Témoignant devant la commission sénatoriale sur les relations avec
l’étranger jeudi passé, Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité
nationale dans le gouvernement du président Jimmy Carter, a émis une critique
acerbe de la guerre en Irak et averti que la politique de
l’administration Bush menait inexorablement à la guerre avec
l’Iran, avec des conséquences incalculables pour l’impérialisme
américain au Moyen-Orient et internationalement.
Brzezinski, qui s’était opposé à l’invasion de
l’Irak en mars 2003 et qui a publiquement dénoncé la guerre comme étant
une erreur monumentale de politique étrangère, a commencé ses remarques sur ce
qu’il a nommé « le choix de la guerre » en Irak en qualifiant
cette guerre de « calamité historique, stratégique et morale ».
« Entreprise sur la base de fausses hypothèses, »
a-t-il continué, « elle mine la légitimité des Etats-Unis partout dans le
monde. Ses victimes civiles collatérales ainsi que certains abus ternissent la
réputation morale des Etats-Unis. Menée sur la base de principes manichéens et
d’un orgueil impérial démesuré, elle intensifie l’instabilité
régionale. »
Brzezinski a raillé « la lutte idéologique
décisive » contre l’islam radical des discours de Bush comme étant
« simpliste et démagogique », et l’a qualifiée de « récit
historique mythique » utilisé pour justifier une « guerre qui dure et
qui est potentiellement en expansion ».
« Argumenter que les Etats-Unis sont déjà en guerre dans
la région contre une menace islamique plus large, dont l’Iran est
l’épicentre, consiste à faire la promotion d’une prophétie dont on
provoque la réalisation. »
Ce qui est encore plus étonnant et inquiétant c’est sa
description d’un « scénario plausible de conflit militaire avec
l’Iran. » Cela impliquerait, a-t-il suggéré, « le fait pour
l’Irak de ne pas atteindre les objectifs fixés, suivi d’accusations
sur la responsabilité de l’Iran dans cet échec, puis enfin par une provocation
en Irak ou par un attentat terroriste aux Etats-Unis attribué à l’Iran,
culminant en une opération militaire "défensive" des Etats-Unis contre
l’Iran qui plonge une Amérique solitaire dans un bourbier toujours plus
vaste et plus profond finissant par englober l’Irak, l’Iran,
l’Afghanistan et le Pakistan. » [italiques ajoutés]
Voilà assurément un avertissement lancé au Congrès américain, truffé
de guillemets, dans lequel l’auteur indique qu’il doute du
caractère « défensif » de l’action militaire en préparation et
que l’administration Bush cherche plutôt un prétexte pour attaquer
l’Iran. Même s’il ne l’a pas dit explicitement, Brzezinski n’était
pas loin de suggérer que la Maison-Blanche était capable de concocter une
provocation — comme un éventuel attentat terroriste aux États-Unis
— afin de fournir le casus belli nécessaire pour la guerre.
Qu’une personnalité comme Brzezinski, qui a des
décennies d’expérience aux plus hauts échelons de l’establishment
des Affaires étrangères des États-Unis et qui entretient des liens des plus
étroits avec l’armée et les services de renseignement, lance une telle
mise en garde lors d’une audience publique du Sénat américain est extrêmement
sérieux et significatif.
Brzezinski sait de quoi il parle, ayant lui-même organisé des
provocations de son cru alors qu’il était conseiller à la sécurité
nationale sous Jimmy Carter. À ce poste, comme il l’a depuis admis
publiquement, il avait élaboré un plan secret à la fin des années 1970 pour
mobiliser les moudjahiddin fondamentalistes islamiques afin qu’ils
renversent le régime prosoviétique en Afghanistan et entraînent l’Union
soviétique dans une guerre désastreuse dans ce pays.
À la suite de son introduction, et en réponse aux questions
des sénateurs, il a de nouveau évoqué le risque d’une provocation.
Il a attiré l’attention des sénateurs sur un reportage
du New York Times, paru le 27 mars 2006, concernant « une rencontre
privée entre le président et le premier ministre Tony Blair, deux mois avant la
guerre, et qui se basait sur un mémorandum rédigé par le représentant
britannique présent à cette rencontre ». Dans l’article, a affirmé
Brzezinski, « on cite le président qui déclare être inquiet du fait qu’il
risque de ne pas y avoir d’armes de destruction massive à trouver en
Irak, et qu’il est nécessaire de réfléchir pour trouver d’autres
prémisses pour entreprendre cette action. »
Brzezinski continue : « Je vais juste vous lire ce
qu’apparemment ce mémo disait, selon le New York Times :
“Le mémo affirme que le président et le premier ministre avaient reconnu qu’aucune
arme non conventionnelle n’avait été trouvée en Irak. Confronté à la
possibilité de ne pas en trouver avant l’invasion prévue, M. Bush avait parlé
de plusieurs moyens de provoquer une confrontation. »
« Il a décrit les différents moyens de le faire. Je ne
vais pas entrer dans le détail... Les moyens étaient plutôt extraordinaires, du
moins l’un d’entre eux.
« Si l’on considère que l’on a affaire à un
ennemi implacable qu’il faut écarter, cette ligne de conduite, peut dans
certaines circonstances, être tentante. Je crains que si la situation en Irak
continue à se détériorer et que si l’Iran est perçu d’une manière
ou d’une autre comme étant impliqué voire responsable, ou bénéficiaire
potentiel de cette situation, cette tentation pourrait se présenter. »
A un autre moment, Brzezinski a fait une remarque sur les
méthodes de conspirateur de l’administration Bush qu’il a presque
décrit comme une cabale. « Je suis perplexe, a-t-il dit, de voir que des
décisions stratégiques majeures semblent être prises par un cercle très restreint
de personnes — quelques-unes seulement, une poignée probablement,
peut-être pas plus nombreux que les doigts de ma main. Et ce sont ces mêmes
personnes, à une exception près, qui ont pris la décision initiale
d’entrer en guerre et ont utilisé les justifications initiales pour
entrer en guerre. »
Aucun des sénateurs présents n’a tenu compte de
l’avertissement absolument clair de Brzezinski. Les démocrates en
particulier, mous, complaisants et complices des conspirations de guerre de
l’administration Bush n’ont rien dit sur le danger, clairement
mentionné par le témoin, d’une provocation.
Suite à l’audience, le reporter du WSWS a demandé à
Brzezinski directement s’il suggérait que cette éventuelle provocation
pouvait émaner du gouvernement américain lui-même. L’ancien conseiller
national à la sécurité est resté évasif.
L’échange suivant a eu lieu :
Q : Dr Brzezinski, à votre avis, qui conduirait cette éventuelle
provocation ?
R : Je n’en sais rien. Comme je l’ai dit, on
ne peut jamais prédire ces choses. Cela peut être spontané.
Q : Suggérez-vous qu’il y ait une possibilité
qu’elle émane du gouvernement américain lui-même ?
R : Ce que je dis c’est que toute cette situation
peut échapper à tout contrôle et toutes sortes de calculs peuvent créer une
situation dont il serait très difficile de remonter aux origines.