Le président français de droite, Nicolas Sarkozy, a recruté dans son
gouvernement des membres bien en vue du Parti socialiste et des femmes issues
de l’immigration, afin de donner un vernis
« d’interventionnisme humanitaire » à sa course au militarisme
à l’étranger et à sa politique pro-libérale dans le pays.
La défection du Parti socialiste la plus remarquée est celle du ministre des
Affaires étrangères Bernard Kouchner, plus connu en tant que fondateur de Médecins
sans frontières. Néanmoins, la défection qui a causé le plus grand émoi,
notamment chez les travailleurs et les jeunes issus de l’immigration, est
celle de la militante féministe la plus connue du pays, Fadela Amara. Elle a
accepté le poste de secrétaire d’Etat à la politique de la ville.
Amara, âgée de 43 ans et issue d’une famille ouvrière algérienne, était
conseillère municipale élue du Parti socialiste à Clermont-Ferrand. Elle est
connue pour avoir fondé l’association Ni putes ni soumises, lancée
en 2003 sur une vague de révulsion populaire provoquée par la mort de Sohane
Benziane, jeune fille immigrée, qui avait été brûlée vive par le jeune homme
qui souhaitait sortir avec elle.
Le fait qu’Amara ait accepté de travailler sous les ordres de la
ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, bien connue pour ses
positions contre l’avortement, provoque la colère et l’incrédulité de
bon nombre de ceux qui la considéraient comme un défenseur des droits des femmes
de la classe ouvrière. Boutin avait été nommé consulteur du Conseil pontifical
pour la famille par le pape Jean-Paul II.
Le fait qu’Amara ait accepté un poste dans le gouvernement de Sarkozy
a provoqué la critique de Mohamed Mechmache, président de l’association
AC le feu (association, collectif, liberté, égalité, fraternité, ensemble et
unis) qui a dit, « On ne compte pas sur ce genre de personnes, portées à
un moment ou un autre par un appareil politique …On n’est pas
dupes. » Il a accusé Ni putes ni soumises (NPNS) de « stigmatiser
et caricaturer certaines catégories de population », c'est-à-dire les garçons
des cités.
Mimouna Hadjam, porte-parole de l’association Africa 93 a dit que la
décision d’Amara « s’apparente à un choix de carrière, plus
que de conviction politique…Comment Fadela pourra-t-elle cautionner les
actions de ce gouvernement qui s’annonce particulièrement répressif en
matière d’immigration et notamment en matière de regroupement
familial ? »
Amara prétend défendre « la liberté durement acquise des femmes à
disposer de leur corps… et la lutte contre toutes les formes
d’intégrisme et d’obscurantisme ». Commentant sa décision
d’accepter le poste, elle a dit, « J’ai un peu hésité, car je
suis une femme de gauche et que je l’assume. Mais j’ai dit oui
parce que mon combat dépasse les clivages politiques et parce qu’il y a
urgence. Je veux avoir des manettes pour transformer la vie dans les quartiers. »
En 1983, elle avait participé à la Marche des beurs de Marseille,
organisée par le Parti socialiste et d’autres partis et groupes de
gauche. Cette marche qui s’opposait au racisme, aux conditions sociales
existant dans les cités, aux discrimination et répression policières,
s’était terminée par une manifestation de quelque 60 000 personnes à
Paris le 3 décembre.
Le président François Mitterrand avait reçu les organisateurs de cette
marche et avait accordé des permis de travail et de séjour de 10 ans aux
participants qui en avaient besoin, mais n’était pas revenu sur la
politique d’austérité, qui sous les gouvernements successifs, ont fait
des quartiers HLM à population majoritairement immigrée de quelque cinq
millions d’habitants, des zones où sévissent taux de chômage élevé, abandon
par les autorités, pauvreté, discrimination et répression policière.
Amara faisait partie d’une génération de jeunes qui voulaient
combattre cette situation et qui défendaient des principes égalitaires universalistes
et humanistes. C’est au travers de SOS racisme qu’elle était
entrée au Parti socialiste. Julien Dray, ancien membre du groupe d’« extrême-gauche »,
la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui avait rejoint le PS en
1981 et était cette année porte-parole de la candidate présidentielle du PS
Ségolène Royal, avait été un membre fondateur de cette association en 1984 aux
côtés de militants socialistes. Ce mouvement, dominé par le PS, insistait sur
le fait que la lutte contre le racisme devait se borner à revendiquer certaines
réformes. Il est fortement subventionné par le parti et l’Etat.
