L’UMP gaulliste (Union pour un mouvement populaire) du président
Nicolas Sarkozy s’est bien assuré une majorité claire dans la nouvelle
Assemblée nationale, mais la « vague bleue » largement prédite (le
bleu est la couleur de l’UMP) ne s’est pas matérialisée.
A l’issue du second tour des élections législatives qui s’est tenu
dimanche, l’UMP détient 323 des 577 sièges, plus les 20 sièges de leurs
alliés du Nouveau Centre, groupe issu de l’ancien parti de centre droit
de François Bayrou l’UDF (Union pour la démocratie française.)
L’UMP comptait obtenir bien plus de 400 sièges. Elle détient
aujourd’hui 36 sièges de moins que dans l’Assemblée sortante. Le
Parti socialiste quant à lui a fait beaucoup mieux que prévu. Avec ses 205
députés, il détient 56 sièges de plus que dans le précédent parlement.
Le Parti communiste a maintenu ses voix dans certains de ses bastions
ouvriers traditionnels et sa disparition électorale annoncée ne s’est pas
produite. Avec 18 députés (4 de moins que dans la précédente Assemblée) il
n’a pas atteint les 20 sièges requis pour former un groupe parlementaire,
avec les avantages financiers et privilèges attenants. Mais il envisage de
tenter de former un groupe avec des députés des territoires d’outremer ou
encore avec les quatre députés Verts, malgré leurs différences fondamentales
sur la question du nucléaire.
Les résultats du second tour ont été un choc pour l’UMP tout comme
pour le Parti socialiste dont le premier secrétaire François Hollande avait
annoncé qu’il considérerait qu’obtenir 140 sièges serait un succès.
Il est indéniable que ce résultat représente un revers pour Sarkozy qui
comptait sur une majorité écrasante pour mettre en place au plus vite ses
soi-disant « réformes. »
Pour ne pas arranger les choses, un des soutiens majeurs de Sarkozy, le numéro
2 du gouvernement, Alain Juppé n’a pas été élu à Bordeaux. Il a présenté
sa démission. Sarkozy et le premier ministre François Fillon sont à présent
contraints de restructurer leur équipe ministérielle.
Les deux autres victimes bien en vue des élections, dans le camp de Sarkozy,
sont le célèbre et intransigeant juge antiterroriste, Jean-Louis Bruguière, et
Arno Klarsfeld collaborateur du président dans la chasse aux sans-papiers et dans
la conception de mesures répressives contre les jeunes délinquants.
A 60 pour cent, le taux de participation était extrêmement faible, plus ou
moins identique à celui du premier tour, le 10 juin. Mais alors qu’au
premier tour cela avait été surtout les électeurs, traditionnellement de gauche,
qui s’étaient abstenus, cette fois ce sont les électeurs de droite qui ne
se sont pas mobilisés.
Un facteur majeur de ce revirement massif des voix en l’espace
d’une petite semaine a été l’annonce, faite par le ministre de
l’Economie Jean-Louis Borloo, que le gouvernement avait l’intention
d’augmenter la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) de 5 pour cent, pour
atteindre 24,5 pour cent, afin de financer une réduction des charges sociales
patronales.
Borloo avait fait cette annonce à l’issue du premier tour des
élections, faisant fi de toute prudence au vu de la « vague bleue »
prédite à cors et à cris par les médias. Une augmentation de la TVA dans le but
de réduire le coût du travail signifie que ce sont les travailleurs, les
retraités et les personnes vivant d’allocations ainsi que les familles
aux revenus modestes qui vont payer, sous forme de prix élevés, pour
l’énorme cadeau fait aux patrons. Cela représente une redistribution
massive de revenu à la faveur des riches.
Un an et demi plus tôt, une proposition similaire (augmentation de 3 pour
cent de la TVA) par Angela Merkel avait fait perdre la majorité à son Union
chrétienne-démocrate (CDU) lors des élections en Allemagne. Elle avait alors dû
former une coalition avec les sociaux-démocrates.
En France, le Parti socialiste s’est saisi de l’annonce de
Borloo et en a fait le coeur de sa campagne, imprimant des milliers de posters
portant le slogan « Votez contre une TVA de 24,5 pour cent. » Tous
les commentateurs s’accordent à dire que cela a eu un impact majeur sur
le résultat des élections.
De plus, l’annonce faite par Sarkozy que le SMIC (salaire minimum) ne
recevrait pas un coup de pouce, et son projet d’introduire une franchise médicale,
ont miné la crédibilité de son slogan « travailler plus pour gagner
plus » et sa promesse de défendre le pouvoir d’achat des
travailleurs.
