Cinq semaines après que la candidate du Parti socialiste
Ségolène Royal ait perdu les élections présidentielles, la « gauche »
a subi une deuxième défaite cuisante.
Après le premier tour des élections législatives de dimanche,
il apparaît déjà clairement que le président Nicolas Sarkozy disposera
d’une majorité écrasante à la nouvelle Assemblée nationale. Son parti
gaulliste, l’UMP (Union pour un mouvement populaire) va contrôler au
moins deux tiers des sièges. Sarkozy est depuis quelque temps le porte-parole
de la droite de l’UMP et s’est engagé à prendre des mesures
spectaculaires pour démanteler l’Etat providence.
La composition exacte du nouveau parlement sera connue dimanche
prochain à l’issue du second tour des élections. Les candidats en lice
sont ceux ayant obtenu les voix de plus de 12,5 pour cent des inscrits dans
chaque circonscription où la majorité absolue (plus de 50 pour cent) n’a pas
été obtenue au premier tour.
Alors que les deux tours des élections présidentielles avaient
vu une participation particulièrement grande, respectivement 84 et 85 pour
cent, l’abstention massive a été un facteur important du vote de
dimanche. 39,6 pour cent des inscrits ne se sont pas déplacé, pour voter, soit
une abstention record pour le premier tour des élections législatives depuis la
mise en place de la Cinquième République en 1958. A l’évidence, ce sont
surtout les partis de « gauche » qui n’ont pas réussi à mobiliser
leurs électeurs.
Le résultat de dimanche rappelle par certains aspects les
dernières élections législatives de 2002 où l’UMP, alors sous la
direction de Jacques Chirac, avait obtenu une importante majorité. La victoire
de l’UMP aux législatives de 2002 faisait suite à la victoire de Jacques
Chirac qui se présentait pour un second mandat présidentiel, dans une situation
où les partis de la « gauche » officielle faisaient campagne contre
son rival du deuxième tour, Jean-Marie Le Pen du parti d’extrême-droite,
le Front national. Les partis socialiste, communiste et Verts avaient appelé à
voter pour Chirac, candidat du patronat, le présentant comme le garant de la
démocratie, tandis que les partis dits « d’extrême-gauche »
rejoignaient ouvertement ou tacitement la ruée vers Chirac.
Lors des élections législatives qui avaient suivi, Chirac
avait obtenu une grande majorité au parlement. Cette fois, la majorité
présidentielle sera probablement encore plus grande.
L’UMP a déjà obtenu 39,5 pour cent des voix, contre 33,3
pour cent en 2002. Au total 104 candidats de l’UMP ont obtenu plus de 50
pour cent des voix et ont été élus dès le premier tour.
Les estimations pour le second tour donnent à l’UMP
entre 338 et 501 sièges sur les 577 sièges que compte l’Assemblée nationale.
Actuellement, les gaullistes détiennent 359 sièges, auxquels on peut ajouter
les 29 sièges de l’ancienne UDF (Union pour la démocratie française) qui
était alliée à l’UMP lors des élections de 2002.
Le Parti socialiste a obtenu 24,7 pour cent des voix, soit quasiment
le même pourcentage qu’en 2002. Seul un candidat du Parti socialiste a
obtenu plus de 50 pour cent des voix et été élu dès le premier tour.
Avec ses alliés du PRG (Parti radical de gauche) et du MRC (Mouvement
républicain et citoyen, conduit par Jean-pierre Chevènement), le Parti
socialiste compte obtenir entre 80 et 140 députés. Il y a actuellement 149
députés PS au parlement.
Le Parti communiste (PCF) a fait un peu mieux qu’on ne
s’y attendait, mais a quand même fait moins bien qu’en 2002. Il a
obtenu 4,29 pour cent des voix, soit 0,5 pour cent de moins qu’en 2002,
mais beaucoup plus que le score de 1,9 pour cent obtenu par Marie-George Buffet
à l’élection présidentielle.
Bien que le PCF n’ait conclu aucun accord électoral avec
le PS et qu’il ait été confronté, notamment dans ses bastions traditionnels
de « la ceinture rouge » de Paris, à une campagne agressive de la
part des candidats PS, il est probable qu’il retienne encore entre 9 et
15 députés. Il en a actuellement 21.
Le PCF perdra cependant son statut officiel de groupe
parlementaire. Dans l’histoire de la France d’après-guerre, le PCF
a toujours joui de ce statut parlementaire officiel, à la seule exception de
1958 lorsque Charles de Gaulle vint au pouvoir.
Frédéric Dabi de l’institut de sondage IFOP a qualifié
la perte pour le PCF du statut de groupe parlementaire de « cataclysme »
en terme de financement et de visibilité. « Cela va encore plus le
transformer en groupuscule. »
Le PCF a perdu un certain nombre de circonscriptions
traditionnelles, dont la quatrième circonscription de Marseille qu’il
détenait depuis le gouvernement de Front populaire de 1936.
Avec un total de 35,6 pour cent, le Parti socialiste et ses anciens
alliés de la « gauche plurielle » (le PCF, les Verts, le PRG et le
MRC) ont obtenu à peu près les mêmes résultats qu’en 2002.
Un total de 890 000 voix a été obtenu par les partis
soi-disant « d’extrême-gauche ». Cela représente 3,4 pour cent
des voix, soit un pour cent de plus qu’il y a cinq ans. Du fait du système
de scrutin majoritaire, les candidats « d’extrême-gauche »
n’ont aucune chance d’obtenir une représentativité à
l’Assemblée nationale.
