Après sa prise de fonction officielle de président de la
République française le 16 mai, le premier déplacement de Nicolas Sarkozy a été
une visite au mémorial de résistants tombés pendant la lutte contre
l’occupation nazie de la France durant la Deuxième Guerre mondiale.
Sarkozy a saisi cette occasion pour prendre sa première
décision présidentielle et décréter que lecture soit faite aux lycéens, à chaque
rentrée scolaire, de la lettre écrite par Guy Môquet à sa famille juste avant
son exécution par un peloton d’exécution nazi le 22 octobre 1941. Sarkozy
cherche à ce que cette lettre soit un exemple de « l’héroïsme »
et du « sacrifice » pour la nation. Môquet était âgé de 17 ans et
était membre de la Jeunesse communiste.
Cette cérémonie commémorative et cette décision mettent à jour
un épisode historique important qui révèle la nature contre-révolutionnaire du
stalinisme français.
L’indignation initiale de la dirigeante du Parti
communiste français (PCF) Marie-George Buffet, devant l’utilisation
cynique par Sarkozy de la mort de Môquet pour promouvoir le nationalisme lors
de sa campagne électorale, a été de courte durée. « La lecture de la
dernière lettre de Guy Môquet est un message fort » a-t-elle déclaré,
après que Sarkozy ait fait part de sa décision présidentielle, « parce que
ce jeune homme était porteur de patriotisme par son engagement dans la
résistance, mais aussi parce que son combat pour l’émancipation
humaine avait un but, celui de construire une République des droits et des
libertés dans une démocratie. »
Le fait que Buffet se range de façon servile derrière Sarkozy conforte
ce dernier dans sa tentative de se présenter comme le président de « tous
les Français. »
Une déclaration du PCF sur Guy Môquet, datée du 21 mai 2007 et
affichée sur son site Internet, dit : « Il a été arrêté le 13 octobre
1940, à la Gare de l’Est. Bien avant l’invasion de l’URSS,
par les nazis. Guy Môquet avait été dénoncé parce que, avec ses camarades de la
Jeunesse communiste, il distribuait des tracts dans les cinémas ou manifestait
contre l’Occupation et la collaboration. Son père, cheminot et député
communiste, était alors déporté au bagne de Maison-Carrée en Algérie et des
policiers français gardaient cet élu du Front populaire dressé contre les 100
familles capitalistes qui contrôlaient la France, engagé contre le fascisme qui
depuis des années menaçait l’Europe. »
Cette déclaration est un exemple typique de l’école
stalinienne de falsification historique.
Prosper Môquet, le père de Guy, était l’un des 72
députés du Parti communiste élus à l’Assemblée nationale le 3 mai 1936.
En mai 1935, Staline avait signé un traité de coopération avec le gouvernement
droitier de Laval, acceptant implicitement la politique militaire française et
appelant le PCF à voter pour le budget militaire. Cette alliance de Staline et
du PCF avec l’impérialisme français se poursuivit sous le gouvernement de
Front populaire.
Le Front populaire se composait du Parti communiste, du Parti
socialiste et du Parti radical, un parti bourgeois. Il liait la classe ouvrière
à la bourgeoisie et s’opposait au développement d’une perspective
socialiste internationaliste indépendante. Son premier geste avait été
d’empêcher que la grève générale de mai-juin 1936 ne se développe en une
insurrection révolutionnaire. Il voyait la défense de la France face à
l’attaque nazie en termes purement nationalistes et non comme un conflit
de grandes puissances recherchant chacune l’avantage impérialiste et
utilisant la classe ouvrière et les jeunes comme chair à canon.
Le 30 septembre 1938, Neville Chamberlain, représentant la
Grande-Bretagne et Edouard Daladier représentant la France, et tous deux
partisans de la politique d’apaisement, signèrent les Accords de Munich.
Ils donnèrent ainsi aux nazis le feu vert pour envahir la Tchécoslovaquie.
