Le rapport chinois sur les questions stratégiques et militaires intitulé « Défense
nationale en 2006 » et publié à la fin de décembre 2006 est un document hautement
politique qui réflète la réaction de Beijing à l’intensification des rivalités
entre les grandes puissances.
Le livre blanc, le cinquième depuis 1998, est en grande partie une réponse à
la pression croissante de Washington. Depuis que Bush est arrivé au pouvoir en
2001, le Pentagone a publié une série de rapports annuels présentant l’armée chinoise
comme une « menace » pour les Etats-Unis. Le président chinois Hu
Jintao a tenté de minimiser la signification de ces critiques, déclarant que
son pays désirait une « croissance pacifique ».
En réponse aux déclarations de Washington que l’armée chinoise se réarme de
façon « secrète », ce dernier rapport offre beaucoup plus de détails
sur l’appareil militaire du pays que les rapports précédents. Il donne des
informations sur les dépenses de la Défense, la structure de commandement et un
survol de la politique militaire chinoise. Le gouvernement a tenu une
conférence de presse spéciale sur ce rapport devant quelque 70 attachés
militaires de 45 pays.
Toutefois, le dynamisme économique de la Chine a sa propre logique. Avec un
taux de croissance annuel moyen de 10 pour cent et 1 billion $ (soit mille
milliards) en réserves de devises étrangères, Beijing a pu engager des dépenses
pour l’Armée populaire de libération. De plus, la ruée de la Chine pour le
pétrole et les matières premières à travers le monde la met en concurrence
directe avec les Etats-Unis, le Japon et les puissances européennes.
Les liens croissants entre la Chine et la Russie au sein de l’Organisation
de coopération de Shanghai heurtent de plein front les ambitions américaines de
domination du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. En Asie, en Amérique du Sud
et en Afrique, Beijing tente par tous les moyens d’élargir son influence, en offrant
de l’aide en échange de ressources. La Chine a appuyé et même fourni des armes
aux régimes du Soudan, du Venezuela et de la Birmanie envers lesquels Washington
est hostile.
Le rapport sur la défense signale les inquiétudes de plus en plus grandes de
Beijing sur l’agression de l’administration Bush au Moyen-Orient et
internationalement. Dans le premier chapitre portant sur « l’environnement
sécuritaire » de la Chine, on sonne l’alarme devant la « pratique d’un
petit nombre de pays qui ont intensifié leurs alliances militaires et font
usage de la force ou de menaces de l’utiliser dans les affaires internationales ».
Ce chapitre signale en particulier le danger d’un réalignement stratégique
mené par les Etats-Unis en Asie. « Les Etats-Unis et le Japon renforcent
leur alliance militaire cherchant à développer leur intégration opérationnelle.
Le Japon cherche à réviser sa constitution et à exercer l’autodéfense
collective. Sa posture militaire est de plus en plus orientée vers l’extérieur.
Le DPRK [la Corée du Nord] a réalisé des tests de missiles et a entrepris un
test nucléaire. Ainsi, la situation dans la péninsule coréenne et dans l’Asie
du Nord-Est est devenue plus complexe et exigeante. »
La Chine est profondément préoccupée que l’administration Bush encourage le
Japon à adopter un rôle plus belliciste dans l’Asie du Nord-Est. Beijing craint
aussi que le test nucléaire de la Corée du Nord en octobre dernier puisse
fournir un prétexte au Japon pour développer l’arme nucléaire. Le désir à peine
voilé de l’administration Bush pour un « changement de régime » en
Corée du Nord soulève la menace qu’un Etat politiquement hostile à la Chine
pourrait apparaître aux pieds du géant chinois.
Le rapport a spécifiquement mentionné qu'une déclaration officielle
d'indépendance à Taiwan, appuyée par les États-Unis, constituait la plus grande
menace à la sécurité nationale et à l'intégrité territoriale de la Chine. Pékin
perçoit Taiwan comme une province rebelle et craint que des actions vers
l'indépendance encouragent des mouvements séparatistes ailleurs en Chine. Les
États-Unis ont promis de défendre militairement l'île contre une éventuelle
attaque chinoise et, ce qui encore plus important, ont encouragé le Japon à soutenir
toute action militaire pour défendre Taiwan.