Le nouveau parti centriste de François Bayrou, le MoDem (le Mouvement
démocrate) a obtenu 7,6 pour cent, soit moins de la moitié du score de Bayrou
(18 pour cent) au premier tour de la présidentielle. Il n’est pas certain
que Bayrou soit reconduit au parlement dimanche prochain, et son parti ne
devrait pas obtenir plus de quatre sièges. Il pourrait même finir bredouille.
Le résultat de 4,29 pour cent du Front national représente son
score le plus bas depuis le début des années 1980. Une bonne partie de son
électorat traditionnel a été siphonnée par la démagogie raciste, sécuritaire et
patriotique de Sarkozy. Seule la fille de Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, qui
se présente dans la circonscription industriellement dévastée
d’Hénin-Beaumont dans le nord de la France, est arrivée au second tour.
Le quotidien Libération qui avait soutenu Royal à la
présidentielle, attribue le succès de l’UMP au soi-disant génie de
Sarkozy. Il écrit, « Cette victoire aux trois quarts achevée est le
résultat d’une sorte de sans faute sarkozien. Une campagne vigoureuse
autour d’un projet clairement orienté à droite, un discours pugnace,
nuancé ici et là d’une touche de sollicitude pour l’adversaire,
puis les premières décisions d’un gouvernement, cohérentes avec la
campagne, dussent-elles mettre à mal les finances publiques et favoriser
d’abord les plus aisés des soutiens du nouveau président. »
Ceci n’explique peut-être pas grand-chose, mais il y a quand
même là un brin de vérité. Sarkozy est un combattant conscient, vigoureux et
résolu des intérêts de la classe qu’il représente. Ségolène Royal, son
compagnon et premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande et tous
les autres « éléphants » du PS considèrent avec dérision et mépris la
classe sociale dont ils prétendent représenter les intérêts. Ce ne sont pas des
combattants, mais des opportunistes qui s’adaptent toujours à la droite.
Ils se sentent bien plus proches des riches et influents que des travailleurs
et des gens ordinaires, sans parler des jeunes et des immigrés des banlieues.
Ils n’ont aucun désaccord fondamental avec Sarkozy auquel ils vouent une
secrète admiration.
Si Sarkozy était confronté à une opposition politique
sérieuse, il serait rapidement réduit à une espèce de personnage comique,
dévoré par l’ambition et la vanité.
Aussitôt les résultats du premier tour connus, Royal
s’est tournée vers Bayrou et son MoDem de droite partisan du libéralisme,
lui proposant une alliance. Julien Dray, porte-parole de Royal lors de la
campagne présidentielle, a déclaré lundi que son parti ne fera pas
« barrage » aux candidats du MoDem, afin de créer « toutes
les conditions d’un Parlement pluraliste. » Royal a dit
qu’elle contacterait Bayrou avant le second tour.
Royal et Hollande ont tous deux fait porter la responsabilité
du fort taux d’abstention aux jeunes et aux travailleurs, plutôt qu’à
leur propre manque de perspective significative pour la masse de la population.
Dans un appel à la mobilisation pour dimanche prochain, Royal a déclaré avec
arrogance, « Vous devez venir voter pour vous-mêmes d’abord, vous
les jeunes, qui êtes restés chez vous alors que souvent vous vous étiez
inscrits pour la première fois… Il y a un record d’abstention alors
qu’il y avait eu un sursaut citoyen [à la présidentielle] …
C’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais je ne vous
accable pas bien sûr. »
Elle a ajouté d’un ton moralisateur, « Il y a dans
le monde des hommes et des femmes qui risquent leur vie pour avoir le droit de
vote. » Hollande a pontifié, « Ce sont souvent les jeunes et les
catégories populaires qui sont les plus vulnérables à l’abstention. »
Le dirigeant de l’UMP Patrick Devedjian a fait remarquer
avec mépris, mais justesse, que « l’abstention l’a plutôt
touchée elle [la gauche] que la droite » parce que « la gauche
n’a aucun projet... et n’a fait campagne que contre le projet de
Nicolas Sarkozy ».
Marie-George Buffet du Parti communiste, ainsi que la LCR
(Ligue communiste révolutionnaire) « d’extrême-gauche » se sont
opposés à une alliance avec le MoDem mais tous deux soutiennent, ouvertement
(pour le PCF) ou tacitement (pour la LCR), le Parti socialiste.
Une déclaration affichée sur le Site Internet de la LCR dit, « Au
deuxième tour, il faudra battre la droite et l’extrême-droite et donc
éliminer le maximum de leurs candidats (UMP, MoDem, Nouveau centre, MPF et FN.) »
Cela revient clairement à appeler à voter pour le PS. Tout comme en 2002, la
LCR fait tout pour empêcher la classe ouvrière de rompre avec le Parti
socialiste.
Arlette Laguiller de Lutte ouvrière ne propose aucune
perspective politique, et se contente d’en appeler à la lutte syndicale :
« Si François Fillon [premier ministre UMP] a les mains libres à
l’Assemblée nationale, il ne les a pas dans le pays… Le monde du
travail est imprévisible, car il peut être sujet à des colères
soudaines…Il l’a montré dans le passé et la moindre petite grève
ignorée peut, en certaines circonstances, se propager comme une traînée de
poudre. »
Cette dérobade devant les grandes questions historiques et
politiques confrontant la classe ouvrière est la marque de fabrique de cette
organisation « d’extrême-gauche » et va de pair avec son
adaptation politique à la bureaucratie syndicale et sa prostration devant les
partis de la « gauche » officielle.