On assiste actuellement à une intensification américaine
continue et manifeste des préparatifs de guerre contre l’Iran. Les
préparatifs militaires s’accompagnent d’un déluge de propagande
contre Téhéran, en provenance de sources américaines, et relayé sans esprit
critique par des médias serviles. La principale accusation actuellement portée
contre le régime iranien est que ses agents appuient et arment des milices
chiites en Irak pour qu’elles attaquent les troupes américaines —
accusation à laquelle à ce jour aucune preuve concrète n’a été fournie.
Le mois dernier, le président Bush a non seulement ordonné à
l’armée américaine de « rechercher et détruire » les réseaux
iraniens en Irak, mais a confirmé la semaine dernière qu’il avait
autorisé les troupes américaines à capturer ou tuer les agents iraniens. Ce
lundi, dans un entretien accordé à la radio publique nationale, Bush a réitéré
que « Si l’Iran intensifie son activité militaire en Irak au
détriment de nos troupes et/ou du peuple irakien innocent, nous allons riposter
avec fermeté. »
Lors des audiences de confirmation du Congrès américain cette
semaine, les personnes nouvellement nommées par Bush se sont fait l’écho
du même message. John Negroponte, qui a été nommé au poste de secrétaire
d’Etat adjoint, a déclaré ce mardi devant la commission sénatoriale sur
les relations avec l’étranger que « le comportement [de
l’Iran], tel le soutien aux extrémistes chiites en Irak, ne devrait pas continuer
sans réaction de notre part. S’ils ont le sentiment qu’ils peuvent
continuer ce genre d’activité en toute impunité, alors cela nuira à la
sécurité en Irak et à nos intérêts dans ce pays. »
L’amiral William Fallon, nommé à la tête des forces
armées américaines au Moyen-Orient, a déclaré ce mardi devant la commission
sénatoriale des forces armées, que l’implication de l’Iran dans le
terrorisme et la violence sectaire avait un caractère « déstabilisant et
troublant ». « Ils n’ont pas aidé en Irak. Il me semble que
dans la région, alors qu’ils augmentent leurs moyens militaires, nous
devrons étudier attentivement ce qu’ils font et ce qu’ils
pourraient amener à la table », a-t-il ajouté.
Fallon a indiqué qu’il avait l’intention de
contribuer à la construction d’une coalition régionale « pour faire
face aux actes de l’Iran ». Fallon est le premier officier de la
marine jamais nommé à la tête des forces armées américaines au Moyen-Orient et
son rôle ne se limitera évidemment pas à la diplomatie. Fallon dirigera la très
importante flotte américaine actuellement dans le golfe Persique, qui, pour la
première fois depuis l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en
2003, comprendra deux groupes de porte-avions.
Le Jerusalem Post a signalé que le navire
d’assaut, USS Bataan, avait traversé le canal de Suez mardi, en route
vers le golfe Persique. Le groupe de combat, comprenant sept vaisseaux, compte
2 200 soldats et marins américains, des hélicoptères et des avions de
chasse Harrier. Le porte-avion USS John C. Stennis et les navires qui
l’accompagnent sont attendus dans la région dans le courant de ce mois-ci,
où ils rejoindront le porte-avion Dwight D. Eisenhower qui se trouve déjà dans
le golfe. En tout, Fallon pourra compter sur quelque cinquante navires ainsi
que sur des centaines d’avions.
Un commentaire paru dans le quotidien français Le Figaro le
27 janvier notait qu’avec deux porte-avions « les États-Unis ont
désormais la capacité d'engager une offensive aérienne 24 heures sur 24
pendant trente ou quarante jours. Ils peuvent s'appuyer sur le quartier général
de la 5e Flotte au Bahreïn, sur l'immense base aérienne d'al-Udaïd au Qatar et
son centre de commandement opérationnel, ainsi que sur la base de Diego Garcia
dans l'océan Indien pour le ravitaillement. Les satellites américains auraient
identifié 1 500 cibles liées au programme d'armement nucléaire iranien,
réparties sur 18 sites principaux. Nul ne doute que des dommages considérables
pourraient leur être infligés. Des cibles industrielles et pétrolières
pourraient s’ajouter à cette liste. »
De façon inquiétante, un article paru mercredi dans le Los
Angeles Times donnait un aperçu de projets prévoyant des patrouilles plus
agressives le long de la frontière entre l’Iran et l’Irak, par les
avions de guerre américains, soi-disant pour empêcher la contrebande
d’armes vers l’Irak. Un important officiel du Pentagone a
déclaré : « La puissance aérienne joue des rôles importants, et
l’un de ces rôles consiste à être une force dissuasive, que ce soit par
le contrôle des frontières, la souveraineté aérienne ou quelque chose de plus
cinétique. » Comme l’a fait remarquer le Times,
« cinétique » est un terme utilisé pour signifier une action
militaire offensive. Quel que soit l’objectif avoué, la provocation des
patrouilles aériennes américaines près de l’espace aérien iranien
pourrait rapidement se transformer en conflit militaire ouvert.
Bien que de hauts représentants américains ne cessent de
répéter, comme s’il s’agissait de faits avérés, que des agents
iraniens sont engagés à soutenir des milices antiaméricaines en Irak, aucune
preuve n’a été fournie pour appuyer ces affirmations. L’ambassadeur
américain en Irak, Zalmay Khalilzad, devait présenter mercredi un
« dossier » sur des preuves concrètes d’envois d’armes
iraniennes en Irak, incluant les numéros de série et les documents de
livraison. Mais ce projet a été repoussé, démontrant que les « preuves »
sont tout aussi minces que les mensonges concernant les armes de destruction
massive, qui avaient été concoctés pour justifier l’occupation militaire
de l’Irak.
