Le meurtre brutal d’une journaliste afghane, Zakia
Zaki, le 6 juin, sur qui on a tiré sept fois alors qu’elle était couchée
aux côtés de son jeune fils, symbolise l’absence de même un semblant de
démocratie dans le pays après plus de cinq années d’occupation
américaine.
Zaki était propriétaire et présentatrice de nouvelles de
Radio Paix, qui diffusait de la musique, des histoires pour enfants, de
l’information sur les droits des femmes et des nouvelles favorables à
l’occupation à Kaboul et dans plusieurs provinces voisines. Elle a été
tuée dans la province de Parwan, près de l’immense base américaine de
Bagram, par des assassins qui sont entrés par infraction chez elle au milieu de
la nuit.
Le gouverneur provincial a mis le meurtre sur le compte
d’un membre de Hezb-e-Islami, une organisation distincte des talibans qui
lutte contre l’occupation américaine et contre le gouvernement afghan.
Toutefois, Rahimullah Samader, qui dirige
l’Association des journalistes indépendants d’Afghanistan, a
suggéré à Reporters sans frontières que Zaki pourrait avoir été tuée par un
seigneur de guerre régional qu’elle avait critiqué. Il n’a pas
nommé cette personne.
« Elle [Zaki] a été menacée à cause de certaines de
ses émissions, a-t-il dit. Et ceux qui l’ont menacée ont dit que certains
reportages étaient critiques d’une des personnalités de la région. Ils
ont dit que les émissions étaient un complot contre cette personne. Les
commandants régionaux sont influents dans la province et ils lui ont fait des
problèmes à plusieurs reprises dans le passé. »
La province de Parwan a déjà été décrite par le président
afghan Hamid Karzaï comme la « plus sûre » du pays parce que le
niveau d’activité des talibans y est très bas. La sécurité qui y règne,
toutefois, vient surtout du fait que c’est une des régions le plus sous
la poigne de l’armée américaine et des différents seigneurs de guerre qui
se sont rangés derrière les Etats-Unis lors de l’invasion de 2001-02.
Jamiat-e-Islami, qui était la principale faction de
l’Alliance du Nord, soutenue par les Etats-Unis, et qui contrôle
maintenant Kaboul et la région, a une influence considérable dans la province.
Le principal dirigeant de l’organisation, Burhanuddin Rabbani, a été le
président de l’Afghanistan de 1992 à 1996. Le chef de guerre ouzbek
Abdoul Rashid Dostum, qui contrôle de grandes bandes de territoire au
nord-ouest de l’Afghanistan, maintient aussi une présence à Parwan, situé
près de la capitale Kaboul.
Malgré toutes les prétentions démocratiques américaines,
l’occupation a en réalité livré l’Afghanistan aux chefs de guerre
régionaux et dirigeants tribaux qui entretiennent des liens avec les moudjahidines
islamiques qui combattirent, avec l’appui des Etats-Unis,
l’occupation soviétique durant les années 1980. Parmi ceux-ci se trouvent
plusieurs individus, tels que Dostum et Rabbani, qui ont été responsables de
nombreux crimes durant la guerre civile qui a suivi le retrait des troupes
soviétiques en 1989. La brutalité, la corruption et l’indifférence des
chefs de guerre aux besoins du peuple afghan ont été d’importants
facteurs dans la montée du soutien populaire pour le mouvement fondamentaliste
taliban qui, en 1996, avec l’appui du Pakistan et le soutien tacite des
Etats-Unis, avait le contrôle de la majorité du territoire afghan.
L’invasion américaine en octobre 2001 pour renverser
les talibans était vue par de nombreux dirigeants moudjahidines détrônés comme
l’occasion de revenir au pouvoir. Alors que l’autorité des talibans
s’effondrait, les chefs de guerre et leurs milices reprirent le contrôle
de leur ancien territoire et exploitèrent l’occupation américaine pour
s’établir fermement. Le gouvernement Karzaï n’est qu’une
feuille de vigne inefficace qui exerce peu d’autorité à l’extérieur
de Kaboul.
Bien que partisane de l’invasion américaine, Zaki est
entrée plusieurs fois en conflit avec les milices et politiciens locaux qui ont
été portés au pouvoir par l’occupation. En 2002, elle rapporta à
l’Association des journalistes qu’elle avait été menacée par des
miliciens du Jamiat pour avoir interviewé des femmes dans la rue pour ses
reportages.
