Les représentants des Etats-Unis, de la France, de l’Union
européenne (UE), de la Ligue arabe, de la Russie et de la Chine se sont réunis
le 25 juin à Paris pour discuter de possibles opérations de pacification au
Darfour, une province du Soudan ravagée par la guerre. La presse a largement
présenté cette conférence comme une façon pour le nouveau président français,
Nicolas Sarkozy, et son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, de
démontrer qu’ils avaient une attitude plus accommodante envers Bush que le prédécesseur
de Sarkozy, Jacques Chirac.
Entre autres, il fut proposé à la conférence de déployer
une force de maintien de la paix conjointe de l’ONU et de l’Union africaine
(UA) comptant 20 000 soldats au Darfour et de faire usage des troupes
françaises dans le Tchad voisin pour ouvrir des « corridors
humanitaires » au Darfour. Sarkozy a dit que la France donnerait 10
millions d’euros à la force de l’UA comptant 7000 soldats présentement au
Darfour. Les représentants de l’UE ont promis 42 millions d’euros en aide
humanitaire. La France pourrait aussi augmenter le nombre de ses soldats
qu’elle déploie au Tchad, prétendument pour acheminer plus d’aide humanitaire aux
réfugiés du Darfour se trouvant dans ce pays.
La conférence n’avait pratiquement qu’un caractère
symbolique. Comme le quotidien français Le Monde l’a remarqué avant la
conférence, « les délégations devaient disposer
seulement de trois heures de discussions, et aucun communiqué final n'est même
prévu. Des engagements financiers sur l'aide humanitaire et sur la contribution
à une future force de paix sont espérés ». Toutefois, à part de petits
dons de la France et de l’UE, il n’y a pas eu d’autres engagements. Les pays de
l’UA, d’où proviendraient la plus grande partie des troupes d’une force de
maintien de la paix, n’ont même pas été invités à la conférence !
Même si les mesures proposées devaient être entièrement mises en œuvre,
toutefois, elles demeuraient inadéquates pour résoudre les conséquences
tragiques du conflit au Darfour. Au contraire, l’intervention de forces
étrangères dans la région ferait partie d’une tentative plus large de
l’Occident pour exploiter la tragédie soudanaise pour réaliser ses ambitions.
L’oppression et la misère au Soudan ne s’amélioraient nullement.
Les dénonciations des milices janjawid armées par Khartoum au Darfour
publiées régulièrement dans la presse américaine et européenne cachent la
situation complexe de la violence et de la militarisation gagnant toute cette
région. Les atrocités commises par les milices janjawid sont loin d’être
l’unique facteur du carnage au Darfour.
Les milices au Darfour s’opposant à Khartoum — qui ont été tout d’abord
menées par l’Armée de libération du Soudan (ALS), la branche armée du Mouvement
de libération du Soudan(A/MLS), dirigée par Minni Minaoui et le Mouvement pour
la justice et l’égalité (MJE) de Khalil Ibrahim — ont commencé à se battre
entre elles, divisées sur la question du respect de l’accord de paix d’Abuja de
mai 2006.
Les combats ont continué presque sans interruption depuis avril 2003, lorsqu’une
force conjointe de l’A/MLS et du MJE ont pris d’assaut l’aéroport de la
capitale au nord du Darfour Nord, el-Fasher. Khartoum a répondu en armant des
tribus locales, la plupart des groupes nomades arabes, et en les organisant en
milices janjawid pour attaquer les secteurs où on l’on croyait que l’A/MLS et
le MJE avaient gagné l’appui de la population. L’A/MLS et le MJE ont
prétendument commencé à recruter des forces dans les camps de réfugiés
soudanais au Tchad. Les voleurs de grand chemin et les gangs tribaux ont aussi fait
beaucoup de morts. Selon les données de l’ONU, les combattants de l’A/MLS et
les combats entre tribus sont responsables de 20 à 36 pour cent respectivement
du nombre total des personnes déplacées depuis le début de 2007.
Les combats se sont propagés aux pays voisins, le Tchad et la République centrafricaine (RCA). Ces deux pays sont extrêmement pauvres et endettés, et dépendent
donc du Fond monétaire international (FMI). Les pressions du FMI visant à ce
que les gouvernements remboursent leurs prêts ont entraîné, dans les deux pays,
des mutineries dans des sections de l’armée qui n’avaient pas été payées par le
gouvernement. De plus, des troupes et des avions de la France sont cantonnés dans les deux nations.
La situation dans la RCA est devenue chaotique, alors que
le gouvernement central de François Bozizé ne semble pas contrôler beaucoup
plus que la capitale de Bangui. Amnistie internationale a déclaré récemment que
« Les régions du nord [de la RCA] sont devenues le théâtre d’une mêlée
générale — un terrain de chasse pour les diverses forces d’opposition
armées de la région, les troupes gouvernementales, et même les bandits
armés. » La situation au Tchad est aussi grandement instable; la France
est intervenue en avril 2006 pour renverser un coup d’État soutenu par
Khartoum.
Le conflit au Darfour est aussi
attisé par une lutte de plus en plus désespérée pour les terres. L’augmentation
des températures et la diminution des précipitations ont réduit la productivité
des terres, ce qui a un impact sur la vie des fermiers et des bergers qui
forment la majeure partie de la population de la région. Selon Jeune Afrique,
Khartoum encouragerait les recrues des Janjawid en leur donnant le droit de
conserver toute terre qu’ils pourraient s’approprier. La désertification
(dégradation des terres en zones arides) menace aussi le Darfour, alors que le
Sahara se déplace de plus en plus vers le sud à cause des changements
climatiques.
