L’intensification de la guerre esquissée
par le président américain George W. Bush mercredi soir est déjà bien
enclenchée. Depuis samedi dernier, le gouvernement irakien et les forces américaines
ont entrepris une opération pour déloger les combattants de la résistance
anti-occupation de la rue Haifa, une des grandes artères au cœur de Bagdad qui
longe la rive ouest du fleuve Tigre et amène à la « zone verte », la
région où on trouve l’ambassade américaine et les bureaux du gouvernement irakien.
Une offensive violente a eu lieu mardi sur cette
rue. Ce qui a suivi a rendu clair que l’augmentation du nombre des soldats américains
et irakiens dans Bagdad est une préparation pour des meurtres et une répression
de masse.
Haifa est un quartier qui est surtout
habité par des Arabes sunnites et la rue elle-même est bordée de tours à
bureaux et des appartements et des maisons des anciens fonctionnaires et
officiers de l’armée du régime baasiste de Saddam Hussein, privés de leurs
emplois et de leur position sociale depuis l’invasion américaine. Les rues
adjacentes, plus pauvres et habitées en grande partie par la classe ouvrière
ont été décrites par les soldats américains comme un « labyrinthe » de
ruelles tortueuses et de maisons s’écroulant et comme « l’endroit parfait
pour les insurgés devant se cacher ».
Depuis que la résistance à l’occupation
américaine a crû en 2003, ce quartier est réputé être un des plus dangereux de
Bagdad. Alors que des raids fréquents ont eu lieu et que des centaines de
résidants ont été tués ou détenus, l’armée américaine n’a pas réussi à ce jour
à soumettre la population par la terreur. Aussitôt que les forces américaines
se sont retirées du quartier, des cellules de guérillas se sont formées de nouveau
et ont repris l’insurrection.
L’opération actuelle de la rue Haifa, en
ligne avec le but plus large de l’augmentation du nombre des soldats de Bush,
vise à utiliser une force disproportionnée pour finalement arriver à supprimer
l’opposition. Après trois jours de recherches par des forces irakiennes mal
équipées — et qui semblent avoir été utilisées comme chair à canon pour
déterminer la position des insurgés — les soldats américains dans des véhicules
blindés Stryker, appuyés par des avions militaires F-18 et des hélicoptères
armés Apache, ont pris la tête de l’offensive tôt le matin.
Quelque mille soldats ont été mobilisés
pour sécuriser moins de deux kilomètres de l’artère. La résistance a commencé immédiatement
après que les forces gouvernementales se sont emparées du square Tala’a à l’extrémité
nord de la rue Haifa et de là se sont dirigées vers le sud, entrant de force
dans les maisons et les bureaux des deux côtés de la rue, soi-disant à la
recherche d’insurgés. Dès 6h30 le matin, des combattants irakiens équipés
seulement d’armes légères, de grenades-fusées et de mortiers.
Les tactiques utilisées par les commandants
américains contre la résistance irakienne offrent un aperçu de ce qui aura lieu
à une vaste échelle lorsque les forces américaines mettront en œuvre le plan de
Bush. Les soldats américains n’ont fait aucune tentative de prendre les bâtiments
desquels on leur tirait dessus. Plutôt — et ce, dans une zone urbaine où les
civils n’ont reçu aucun avertissement qu’un assaut se préparait — des
hélicoptères armés et des Strykers ont tiré sur les maisons et les bureaux avec
de l’artillerie lourde alors que les positions alléguées des insurgés étaient
réduites en cendre par des missiles Hellcat tirés des airs ou par des missiles antitank
et des grenades lancés du sol.
Les toits des immeubles où l’on croyait que
des tireurs étaient embusqués ont été mitraillés par des avions de combat F-15
et F-18, volant au-dessus de la capitale jusqu’au début de l’après-midi, alors
que les troupes américaines et irakiennes allaient de maison en maison sur 1,6
kilomètre de la rue Haifa. Les avions américains ont directement fait feu sur
une mosquée et sur un ancien cimetière, alléguant que des insurgés s’y
cachaient.
