L’exécution de l’ancien
président irakien Saddam Hussein ne servait pas la justice, mais les objectifs politiques
de l’administration Bush et de ses marionnettes irakiennes. La façon dont
l’exécution a été réalisée — rapidement, secrètement, au milieu de la nuit, est
un simulacre de processus légal — ne fait que souligner le caractère
hors-la-loi et réactionnaire de toute l’aventure américaine en Irak.
Il y a eu des
déclarations contradictoires toute la journée de vendredi sur la façon et sous
quelles circonstances la condamnation à mort d’Hussein, confirmée par un
tribunal du gouvernement irakien le 26 décembre, pourrait être réalisée. Il y a
un va-et-vient de messages entre le gouvernement du premier ministre Nouri
al-Maliki, qui officiellement contrôle les procédures judiciaires, et les
autorités militaires américaines qui ont le prisonnier sous leur contrôle et
l’ont amené au lieu de l’exécution dans la zone verte sous contrôle américain.
La décision d’envoyer
Hussein à la potence n’était pas une décision juridique, mais politique. C’est
ce qu’a signalé al-Maliki lui-même après que la condamnation à mort eut été
prononcée le 5 novembre par un tribunal spécial, lorsque le premier ministre
irakien a déclaré qu’Hussein serait exécuté avant le Nouvel An. Dans leur
empressement à respecter cette échéance, les hauts responsables irakiens ont
ignoré les principes élémentaires de l’équité judiciaire ainsi que leur propre
constitution qui exige que la condamnation à mort soit confirmée par l’actuel
président irakien, Jalal Talabani.
Comme Richard Dicker, le
directeur international des questions judiciaires chez Human Rights Watch, a
expliqué dans un billet publié vendredi dernier dans le Guardian, la
procédure légale n’a été qu’une mascarade.
« Le jugement rendu
par la cour, a-t-il écrit, n’était pas complété lorsque le verdict et la
sentence ont été annoncés le 5 novembre. Le dossier expliquant la décision a
été remis aux avocats de la défense le 22 novembre. Selon le statut du
tribunal, les avocats de la défense devaient soumettre leurs appels avant le 5
décembre, ce qui leur laissait moins de deux semaines pour répondre à la décision
de la cour justifiée dans un document de trois cents pages. La cour d’appel n’a
tenu aucune audience pour considérer les arguments légaux présentés comme
l’autorise la loi irakienne. Que la cour d’appel puisse, en moins de trois
semaines, réviser en toute justice une décision de 300 pages ainsi que les
soumissions écrites de la défense et qu’elle puisse se pencher sur toutes les
questions soulevées défie tout simplement l’entendement. »
Plutôt qu’un tribunal
prenant pour modèle Nuremberg, où les dirigeants nazis survivants ont reçu des
droits à un procès équitable beaucoup plus larges que ceux accordés par
Hussein, les procédures à Bagdad ressemblaient à un procès arrangé des
staliniens et des nazis, avec son juge marionnette, le verdict déterminé à
l’avance et une sentence réalisée au milieu de la nuit.
Les
raisons politiques
La motivation politique
la plus essentielle de l’administration Bush était son désir de tuer un
adversaire important, ouvertement, devant les yeux du monde, simplement pour
démontrer sa capacité et sa volonté à le faire. Selon la Maison-Blanche, Saddam
offre une leçon à tout opposant futur de l’impérialisme américain : défiez
la volonté de Washington et son destin sanglant sera le vôtre.
L’exécution fournit aussi à l’administration Bush un
événement qu’elle peut prétendre être la preuve d’une « victoire »
américaine en Irak, détournant l’attention du sinistre bilan quotidien des
morts irakiennes et américaines. La couverture médiatique de l’exécution a en
grande partie éclipsé les reportages sur le bilan des décès des soldats
américains, qui sont au moins au nombre de 100 en décembre et qui auront
probablement atteint la marque de 3000 pour la guerre au complet avant la fin
du mois de décembre.
L’exécution d’Etat sert aussi à donner un appui politique à
court terme au régime d’al-Maliki qui est aux abois, de plus en plus
impopulaire et instable. L’administration Bush fait pression sur al-Maliki pour
qu’il rompe avec l’imam radical chiite Moqtada al-Sadr, l’un de ses principaux
alliés politiques, et qu’il approuve une répression militaire par les Etats-Unis
sur l’Armée du Mahdi, la milice chiite loyale à al-Sadr.
L’exécution de Hussein permet à Maliki de regagner des
gallons auprès de la majorité chiite, qui a souffert le plus sous le règne de
Hussein, tout en allant de l’avant avec les plans de répression violente contre
les banlieues à majorité chiite à l’est de Bagdad (Sadr City), un centre de
l’opposition chiite à l’occupation américaine.
Un autre important élément politique à considérer est que
l’exécution de Hussein met un terme aux procédures légales contre l’ancien chef
irakien avant que ne soit effectué un examen détaillé des crimes dans lesquels
des gouvernements américains auraient joué un rôle important. L’affaire
concernant l’exécution de 148 hommes chiites à Dujail en 1982 a été choisie en premier,
car les victimes étaient reliées au parti Dawa, le parti de Maliki et du
précédent premier ministre appuyé par les Etats-Unis, Ibrahim Jafari, et parce
que les Etats-Unis n’étaient pas directement impliqués.