Amara rejoignit SOS racisme en 1986 et travailla en étroite
collaboration avec Julien Dray jusqu’au moment où elle fonda NPNS. C’est
alors qu’elle se rapprocha de l’ancien premier ministre du PS
Laurent Fabius.
Le Parti socialiste exploita l’idéalisme des jeunes qui gravitaient
autour de SOS racisme pour détourner l’attention de la classe
ouvrière de la lutte contre l’abandon, par le PS, de son programme de
réformes sociales sur lequel Mitterrand avait été élu président le 10 mai 1981.
Alors que ses attaques sur les conditions sociales favorisaient l’essor de
l’extrême-droite (en juin 1984 le Front national faisait une percée aux
élections européennes et obtenait 10 pour cent des voix), c’est par son
opposition au Front national et au racisme que le Parti socialiste prétendait
avoir une politique progressiste. Pendant un certain temps, à travers SOS
racisme, le PS en appela au « droit à la diversité. »
En 2002, après cinq ans de politique libérale menée par le gouvernement de
la gauche plurielle de Lionel Jospin, le dirigeant du Front national Jean-Marie
Le Pen connut son plus grand succès politique. Il battit Jospin au premier tour
des élections présidentielles et resta au second tour contre le président
sortant Jacques Chirac.
C’est ce qui fit passer la gauche dans le camp de la politique réactionnaire
gaulliste. Pendant ces élections, la « gauche », y compris la LCR,
firent campagne pour Chirac, le présentant comme le garant des « valeurs
républicaines » et des droits démocratiques.
Début 2003, le premier ministre de Chirac, Jean-Pierre Raffarin lança une
campagne hautement médiatisée visant à préparer une loi interdisant aux élèves musulmanes
le port du voile à l’école. Sur fond d’une islamophobie
consciencieusement orchestrée au niveau international et accompagnant la
« guerre contre le terrorisme » de George W. Bush, la loi accordait
des pouvoirs plus grands à l’Etat pour intervenir dans les établissements
scolaires et parmi la population immigrée. Cette loi servit à détourner
l’attention de toute une série d’attaques sur les conditions de
travail, les droits à la retraite et le service d’Education nationale et
qui furent à l’origine d’un long mouvement de grèves et de
protestations.
L’aile féministe de SOS racisme, immédiatement après la défaite
cuisante du Parti socialiste aux élections de 2002, engagea l’offensive
contre l’oppression des jeunes filles musulmanes par les islamistes
conservateurs des quartiers HLM appauvris. Ceci cadrait parfaitement avec la
Loi sur le voile de Raffarin, soutenue avec ferveur par Amara. Cela
représentait un virage à droite bien marqué du Parti socialiste par rapport à
sa précédente défense du « droit à la différence. » C’était un
tournant pour Amara, qui travaillait maintenant en étroite collaboration avec
Fabius, et soutenait haut et fort la Loi sur le voile.
En février 2003, Amara et ses amis de SOS racisme et du PS lancèrent Ni
putes ni soumises et la « Marche des femmes contre les ghettos et pour
l’égalité ». Amara et son Ni putes ni soumises, malgré leur
position au sein du PS, furent présentées comme des novices de la politique,
qui avaient émergé spontanément en réaction à l’attitude arriérée des
garçons des cités, suite à la mort de Sohane Benzaine. Elles furent starisées
par les médias et l’establishment politique. Le premier ministre
gaulliste Jean-Pierre Raffarin les reçut trois fois. En juin 2003, le président
UMP de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré organisa un coup médiatique
appelé « Mariannes d’aujourd’hui », plaçant de grandes
photos de 14 femmes de NPNS, portant le bonnet phrygien, sur les murs du Palais
Bourbon où se tient l’Assemblée nationale.
Arlette Laguiller du groupe d’extrême-gauche soi-disant trotskyste, Lutte
ouvrière (LO), donna de la crédibilité à Amara et fit venir ses militants aux
meetings de cette dernière. En 2004 et 2005, Laguiller alla manifester aux
côtés de Ni putes ni soumises le 8 mars, journée de la Femme. Une photo
de 2004 montre Laguiller avec Amara qui est bras dessus bras dessous avec Nicole
Guedj, secrétaire d’Etat à la Justice de Raffarin.