Staline prit peur que la Grande-Bretagne et la France ne soient en train de se
préparer à s’unir avec l’Allemagne contre l’Union soviétique.
Au lieu d’essayer de mobiliser la classe ouvrière
mondiale contre cette alliance impérialiste, Staline procéda à une alliance
préventive de son cru : le Pacte hitléro-stalinien (germano-soviétique) du
23 août 1939.
Moins d’un mois plus tard, le 20 septembre 1939, le Comintern
de Staline informait le PCF de sa nouvelle ligne politique : les partis
communistes ne devaient pas soutenir la guerre contre l’Allemagne
déclarée par la France et la Grande-Bretagne suite à l’invasion de la
Pologne par Hitler. Ce que les staliniens avaient auparavant qualifié de guerre
de « défense nationale » était à présent qualifié de « guerre
impérialiste. » Le Parti communiste devait donc s’y opposer suivant
cette ligne politique, puisque l’Allemagne avait fait une alliance avec
l’Union soviétique.
Dans le journal l’Humanité du 26 septembre 1940,
le PCF critiquait sévèrement la résistance gaulliste qu’il accusait de « va-t-en-guerre
avec la peau des autres » et dénonçait « la volonté commune des
impérialistes d’entraîner la France dans la guerre, du côté allemand ou
du côté adverse sous le signe d’une prétendue résistance à
l’oppresseur. »
André Marty, membre dirigeant du PCF et secrétaire de
l’Internationale communiste stalinienne, envoya le 4 octobre 1939 une
lettre à Léon Blum, membre du gouvernement Daladier, critiquant son soutien à
la guerre. « L’actuelle guerre européenne est une guerre provoquée
par deux groupes impérialistes dont chacun veut dépouiller l'autre ; par
conséquent, les ouvriers, les paysans, n'ont rien à voir dans cette affaire. »
En conséquence, le président Edouard Daladier décréta le 26
septembre 1939 la dissolution du PCF. Il fit interner un grand nombre de ses
membres et députés, dont Prosper Môquet. Prosper, arrêté le 10 octobre 1939 fut
jugé en secret par un tribunal militaire en avril 1940 et condamné à cinq ans
d’emprisonnement. Il fut déporté en mars 1941 au bagne de Maison-Carrée
en Algérie.
Les nazis envahirent la France le 10 juin 1940 et le maréchal
Pétain signa l’armistice, douze jours plus tard. La sympathie de larges
couches de la bourgeoisie française pour le fascisme joua un grand rôle dans la
déroute de l’armée française. Le Parti communiste, qui ajustait sa
politique aux besoins de la diplomatie soviétique, avait été interdit et un
grand nombre de ses dirigeants emprisonnés par ses anciens alliés du Front
populaire.
Prosper Môquet fut donc emprisonné, non pas pour ses activités
anti-nazies, comme l’affirme le PC dans sa déclaration du 21 mai 2007 (la
déclaration, en fait, laisse entendre des activités anti-nazies) ; au
contraire, le parti stalinien s’opposait, pour le moment, à la guerre
contre l’Allemagne fasciste. En effet, bien qu’il ne fasse pas de
doute que d’autres considérations politiques entraient en jeu (comme par
exemple, l’occasion de réprimer les tendances de gauche au sein de la
classe ouvrière) le père de Guy Môquet fut officiellement condamné pour
« intelligence avec l’ennemi » et n’était certainement
pas, à ce moment-là, membre du Front populaire qui n’existait alors plus.
Il était en fait un prisonnier politique du gouvernement Daladier, dirigeant du
Parti radical et ancien ministre du gouvernement de Front populaire de Léon
Blum.
