Le président palestinien et dirigeant du Fatah, Mahmoud Abbas, a dissolu le
gouvernement d’unité qui a duré trois mois et déclaré l’état
d’urgence dans toute l’Autorité palestinienne jeudi dernier après
que les milices du Hamas aient mis en déroute les forces du Fatah et pris le
contrôle de quasiment toute la Bande de Gaza qui abrite 1,4 million de
Palestiniens.
Abbas, qui n’exerce plus aucun pouvoir effectif sur Gaza, a annoncé le
limogeage du premier ministre Ismail Haniya du Hamas et la mise en place
d’un gouvernement d’urgence qui gouvernerait par décret
jusqu’à la tenue de nouvelles élections à venir. Le porte-parole du Hamas
a rejeté la décision d’Abbas, produisant de fait une scission entre Gaza
et la Cisjordanie qui reste sous le contrôle du Fatah. Le Hamas avait battu le
Fatah lors des élections législatives de janvier 2006.
La secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice a aussitôt fait une
déclaration de soutien aux mesures prises par Abbas et signalé le soutien
continu de Washington pour le Fatah dans cette guerre civile sanglante avec le
mouvement islamiste du Hamas.
Les combattants du Hamas ont pris d’assaut jeudi le quartier général
de la Sécurité préventive du Fatah et du bâtiment des services secrets
militaires à Gaza City. Ils ont fait défiler les soldats du Fatah à travers les
rues et en auraient exécutés certains sur place. Plus tard dans la soirée, les
forces du Hamas ont saisi l’enceinte présidentielle, dernier bastion de
l’autorité d’Abbas dans la Bande de Gaza.
A la fin de la journée, les combattants du Hamas contrôlaient toutes les
villes de Gaza et quasiment tous les postes de sécurité. D’après
l’agence Reuters, l’aile armée du Hamas a fait une déclaration dans
laquelle ils reconnaissent avoir « exécuté » Samih al-Madhoun des
Brigades des Martyrs d’al-Aqsa du Fatah, et proche allié de Mohammad
Dahlan, principal conseiller à la sécurité d’Abbas. Reuters a dit que le
corps de Madhoun avait ensuite été traîné à travers un camp de réfugiés de
Gaza.
25 Palestiniens au moins sont morts jeudi dans les combats à Gaza, portant
le nombre de victimes de ces cinq jours de guerre civile à au moins 88. En représailles
à la victoire du Hamas à Gaza, les forces du Fatah ont procédé à plusieurs
raids contre des installations du Hamas en Cisjordanie.
D’après Radio Israël, l’Egypte se prépare à absorber des
milliers de Palestiniens cherchant à fuir Gaza.
Des représentants d’Israël ont averti qu’une victoire du Hamas à
Gaza pourrait conduire à une intervention militaire des forces israéliennes cet
été. Le porte-parole du ministre des Affaires étrangères Mark Regev a qualifié
l’ascendant du Hamas sur Gaza de « problème pour nous, et un
défi. » Il a réitéré la politique officielle israélienne de soutien à
Abbas en disant, « Je ne pense pas qu’Israël ou la communauté
internationale devrait laisser tomber les Palestiniens modérés. »
Washington et Jérusalem ont en fait oeuvré pour provoquer le conflit entre
le mouvement islamiste, qui jouit du soutien de la majorité à Gaza, et le parti
laïc conduit par Abbas qui est pro-occidental. Depuis décembre, des centaines
de Palestiniens ont été tués dans ces affrontements de factions.
Les sanctions occidentales imposées après la victoire du Hamas aux
élections, dont la fin du financement de l’Autorité palestinienne,
combinées à la retenue par Israël des droits de douane, ont provoqué
cette guerre civile programmée. Une autre cause majeure de friction était aussi
le refus d’Abbas, avec le soutien d’Israël et des USA, de céder au
Hamas le contrôle de la sécurité.
La conquête de Gaza par le Hamas semble mener inévitablement à une
consolidation de la division politique entre les deux territoires déjà géographiquement
séparés de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie, où quelque deux millions de
Palestiniens vivent, au prix de centaines de vies sacrifiées et davantage
encore de souffrances terribles imposées aux Palestiniens.
Au milieu des combats, mercredi dernier, un « Rapport de fin de mission »
confidentiel rédigé par Alvaro de Soto, ancien envoyé des Nations Unies au
Moyen-Orient, était publié dans le journal britannique Guardian.