Washington entretient une série d'alliances militaires ou d'ententes
stratégiques avec des pays avoisinant la frontière et la côte chinoises, dont
la Corée du Sud, le Japon, Taiwan, l'Inde, le Pakistan, le Népal, l'Afghanistan,
ainsi que plusieurs nations d'Asie centrale. La Chine développe son armée en
réaction à la menace d'encerclement par les États-Unis et pour s'assurer des
approvisionnements en matières premières, particulièrement le pétrole.
Les dépenses chinoises relatives à la défense devraient atteindre 36,4
milliards $US cette année, soit presque 15 pour cent de plus qu'en 2005. De
1990 à 2005, l'augmentation moyenne des dépenses militaires annuelles de la
Chine était de 15,36 pour cent. Le livre blanc a tenté de minimiser
l'importance des augmentations affirmant que les hausses étaient dues essentiellement
aux salaires. Il a aussi déclaré que les dépenses militaires chinoises
représentaient moins de 1,4 pour cent du produit intérieur brut (PIB),
comparativement à 6,2 pour cent pour les États-Unis.
La Chine a effectué deux énormes diminutions de personnel militaire en 1983
et 1997 qui totalisaient un million et demi de soldats. Une autre diminution de
200 000 soldats a été réalisée entre 2003 et 2005. L'APL a présentement à
sa disposition 2,3 millions de personnes : les plus importantes forces
armées au monde. De plus, la Chine dispose de la Police armée du peuple,
constituée de 660 000 personnes, qui sert principalement à réprimer les
troubles internes.
Le Pentagone soutient que le budget militaire de la Chine est deux ou trois
fois plus élevé que les chiffres officiels car Pékin ajouterait à son budget de
la défense les revenus d'affaires à caractère militaire. Bien que des analystes
américains auraient accusé les estimations du Pentagone d'exagérer la
« menace » chinoise pour justifier une augmentation des dépenses
militaires américaines, le rythme de la modernisation militaire de la Chine
s'est assurément accru depuis le début des années 1990.
Avant les années 1970, l'APL paysanne de Mao Zedong était pauvrement
équipée. Sa principale stratégie dans le cas d'une attaque américaine ou
soviétique était d'entourer les envahisseurs d'une « mer d'hommes ».
Dans les années 1980, les États-Unis ont tenté d'utiliser la Chine comme un
contrepoids à l'Union soviétique et ont activement encouragé Pékin à utiliser
les recettes d'une « réforme de marché » pour moderniser son armée.
Un changement fondamental s'est produit en 1990-91, à la suite de
l'effondrement de l'Union soviétique. Les généraux chinois ont été troublés par
l'écrasante défaite subie par l'armée irakienne aux mains des États-Unis lors
de la première Guerre du Golfe. Pékin a qualifié cela de nouvelle ère de
« révolution militaire » dominée par des combats de haute
technologie. Le leadership chinois a déclaré que l'ALP devait rattraper le
retard ou disparaître alors que les États-Unis utilisaient leur puissance
militaire supérieure pour s'assurer une domination stratégique mondiale.
Toutefois, après le massacre de la place Tiananmen en 1989, les grandes
puissances occidentales ont imposé un embargo sur les armes. La Chine s'est
ainsi tournée vers la Russie pour devenir son plus grand acheteur de chasseurs,
de sous-marins offensifs et de technologies militaires avancées. Bien que la
première préoccupation de Pékin était la montée du mouvement indépendantiste à
Taiwan, elle désirait aussi contrer le développement d'un encerclement
américain.
La section du livre blanc de 2006 sur la « politique de défense
nationale » décrit l'objectif de la Chine de bâtir une armée sophistiquée
d'ici 2050. Le but est de développer « la mécanisation comme base et
l'informatisation en tant que moteur ». Le rapport insiste principalement
sur une « défense active » et sur la capacité de déployer rapidement
une force militaire coordonnée avec une puissance de feu maximale et
sophistiquée au-delà de la région immédiate de la Chine.
