Les troupes américaines
vont mener des opérations de contre-insurrection en Irak pour les dix prochaines
années, a dit dimanche passé le général David Petraeus, le commandant américain
à la tête des forces américaines en Irak, dans un entretien à la télévision.
Sur Fox News,
Petraeus a rejeté toute conception que l’armée américaine aura réussi à
pacifier l’Irak avant septembre prochain, le moment où
l’ambassadeur américain à Bagdad Ryan Crocker et lui-même devront
présenter un rapport d’étape au Congrès américain.
Le commentateur de Fox,
Chris Wallace, a demandé : « Vous ne pensez pas que le
travail des renforts sera terminé en septembre ? » Petraeus a
répondu : « Je ne pense pas, non », ajoutant « Nous
avons beaucoup de tâches très difficiles à accomplir. Les dommages causés par
la violence sectaire à l’automne et l’hiver de 2006 et 2007…
ont été importants. »
Ne niant pas les
reportages disant qu’il pensait prolonger la présence des renforts en
Irak jusqu’à l’an prochain, Petraeus a simplement déclaré
qu’il était « prématuré » de discuter de cette question.
Parlant de Bagdad, le
commandant américain a déclaré : « Presque tous reconnaissent
qu’une situation comme celle-là, avec les très nombreux défis que doit
relever l’Irak, ne sera pas résolue en une année, ni même deux. En fait,
typiquement, je pense de façon historique, les opérations de
contre-insurrection ont duré au moins neuf ou dix ans. La question est, bien
sûr, avec quelle intensité. »
Il a ajouté que
l’idée d’une présence militaire américaine prolongée dans ce pays
« est probablement une évaluation plutôt réaliste ».
Les commentaires du
général ont donné un aperçu du véritable débat ayant cours à Washington,
derrière les phrases des démocrates sur un échéancier de retrait des troupes et
les promesses de l’administration Bush que sa stratégie sera réévaluée en
septembre. Les plans sont faits pour une occupation indéfinie du pays riche en
pétrole.
Au cours des dernières
semaines, des officiels de l’administration ont aussi cherché à préparer
l’opinion publique à l’idée d’une longue occupation et guerre
de contre-insurrection en Irak. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony
Snow, et d’autres personnalités ont fait grossièrement comparé
l’Irak à la Corée du Sud où les Etats-Unis ont déployé des dizaines de
milliers de soldats pendant près de cinquante ans.
Dans le cadre de ces
efforts, il y a eu des tentatives ouvertes de minimiser la signification du
rapport qui devra être présenté au Congrès ce septembre. Le général Petreaus,
par exemple, a fait référence au rapport qu’il présentera sous peu comme
« simplement une description raisonnable de la situation ».
Petraeus a fait ce
commentaire au moment où le Pentagone rapportait que presque tous les 30.000
soldats et marines américains qui devaient être déployés lors de l’« escalade »
annoncée par Bush en janvier dernier étaient arrivés en Irak.
Durant les cinq premiers
mois de l’escalade, rien n’a indiqué que l’armée américaine a
réussi à atteindre l’objectif qu’elle s’est donné de réduire
la violence sectaire, ni à remplir sa mission centrale consistant à réprimer
l’opposition à l’occupation américaine. La semaine dernière, un
rapport trimestriel présenté au Congrès par le Pentagone indiquait que le
niveau de violence en Irak avait en fait augmenté depuis que les dizaines de
milliers de soldats américains supplémentaires avaient été déployés.
La période de deux mois
d’avril à mai s’est avérée être la plus sanglante pour les soldats
et marines américains depuis que les Etats-Unis ont envahi le pays en mars
2003. 230 soldats furent tués, portant ainsi le total des décès pour les forces
américaines à au moins 3.524. Au même moment, selon les statistiques fournies
par le Pentagone, le taux de décès des Irakiens s’élevait à plus de 100
pour la même période, une statistique qui, assurément, sous-estime grandement
l’ampleur du carnage qui se déroule présentement.
Une autre indication de
l’impact extrêmement limité à ce jour de l’escalade prit la forme
samedi d’une admission par le lieutenant général Raymond Odierno, le
commandant des troupes terrestres américaines en Irak, que les soldats
américains et les forces fantoches irakiennes n’avaient réussi à
sécuriser que 40 pour cent de la capitale irakienne. Et cela constitue sans aucun
doute une évaluation extrêmement optimiste de la situation.