La position politique de collaboration de classe d’Amara était
flagrante: « Je suis très heureuse de voir que des femmes
s’engagent, quelle que soit leur appartenance politique. » Laguiller
dit de l’association d’Amara que l’« association seule
avait un langage clair sur le voile » et elle critiqua ceux qui
s’opposaient à la loi forçant les jeunes musulmanes à retirer leur voile
à l’école. Le front commun entre la droite, la « gauche » et
« l’extrême-gauche », qui avait soutenu l’élection de
Chirac en 2002, était une fois de plus à l’œuvre.
Malek Boutih, ex-président de SOS racisme, et à présent secrétaire national
aux Questions de Société du Parti socialiste et responsable du rapport hautement
restrictif sur la politique d’immigration du PS, a accueilli
favorablement le recrutement d’Amara dans le gouvernement de Sarkozy. Il
l’a qualifié de « réel espoir pour les quartiers de banlieue qui
pourront compter sur sa force, son indépendance et sa détermination. »
Boutih est à la droite du parti et proche partisan de Ségolène Royal. Félicitant
Amara, il a repris la phrase qu’elle avait prononcée, « il y a des
enjeux qui dépassent les clivages : lutter contre le racisme, la montée
des intégrismes et du communautarisme. »
Boutih admire Sarkozy pour sa capacité à placer les personnes issues des
minorités ethniques à des postes importants et il critique le Parti socialiste
pour son incapacité à l’imiter. Dans un entretien accordé au Monde (25
juin), il déclarait : « Nicolas Sarkozy, ne subit pas le
conservatisme de son camp et le pousse à évoluer. C’est l’inverse
au PS. »
L’actuel président de SOS racisme, Dominique Sopo a dit de la nouvelle
alliance d’Amara : « C’est une bonne chose, avec ce
gouvernement, on a une représentation de la diversité qui est une première dans
ce pays. »
Sarkozy a aussi nommé Rama Yade, jeune sénégalaise de l’UMP,
secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des
affaires étrangères et des droits de l’Homme, ainsi que l’avocate
Rachida Dati, conseillère de Sarkozy depuis 2003 et membre de l’UMP
depuis 2006, ministre de la Justice. Dati a pour mission de mettre en place une
législation sécuritaire implacable pour réprimer les jeunes des cités. Ni
l’une ni l’autre n’a de liens avec une quelconque lutte pour
les droits démocratiques.
Le soutien sans critique apporté par Arlette Laguiller et Lutte ouvrière
à Fadela Amara n’était pas un acte de solidarité avec des travailleuses
politiquement inexpérimentées en lutte, mais bien une alliance politique avec
le Parti socialiste. LO était même en faveur d’une mise au pas des
enseignants qui ne se montreraient pas suffisamment intransigeants à
l’égard des filles portant le voile.
On peut lire sur le site Internet de Lutte ouvrière, en date du 22
juin, concernant l’entrée d’Amara au gouvernement de Sarkozy :
« Mais ce type de situation n’est pas exceptionnel. Des hommes qui
passent de la gauche à la droite, du jour au lendemain, aussi facilement, cela
s’est déjà vu, tout comme des politiciens qui ont fait le parcours
inverse. »
Pour sa part, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a reconnu à
contrecœur que sa promotion de l’association NPNS d’Amara
comme groupe de pression supplémentaire en faveur de réformes sociales, était
un échec. « Cette initiative, qui marquait pour beaucoup la renaissance
d’un féminisme populaire, avait suscité, y compris dans nos rangs,
beaucoup d’espoir. Toutefois, la dénonciation des rapports violents entre
filles et garçons, insuffisamment rattachée aux violences faites aux femmes
dans le reste de la société, avait tout pour être récupérée par le discours
sécuritaire et le pouvoir. » (Rouge du 29 juin)
La LCR n’explique pas comment elle a elle-même encouragé la
construction d’un mouvement dominé par le PS, qui est devenu par la suite
partie intégrante de la politique de durcissement de l’Etat face à la
délinquance et à la criminalité.
(Article original anglais publié le 5 juillet 2007)