Les premières déclarations faites par la Ligue
communiste révolutionnaire (LCR) et Lutte ouvrière (LO), composantes de la
soi-disant « extrême gauche » en France, montrent que ces
organisations n’ont rien compris et n’ont pas tiré la moindre leçon
des élections présidentielles.
Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy, candidat de droite
de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) a battu Ségolène Royal du
Parti socialiste par 53 pour cent contre 47. Un taux de participation record a
été enregistré.
La LCR et LO ont tous deux soutenu Royal au
second tour des élections présidentielles. En effet le 22 avril, à peine les
résultats étaient-ils annoncés que Sarkozy (avec 31 pour cent) et Royal (26
pour cent) allaient se retrouver au second tour, qu’Olivier Besancenot de
la LCR et Arlette Laguiller de LO, les candidats présidentiels de leur parti respectif,
donnaient déjà des consignes de vote en faveur de la candidate du Parti
socialiste.
Besancenot qui avait recueilli 4,1 pour cent du
vote le 22 avril, soit quelque 1,5 million de voix, a déclaré que « le
second tour sera un référendum anti-sarko ». Laguiller, qui se présentait à
sa sixième et dernière élection présidentielle, a vu son score chuter de 5,7
pour cent en 2002 à 1,3 pour cent cette fois-ci (près d’un demi-million
de voix.) Dès le soir du premier tour, Laguiller a appelé à voter Royal en
expliquant qu’elle le faisait « sans réserve, mais sans la moindre
illusion » dans ce que la candidate du Parti socialiste et ses collègues
feraient s’ils étaient élus.
Ni Besancenot ni Laguiller n’ont attendu de
voir sur quel programme et quelle politique Royal affronterait le second tour.
Aucun des deux n’a été capable d’indiquer en quoi le programme de
Royal différait substantiellement de celui de Sarkozy. Royal a mené sa campagne
sur un programme des plus droitiers de l’histoire du Parti socialiste
français, en se drapant dans le drapeau tricolore, en entonnant l’hymne
national et en faisant sienne l’identité nationale. Elle n’a fait
aucun effort significatif pour changer le terrain politique de la campagne et abandonner
les thèmes de l’autorité, de la « discipline », de la loi et de
l’ordre, du tout sécuritaire et du patriotisme, et elle n’a rien
proposé aux jeunes, aux chômeurs, aux immigrés.
Royal a rivalisé avec Sarkozy dans son insistance
sur le besoin de rendre la France et l’Europe « compétitives » ce
qui veut dire supprimer les droits des travailleurs et abaisser le niveau de
vie. Elle a déclaré que « l’Europe doit se battre aussi pour une
politique industrielle à l’instar de ce que font les Etats-Unis et les
grands continents émergents. » Elle a prôné le recours à l’armée
pour éduquer les jeunes délinquants et était d’accord avec Sarkozy pour
que les jeunes fassent un service civique obligatoire de six mois, qui pourrait
se faire dans l’armée. Concernant la question des prestations sociales, Royal
s’est fait l’écho des politiciens de droite Reagan-Thatcher en
déclarant « chaque droit nouveau, entraîne un devoir nouveau. »
Elle n’a ni attaqué ni proposé d’abroger
les diverses mesures antiterroristes et antidémocratiques qui ont déjà été
votées ces dernières années, bon nombre d’entre elles ayant été parrainées
par Sarkozy. Dans l’ensemble, les différences existant entre les
programmes des deux candidats étaient minimes.
Pourquoi la classe ouvrière devrait-elle
soutenir une telle candidate dont le programme s’adresse à l’élite
dirigeante française et défend ses intérêts? Il n’y a rien de
« socialiste » dans le Parti socialiste français, mis à part son nom,
ni rien de particulièrement « à gauche » dans son programme.
C’est l’un des principaux partis bourgeois du pays auquel les
affaires de l’Etat français ont été confiées périodiquement et en toute
confiance au cours de ces deux dernières décennies et demie.
