ne sont qu’apparence puisque le projet prévoit
qu’ils peuvent être ignorés si Bush fait la démonstration qu’il y a
du « progrès ».
Levin et Reid ont retiré cet amendement après que la
Maison-Blanche leur ait dit que toute loi qui l’incorporerait serait
soumise à un veto.
L’administration Bush a promis catégoriquement
d’imposer un veto à toute législation qui de quelque façon restreindrait
la capacité de poursuivre l’escalade de la guerre. Dans une entrevue
donnée mardi à Fox News de Jordanie, le vice-président Dick Cheney a
pratiquement accusé les démocrates au Congrès qui appuyaient les mesures
législatives, comme Feingold, de trahison en faveur des terroristes.
« Donc, si vous êtes un représentant public défendant le retrait de
l’Irak, dit Cheney, en fait, ce que vous dites également, c’est
que ce que vous recommandez, c’est de valider la stratégie
d’al-Qaïda. »
Entre temps, une section des républicains au Sénat, face à la
perspective d’une déroute électorale en 2008, a commencé à se
positionner. Un autre amendement à la loi de l’eau introduit par le
républicain John Warner de Virginie menace de couper des milliards de dollars
en aide américaine pour l’Irak, si le régime irakien n’arrivait pas
montrer « des progrès satisfaisants ».
Le point central de la vie politique
américaine c’est le fait que le vaste sentiment anti-guerre de la
population ne trouve aucun écho dans les politiques du gouvernement ou de
l’un des deux partis. Malgré les divergences factionnelles tactiques, il
y a un large consensus au sein de l’establishment dirigeant que la guerre
va se poursuivre, indépendamment du désir de la population.