Le Labour Party (Parti travailliste) de
Grande-Bretagne a perdu sa majorité parlementaire en Ecosse pour la première
fois depuis un demi-siècle dans ce qui représente une série de revers pour le
Labour dans les élections régionales de jeudi dernier, y compris à l’Assemblée
nationale de Galles et dans les collectivités territoriales (local authorities)
en Angleterre.
Les résultats du vote ont toutefois été quelque
peu éclipsés par la débâcle due à l’annulation de dizaines de milliers de
bulletins de vote en Ecosse.
Les résultats définitifs ont été retardés des
heures durant, après que les décomptes aient été suspendus dans plusieurs
régions en raison de problèmes liés au système de vote électronique. Les choses
ont été encore aggravées du fait de la confusion largement répandue créée par l’utilisation
d’un bulletin commun pour désigner à la fois les conseillers sur la liste
régionale et les députés pour le parlement écossais, connu sous le nom de
Holyrood, et la tenue en même temps d’élections locales utilisant un mode
de scrutin entièrement différent pour enregistrer les voix.
On estime que les annulations de bulletins de
vote avoisinent les 100.000, soit jusqu’à 10 pour cent de
l’ensemble des bulletins de vote. Dans certaines régions, le nombre de voix
rejetées était supérieur à l’avance du candidat victorieux sur son plus
proche adversaire. Dès vendredi soir, le Scottish National Party (Parti
national écossais, SNP) annonçait déjà une « victoire historique » en
emportant 47 sièges contre 46 pour le Labour.
En Angleterre, le décompte a été suspendu dans
cinq régions où le décompte électronique avait été mis en place pour la
première fois. La seule différence existant entre la situation au Royaume-Uni
et celle en Floride en 2000 lors des élections présidentielles américaines est
qu’il n’y a pas de preuve de sabotage politique délibéré. Ce qui
est commun aux deux expériences c’est le fait que l’incompétence affichée
dans l’organisation du vote est directement liée au mépris manifesté à
l’encontre de l’électorat et du processus démocratique en général.
La nouvelle technologie avait été mise en place sans préparation adéquate et le
scrutin organisé le même jour et ce en dépit de l’avis de personnes bien
informées.
De plus, le vote par correspondance a aussi suscité
la colère pour n’être pas arrivé à temps dans de nombreuses régions en
Ecosse. Ceci est aussi un embarras politique étant donné que lors d’élections
antérieures il y avait eu plusieurs scandales où le vote par correspondance
avait été utilisé pour fausser le résultat des élections. En Angleterre, de
nombreuses régions n’ont été en mesure de transmettre des décomptes
définitifs que tard vendredi soir en raison de l’introduction de
nouvelles mesures destinées à combattre la fraude électorale.
Le tableau qui a finalement émergé est sombre
pour le Labour qui a subi des pertes significatives en sus de sa position déjà
faible au départ. Bien qu’étant le parti le plus important au Pays de Galles,
les voix en faveur du Labour ont chuté de 8,5 pour cent et il lui manque trois
sièges pour atteindre les trente sièges requis pour former une majorité. Les
nationalistes gallois, le Plaid Cymru, bénéficient de trois sièges
supplémentaires et totalisent quinze sièges, les conservateurs en gagnant douze
et les démocrates libéraux six. Le Labour ne sera en mesure de former un
gouvernement au Pays de Galles qu’au moyen d’une alliance.
Il en va de même pour le SNP en Ecosse qui aura
besoin du soutien de deux autres partis pour former une majorité. Le taux de
participation était de l’ordre de 60 pour cent, les conservateurs remportant
17 sièges, les démocrates libéraux 16 et les Verts tout juste 2 sièges.
En Angleterre la situation est tout aussi
mauvaise pour le Labour. La ministre de la lutte contre l’exclusion
sociale, Hilary Armstrong, a dit qu’alors que le peuple britannique aimait
de temps en temps secouer un peu l’establishment « ... la situation
ne semble pas être aussi mauvaise qu’on pouvait l’escompter, »
tandis que le premier ministre, Tony Blair, a déclaré que l’échec cuisant
prévu pour le parti ne s’était pas concrétisé et qu’il disposait
« d’un bon tremplin » pour gagner les prochaines élections
législatives.