La LCR de Besancenot s’est servie de la
victoire de Sarkozy dimanche soir pour opérer un virage encore plus à droite de
la politique de son parti. Au moment où Royal déclarait que sa défaite
nécessitait un nouvel engagement vers le « centre », en direction de
l’UDF (Union pour la démocratie française) de François Bayrou et
d’autres partis bourgeois, Besancenot affirmait que « face au
programme ultra libéral sécuritaire d’un Sarkozy, un front unitaire de
toutes les forces socialistes et démocratiques soit immédiatement disponible
pour organiser la riposte. »
Bien que ne l’ayant pas dit ouvertement,
il veut dire par là « unité » avec les staliniens du Parti
communiste, les Verts et des sections mécontentes du Parti socialiste. C’est
précisément cette même politique qui a laissé aujourd’hui la classe
ouvrière dans cette situation difficile, sa subordination aux bureaucraties
staliniennes et social-démocrates pourries, qui est censée être
poursuivie comme si de rien n’était.
Besancenot a maintenu la démagogie de la LCR en
appelant à battre Sarkozy « dans la rue comme dans les urnes. »
Laguiller de Lutte ouvrière a reconnu dans sa
déclaration du 22 avril que Royal, tout autant que Sarkozy, appartenait au
« camp du capital », « au camp des spéculateurs, des exploiteurs
et des licencieurs et en sont de bons et loyaux serviteurs. » Ni Royal, ni
Sarkozy ne feront rien d’autre que « favoriser la grande
bourgeoisie. » Alors pourquoi donc faudrait-il voter pour l’un ou
l’autre de ces individus ?
Dimanche, sitôt après les résultats, Laguiller
reconnaissait que « le programme de Ségolène Royal n’aurait rien
changé aux problèmes fondamentaux qui accablent aujourd’hui les classes
populaires » en ajoutant que « le bulletin de vote n’est
qu’un chiffon de papier. » De la part de quelqu’un qui a
recueilli des centaines de milliers, voire des millions de tels « chiffons
de papier », il y a là un certain cynisme. Lorsque Laguiller se met
ensuite à parler des « luttes » à venir, c’est totalement vide
de contenu politique.
Après le premier tour des élections, Laguiller avait
annoncé qu’elle voterait pour Royal par solidarité « aux souhaits
qui sont sans doute ceux de la majorité du monde du travail, » à savoir
les électeurs de la classe ouvrière qui votent pour le Parti socialiste.
Toutefois, contrairement à Laguiller, peu de
travailleurs semblent avoir vu une grande différence entre Royal et Sarkozy.
Environ 46 pour cent des cols bleus ont voté pour Sarkozy, et en général 44
pour cent de gens d’origines plus modestes. Ceci représente-t-il un
tournant spectaculaire vers la droite ? Non. La population française était
confrontée à deux candidats de droite, deux représentants du patronat,
déterminés à poursuivre une guerre contre le niveau de vie, les droits
démocratiques des travailleurs et les programmes sociaux.
Il aurait été tout à fait justifié que
l’« extrême gauche » appelle la classe ouvrière à boycotter le
second tour des élections en expliquant la nécessité d’un parti
socialiste authentique. Au lieu de cela, Laguiller et Besancenot ont rejoint
les rangs de l’une des ailes de l’establishment politique français.
Ce n’est pas nouveau. En 2002, après que
Jacques Chirac et le néo-fasciste, Jean-Marie Le Pen, se soient trouvés en
première et en seconde position au premier tour des élections présidentielles,
la gauche française dans sa grande majorité avait voté pour Chirac au second
tour. Le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et la LCR avaient ouvertement
appelé à voter Chirac, le représentant corrompu invétéré de la bourgeoisie
française. Laguiller et Lutte ouvrière s’étaient abstenus et,
politiquement parlant, avaient couru se cacher.
Lutte ouvrière, la LCR et le Parti des travailleurs
(anciennement l’OCI de Pierre Lambert) avaient recueilli ensemble près de
3 millions de voix au premier tour de 2002. Leurs partisans qui avaient cru voter
pour un véritable changement social, furent alors canalisés dans le mouvement
pro-Chirac au second tour. Cette fois, bon nombre d’entre eux ont pris la
décision logique de voter pour « le moindre mal » dès le premier
tour.
En 2007, l’« extrême gauche »
française a, en grande partie, eu ce qu’elle méritait. Finalement, les
organisations qui ne se prennent pas elles-mêmes au sérieux, ne sont pas prises
au sérieux par la population. Au total, l’ensemble des voix exprimées
pour LO, la LCR et le PT, a chuté de près d’un tiers (de 2,97 millions à
2,11 millions) et leur pourcentage est tombé de près d’un demi-million de
voix (de 10,44 pour cent à 5,7 pour cent).