Le Figaro écrit : « Cette affaire inopinée de la TVA
sociale » a eu « des effets ravageurs dans
l’opinion…Comment expliquer autrement une telle correction de
tendance ? »
Jeudi soir, à tout juste trois jours du second tour, Sarkozy avait dû
intervenir et faire carrément marche arrière. « Sentant que
l’affaire de la TVA était une bombe électorale, l’Elysée sifflait
la fin de la partie, » écrit Libération. Le président a fait savoir
qu’il n’accepterait « aucune augmentation de la TVA… qui
aurait pour effet de réduire le pouvoir d’achat des Français. » Mais
il était déjà trop tard.
Toute cette affaire est politiquement très instructive. Le succès de Sarkozy
et de l’UMP aux élections présidentielles et au premier tour des
législatives est la conséquence de l’absence totale de toute opposition
politique sérieuse. Alors que Sarkozy défendait avec vigueur les intérêts de sa
classe sociale, le Parti socialiste, lui-même un parti bourgeois, était
incapable de proposer une politique pour défendre la classe ouvrière et
s’est au contraire adapté au candidat de l’UMP. En effet, les
différences politiques entre les deux camps sont minimes.
Mais l’émergence d’une seule question sociale – qui a
révélé la nature profondément anti-ouvrière du programme de Sarkozy – a
déclenché un mouvement majeur contre lui. Ceci montre bien que la victoire de
Sarkozy ne représente pas un virage à droite de la classe ouvrière française,
ou un mandat pour sa politique de droite. Au contraire, c’est
l’expression de la désillusion et de l’écoeurement envers à la fois
la « gauche » officielle et les dirigeants du gouvernement gaulliste
sortant, le président Jacques Chirac et le premier ministre Dominique de
Villepin.
Sarkozy s’était présenté lors de sa campagne comme un « homme du peuple »,
et un « self-made-man » (un homme qui s’est hissé aux plus hautes
fonctions à la force du poignet) qui allait secouer et défier le vieil ordre
établi. Il s’était précédemment, alors qu’il était ministre de
l’Intérieur, distancé de quelques-unes des mesures économiques les plus
impopulaires de la direction de son propre parti et avait adopté une attitude
populiste, tout en cherchant à détourner le mécontentement populaire sur des
voies nationalistes, anti-immigrées et sécuritaires.
Alors que les médias, ainsi que les partis de « gauche » et de la soi-disant
« extrême-gauche » demeurent hypnotisés par la soi-disant force de
Sarkozy, sa présidence repose sur des fondations extrêmement étroites et
instables. Son revers dans les élections législatives laisse pressentir
d’énormes luttes politiques et sociales.
La position du Parti socialiste est totalement hypocrite. Cela a été
confirmé par Eric Besson, membre de l’équipe de campagne de la candidate
présidentielle du Parti socialiste Ségolène Royal, qui était passé dans le camp
de Sarkozy à quelques semaines de l’élection. Il a dit dans une émission
télévisée que le Parti socialiste avait lui aussi envisagé d’utiliser la
TVA pour financer la sécurité sociale.
Le Parti socialiste n’a aucune intention d’utiliser son poids
inattendu au parlement pour monter une lutte sérieuse contre le gouvernement. Au
contraire. Effrayé par les implications de l’opposition sociale qui
sous-tend le vote, il s’adapte encore plus au régime de Sarkozy.
Royal a annoncé sa candidature au poste de premier secrétaire du parti. Elle
prône un rapprochement avec le Mouvement démocratique (MoDem), droitier et en
faveur du libéralisme, de François Bayrou, l’ancien dirigeant de
l’UDF. Bien que le MoDem n’ait obtenu que 4 sièges aux élections,
le parti déclare qu’il a reçu 78 000 adhésions depuis sa formation
et compte déjà davantage de membres que l’ancienne UDF.
Tout au long de la campagne présidentielle, Royal s’était présentée
comme libre des contraintes du parti et avait fortement viré à droite. Elle est
en conflit croissant avec la direction du Parti socialiste et de son premier
secrétaire, Hollande, qui est son compagnon et le père de leurs quatre enfants.
En fait, elle a annoncé leur séparation dimanche soir, juste après les
élections. Hollande a déclaré qu’il resterait en poste jusqu’au
congrès du parti en 2008.
Le résultat des élections législatives souligne la nécessité d’une
perspective politique entièrement nouvelle pour les luttes de masse à venir. Malgré
le revers de Sarkozy aux législatives, il va poursuivre ses attaques
historiques sur le niveau de vie de la classe ouvrière. La condition préalable
à la défense des conditions sociales et des droits démocratiques des
travailleurs est de rompre avec tout l’establishment politique, y
compris avec le Parti socialiste et ses alliés, tel le Parti communiste, et de
construire un nouveau mouvement politique authentiquement indépendant basé sur
un programme socialiste et internationaliste.