Suite à la défaite aux élections présidentielles et législatives, on est à
couteaux tirés au Parti socialiste (PS). Le Conseil national du parti qui
s’est tenu le week-end dernier à Paris a été dominé par de vives
divisions entre le camp de la candidate présidentielle Ségolène Royal et
l’appareil du parti, conduit par son ancien compagnon François Hollande,
premier secrétaire du PS. De nombreux délégués parmi les 306 présents au
Conseil ont attaqué Royal qui, quant à elle, a désavoué le parti en refusant
d’assister à la réunion de sa plus haute instance.
Durant la campagne présidentielle, Royal a conduit le Parti socialiste
encore plus à droite. Elle a accueilli à bras ouverts le nationalisme et la
rhétorique sécuritaire de son rival gaulliste Nicolas Sarkozy et fait des
avances au politicien de centre droit François Bayrou, ancien allié des
gaullistes. Elle est allée jusqu’à suggérer qu’elle pourrait nommer
Bayrou premier ministre si elle venait à gagner l’élection
présidentielle.
Après sa défaite du 6 mai, son programme est apparu avec encore plus de clarté :
rupture avec les alliés traditionnels de « gauche » du Parti
socialiste, à la faveur d’une alliance avec le parti nouvellement formé
de Bayrou, le Mouvement démocratique (MoDem), et changement de la ligne
officielle du parti dans une direction plus ouvertement pro-capitaliste et
blairiste.
La semaine dernière, Royal est allée encore plus loin et a répudié
publiquement son propre programme électoral. Elle a dit aux médias que deux
points centraux de sa plateforme – le smic (salaire minimum mensuel ) à 1500
euros brut et la généralisation de la semaine de 35 heures n’étaient
« pas crédibles » et n’avaient été inclus dans sa campagne
qu’à l’insistance du parti.
Manuel Valls, l’un des rares délégués à défendre Royal au Conseil
national, n’a laissé aucun doute quant à l’orientation politique du
camp de Royal. Dans un discours qui aurait pu être prononcé par Sarkozy, il a
attribué la défaite du PS à son orientation insuffisamment droitière.
« Faute d’avoir un discours réaliste sur la mondialisation, le PS
a perdu sa crédibilité auprès des classes populaires qui se sentent les plus
menacées par les délocalisations économiques et les flux migratoires » a
dit Valls. « Sur la question du travail, nous n’avons pas saisi
l’essentiel, le besoin de valorisation, de juste rétribution du travail
en fonction du mérite que Nicolas Sarkozy a capté. »
Il a continué en exaltant le tout sécuritaire et en attaquant les immigrés. « L’anti-sécuritaire,
l’empathie avec les déviances nous ont profondément éloignés de notre
électorat populaire qui est la victime directe de la violence. L’anti-sécuritaire
ne doit plus être le signe de ralliement de notre famille », a-t-il
déclaré au conseil national et « Il faut arrêter de croire que
l’immigration non maîtrisée ne participe pas aussi à la déstructuration
des plus modestes, Français et immigrés compris. » Il s’est opposé
aux « régularisations massives » et a appelé à « la vigilance
sur les procédures de mariage » parmi les immigrés.
Il avait vraiment fallu attendre longtemps avant de voir pointer une
opposition, même faible, de la part de la direction du Parti socialiste à cette
ruée à droite. Royal, soutenue par les médias, se préparait à prendre la
direction du parti. Le quotidien conservateur Le Figaro a écrit que
Royal « est désormais engagée dans la course pour la direction du PS, et
plus largement, pour le leadership de l’opposition à Nicolas Sarkozy. »
Royal a fait campagne pour un renouvellement immédiat de la direction du PS,
au lieu d’attendre le nouveau congrès qui se tiendra à l’automne
2008 après les élections municipales. Elle a fait savoir qu’elle-même
était prête à prendre le poste de premier secrétaire du PS, occupé actuellement
par Hollande. Elle a aussi demandé que le candidat du PS aux prochaines
élections présidentielles de 2012 soit nommé immédiatement, se proposant à
nouveau comme meilleure candidate.
Contournant la hiérarchie du parti, Royal a invoqué l’adhésion et le
soutien des médias pour appuyer sa revendication de leader du parti. Un grand
nombre des 300 000 nouveaux membres allégués ont adhéré au parti via
Internet durant la campagne électorale de Royal. Il leur suffisait de payer 20
euros. Ils seraient partisans de Royal. La plupart ne se sont cependant pas manifestés
depuis et n’existent que sur le papier.
Les officiels du parti ont finalement réagi à l’offensive de Royal
après le second tour des élections législatives du 17 juin. Il y a là bien sûr
un élément d’auto-préservation — la réaction d’un appareil
contre un politicien qui, tout à fait dans le style américain, agit tout à fait
indépendamment de toutes décisions du parti. Mais il y a aussi des raisons politiques
profondes expliquant les raisons pour lesquelles la campagne de Royal
s’est soudain embourbée.
Le second tour des élections législatives a révélé l’opposition de
masse à la politique sociale droitière de Sarkozy. L’annonce imprudente, faite
par le ministre de l’Economie Jean-Louis Borloo, du projet gouvernemental
d’augmenter la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) de 5 pour cent a suffi à
faire basculer toutes les prévisions du résultat des élections. Au lieu des
plus de 400 sièges attendus, l’UMP gaulliste n’en a recueilli que
323 sur les 577 que compte l’Assemblée nationale. Le Parti socialiste,
avec ses 205 sièges, a fait bien mieux que prévu.
