Le 4 janvier, la chancelière allemande Angela Merkel (CDU,
Union démocrate chrétienne) fit une courte visite à Washington. Quelques jours
seulement après que le gouvernement allemand eût assumé la présidence de
l’Union européenne, la chancelière avait voulu discuter la future politique européenne
avec, selon ses propres mots, « son partenaire transatlantique le plus
important ».
Cette rencontre de quatre heures se solda au concret par bien
peu de choses. Le plus grand souci de Merkel avait été d’être vue aux côtés du président
américain et de lui offrir une coopération et un soutien accrus au Proche-Orient.
Elle accompagna sa proposition de relancer le soi-disant Quartette sur le Moyen-Orient,
composé de l’Union européenne, des Etats-Unis, de la Russie et des Nations unies,
d’un clair soutien de la politique américaine dans cette région.
Merkel souligna le fait qu’elle utiliserait ses fonctions de présidente
de l’Union européenne pour obtenir que les gouvernements européens s’engagent
plus fermement aux côtés de Washington et elle formula quelques-uns des
objectifs centraux de la politique européenne, tel que l’adoption d’une solution
à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien.
Malgré le fait que les pires craintes de nombreux européens
soient devenues réalité en Irak, la guerre commencée par Bush ayant entraîné un
désastre social et politique, Angela Merkel s’est abstenue de toute critique
vis-à-vis de la politique américaine. Elle préféra user de formulations
extrêmement vagues comme celle-ci : « Bien que l’Allemagne n’ait pas
de présence militaire en Irak, nous avons un profond intérêt à ce qu’une
situation plus pacifique advienne en Irak où les gens n’aient plus à craindre
pour leur vie. »
Merkel avait, quelques jours auparavant, fait des déclarations
évasives du même genre à propos de l’exécution de Saddam Hussein, bien que
cette dernière n’eût été qu’un lynchage public. Une déclaration lapidaire publiée
sur le site Internet officiel de la chancellerie dit que l’ancien dirigeant
irakien a été condamné par un tribunal irakien et ce jugement exécuté. « Nous
respectons ce jugement », y dit-on encore.
La chancelière ajoutait deux phrases à une déclaration selon
laquelle le gouvernement allemand était « contre la peine de mort » :
« Un jour comme celui-ci mes pensées vont avant tout aux nombreuses victimes
innocentes de Saddam Hussein. Je souhaite au peuple irakien d’aller vers la
paix et d’être libéré de la violence ».
Après trois ans et demi de guerre et d’occupation militaire
par l’armée américaine et qui ont coûté la vie à des centaines de milliers d’Irakiens,
dont beaucoup de femmes et d’enfants, ces vœux pieux de Merkel ne peuvent être considérés
que comme le comble du cynisme.
En réaction aux flatteries de Merkel, Bush répliquait :
« C’était une bonne idée de la part de la chancelière de réunir le Quartette »
et, lors d’une conférence de presse, commune il fit cet éloge de la chancelière :
« J’écoute beaucoup Angela Merkel. Elle a beaucoup de sagesse ».
Il annonça que la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza
Rice irait sous peu au Moyen-Orient. Merkel répondit qu’en tant que présidente
de l’Union européenne elle se réjouissait de la future coopération avec Rice.
Selon Merkel, il y aurait « une très étroite coordination ».
Il n’est pas inutile de noter que les déclarations de Merkel à
Washington représentent une rebuffade du ministre des Affaires étrangères
allemand, Frank Walter Steinmeier, (SPD, Parti social démocrate). Celui-ci
avait essayé d’inclure la Syrie et le Liban dans la recherche par le Quartette
d’une solution à la crise du Moyen-Orient. A la fin du mois de décembre, alors
que le gouvernement allemand se préparait à prendre la direction de l’Union européenne,
Steinmeier avait été à Moscou pour discuter avec le président russe d’une
nouvelle initiative concernant le Moyen-Orient et incluant une coopération avec
la Syrie.