Dans ce rapport il avertissait que la pression des Etats-Unis avait « brutalement
réduit à la soumission d’une manière encore jamais vue depuis le début de
2007 » la présence des Nations unies en tant que négociateur au
Moyen-Orient et il condamnait Israël pour avoir posé des conditions préalables aux
pourparlers avec les Palestiniens, qui sont impossibles à réaliser.
Le boycott international imposé après la victoire du Hamas sur le Fatah lors
des élections législatives de janvier 2006 était « au mieux extrêmement de
courte vue » et avait « des conséquences dévastatrices »,
écrit-il, tandis qu’Israël a adopté une position « essentiellement
de rejet » à l’égard des Palestiniens.
La demande par le Quartet – les Etats-Unis, les Nations unies,
l’Union européenne et la Russie – que le Hamas s’engage à la
non-violence, reconnaisse Israël et accepte les accords antérieurs « a
dans les faits transformé le Quartet d’un groupe de quatre prônant la
négociation et guidé par un document commun [la Feuille de route pour la paix], »
écrit-il, « en une structure qui ne faisait qu’imposer des sanctions
sur le gouvernement élu librement d’un peuple vivant sous
occupation, et posait des conditions préalables irréalisables pour entamer le
dialogue. »
Après sa victoire électorale, le Hamas avait voulu former un gouvernement de
grande coalition avec le Fatah, dirigé par Abbas. Mais, déclare de Soto, les
Etats-Unis ont activement découragé les autres politiciens palestiniens de
rejoindre cette coalition. « On nous disait que les Etats-Unis
s’opposaient à tout « brouillage » de la ligne de démarcation
entre le Hamas et ces forces politiques palestiniennes engagées dans la
solution des deux Etats », déclare de Soto. De ce fait, il avait fallu un
an pour que finalement un gouvernement de coalition voie le jour. Washington
avait aussi soutenu la décision d’Israël de mettre fin au reversement du
revenu des impôts aux Palestiniens.
De Soto dit aussi que l’économie palestinienne était presque
entièrement détruite alors que les Etats-Unis encourageaient une confrontation
entre le Fatah et le Hamas. Le diplomate des Nations unies cite un représentant
américain, qu’il ne nomme pas, déclarant, « J’aime cette
violence. »
Toute critique d’Israël a été abandonnée. De Soto écrit qu’il
faudrait « une loupe à la Sherlock Holmes » pour trouver des
références au refus d’Israël d’assumer ses obligations. « Toute
l’attention se concentrant sur les manquements du
Hamas, poursuit-il, l’entreprise israélienne de colonisation et de
construction de barrière s’est poursuivie sans interruption »,
minant la possibilité de créer un Etat palestinien viable.
Au sujet d’Israël, de Soto pose la question, « Je me demande si
les autorités israéliennes se rendent compte que, saison après saison, ils
récoltent ce qu’ils ont semé et qu’ils activent systématiquement le
cycle de violence/répression à tel point que ce cycle s’autopropulse. »
Il n’apporte pas de réponse à sa propre question, mais cela a
clairement été l’objectif d’Israël.
Commentant le rapport de Sotto du 14 juin, le Guardian déclare, « Les
sanctions n’ont pas encouragé le gouvernement d’union à fonctionner
correctement. Elles l’ont tué… l’appauvrissement et la
fragmentation de Gaza sont le résultat non pas uniquement d’une politique
palestinienne tribale, mais du désespoir cumulatif généré par le fait de vivre
dans une prison à l’air libre. Puisqu’Israël est le gardien de la
prison, il est aussi responsable des conditions qui prévalent à
l’intérieur. »
Le ministre palestinien des Affaires étrangères Ziad Abu Amr, un
indépendant, a dit aux reporters, « Nous vivons vraiment dans une cage... Si
vous avez deux frères, mettez-les dans une cage et privez-les des besoins fondamentaux
et essentiels à la vie, il ne fait aucun doute qu’ils vont se
battre. »
Ce qui est clair aussi, c’est que l’administration Bush
sous-estime le Hamas et surestime la capacité d’Abbas et du Fatah
d’infliger une défaite militaire sur ses forces.