Ils essaient tout simplement de se rassurer. Les
pronostics donnent27 pour cent du total national des voix au Labour qui
vient derrière les conservateurs à 40 pour cent et les démocrates libéraux ont à
peu près autant que le Labour. Les conservateurs ont remporté 870 sièges
supplémentaires d’élus des collectivités territoriales et bien
qu’ils aient moins progressé dans le nord, si l’on considère leurs
votes en terme de circonscriptions pour les élections législatives nationales,
leur avance aurait été plus significative. Si leurs résultats se maintiennent,
ils pourraient obtenir une majorité gouvernementale en cas d’élections
législatives nationales et le dirigeant du parti, David Cameron, a réclamé la
tenue d’élections législatives après la démission de Blair.
C’est un réquisitoire dévastateur contre le
gouvernement travailliste. Le retour des Tories (Conservateurs) et la montée du
SNP ne sont pas l’expression de la popularité de ces partis, mais plutôt
du fait que des millions de travailleurs dans les anciens bastions du Labour
lui ont tourné le dos. Dans le même temps, les Tories semblent avoir retrouvé
les partisans qu’ils avaient perdus au profit du Labour en 1997.
Pendant que les sondages d’opinion enregistraient
que l’opposition à la guerre en Irak avait été le principal facteur dans
de nombreuses régions du Royaume-Uni, Blair faisait connaître son intention de
démissionner de son poste de dirigeant du parti une semaine après les élections
dans l’espoir d’endiguer les pertes du gouvernement. Mais les
résultats montrent que les efforts entrepris pour dépeindre le chancelier
Gordon Brown comme politicien plus proche du « Old Labour » [le
Labour traditionnel d’avant le New Labour de Tony Blair] n’ont eu
que peu d’impact.
Comme le remarquait quelque peu cyniquement Martin
Kettle, ami personnel de Blair, dans le Guardian « Cela a été une élection
abominable pour le Labour. Il ne fait pas de doute qu’un soutien de 27
pour cent de l’électorat, même s’il devait atteindre 28 pour cent
ou culminer à 29 pour cent après le décompte final, reste quoi qu’il en
soit lamentable...
« Le Labour conserve pour le moment le
pouvoir à Westminster [siège du parlement britannique] mais quasiment nulle
part ailleurs de significatif. Il détient ce pouvoir grâce à un niveau de
soutien millésimé1935, soit de l’ordre de 30 pour cent. Ah, mais après la
baisse de 1935, les membres de la tribu travailliste diront que finalement le
faste de 1945 arriva, année qui demeure la plus iconique de la mythologie
travailliste. Avec Gordon au gouvernail, la situation peut être retournée. Oui,
mais il aura fallu une guerre mondiale pour placer le Labour à ce niveau en
1945, et ça, c’est décidément bien trop cher payer pour que le Labour aille
mieux. »
L’on pourrait ajouter que la victoire du
Labour en 1945 s’était faite sur la base d’un vaste programme de
réformes sociales et économiques et non sur une politique le plaçant à la
droite du parti conservateur sur de nombreuses questions.
Ce qui est tout aussi remarquable dans ces
élections, c’est l’absence de toute tendance politique qui exprime même
partiellement les sentiments antimilitariste et de gauche, qui sont à
l’origine de ces pertes pour le Labour.
Au Pays de Galles, les difficultés du Labour
n’ont presque pas profité aux autres partis officiels. Plaid Cymru, tout
spécialement, n’était pas considéré par les travailleurs comme une
alternative viable au gouvernement et une grande méfiance se fait sentir à son
égard quant à sa prétention à représenter « un socialisme
décentralisé ». Au cours des prochaines semaines, une alliance de travail
devra être conclue entre les différents partis, soit sous forme de coalition
permanente soit sous forme d’accord sur la base du cas par cas.
En Ecosse, les pertes subies par le Labour
auraient sans doute été encore plus importantes si le principal parti
d’opposition n’avait pas été le parti pro-patronat SNP.
Le SNP avait insisté sur le fait que
l’élection serait un référendum sur l’indépendance, une affirmation
qui fut appuyée avec enthousiasme par toutes les tendances qui se présentent
comme alternative de gauche au Labour et au SNP : le parti Solidarité de Tommy
Sheridan, le Scottish Socialist Party (Parti socialiste écossais, SSP) et les
Verts.
