Dans les derniers mois, le parti social-démocrate
en nom au Canada, le Nouveau Parti démocratique (NPD), a tenté de se faire l’image
d’un opposant à la mission des Forces armées canadiennes en Afghanistan,
espérant qu’il pourra canalisé à son bénéfice le sentiment anti-guerre — et
l’opposition à l’intervention canadienne en Afghanistan en particulier — de
larges sections de la population canadienne.
Au même moment, en contradiction
avec ce qu’il avance lui-même, le NPD fait des pieds et des mains pour que sa
position sur l’intervention en Afghanistan ne soit pas interprétée par l’élite
comme une opposition générale au militarisme et à l’impérialisme canadien. Cet
état de fait a trouvé son expression la plus claire dans une série de motions
du NPD au Parlement, qui s’adaptaient toutes d’une façon ou d’une autre à
l’armée et à la campagne de droite, dirigée par le gouvernement minoritaire
conservateur de Stephen Harper, pour réorienter la politique étrangère
canadienne vers un cours agressivement militariste.
Plus récemment, lorsque le Bloc
québécois a menacé pendant quelques jours de faire tomber le gouvernement
Harper avec une motion de défiance sur la mission afghane, le NPD a attaqué la
manœuvre du Bloc de la droite. Le dirigeant du NPD Jack Layton a déclaré que la
menace du BQ n’était que « jeux politiques » et a dit qu’il était
plus important « d’obtenir des résultats de ce Parlement » ou, en
d’autres termes, de continuer à soutenir le gouvernement conservateur de
Harper.
Soyons clairs : la position du
NPD sur la guerre en Afghanistan est un piège politique, visant à contenir
l’opposition populaire à l’impérialisme canadien dans des limites acceptables
pour l’establishment politique canadien. Tous les partis actuellement
représentés à la Chambre des communes appuient l’usage de la force militaire
canadienne pour la défense des intérêts géopolitiques et économiques du Canada,
même s’il y a parfois de très grandes différences sur les détails.
Lorsque l’ancien gouvernement
libéral de Paul Martin a déplacé les soldats canadiens vers la région plus
explosive du sud de l’Afghanistan, il avait le soutien entier du NPD. Lorsque
les conservateurs de Harper nouvellement élus ont forcé la prolongation de deux
ans et l’élargissement de cette même mission, le NPD s’est opposé à cette
manœuvre, mais du point de vue que si le Canada s’impliquait plus en
Afghanistan, alors cela pourrait l’empêcher de participer à d’autres missions
(comme au Darfour, au Liban et en Haïti).
En août 2006, comme l’augmentation
du nombre des victimes jetait la lumière sur la nature brutale et colonialiste
de la mission canadienne en Afghanistan, le NPD a lancé un appel pour que les
Forces canadiennes se retirent avant février 2007. Pour rassurer la classe
dirigeante, le dirigeant du NPD, Jack Layton, n’a pas mis longtemps à expliquer
que l’appel pour le retrait n’était fait que parce que l’intervention n’était
pas « la bonne mission pour le Canada », n’était « pas
clairement définie » et qu’il n’y avait de « stratégie de
sortie ».
Invoquant explicitement la tradition
de « gardiens de la paix » qui sert depuis longtemps de couverture
pour les forces militaires canadiennes dans les opérations pour renforcer
l’influence géopolitique canadienne dans le monde, Layton a continué en
critiquant la mission en Afghanistan pour être « déséquilibrée parce
qu’elle se concentre sur la contre-insurrection et
pas sur le maintien de la paix ».
Le NPD a été prudent d’éviter de
préciser ce qui devait être retiré, laissant ainsi la porte ouverte pour un
changement mineur du déploiement de l’armée canadienne. Layton a insisté sur le
fait que « nous devons continuer à travailler de façon multilatérale pour
être dur envers le terrorisme » et que « des questions comme la lutte
à la pauvreté mondiale, l’aide internationale au développement, la réforme des
institutions internationales, la construction de la paix et le renforcement des
droits de l’homme font partie de la solution ».