Il n’y a pas eu de morts ou de blessés graves du côté des
forces des États-Unis et du gouvernement irakien. Au moins 50 insurgés auraient
été tués et 21 autres capturés. Selon les officiels, aucun civil irakien
n’aurait été tué par le barrage de balles et d’explosions. Aucune confirmation
indépendante n’est venue corroborer cette affirmation. S’adressant à l’agence
Reuters, un homme irakien a déclaré qu’un grand nombre de corps apportés à la
mosquée étaient des « civils innocents ». La majorité des guérilléros
se sont probablement fondus dans la population ou réfugiés à d’autres endroits
de la ville.
À la suite de l’attaque, des positions militaires ont été
établies dans le quartier Haïfa, provoquant ainsi les guérillas afin qu’elles
attaquent les forces d’occupation et révèlent ainsi leur position. Les soldats
du gouvernement irakien servent dans ce cas d’appât. Ils sont envoyés en
patrouilles et en missions de recherche, alors que les forces américaines
attendent pour réagir à la moindre attaque avec une puissance de feu massive.
À Ramadi, la capitale de la province irakienne occidentale d’Anbar,
des commandants de la marine avaient adopté cette stratégie l’an dernier. Cela
avait fait des marines et de leurs collaborateurs irakiens des cibles
perpétuelles. Plus du tiers des pertes américaines se sont produites dans cette
province. Les combats font maintenant partie d’une violente guerre d’attrition
urbaine, et les soldats américains répliquent de manière brutale. Un grand
nombre de bâtiments entourant les positions des marines à travers la ville sont
en ruines.
Toutefois, de telles tactiques sont en accord avec le
manuel de contre-insurrection du général Davis Petraeus, l’officier nommé par
Bush ce mois-ci pour être les nouveau chef des forces américaines en Irak qui
dirigera le « déferlement ». Petraeus soutient qu’il faut installer
des troupes américaines dans des bases situées directement dans les forteresses
de l’insurrection et convertir ces zones en ce qu’ont déjà baptisé les
tacticiens des États-Unis de « ghettos ».
Un représentant de l’armée a déclaré mercredi au Los
Angeles Times : « On pourrait créer des ghettos parce que la
population les veut, parce que la population veut se sentir en sécurité. On
pourrait aussi les créer pour contrôler la population et ses déplacements et
rendre les opérations des insurgés plus difficiles. C’est la théorie derrière
tout cela. » En Irak, où la très grande majorité de la population souhaite
voir sortir les forces américaines du pays, le véritable objectif en est un de
contrôle.
En élaborant le plan des « ghettos », Petraeus et
son personnel se sont inspirés de tactiques qui ont été utilisées durant
d’autres brutales guerres coloniales, comme la contre-insurrection française en
Algérie, l’occupation britannique de l’Irlande du Nord et la politique
américaine de « hameaux stratégiques » au Viêt-Nam.
En fait, des zones entières de Bagdad et d’autres villes
irakiennes seront transformées en camps de concentration. La communauté locale
devra endurer une répression militaire constante. Tous les points d’entrées de
la zone seront bloqués par des barricades ou des postes de contrôle, on
assignera des cartes d’identité aux résidents, leurs déplacements seront
limités et leurs résidences soumises à des fouilles régulières pour empêcher
les guérilleros de s’établir à nouveau dans la zone.
Il ne fait aucun doute que durant les prochains mois, la
politique de la mission de Petraeus sera étendue aux zones chiites à majorité
ouvrière de la banlieue de Sadr City, qui a une population de plus de deux
millions de personnes. Dans un effort désespéré et insouciant pour subjuguer l’Irak,
l’administration Bush a clairement indiqué qu’elle souhaitait anéantir le
mouvement politique dirigé par l’imam Moqtada al-Sadr et son importante milice
qu’est l’Armée du Mahdi.
L’administration Bush et l’armée américaine accusent
l’Armée du Mahdi d’être le principal protagoniste chiite dans la meurtrière
violence sectaire qui se déroule entre les extrémistes sunnites et chiites et
rivaux. Toutefois, la principale préoccupation de Washington est que le
mouvement sadriste, la plus grande faction chiite du parlement irakien, se bâtisse
un appui massif en s’opposant à la perspective américaine de contrôle
néocolonial à long terme sur l’Irak. Bien qu’il n’a pas appelé à la résistance
armée contre l’occupation américaine depuis deux soulèvements chiites qu’il
avait dirigés en 2004, le mouvement sadriste s’est maintenant retiré du
gouvernement pour protester contre la rencontre du premier ministre Nouri
al-Maliki avec Bush en novembre dernier en Jordanie.