Ceci s’est avéré vital au Labour qui a
cyniquement manipulé une vaste opposition au séparatisme écossais pour se présenter
comme le gardien de l’« Union ». Cela s’est reflété le
jour des élections dans le titre du quotidien pro-Labour Daily Record:
« Les élections d’aujourd’hui ne sont pas sur la guerre
en Irak. Elles ne sont pas sur Tony Blair... Ne vous aventurez pas
les yeux fermés dans l’indépendance. Ne laissez pas un vote
protestataire démanteler la Grande-Bretagne. »
Tout aussi criminel était le fait que des
organisations se qualifiant de socialistes aient cultivé des illusions concernant
le SNP et la perspective nationaliste. Le parti Solidarité et le SSP méritent
tous deux entièrement les pertes qu’ils ont subies en conséquence. Il y a
huit mois, avant sa scission opportuniste, le SSP comptait six députés au
Holyrood. Cette fois, aucun des deux partis ne s’est présenté aux
élections législatives, laissant le champ libre au SNP. Tous deux ont lancé des
appels à voter pour les partis pro-indépendance, sans mentionner spécifiquement
le SNP. Pour ce qui est de leurs anciens partisans, cela n’était pas nécessaire.
Le message a été reçu cinq sur cinq. La plupart de ceux qui avaient voté pour
le SSP auparavant ont choisi de voter directement pour le SNP. Avec
l’effondrement de leurs voix, les deux partis ont perdu tous leurs
sièges.
Un bilan du SSP et de son groupe dissident
conduit par Sheridan confirme qu’ils ne sont rien de plus que
l’antichambre du parti d’Alex Salmond.
Le Socialist Equality Party (Parti de
l’Egalité socialiste, PES) a remporté 292 voix au Pays de Galles Sud et
139 voix en Ecosse de l’Ouest. Dans ces deux régions au moins trois plus grands
partis se disant socialistes se présentaient aux élections. Parmi ceux-ci,
Solidarité, le SSP et le Socialist Labour Party (SLP) d’Arthur Scargill présentaient
des candidats dans chaque région et bénéficiaient de temps d’antenne à la
télévision. De plus, Sheridan et, à un moindre degré, le SSP jouissaient
d’une importante couverture médiatique quotidienne. En comparaison, comme
l’a rapporté le World Socialist Web Site, même là où la campagne
électorale du PES était mentionnée, son nom était estropié et sa politique dénaturée.
Toux ceux qui ont voté pour le PES l’ont
fait en connaissance de cause et sur la base d’un accord avec son
programme anti-militariste et antiguerre et pour la construction d’un
parti authentiquement socialiste basé sur l’internationalisme. Le PES
était le seul parti de gauche à ne pas présenter le séparatisme national comme
le chemin à suivre et à insister sur l’unité des travailleurs en
Grande-Bretagne avec leurs frères et soeurs en Europe et de par le monde.
En à peine quatre semaines, notre parti a
organisé une campagne énergique et ambitieuse et vendu des milliers de manifestes
électoraux. Notre travail avait pour objectif de clarifier les questions
politiques essentielles auxquelles sont confrontés les travailleurs et les
jeunes. Pour cette raison, nous sommes particulièrement fiers d’avoir initié,
dans les universités de Glasgow et de Cardiff, des conférences où est intervenu
le président du comité de rédaction du WSWS, David North, pour répudier
la falsification historique de la vie et de la pensée de Léon Trotsky.
La mise en garde que nous avions faite en disant
qu’une opposition au gouvernement travailliste ne pouvait pas être basée
sur un appel au nationalisme et à des réformes limitées appliquées par Holyrood
et l’Assemblée nationale de Cardiff a été confirmée. Dans la période à
venir, le PES s’emploiera à travailler systématiquement à la consolidation
des progrès qui ont été faits, notamment en construisant des sections de
l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale (IEES). Avant
tout, nous continuerons à nous concentrer sur les questions essentielles de l’éducation
politique et de l’élaboration de la perspective requise pour le
développement d’un mouvement politique de la classe ouvrière contre le
système capitaliste.