Malgré la nature limitée de la
proposition du NPD, elle a néanmoins été accueillie par une tempête de
commentaires négatifs de l’establishment politique et médiatique extrêmement
sensible à la moindre critique. Cette sensibilité est exacerbée précisément
parce les élites savent combien faible est l’appui populaire pour le virage
rapide vers la droite de la politique canadienne de la dernière année. La
réponse du NPD a été de tenter de se distancer de la controverse en présentant
une série de motions devant le Parlement en « appui » à l’armée
canadienne et à ses actions.
La première de ces
propositions était la « Motion des
anciens combattants d’abord » introduite par le NPD et adoptée au début
novembre, qui apporte de petits ajustements aux règles concernant les pensions
des conjoints des soldats des FAC ainsi que des changements aux pensions des
membres de l’armée libérés plus tôt pour cause de blessures en poste. Plus tard
durant le même mois, le NPD a profité de l’initiative lancée par l’Institut
Dominion, un groupe de réflexion de droite qui se consacre à la promotion du
nationalisme canadien.
L’Institut a réussi à
amasser quelque 90 000 signatures pour une pétition exigeant que le
dernier vétéran canadien de la Première Guerre mondiale (ou plutôt, le dernier
vétéran à résider au Canada, car deux autres vivent à l’étranger) se voit
offrir des funérailles d’Etat. L’espoir évident de
ceux qui ont appuyé la pétition était de voir un spectacle national qui serait
utilisé pour raviver l’appui du public pour le nationalisme canadien et les
« traditions militaires » du Canada.
Selon l’éditorial du Globe
& Mail qui appuyait la pétition, « Il n’y a qu’une seule façon de
bien faire comprendre à chaque Canadien, jeune et moins jeune, l’ampleur de ce
qui a été accompli par les soldats canadiens durant la Première Guerre
mondiale. Il n’y a qu’une seule façon d’assurer que le concept de souvenir soit
plus qu’un devoir généralisé envers un fier héritage militaire et soit reconnu
pour ce qu’il est : une façon de remercier le don de la liberté fait à un
de nombreuses personnes et l’accession, pour nous, au statut de nation. »
Le NPD a sauté sur cette
occasion de démontrer son appui au militarisme canadien et a introduit une
motion pour un tel spectacle national, se méritant l’appui unanime des autres
partis de la Chambre des communes. Selon Layton, la motion du NPD et les
funérailles d’Etat à venir donneraient la chance aux
Canadiens de « célébrer collectivement le sacrifice de tous les vétérans
de la Première Guerre mondiale ».
Il vaut la peine de
s’arrêter pour comprendre précisément ce que cela veut dire. Selon le chef du
NPD, la Première Guerre mondiale est quelque chose à « célébrer
collectivement ». Le NPD joue ici un rôle important dans la campagne de
duperie dans laquelle la guerre, comme dans l’éditorial du Globe & Mail
ci-dessus, est supposée avoir apporté le « don de la liberté » et
« l’accession au statut de nation ».
D’aucune façon la Première
Guerre mondiale, le long et barbare massacre de millions d’individus dans une
brutale compétition pour des marchés et des territoires, n’était une guerre
pour la « liberté ». Au contraire, les fondements de la guerre
provenaient du fait que le développement économique mondial avait dépassé les
limites du système d’Etats-nations. Chacune des
grandes puissances capitalistes combattait alors pour s’assurer que cette
contradiction serait résolue aux dépens de toutes les autres.
Comme Trotsky l’a expliqué
dans son ouvrage majeur « La guerre et l’Internationale », écrit
immédiatement après le déclenchement de la guerre et dirigé avant tout contre
les parlementaires « socialistes » de la Deuxième Internationale (de
laquelle descend politiquement Layton et le NPD) qui s’étaient ralliés derrière
les efforts de guerre de leurs propres pays : « Tous les discours,
parlant de l'effusion de sang actuelle comme une question de défense nationale,
ne sont qu'aveuglement ou hypocrisie. Au contraire, le sens objectif de la
guerre consiste en la destruction des propriétés au nom de la propriété
mondiale. L'Impérialisme ne s'efforce pas de résoudre ce problème par une
coopération organisée selon la justice. Les capitalistes de la nation
victorieuse exploiteront cette propriété mondiale. Le pays victorieux deviendra
une puissance à l'échelle du globe » (La
guerre et l’Internationale, 1914).