Une recherche faite par deux journalistes, Jean-Pierre Besse
et Claude Pennetier, en 2006, dans les archives municipales de Paris, a mis à
jour des notes rendant compte de négociations entre le PCF, dirigé par Maurice Tréand,
et Otto Abetz, représentant de Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères
nazi. Ces notes révèlent que les émissaires de Staline n’hésitaient pas à
essayer d’entrer dans les bonnes grâces de l’occupant nazi en
faisant usage d’antisémitisme bien placé.
Tréand, sous la direction du secrétaire du comité central du
PCF, Jacques Duclos, essaya en vain d’obtenir des nazis l’autorisation
de publier le journal du PCF, l’Humanité. Les négociations durèrent
de juin à août 1940.
Tréand présenta ainsi ses arguments : « Pour l'URSS
nous avons bien travaillé par conséquent par ricochet pour vous... [N]ous ne
ferons rien pour vous, mais rien contre vous. » Attaquant les capitalistes
anglais et leurs alliés français, Tréand fait référence au « Juif
Mandel ». Georges Mandel était le dernier ministre de l’Intérieur
avant l’occupation nazie. Tréand mentionne par trois fois le « Juif
Mandel » qui a « fusillé des ouvriers qui sabotaient la défense nationale ».
Voici l’extrait d’un texte écrit pas Duclos et
présenté aux autorités allemandes : « L'Humanité publiée par
nous se fixerait pour tâche de poursuivre une politique de pacification
européenne et de défendre la conclusion d'un pacte franco-soviétique, qui
serait le complément du pacte germano-soviétique et ainsi créerait les
conditions d'une paix durable.»
Staline était tout à fait conscient de l’opposition et
du désarroi qu’une telle politique occasionnait parmi la masse des
travailleurs et des membres du parti. Nombreux furent ceux qui démissionnèrent,
dont un tiers des députés du PCF. Beaucoup n’attendirent pas
l’invasion de l’Union soviétique par les nazis pour entrer dans
l’activité clandestine contre l’Occupation. Un télégramme daté du
22 juin 1940 et signé par le secrétaire de l’Internationale communiste
Georgi Dimitrov et le secrétaire général du PCF Maurice Thorez déclare, « Utiliser
la moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux syndicaux, locaux,
éventuellement l'Humanité en veillant que ces journaux... ne donnent
aucune impression de solidarité avec envahisseurs ou leur approbation. »
La police française arrêta et emprisonna Guy Môquet, âgé de 16
ans, le 13 octobre 1940. La France était occupée, mais il fallut attendre
encore neuf mois avant que l’invasion nazie de l’Union soviétique
ne mette fin au pacte hitléro-stalinien. La déclaration du PCF du 21 mai, citée
en début d’article, affirme qu’il était en train de distribuer des
tracts « contre l’Occupation et la collaboration », mais il est
très peu probable qu’il aurait ainsi agi contre la ligne politique du
parti. Un autre commentateur donne cependant une forte indication que les
questions pour lesquelles il faisait campagne et les raisons de son arrestation
étaient de nature quelque peu différente. « Après l’occupation de
Paris par les Allemands et la mise en place du gouvernement de Vichy, Guy fit
passionnément campagne, collant des papillons dans le quartier, qui dénonçaient
le nouveau gouvernement et exigeaient la libération des internés, »
l’un d’entre eux étant, bien sûr, son propre père.
Les médias se sont mis au diapason de la version stalinienne
et n’ont aucunement essayé de faire la lumière sur la situation de Prosper
au moment de l’arrestation de son fils. Ils ont évité au PCF que ne soit
découvert ce secret gênant, veillant ainsi à ne pas perturber cette toute
dernière adaptation du stalinisme au gaullisme.
Avec l’invasion nazie de l’Union soviétique le 22
juin 1941, le PCF fit une nouvelle volte-face, et adopta à nouveau sa position d’antifascisme
de Front populaire au lieu de sa position d’anti-impérialisme, et entra
dans une alliance avec la résistance gaulliste, avec pour but le rétablissement
d’un régime bourgeois après la Libération plutôt qu’une république
socialiste ouvrière.