Malgré sa croissance économique
rapide, la Chine est loin d’être une puissance industrielle mature. Sa nouvelle
génération d’avions, de chars d’assaut et de navires de guerre est en large
mesure basée sur la copie et la reproduction de la technologie étrangère à
laquelle elle a accès. L’APC n’a pas encore bâti une armée complètement
mécanisée, et ses paysans conscrits et peu éduqués ne sont pas encore capables
de mener une « guerre informatisée ». La Chine a construit des sous-marins
nucléaires, mais pas de navires de surface. Sa force aérienne comprend des
armes de précison guidées, mais sa force numérique est encore basée sur d’antiques
jets soviétiques.
Dans la sphère de l’arme
nucléaire, la Chine traîne loin derrière les Etats-Unis. Le livre blanc
réitère la politique officielle du pays de ne pas « frapper les
premiers » et déclare que la Chine ne va pas s’engager dans une course à
l’armement nucléaire. Mais le document ne dit pas grand-chose sur l’arsenal
nucléaire du pays.
Une étude intitulée « la
puissance nucléaire de la Chine et les plans de guerre nucléaire des Etats-Unis »
publiée en novembre par la Fédération des scientifiques américains et le
Conseil de défense des ressources naturelles conclut que le Pentagone et la CIA
ont délibérément exagéré la « menace » nucléaire de la Chine pour
justifier les dépenses pour la fabrication d’une nouvelle génération d’armes nucléaires.
« Certains aux États-Unis
prétendent que la Chine est la prochaine grande menace et pour cela de
nouvelles armes et des dépenses militaires accrues sont nécessaires. Certains
en Chine voient les récentes guerres menées par les États-unis, la
modernisation militaire et les stratégies et politiques agressives faire preuve
de l’« hégémonie » américaine et concluent que cela requiert d’eux
qu’ils modernisent leur armée. Les deux pays investissent de larges sommes en
prévision de la guerre, et une guerre entre la Chine et les États-Unis entraîne
le potentiel d’une escalade vers l’utilisation d’armes nucléaires, »
prévient le document.
L’arsenal américain de 10 000
armes nucléaires éclipse celui de la Chine, qui est estimé à seulement 200. La
Chine ne possède que 200 missiles balistiques intercontinental (MBI) capable de
frapper les États-Unis, alors que les États-Unis en ont plus de 830, la plupart
avec des têtes nucléaires multiples, qui peuvent atteindre la Chine. Les
États-Unis sont aussi loin devant la Chine dans la technologie nucléaire, des
sous-marins stratégiques capables de lancer des armes nucléaires et dans la
capacité de mener des frappes nucléaires aériennes.
L’étude estimait que même un
échange nucléaire limité provoquerait des dommages énormes. Une frappe
nucléaire américaine seulement sur les 20 silos de lancements de la Chine
tuerait et blesserait 26 millions de personnes, alors que l’étude a trouvé que
les États-Unis avaient, dans le passé, des plans « de frappe beaucoup plus
importants » contre la Chine. Une attaque de la Chine contre les
États-Unis avec ses 20 missiles nucléaires pourrait causer la mort d’un nombre
estimé de 40 millions de personnes. Ce nombre serait beaucoup plus élevé si la
Chine était capable de déployer entre 75 et 100 têtes nucléaires comme prédit
par les États-Unis.
Il y a des signes, cependant,
que les États-UNis cherchent la suprématie nucléaire – soit d’avoir la capacité
de prévenir une réponse nucléaire suite à une première attaque. Une telle
capacité modifierait fondamentalement l’équation stratégique, qui durant la
guerre froide, était basée sur le paradigme de l’assurance de destruction mutuelle
– soit une position dans laquelle aucun des deux côtés ne lance la première
attaque par crainte de représailles dévastatrice. L’administration Bush ne fait
que raffiner sa capacité nucléaire offensive mais développe également un
système de missile anti-balistique dans le but de minimiser les
représailles.
En tant que cible potentielle
d’une attaque américaine, la Chine et la Russie ont été forcées de répondre en
développant une nouvelle génération de rampe de lancement mobile pour déjouer la
première attaque. L’administration Bush a continuellement dénoncé la Chine de
garder « secret » le développement de son système de défense. Mais le
développement effréné de son arsenal militaire et ses agressions en Irak et en
Afghanistan, constituent de loin le principal facteur déstabilisant dans le
monde politique et augmentent le danger de guerre.
(Article original anglais paru le 18 janvier 2007)