Tandis que l’administration Bush se prépare à intensifier la
violence militaire contre le peuple irakien, le régime de Bagdad mis en place par
les Américains est prêt à approuver une nouvelle loi sur les hydrocarbures qui
donnera une mainmise sans précédent des vastes réserves de pétrole du pays aux
conglomérats énergétiques américains et britanniques. Cette nouvelle loi, dont
les termes sont détaillés par le journal britannique The Independent du
7 janvier, ridiculise toute prétention de souveraineté irakienne et souligne que
l’objectif réel de l’entreprise sanglante de l’impérialisme américain est de
coloniser le pays et de s’emparer de quelques-unes des plus importantes
réserves de pétrole non exploitées qui restent dans le monde.
Le texte de cette nouvelle loi, qui sera approuvée selon toute
attente par le parlement irakien dans les jours qui viennent et mise en place
dès le mois de mars, a été rédigé par une entreprise américaine d’experts-conseils
employée par l’administration Bush et a été présentée aux principales
compagnies pétrolières ainsi qu’au Fonds monétaire international pendant l’été.
En décembre, bon nombre, sinon la majorité, des députés irakiens n’avaient
toujours pas vu cette législation.
The Independent, qui s’est procuré
une version de la loi, divulguée par fuite, rapportait dimanche : « On
s’attend à ce que le conseil des ministres approuve, dès aujourd’hui, une
nouvelle loi controversée sur les hydrocarbures, fortement appuyée par les
gouvernements américain et britannique qui va radicalement remodeler
l’industrie pétrolière irakienne et ouvrir la voie à la troisième plus
importante réserve pétrolière du monde. Cette loi permettrait la première
opération de grande envergure de compagnies pétrolières étrangères dans le pays
depuis la nationalisation de l’industrie en 1972. » Le journal a ajouté
que la nouvelle loi « marquerait un écart par rapport à la norme
concernant les pays en voie de développement » et serait la première en
son genre pour tout producteur de pétrole important du Moyen-Orient, où
l’Arabie saoudite et l’Iran, premier et second plus importants producteurs
mondiaux, « contrôlent tous deux étroitement leur industrie au moyen de
compagnies nationalisées sans collaboration étrangère notable », comme
c’est le cas pour la plupart des membres de l’Organisation des pays
exportateurs de pétrole (OPEP).
L’aspect juridique le plus significatif de cette législation
en instance est l’introduction de ce qu’on appelle des accords de partage de
production (APP) où l’Etat garde la propriété des réserves de pétrole mais
déverse des milliards aux compagnies pétrolières étrangères pour les dédommager
de leur investissement dans l’infrastructure et le fonctionnement des forages,
pipelines et raffineries.
D’après l’avant-projet de loi, les APP en Irak seraient arrêtés
pour une durée de 30 ans ou plus, permettant ainsi aux compagnies pétrolières
étrangères de conserver des arrangements favorables quelles que soient les
mesures prises par un prochain gouvernement pour réguler les profits, les taux
d’imposition ou les niveaux de production. Une disposition d’un avant- projet
antérieur de la nouvelle loi, dont on ne sait si elle sera retenue dans la
dernière version, insiste sur le fait que tout conflit avec une compagnie
étrangère doit en dernière instance être réglé par arbitrage international et
non irakien.
Les conditions accordées par la garantie de la nouvelle loi assureront
des bénéfices massifs à ExxonMobil, Chevron, BP et autres conglomérats
énergétiques. Tandis qu’elles recouvrent les coûts de leurs investissements
initiaux pour développer un champ pétrolifère, les compagnies étrangères
pourront conserver 60 à 70 pour cent du revenu du pétrole. Après avoir récupéré
leurs dépenses initiales, les compagnies peuvent empocher jusque 20 pour cent
des bénéfices.
Par contraste, la compagnie française Total avait signé un
accord avec Saddam Hussein avant la seconde guerre en Irak pour développer un
immense champ qui aurait permis à la compagnie de ne conserver que 40 pour cent
des bénéfices tandis qu’elle recouvrait ses frais et 10 pour cent par la suite,
d’après le Dr Muhammed-Ali Zainy, économiste haut placé du Centre for Global
Energy Studies (Centre d’études de l’énergie mondiale.)
Des experts en énergie disent que les conditions qui sont sur
le point d’être acceptées par le gouvernement irakien ne peuvent être comparées
qu’aux accords de partage de production signés par la Russie avec Shell dans
les années 90, suite à la liquidation de l’URSS et à la « thérapie de
choc » économique qui avait accompagné le démantèlement de l’économie
nationalisée.
Dans la première moitié du vingtième siècle, sous le système
des accords de concession, les compagnies pétrolières étrangères avaient le
contrôle du pétrole sous terre dans leurs colonies et payaient une redevance symbolique
aux soi-disant gouvernements nationaux. Devant l’insurrection anticoloniale de
l’après Seconde Guerre mondiale, les compagnies multinationales énergétiques
commencèrent à promouvoir le système d’accords de partage de production en
opposition au mouvement grandissant de nationalisations de l’industrie
pétrolière au Moyen-Orient et ailleurs. Introduits d’abord en Indonésie suite
au renversement, soutenu par les Etats-Unis, du régime nationaliste de Sukarno
en 1965, de tels arrangements permettaient aux compagnies étrangères d’extraire
du pétrole et des bénéfices massifs tout en maintenant un semblant de
souveraineté nationale.