Ce qui n’était pas le cas des autres épisodes, beaucoup
plus sanglants, de la carrière de Saddam Hussein. La deuxième affaire, sur la
soi-disant opération Anfal qui a massacré des Kurdes en 1987-88, vers la fin de
la guerre Iran-Irak, devait se poursuivre à partir du 8 janvier. Toute enquête
sérieuse de ces atrocités, qui ont culminé avec le gazage de Kurdes à Halabja,
dévoilerait le rôle joué par diverses administrations américaines.
Hussein a déclenché la guerre contre l’Iran en 1980 avec
l’appui tacite de l’administration Carter, qui était alors en confrontation
avec l’Iran au sujet de l’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran et de
la prise de représentants américains en otages par des étudiants.
L’administration Reagan avait par la suite fourni une aide importante à Hussein
durant les huit années de la guerre, fournissant des renseignements militaires
tactiques utilisés pour attaquer les forces iraniennes à l’aide d’armes
chimiques, et appuyant des ventes d’armes à l’Irak par les alliés européens des
Etats-Unis comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. A deux reprises,
en 1983 et 1984, Donald Rumsfeld a été envoyé en Irak en tant qu’envoyé spécial
des Etats-Unis pour rassurer Hussein, que malgré les rumeurs occasionnelles de
violations des droits de l’homme, les Etats-Unis maintiendraient leur
allégeance à Bagdad durant la guerre.
Les autres causes importantes contre Hussein, sur la répression des révoltes
menées contre les Kurdes et les chiites en 1991, menaçaient d’être encore plus
problématiques pour l’administration Bush, puisqu’au début, le premier
président Bush, le père de l’actuel président Bush, avait encouragé les
soulèvements à la fin de la première guerre du Golfe, pour ensuite, de sang
froid, décider que le maintien de la dictature de Hussein était préférable à
l’effondrement de l’Etat irakien, ce qui aurait bénéficié à l’Iran,
s’inquiétaient les principaux planificateurs de guerre américains.
Une opposition aux procès bidon de Saddam Hussein et une condamnation de son
exécution n’impliquent pas un appui politique à l’ancien dirigeant ou à ses
politiques. Hussein était un représentant typique de la bourgeoisie nationale
dans les pays opprimés et arriérés — occasionnellement en conflit avec
l’impérialisme, mais implacablement voué à la défense des privilèges et des
propriétés de la bourgeoisie en Irak contre la classe ouvrière irakienne.
Le premier acte de répression de masse de Hussein est survenu au zénith de
sa montée vers le pouvoir à la fin des années 1970, lorsque le parti Baas a
massacré la direction du Parti communiste irakien et supprimé le large
mouvement militant de la classe ouvrière localisé à Bagdad et dans les champs
pétrolifères. La présente désintégration de l’Irak selon une division religieuse
et sectaire est l’une des conséquences à long terme de cette sauvage répression
de la classe ouvrière, applaudie à l’époque par les Etats-unis.
Le dirigeant irakien n’était pas, cependant, jugé et puni sous les auspices
d’un tribunal de la classe ouvrière. Il a été jugé devant un tribunal
irrégulier établi par un régime d’occupation après l’invasion et la conquête de
l’Irak par les Etats-unis. En d’autres termes, ses crimes ont été jugés et la
sentence imposée par des gens coupables de crimes bien plus grands que les
siens.
Un éditorial publié dans le Washington Post de vendredi a
parfaitement saisi l’hypocrisie avec laquelle l’administration Bush, le Congrès
démocrate et les républicains ainsi que les médias américains, ont approché le
cas de Saddam Hussein. Le Post a sentencieusement déclaré son opposition
général à la condamnation à mort, avant de déclarer que si elle était
appropriée pour n’importe qui, elle devrait être appliqué à « Saddam
Hussein — l’homme, avec l’exception possible de Kim Jong Il, qui a plus de
sang sur les mains que n’importe quel autre vivant ».
Permettez-nous d’être d’un autre avis. George W. Bush a jusqu’à maintenant
causé la mort de plus d’Irakiens que Saddam Hussein – quelques 655 000
depuis l’invasion en mars 2003, selon une étude publiée par l’école de santé publique
Johns Hopkins — et son mandat ne se termine que dans deux ans. Sans compter les
complices toujours vivants de Hussein dans la guerre Iran-Irak, et les
présidents américains successifs — le père de Bush, Clinton et Bush lui-même —
qui ont appuyé l’embargo mené par les Etats-unis contre l’Irak et qui a causé la
mort d’un nombre estimé de 1,5 million d’Irakiens de 1991 à 2003.
La véritable justice pour le peuple torturé et opprimé de l’Irak, aussi bien
que pour les victimes américaines, britanniques et toutes les autres victimes
de la guerre dirigée par les Etats-unis, n’arrivera que lorsque les
responsables de l’invasion et de l’occupation — Bush, Cheney et leurs acolytes
—, feront face à leur propre procès pour avoir lancée et menée une guerre
d’agression illégale.
(Article original anglais
publié le 30 décembre 2006)