Il n’est pas encore bien clair, dans quelle mesure les
positions défendues par la chancelière allemande et son ministre des Affaires étrangères
représentent des divergences réelles ou simplement une division du travail
entre la chancellerie et le ministère des Affaires étrangères, destinée à
maintenir la politique traditionnelle de l’Allemagne qui est de balancer entre
l’Ouest et l’Est.
Dans son édition online le quotidien munichois Süddeutsche
Zeitung écrit à ce propos : « Du bout des lèvres et le visage grave la
chancelière démentit à Washington des considérations lancées par le ministère
des Affaires étrangères, à savoir qu’une extension du mandat du Quartette au
Liban et à la Syrie offrait plus de chances d’obtenir une paix régionale. “Je
pense que le Quartette travaille déjà au maximum de sa capacité” se défendit la
chancelière. On a déjà offert de nombreuses chances à la Syrie. Ces chances n’ont
malheureusement pas été saisies ». Le président Bush acquiesça avec
reconnaissance cette ligne dure de la part de l’Europe, qui lui donne un
soutien important aux Etats-Unis mêmes, aussi pour ce qui est du conflit à
propos de sa future stratégie en Irak. »
Au lieu d’une coopération avec la Syrie, le Liban et l’Iran que
préconise la Russie, Washington vise selon toute apparence une collaboration
plus étroite avec les régimes de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et de
la Jordanie afin d’augmenter la pression sur les sunnites en Irak.
Une fascination pour la violence et la répression
Les efforts de Merkel pour s’attirer les bonnes grâces de
Washington ne sont rien de nouveau. L’actuelle chancelière a depuis le début eu
une position non critique vis-à-vis de la politique guerrière de Bush. Elle ressemble
en cela aux membres des nouvelles élites dirigeantes de l’Europe de l’Est qui
s’engagèrent dans la politique dans la période de l’effondrement des régimes
staliniens et dont l’enthousiasme pour le capitalisme est étroitement lié à une
fascination pour le type d’enrichissement effréné et de politique guerrière
incarnés par les Etats-Unis. Elle est aussi peu touchée par les droits démocratiques
fondamentaux de la population que par le droit international.
Le président américain a réagi à sa défaite aux élections du
Congrès en novembre et à la vaste opposition à la guerre en Irak qu’elles
représentent en préparant l’envoi de troupes supplémentaires et en intensifiant
la guerre. Cela impressionne Merkel et lui en impose.
Les embrassades et l’échange mutuel d’éloges et d’amabilités
entre Bush et Merkel jettent une lumière crue sur la présidence allemande de
l’Union européenne. Comme Bush aux Etats-Unis, Merkel et son gouvernement CDU,
SPD et CSU (Union sociale chrétienne) de « grande coalition » sont
confrontés à la résistance croissante de la population allemande. L’annonce par
Merkel et Steinmeier qu’ils imposeraient la Constitution européenne contre
toute opposition montre bien la direction prise.
Pour parler en termes simples, la guerre en Irak et son extension
aux territoires palestiniens, au Liban et peut-être bientôt à la Syrie et à l’Iran
marquent le retour à une politique impérialiste sous sa forme la plus brutale et
la plus agressive. Cela ne se limite pas à la politique étrangère. Dans
l’Europe de l’après-guerre, une politique étrangère moins agressive était liée étroitement
à la paix à l’intérieur sous forme de partenariat social et d’un vaste
rééquilibrage social. Le retour à la tyrannie impérialiste est lié à une
politique destinée à détruire tout ce qui reste du système social européen.
Les cajoleries de Merkel à l’adresse de Bush montrent
clairement que, nonobstant quelques voix isolées qui dénoncent « le
capitalisme prédateur américain », l’élite politique européenne représente
des intérêts économiques et politiques similaires à ceux de la classe
dirigeante américaine et qu’elle aura recours à des mesures du même genre pour
faire avancer ses intérêts. Cela annonce des deux côtés de l’Atlantique un nouveau
stade d’attaques virulentes des droits démocratiques et sociaux.