D’après les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie,
les APP ne sont utilisés que pour 12 pour cent des réserves mondiales de
pétrole, dans des pays où les perspectives d’exploration sont incertaines et où
les coûts de production sont élevés. Ce n’est nullement le cas en Irak où le
coût d’extraction du pétrole par baril est parmi les plus bas au monde du fait
que les réserves sont relativement proches de la surface et que de nombreux champs
ont déjà été découverts mais pas développés du fait des années de guerre et de
sanctions économiques. La plupart des gigantesques champs pétrolifères d’Irak
sont déjà localisés et tracés sur la carte et il n’y a donc aucun risque et
coût d’exploration, contrairement à ceux de la Mer du Nord, de l’Amazone ou des
sables goudronneux du Canada, où d’énormes investissements sont nécessaires.
L’accord signé par le régime de Bagdad soutenu par les Etats-Unis
revient au système de concessions qui existait quand l’Irak était sous contrôle
britannique.The Independent remarque, « Dans le chapitre intitulé “Régime
fiscal”, l’avant-projet de loi dit clairement que les compagnies étrangères n’ont
aucune restriction pour sortir leurs bénéfices hors du pays et ne sont soumises
à aucun impôt si elles le font. » Le projet de loi déclare « une
personne étrangère peut rapatrier ses procédures d’exportation [en accord avec
les régulations de change en vigueur à ce moment] ». Les parts dans les
projets pétroliers peuvent aussi être vendues à d’autres compagnies
étrangères : « On peut librement transférer des parts appartenant à
des partenaires non Irakiens. »
Une guerre pour le pétrole
L’Irak possède 115 milliards de barils de réserves de pétrole
connues, soit dix pour cent du total mondial, et on estime qu’une industrie
fonctionnant à pleine capacité pourrait générer 100 milliards de dollars de
revenus annuels. Les ressources les plus importantes sont celles des champs du
Majnoon et de Qurna Occidental, à proximité de Basra au sud du pays, qui
contiennent près du quart des réserves établies d’Irak. En plus de cela, on
estime que l’Irak possède entre 100 et 200 milliards de barils de réserves
possibles, y compris dans le désert occidental.
Ces vastes réserves inexploitées de pétrole facile à atteindre
et à bas prix, sans parler du gaz naturel, sont depuis longtemps une cible
essentielle des conglomérats énergétiques américains et britanniques, notamment
parce que la découverte de nouveaux gisements de pétrole ailleurs ralentit de
façon draconienne et que les réserves existantes diminuent. Avec l’augmentation
de la demande, particulièrement de la part des pays en rapide voie de
développement tels la Chine et l’Inde, le contrôle du pétrole du Moyen-Orient,
et tout particulièrement des vastes réserves d’Irak, est devenu un objectif
géostratégique vital pour l’impérialisme américain.
Dès le milieu des années 90, l’inquiétude grandissait à l’idée
que le développement des sanctions imposées par les Nations-Unies après la
première guerre du Golfe permettrait à Saddam Hussein d’établir des accords
lucratifs avec la France, la Russie la Chine et d’autres compagnies
pétrolières, qui excluraient les Etats-Unis et la Grande-Bretagne et
réaligneraient l’industrie énergétique mondiale. L’écrivain politique Kevin
Phillips fit remarquer dans son livre Théocratie américaine : le péril
et la politique de la religion radicale, du pétrole et de l’argent emprunté au
21e siècle, « Tant que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
pouvaient maintenir en place ces sanctions, en utilisant des allégations sur
des armes de destruction massive, Saddam ne pouvait pas mettre en application
son propre plan d’expansion à grande échelle des concessions pétrolières
(estimées à 1,1 million de milliards) à leurs rivaux économiques en Europe et
en Asie. »
Des mois après l’invasion américaine de l’Irak, et après une
longue bataille juridique avec la Maison-Blanche, il a été révélé que le contrôle
des champs pétrolifères d’Irak était une des principales questions discutées
lors de la réunion «Energy Task Force» du vice-président Dick Cheney avec des
cadres de l’industrie pétrolière en 2001. Parmi les objets publiés par
injonction de la cour, il y avait des cartes des champs pétrolifères, des
pipelines et des raffineries d’Irak, ainsi qu’une liste des « étrangers
à la recherche de contrats pour champs pétrolifères irakiens », citant
plus de 60 entreprises de 30 pays, plus particulièrement de France, Russie et
Chine, qui avaient des projets soit déjà acceptés, soit en cours de
discussion avec Bagdad. Le géant français Total, par exemple, devait
obtenir le champ pétrolifère Majnoon à 25 milliards de barils, tandis que
Lukoil de Russie avait un contrat pour développer les champs pétrolifères du
Qurna Occidental.
L’article de The Independent sur la nouvelle loi sur
les hydrocarbures fait remarquer qu’il est peu probable que ces contrats soient
considérés valides par le gouvernement irakien et que « ExxonMobil est à
présent considéré par les initiés comme le favori pour accaparer les droits sur
le champ Majnoon ».
Les agissements du régime fantoche de Bagdad ont confirmé le
fait, soupçonné par des millions de personnes de par le monde, qu’un pays tout
entier a été détruit et des centaines de milliers de gens tués dans une guerre
pour le pétrole et les profits.
(Article original anglais publié le 11 janvier 2006)