Cela a servi d’avertissement, ou de rappel, que le Parti socialiste
qui a si bien servi à contrôler la classe ouvrière, ces trois dernières
décennies, pour la classe dirigeante française, peut encore servir. Liquider le
parti suivant la ligne proposée par Royal créerait le danger de
l’émergence d’un mouvement de la classe ouvrière en dehors du cadre
politique actuel et qui prendrait une tournure révolutionnaire.
La plupart des discours faits au Conseil national ont attaqué Royal sous cet
angle. Martine Aubry, ancienne ministre, a dit : « Je ne crois pas
que nous avons perdu parce que nous avons défendu le smic à 1500 euros, je
crois que nous avons perdu parce que nous ne l’avons pas assez défendu,
parce que nous n’avons pas assez défendu la répartition juste des
richesses dans notre pays. » Henri Weber, fabiusien, à la
« gauche » du PS, a attaqué les avances de Royal à François Bayrou.
Il l’a réprimandée pour s’être opposée au smic à 1500 euros, qui
« fut discuté et adopté à l’unanimité ».
Les différentes factions dans ce « parlement » des dirigeants et
permanents nationaux et régionaux du PS ainsi que le bureau national se sont
unies derrière Hollande. Il n’y aura pas d’élection anticipée pour
la direction et Hollande restera à la tête du parti jusqu’à
l’automne 2008. Une motion a été adoptée à cet effet avec seulement deux
ou trois voix dissidentes. La plupart des sympathisants du camp Royal ont fait
profil bas et voté en faveur de la motion de Hollande.
Pierre Mauroy, ancien premier ministre, a dit: « Le Parti socialiste
est une grande organisation et ne sera pas pris d’assaut. » Jean-Luc
Mélanchon, de la « gauche » du PS a déclaré : « le putsch a
été avorté ».
Reconnaître que le Parti socialiste joue un rôle inestimable de soupape de
sécurité dans la vie politique française ne devrait pas laisser penser
qu’il a fait un virage à gauche. En fait, toutes les interventions les
unes après les autres ont affirmé l’engagement du parti à défendre le
capitalisme.
Hollande s’est exclamé : « Quand j’entends qu’il
faudrait que nous fassions notre aggiornamento sur le marché ! Cela
a été fait depuis longtemps, et sans doute depuis le début des années 80. »
Bertrand Delanoë, maire de Paris, a assuré les délégués qu’« Etre
socialiste aujourd’hui, c’est admettre que l’économie de
marché n’est plus un objet de débat, c’est un fait. » Il a
poursuivi, prenant la défense de l’immense accumulation de richesse déjà
en possession de la classe capitaliste : « Oui, nous sommes pour le
partage des richesses, mais nous savons qu’avant de les partager, il faut
d’abord vouloir en créer, et, donc, s’en donner les moyens. »
Aubry s’est vantée de ce que le PS avait su « réconcilier la
France et les Français avec le marché ». Et Weber a prôné un capitalisme
mondialisé à visage humain : « Tous les socialistes européens ont à
résoudre le même problème : comment maîtriser et humaniser le nouveau
capitalisme, un capitalisme non plus national et industriel comme au siècle
dernier, mais un capitalisme mondialisé et dominé par la finance. »
Alors que les personnalités du Parti socialiste se chamaillent sur la
meilleure tactique à adopter pour empêcher la classe ouvrière de
s’affranchir de la politique bourgeoise, Nicolas Sarkozy recrute dans son
gouvernement des membres bien en vue du PS pour les confrontations à venir avec
de larges couches de la population.
Suite à la défection du Parti socialiste de Bernard Kouchner, fondateur de Médecins
sans frontières et à présent ministre des Affaires étrangères de Sarkozy, Fadela
Amara, conseillère municipale PS de Clermont-Ferrand et militante sociale bien
connue de la communauté immigrée, et Jean-Marie Bockel, blairiste auto-proclamée
et maire PS de Mulhouse et sénateur du département du Haut Rhin, ont à présent
rejoint le cabinet du premier ministre François Fillon.
Alors que Kouchner avait été immédiatement exclu du Parti socialiste, il
n’y a pas eu de tollé au Conseil national contre les autres qui ont
poussé les arguments de Royal jusqu’à leur conclusion logique en rejoignant
le gouvernement de Sarkozy. Catherine Hoffart, déléguée PS de Mulhouse, a
rapporté que « le départ de Jean-Marie Bockel a été pour nous un véritable
séisme », mais que néanmoins la majorité municipale PS de Mulhouse « reste
fidèle à Jean-Marie Bockel ».
Sarkozy lui-même a envoyé un message clair à ses sympathisants selon lequel
recruter au gouvernement d’anciens membres du Parti socialiste ne signifie
pas abandonner sa politique de droite. Prenant une mesure sans précédent, il a
invité Jean-Marie Le Pen, dirigeant du Front national, à un entretien au palais
présidentiel de l’Elysée, et ce, en dépit du fait que le Front national a
fait son plus mauvais score électoral depuis le début des années 1980 et
n’a pas de représentation au parlement. Les précédents présidents avaient
toujours rejeté tout contact avec Le Pen. Il s’agit de la première
invitation de cet ordre en 30 ans.
Par cet entretien à l’Elysée avec le néo-fasciste Le Pen, Sarkozy fait
clairement passer le message à ses sympathisants de droite et aux forces de
sécurité, parmi lesquelles le Front national compte de nombreux partisans, que
le recrutement de personnalités de « gauche » ne signifie en rien un
affaiblissement de son programme réactionnaire.