Alors que la dernière
brigade est en place, les commandants américains en Irak ont annoncé durant le
week-end qu’ils lanceraient une offensive majeure contre les villes et
quartiers à l’est et au sud de Bagdad.
Le Pentagone présente
cette opération comme une offensive contre Al-Qaïda, mais en réalité des
milliers de combattants américains sont envoyés dans des zones majoritairement
sunnites, où la grande majorité de la population est profondément hostile à
l’occupation américaine. En effet, un récent sondage montrait que plus de
90 pour cent de la population sunnite souhaitent que les forces américaines
quittent l’Irak.
Notant que les derniers
renforts étaient arrivés en Irak, portant le total des soldats américains à
environ 160.000, Petraeus jura de « faire tout ce que nous pouvons avec
les forces supplémentaires que nous avons ».
Ce qui se prépare, sous
le mot d’ordre frauduleux de lutte contre le « terrorisme »,
est un autre carnage comme ceux perpétrés contre d’autres centres de
résistance, tels que Fallouja et Ramadi. Les commandants américains ont déclaré
que l’offensive dans la zone qui avait été surnommée « triangle de
la mort » par les soldats américains, en raison des attaques fréquentes
contre les forces d’occupation, allait se poursuivre durant plusieurs
semaines. En plus des nombreuses morts civils irakiennes, l’offensive
sera caractérisée par la capture de milliers de civils supplémentaires,
qualifiés de « détenus de sécurité », qui subiront détention
illimitée et torture.
Le résultat inévitable
d’une telle mission de « recherche et destruction » dans des quartiers
à dense population civile sera d’aliéner encore plus une population
irakienne déjà hostile et faire accroître la résistance.
La poursuite de la
construction de quatre importantes bases militaires américaines et d’une
ambassade américaine dans la zone verte de Bagdad de la grandeur du Vatican est
l’indication la plus claire des plans de Washington pour le maintien
d’une occupation permanente de style colonial en Irak.
Bien que le rapport du
Groupe d’étude sur l’Irak publié l’an dernier recommandait
que l’administration Bush déclare publiquement qu’elle
n’avait pas l’intention de maintenir des bases permanentes au pays,
la Maison-Blanche est restée remarquablement silencieuse sur cette question. De
plus, alors que le projet de loi préparé par la majorité dirigeante démocrate
au Congrès accordant 100 milliards de dollars additionnels pour la guerre,
contenait des termes contre l’établissement de telles bases, cette
terminologie a été enlevée dans les conférences de comité parlementaire sans
aucune explication avant que la loi ne soit envoyée à Bush pour être signée.
La réalité est que
derrière le débat public entre la direction démocrate et la Maison-Blanche sur
l’Irak, les deux s’entendent sur la nécessité de continuer la
poursuite des objectifs prédateurs qui ont mené à l’invasion de 2003, en
tout premier lieu: l’établissement de l’hégémonie américaine
sur l’Irak et sa richesse pétrolière et l’utilisation du pays comme
base pour le lancement d’opérations militaires américaines à travers
cette région stratégique.
Le sénateur démocrate du
Michigan et président du Comité sénatorial sur les services armés, Carl Levin,
est également apparu à un talk-show télévisé dimanche, et a juré que les
démocrates allaient renouveler leurs efforts — abandonnés après le
passage de la loi sur le financement de la guerre de 100 milliards de dollars
— en s’attaquant aux termes de la prochaine proposition législative
proposant un échéancier pour le retrait partiel et le redéploiement des
troupes.
« Nous allons
essayer encore, parce que nous devons essayer encore, » a dit Levin à
l’émission de télévision de CBS, Face the Nation. « Nous
devons changer le cours des choses. »
Ce que lui et les
démocrates veulent dire par « changer le cours des choses » a été
énoncé par Levin, qui déclara que l’échéancier serait « une
transition vers une mission plus limitée » qui, souligne-t-il, devrait
« inclure une mission contre-terroriste » et « le maintien de la
formation et de l’appui logistique à l’armée irakienne ».
En d’autres
termes, comme Petraeus, la direction démocrate — qui doit sa capture du
Congrès à l’opposition de masse à la guerre au sein de la population
américaine — envisage que l’occupation américaine en Irak va se
poursuivre plusieurs années encore et que plusieurs milliers d’autres
Irakiens et soldats américains seront tués.