Sadr insiste pour un échéancier pour le retrait des troupes américaines,
s’oppose à toute ouverture de l’industrie pétrolière aux compagnies étrangères
et appelle pour l’adoption de mesures améliorant les conditions de vie horribles
du peuple irakien. Il est prévu que les sadristes gagneraient un vote
substantiel si des élections étaient tenues dans les régions chiites du pays.
Alors que l’administration Bush intensifie ses provocations contre le régime chiite
de l’Iran, l’armée du Mahdi est également considérée comme une menace
considérable et grandissante dans les cercles militaires américains. La milice
est constituée de 60 000 combattants et contrôle effectivement des unités
entières des forces de sécurité irakienne. Sadr s’est engagé à lutter pour
défendre l’Iran si elle était attaquée par Israël ou les Etats-unis.
La prétention que l’actuel plan militaire est le résultat du travail du
gouvernement irakien est démentie par le fait que Maliki, préoccupé par la
réaction de sa base politique chiite, a, de façon répétée, rejeté la demande
de Washington qu’il sanctionne une attaque contre l’armée du Mahdi dans Sadr
City. En fait, en novembre dernier il a proposé un retrait complet des troupes
américaines de Bagdad pour laisser la sécurité entre les mains de l’armée et de
la police dominée par les chiites.
Maintenant, face au boycott sadriste et la menace ouverte des Etats-Unis que
son gouvernement est « sous surveillance », Maliki a apparemment
accepté les demandes américaines. Bush a déclaré mercredi soir que le premier
ministre de l’Irak a promis que l’armée américaine aura « le feu
vert » pour entrer dans les quartiers qui abritent « ceux qui
entretiennent la violence sectaire ».
En réponse aux questions du Washington Post à savoir si Maliki avait
explicitement sanctionné les opérations contre Sadr, un administrateur officiel
senior déclarait lors d’un briefing aux journalistes : « Sans entrer dans
les détails des conversations présidentielles, tout le monde comprend qu’il faut
régler le cas de l’armée du Mahdi et de Sadr. » « Maliki, a continué
cet officiel, a dit que le commandant sera libre de poursuivre ceux qui
agissent hors la loi où qu’ils se trouvent dans Bagdad… Ce qui inclurait Sadr
City. »
Un assaut contre les sadristes sera inévitablement un des épisodes les plus
sanglants de la guerre en Irak, qui coûtera la vie d’un grand nombre
d’Américains et causera mort de milliers d’Irakiens supplémentaire. Combattre
l’armée du Mahdi, notait le Washington Post hier, pourrait mener à des
« mois de combats de rue ». Craignant de voir des unités de l’armée
composées de chiites refuser d’attaquer Sadr City et même de les voir retourner
leurs armes contre les forces américaines, les États-unis ont insisté pour que
deux unités des brigades armées irakiennes composées de miliciens kurdes,
soient déployées dans la capitale pour prendre part aux opérations dans les
zones chiites. Ce qui soulève la perspective d’un conflit entre Kurdes et chiites
en plus de la violence sectaire sunnite contre chiite qui a déjà coûté la vie à
des milliers de personnes à chaque mois.
De plus, il y a peu d’indication que l’administration Bush a
sérieusement considéré la possibilité qu’une attaque contre Moqtada al-Sadr
pourrait déclencher une insurrection anti-américaine à travers tout le sud de
l’Irak. Les préparations en vue du conflit se poursuivent cependant. Des
troupes américaines ont pris d’assaut une résidence dans Sadr City dans la nuit
et aurait commencé plus tôt cette semaine à ériger des barrages routiers et des
points de surveillance routiers à des points d’entrées stratégiques du
quartier. Les scènes sanglantes de cette semaine dans les rues d’Haifa et le
bombardement aérien d’un quartier urbain densément peuplé sont maintenant voués
à se perpétuer à travers la capitale.
(Article original anglais paru le 12
janvier 2007)