L’organe théorique du PCF, Les cahiers du bolchevisme,
à la fin des années 1941 déclare, « les Français saluent dans les soldats
de De Gaulle, des combattants de la bonne cause, des combattants
anti-hitlériens.» Cette unité avec la bourgeoisie nationale fut consolidée
quand les staliniens entrèrent dans le Conseil national de la Résistance de De
Gaulle en mai 1943. La « bonne cause » se révéla plus tard être
l’oppression des peuples coloniaux de la France en Algérie et en
Indochine, sans parler de la participation des staliniens au gouvernement de De
Gaulle en 1945 et à la reconstruction du capitalisme français.
Les communistes, emprisonnés dans des camps
d’internement par les gouvernements de Daladier puis de Pétain, étaient
maintenant officiellement ennemis des nazis et à leur merci.
Le 20 octobre 1941, un commandant allemand Karl Hotz, fut
exécuté à Nantes par trois jeunes communistes. Les nazis exigèrent
immédiatement en représailles la vie de 50 Français. Pierre Pucheu, ministre de
l’Intérieur du gouvernement collaborationniste du maréchal Pétain reçut
l’ordre de choisir 50 prisonniers à exécuter. Pucheu rejeta une première
liste de noms d’anciens soldats jugeant qu’ils étaient « de bons
Français » et préféra une seconde liste constituée d’otages
communistes.
Il s’agissait de membres du PCF, à l’exception de
Marc Bourhis, un trotskyste, et de son ami et camarade Pierre Guéguin, maire de
la ville de Concarneau et membre du PCF depuis sa fondation en 1920. Il s’était
opposé au pacte hitléro-stalinien, comme bien d’autres membres du PCF et
sympathisait avec les trotskystes. Lorsqu’une occasion se présenta à Bourhis
de s’échapper du camp d’internement, il décida de rester avec Guéguin,
craignant que ce dernier ne soit maltraité, voire tué par les prisonniers
staliniens s’il se retrouvait seul avec eux. La présence de trotskystes
parmi le groupe des 27 prisonniers exécutés avec Guy Môquet par un peloton
d’exécution nazi à Chateaubriand fut niée par les dirigeants du PCF
jusque dans les années 1990.
Les staliniens empêchèrent et étouffèrent le développement
d’une lutte socialiste révolutionnaire dans tous les mouvements de
résistance antifasciste, liant les travailleurs, les paysans et les jeunes à
leur bourgeoisie nationale et à leurs alliés. La trahison de la révolution
espagnole de 1936 en fut le premier exemple.
La Conférence d’Alarme de la Quatrième Internationale
(QI) en mai 1940 produisit un manifeste qui fournit une direction essentielle
aux trotskystes pendant les heures sombres de la domination nazie de
l’Europe. Le paragraphe suivant est tiré de l’introduction : « La
IVe Internationale ne se tourne pas vers les gouvernements qui ont poussé les
peuples à l'abattoir, ni vers les politiciens bourgeois responsables de ces
gouvernements, ni vers la bureaucratie ouvrière qui soutient la bourgeoisie en
guerre. La IVe Internationale se tourne vers les travailleuses et travailleurs,
vers les soldats et les marins, vers les paysans ruinés et les peuples
coloniaux asservis. La IVe Internationale n'a pas le moindre lien avec les
oppresseurs, les exploiteurs, les impérialistes. Elle est le parti mondial des
travailleurs, des opprimés et des exploités. Ce manifeste s'adresse à eux. »
Sources :
The Writings of Leon Trotsky (1939-40), Merit Publishers: 1969
Fac Simile—La Vérité 1940/1944, Paris, EDI: 1978
Les Trotskystes en France pendant la deuxième Guerre
mondiale, Jean-Pierre Cassard — La Vérité OCI—(undated
but after 1980)
Contre vents et marées, Yvan Craipeau,
Savelli: 1977