Pour la classe dirigeante
canadienne, la guerre était d’abord l’occasion de s’afficher en tant que grande
puissance indépendante de la Grande-Bretagne. Ayant fait pression durant la
guerre pour que l’on accorde au Canada un rôle équivalent à celui de la
Grande-Bretagne dans la gestion de l’empire britannique, le premier ministre
canadien Robert Borden a réussi à obtenir pour le
Canada, à la fin de la guerre, un siège indépendant à la conférence de paix de
Paris et à la Ligue des nations. Voilà ce qu’acclame maintenant le Globe
& Mail en tant qu’« accession au statut de nation ». Pour y
arriver, 60 000 Canadiens ont été sacrifiés sur les champs de bataille
européens, alors que 172 000 autres y ont été blessés.
De plus, l’effort de guerre
avait été accompagné d’une large attaque sur les droits démocratiques. Au début
de la guerre, le gouvernement avait imposé la Loi sur les mesures de guerre, ce
qui a mené à la séquestration de milliers de personnes dans des camps
d’internements, et il a truqué l’élection de 1917 afin d’imposer la
conscription. Les soldats actifs à l’étranger pouvaient choisir toute circonscription
électorale canadienne qu’ils souhaitaient pour voter, plutôt que leur propre
circonscription, et le droit de vote a été soudainement accordé aux femmes,
mais seulement à celles dont de proches parents étaient en service militaire à
l’étranger.
Le
piège du maintien de la paix
On trouve une question politique fondamentale derrière le louvoiement
continuel du NPD sur l’Afghanistan. Quand le NPD exige que la puissance
militaire du Canada soit utilisée modérément, cela ne prend pas la forme d’une
opposition de principe à l’impérialisme canadien, mais plutôt d’un appel à une
certaine conception de « l’intérêt national » du Canada.
Dans une époque caractérisée par le militarisme américain débridé et
l’augmentation des tensions entre les puissances impérialistes, des sections de
l’élite canadienne en sont venues à considérer la tradition « de maintien
de la paix » comme un boulet. Pour ces couches, qui considèrent les
conservateurs de Harper (ou une section des libéraux) comme leurs représentants
politiques, la participation directe dans les guerres que mènent les Etats-Unis
est perçue comme étant l’unique façon de conserver de l’influence
internationale et lui donne un peu d’espoir qu’elles pourront avoir leur part
du butin.
Cependant, le NPD (avec une autre section du Parti libéral) défend l’idée
que la tradition de « maintien de la paix » — un élément clé de
l’idéologie nationale et de la posture de la classe dirigeante canadienne en
politique étrangère dans la période précédente — n’a pas encore perdu toute son
utilité. Il y a un lien organique entre cette position et le nationalisme
canadien qui est depuis longtemps la perspective essentielle du NPD : la
« politique étrangère indépendante » dont Layton et le NPD se font
les champions n’est rien d’autre que la précédente stratégie impérialiste de la
classe dirigeante canadienne.
Loin d’être une opposition à la guerre et à l’impérialisme, le
« maintien de la paix » canadien a représenté une contribution
majeure au maintien de l’ordre impérialiste mondial tout au long de la Guerre
froide. Membre entier de l’OTAN et de NORAD, le Canada a envoyé ses troupes
pour faire régner l’ordre lors de conflit entre alliés de l’OTAN ou entre les
Etats-Unis et l’Union soviétique, pour empêcher que ces conflits ne prennent des
proportions qui pourraient nuire aux relations multilatérales dans lesquelles
la bourgeoisie avait tellement investi. Pour la classe dirigeante canadienne,
l’arrangement du « maintien de la paix » était au même moment une
façon d’augmenter son influence internationale, de contrebalancer l’influence
plus importante des Etats-Unis et de garder ses capacités militaires.
La lutte contre la guerre n’avancera pas d’un iota en appelant pour que
l’élite canadienne revienne à sa stratégie d’antan. Pour réussir, la lutte
contre un impérialisme canadien plus agressif doit être menée sur une base plus
élevée et plus solide : la collaboration directe avec les travailleurs des
Etats-Unis et à travers le monde dans un mouvement socialiste international qui
mettra fin à la guerre, qui s’opposera aux attaques sur les droits
démocratiques et qui placera le développement économique sous le contrôle de la
classe ouvrière.
(Article original anglais publié le
5 janvier 2007)