Le magazine Time a attiré l’attention sur les différences
tactiques entre l’administration Bush et le gouvernement israélien du
premier ministre Ehoud Olmert. « Les représentants israéliens disent que
Washington a essayé d’empêcher la déroute du Fatah à Gaza en plaidant
auprès d’Israël pour acheminer rapidement de nouvelles armes. »
Cependant, « Le cabinet d’Olmert a refusé d’aider Abbas,
craignant que les armes ne changent pas le rapport de force et ne finissent
entre les mains du Hamas. »
« Les diplomates occidentaux accusent le gouvernement d’Olmert de
continuellement miner Abbas, renforçant ainsi les militants islamiques. "Israël
a une seule politique à l’égard des Palestiniens" a dit ce
diplomate, et cette politique, c’est de les maintenir en position de
faiblesse. »
La réponse des Etats-Unis a été d’en appeler directement à
l’Egypte, à la Jordanie et à d’autres alliés pour qu’ils
soutiennent Abbas. Les Etats-Unis font porter au Hamas la responsabilité des
combats, et le porte-parole du département d’Etat Sean McCormack a
prétendu que le Hamas avait pour but de saboter « tout processus politique
qui aboutirait à des négociations avec Israël en vue de résoudre le conflit
israélo-palestinien ».
En réalité, en exprimant son inquiétude sur le fait que la situation
pourrait échapper à tout contrôle, Israël a eu beaucoup de mal à dissimuler sa
joie quant aux combats.
Un porte-parole israélien, qui n’a pas été nommé, a dit aux médias
qu’ils considéraient à présent la bande de Gaza comme « un Etat ennemi
séparé ». Le gouvernement a réagi dans ce sens en bouclant ses frontières
et en menaçant de couper l’approvisionnement en carburant et électricité.
Un haut représentant du gouvernement a été forcé de publier un démenti aux
reportages selon lesquels Israël allait couper l’approvisionnement en eau
de Gaza, ce qui aurait des conséquences dévastatrices.
Olmert a demandé aux Nations Unies de déployer une force multinationale le
long de la frontière entre l’Egypte et Gaza, connue sous le nom de Route
Philadelphi, identique à la force qui opère maintenant au sud Liban. Il a aussi
fortement encouragé la construction d’une barrière afin de lutter contre
l’entrée en contrebande d’armes dans la Bande de Gaza.
Abbas lui aussi a fortement encouragé les Nations Unies à envoyer des
troupes et le secrétaire général Ban Ki-moon et le chef de la politique
étrangère de l’Union européenne Javier Solana ont dit qu’une telle
force pourrait s’avérer nécessaire.
Dans le Jerusalem Post daté d’hier, Calev Ben-Dor de
l’Institut Reut, groupe de réflexion politique proche du gouvernement,
déclarait qu’un contrôle total de la Bande de Gaza par le Hamas
« pourrait être une occasion pour Israël ».
Cela créerait « deux unités politico-territoriales séparées aux côtés
d’Israël – un Gaza Hamastan et un territoire Fatah de
Cisjordanie ».
« La division de fait entre Gaza et la Cisjordanie, poursuit-il, permettrait à Israël de maintenir son boycott du Hamas à Gaza tout en instrumentalisant l’émergence d’un partenaire politique en Cisjordanie pour la première fois depuis bien des années. »
Ceci reviendrait à la création de fait de deux ghettos de type bantoustan.
L’un, « Territoire du Fatah » serait présidé par Abbas, qui
serait une marionnette de l’occident et laisserait Israël aux commandes
du premier territoire dont il s’est emparé, en y incluant Jérusalem est.
L’autre, « Hamastan », avec plus d’un million de
Palestiniens entassés dans une bande de 360 kilomètres carré, serait cernée
d’un côté par Israël et de l’autre par l’Egypte et peut-être
une force des Nations Unies. Tous deux pourraient être attaqués à volonté par
les forces israéliennes.
C’est là une stratégie dangereuse. L’Egypte et la Jordanie ont
toutes deux fait part de leur inquiétude de ce qu’une victoire et une
prise de contrôle de Gaza par le Hamas ne stimule une propagation régionale du
fondamentalisme islamique, qui représente une menace toute particulière pour
l’Egypte du fait des liens du Hamas avec la Fraternité musulmane. Le
ministre des Affaires étrangères égyptien, Ahmed Abul Gheit, a dit que les
combats fratricides entre Palestiniens avaient « mis en fureur » les
dirigeants arabes et qu’il fallait que ces combats cessent.