En vérité, la conférence de Paris de lundi de la semaine
dernière n’avait rien à voir avec un effort sérieux pour résoudre la crise au
Darfour. Aucun des problèmes sociaux à la base de cette tragédie — la
crise de l’agriculture, la destruction des finances publiques sous la
supervision du FMI, l’absence d’infrastructures industrielles et sanitaires, et
la situation de guerre civile permanente — ne peut être résolu en déployant
quelques milliers de soldats de plus dans les zones touchées, qui s’étendent
sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés. Et ce n’était de
toute façon pas l’intention des participants à la conférence de Paris.
D’une part, Sarkozy tente de montrer que les ressources
africaines de l’impérialisme français font de ce dernier un précieux associé de
Washington. Comme le nota le quotidien français Le Monde, « après
le Liban, le nucléaire iranien et la lutte antiterroriste, il est désormais
question d'unir les efforts pour mettre fin à un drame que les Etats-Unis ont
qualifié de "génocide", et la France de "catastrophe
humanitaire" ».
Le Monde fit remarquer sur
un ton satisfait : « L'implication de la France sur le Darfour
est jugée utile à Washington, car Paris dispose de leviers dans la région
(Tchad, Centrafrique) et de contacts que l'administration américaine n'a pas
(Erythrée). » Il n’a toutefois pas expliqué comment les
« leviers » de la France allaient changer la situation. Cependant, le
Tchad (qui soutient le MJE), l’Erythrée (qui soutient l’A/MLS) et la République
centrafricaine hébergent toutes les principales bases et partisans locaux des
forces anti-Khartoum du Darfour. Implicite dans le commentaire du journal Le
Monde est la notion que la France peut organiser les groupes d’opposition
du Darfour en un tout cohérent.
De précieuses ressources sont en jeu au Soudan, notamment
ses importantes réserves de pétrole qui génèrent présentement deux
milliards $ en revenus, et les investissements liés à ces ressources. En
ce moment, la majorité du pétrole soudanais est achetée par la Chine, dont
environ 8 pour cent de l’apport total de pétrole provient de la nation de
l’Afrique de l’Est et qui y a investi autour de six milliards $.
D’importants journaux américains, et peut-être plus particulièrement le New
York Times et son chroniqueur Nicholas Kristof, ont exigé à maintes
reprises que la Chine réduise sa présence au Soudan pour la durée de la crise
au Darfour.
C’est le 9 mai, lorsque Tom Lantos, représentant démocrate
au congrès, envoya une lettre au président chinois Hu Jintao, que cette demande
est entrée dans le dossier politique officiel. Dans la lettre, il accueille la
décision de la Chine de mettre fin aux incitatifs accordés à ses compagnies
pour investir au Soudan et attaque la Chine pour sa politique de vente d’armes
et de prêts à Khartoum. Après avoir brandi la menace que des activistes
américains pourraient bien réussir à baptiser les jeux Olympiques de Beijing d’« Olympiques
génocides », il conclut « à moins que la Chine fasse sa part afin de s’assurer que le gouvernement soudanais accepte la voie vers la
paix la meilleure et la plus raisonnable, l’histoire va juger votre
gouvernement pour avoir soutenu un génocide. »
L’insistance de Washington à
présenter le groupe janjawid soutenu par Khartoum comme étant engagé dans un
« génocide » vise à forcer une intervention militaire de l’ONU, qui
est obligatoire en vertu de la Convention 1984 de l’ONU sur les génocides, une
fois qu’un acte de génocide est universellement reconnu.
Cependant, le volontarisme de la France à servir les intérêts de l’impérialisme américain au Soudan, ne va pas jusqu’à un
appui sans ambiguïté à une action militaire au Soudan. Comme le notait le Figaro,
le gouvernement français a de manière significative étiqueté le Darfour de
« catastrophe humanitaire » et non de génocide. La décision de
la télévision France 24 d’accorder une longue entrevue à Rony Brauman,
un universitaire français et sympathisant du groupe rebelle au Darfour, qui
critiquait les plans d’intervention militaire au Soudan, suggère qu’il y a des
divisions et de l’anxiété au sein de l’establishment français des Affaires
étrangères.
Le rapprochement entre l’impérialisme français et
américain ne va vraisemblablement pas durer. En effet, leur histoire commune
en Afrique est marquée par des oppositions directes, notamment durant la crise
du génocide au Rwanda en 1994 et dans la guerre civile au Congo-Zaïre.
Le rôle du ministre des Affaires étrangères français,
Bernard Kouchner, est éloquent. Ayant tout d’abord été membre du Parti
communiste français dans les années 1960, il s’est tourné vers la droite après
le mouvement étudiant et la grève générale de 1968. Frustré par la bureaucratie
de la Croix rouge internationale pour laquelle il a été médecin au Biafra
durant la guerre civile nigérienne de 1967-1970, il fonda Médecins sans
frontières (MSF) une organisation humanitaire internationale.
En tant que dirigeant de MSF, il bénéficia d’une couverture
médiatique positive considérable de la presse française et internationale. Il
revint à la politique française en tant que membre du Parti socialiste, servant
différentes administrations dans les années 1980. Il s’adapta rapidement à
l’explosion du militarisme américain, développant le concept « d’intervention
humanitaire » et même de « frappe préventive humanitaire ».
Maintenant, comme premier geste majeur en tant que ministre
des Affaires étrangères, l’ancien gauchiste et philanthrope bien connu préside
une réunion dont l’objectif fondamental, si l’on met de côté les platitudes
hypocrites, est de faciliter une nouvelle « ruée vers l’Afrique » de
type colonial.