Lors des élections de septembre 2005, elle se présenta
contre la candidate gagnante Samia Sadat, une femme qui est maintenant
directrice honoraire du département d’éducation de Parwan. Durant la
campagne, Sadat tenta d’obtenir la fermeture de Radio Paix sur la base que
c’était un « outil de propagande » contre elle. Après avoir été
victime d’une tentative de meurtre en janvier 2006, Sadat accusa
faussement l’un des journalistes de Zaki d’avoir tenté de la tuer.
Ce dernier fut détenu par la police de Parwan durant 11 mois avant que les
accusations ne soient finalement retirées.
L’élection elle-même fut qualifiée de farce par
certains observateurs. Human Rights Watch affirma : « À travers le
pays, des candidats et des organisateurs politiques ont formulé des plaintes à
Human Rights Watch décrivant des situations où des commandants ou des hommes
forts locaux, ou des représentants gouvernementaux locaux liés à eux, avaient
organisés des réunions lors desquelles ils dictaient aux électeurs et aux
dirigeants de la communauté pour qui voter. Dans certains cas, des candidats et
leurs partisans soutiennent que des menaces directes avaient été
proférées. »
Après les élections, Zaki a publiquement critiqué la présence de dizaines de
seigneurs de guerre et de dirigeants miliciens dans le parlement afghan dont
l’attitude envers la démocratie et les droits de la femme n’est pas
différente de celle des talibans. En conséquence, elle a reçu des « avertissements »
selon l’Association des journalistes indépendants.
Le traitement accordé à Zakia Zaki n’est qu’un exemple de la
répression systématique de toute dissidence au régime que
l’administration Bush a érigé en Afghanistan.
Le 8 juin, des assaillants inconnus ont arrêté la voiture du procureur
général du pays, Abdul Jabar Sabet, et l’ont battu à coups de bâton et de
crosse de fusil juste à l’extérieur de Kaboul. Sabet avait publiquement
condamné la corruption au sein du gouvernement afghan, impliquant
particulièrement des membres de l’Alliance du Nord. Il a été si
sévèrement blessé qu’il est toujours hospitalisé.
Le mois dernier, le parlement afghan a voté la suspension de la députée
Malalai Joya pour avoir dit lors d’une entrevue télévisée que le
parlement était « pire qu’une étable ». Au moins, a-t-elle dit,
les vaches donnent du lait aux gens, les ânes transportent de lourdes charges
et les chiens sont fidèles. Le parlement, par déduction, ne donne rien au
peuple afghan. Après avoir montré la séquence, le porte-parole du parlement a
demandé un vote pour l’empêcher de se présenter au parlement pour la
durée de son mandat de cinq ans qui se termine en 2010. Une majorité a voté en
faveur de la motion.
S’exprimant par la suite, Joya a déclaré: « Depuis que j’ai
commencé ma lutte pour les droits de l’homme en Afghanistan, pour les
droits des femmes, ces criminels, ces trafiquants de drogue se sont dressés
contre moi dès que j’ai élevé la voix ». Durant la loya jirga tenue
en 2003 pour faire adopter la constitution et durant sa propre présence au
parlement en 2006, Joya a qualifié les législateurs de « seigneurs de
guerre. » L’an dernier, on lui a lancé des bouteilles d’eau.
Elle dit aussi avoir été menacée de viol. Depuis sa suspension du parlement,
elle a averti que s’il lui arrivait quelque chose « tout le monde
saurait » qui sont les responsables.
Tant Zakia Zaki que Malalai Joya ont été l’objet de documentaires en
Occident. Zaki est apparue dans l’émission spéciale en 2005 sur le droit
des femmes Si je me lève. Joya était le point central du documentaire
en 2005 sur les élections en Afghanistan, Les ennemis du bonheur. Ils
étaient présentés comme étant la preuve vivante que l’invasion américaine
de 2001 apportait des changements fondamentaux.
En réalité, malgré les beaux discours sur la démocratie, y compris sur les
droits des femmes, le but de l’administration Bush était d’établir
la domination américaine en Afghanistan, qui est situé stratégiquement près des
régions riches en ressources de l’Asie centrale et du Moyen-Orient.
Washington n’a pas la moindre intention de miner son réseau de seigneurs
de guerre et de chefs tribaux sur lequel s’appuie son occupation. Ce
n’est pas Washington qui va exiger qu’ils soient délogés du pouvoir
et traînés devant les tribunaux pour répondre de leurs crimes.