Une guerre de propagande
Le manque de preuve n’a pas empêché les médias
américains de publier des articles qui ont tout l’air d’avoir été concoctés
par l’administration Bush, la CIA ou le Pentagone. Mercredi, un article
paru dans le New York Times, basé sur des sources anonymes des
Etats-Unis et de l’Irak, a insinué que des agents iraniens étaient
impliqués dans l’attaque, le 20 janvier à Karbala, d’une enceinte
protégée où cinq soldats américains avaient été tués.
L’article fournissait des détails concernant
l’attaque, mettant l’accent sur le fait qu’elle avait nécessité
une grande organisation : l’utilisation de cartes d’identité
contrefaites, d’uniformes et de mitraillettes de type
« américain », de véhicules utilitaires de sport et d’outils de
communication. Mais il ne présentait pas la moindre preuve que des Iraniens, et
encore moins des agents du gouvernement iranien, étaient impliqués. La seule
« preuve » présentée était que l’opération était trop complexe
pour que des insurgés irakiens l’aient menée seuls.
Un haut représentant irakien qui n’a pas été nommé a
soutenu que des francs-tireurs de l’Armée du Mahdi de l’imam chiite
Moqtada al-Sadr étaient armés et contrôlés directement de l’Iran. Un
représentant de l’armée américaine a suggéré la possibilité d’une vaste
conspiration impliquant de hauts représentants irakiens, lorsqu’il a demandé : « Est-ce
que le gouverneur [de Karbala] était impliqué ? Est-ce que la police
irakienne en service était complice ou tout simplement
incompétente ? »
Le New York Times a exprimé très ouvertement le
véritable objectif de cet article, qui a été repris et diffusé par
l’ensemble des médias : « Lier l’Iran à cette attaque
meurtrière pourrait aider l’administration Bush, engagée avec
l’Iran dans une guerre de paroles qui va s’intensifiant. »
L’article faisait suite à un autre reportage douteux du New
York Times publié le 29 janvier alléguant que les « renseignements
iraniens » avaient été impliqués dans l’assassinat de
l’ambassadeur égyptien en Irak, Ihab Al Sharif, peu de temps après son
arrivée en Irak en juin 2005. L’article se basait sur un article publié
en une du journal égyptien Al Ahram, qui ne fournissait aucune autre
preuve que les commentaires de sources anonymes. Les ministres des Affaires
étrangères iranien et égyptien ont tout deux nié les allégations. À
l’époque, al-Qaïda avait revendiqué l’assassinat. Rien de tout cela
n’a cependant empêché le New York Times de présenter cette
histoire comme véridique.
Il est certainement possible que les services de renseignement
iraniens opèrent en Irak, comme le font d’autres pays, y compris des
alliés des Américains comme l’Arabie saoudite et la Jordanie. L’Iran
entretient des liens étroits avec des partis et des milices chiites, dont ceux
qui participent au gouvernement fantoche des Etats-Unis à Bagdad, et pourrait
bien leur fournir de l’aide. Il est également possible que les insurgés
achètent des armes légalement ou illégalement en Iran, ainsi que dans
d’autres pays. Mais il n’y a aucune preuve que le gouvernement
iranien appuie l’insurrection anti-américaine en Irak.
Dans des commentaires publiés sur le site Internet du Conseil
des relations étrangères (Council on Foreign Relations) basé aux États-Unis,
Kenneth Pollack de l’Institut Brookings notait :
« L’administration Bush semble voir les Iraniens comme la source de
beaucoup, sinon de tous, les problèmes de l’Irak aujourd’hui. Pour
moi, cela rappelle dangereusement la manière dont ils parlaient de la Syrie en
2004 et 2005, lorsqu’ils exagéraient de façon ridicule le rôle de la
Syrie dans l’insurrection sunnite. »
Un article paru dans le Los Angeles Times du 23 janvier
notait : « Malgré toute sa rhétorique agressive,
l’administration Bush n’a fourni que des preuves très limitées pour
appuyer ses prétentions [de l’implication iranienne]. Les
journalistes qui voyagent avec les troupes américaines n’ont pas vu non
plus de signes importants d’implication iranienne. Durant une
récente offensive dans un bastion d’insurgés sunnites ici, on n’a
trouvé qu’une seule mitrailleuse iranienne parmi les dizaines de caches
d’armes découvertes par les Américains. Les officiels britanniques ont
accusé de la même manière l’Iran d’être impliqué en Irak, mais
disent ne pas avoir trouvé d’armes de fabrication iranienne dans les
zones où ils patrouillent. »
Dans une interview accordée le 29 janvier à un journaliste
manifestement hostile du New York Times, l’ambassadeur iranien en
Irak, Hassan Kazemi Oumi, a vigoureusement nié tout soutien de l’Iran à
des milices anti-américaines. Il a rejeté les preuves saisies par les
troupes américaines lors de raids provocateurs durant lesquels un certain
nombre d’Iraniens avaient été détenus en décembre et janvier.
« Il a ridiculisé les preuves que les militaires
américains disent avoir recueillies, incluant des cartes de Bagdad délimitant
les quartiers sunnites, chiites et mixtes — le type de cartes qui, selon
les officiels américains, serait utile à une milice préparant un massacre
ethnique. M. Oumi a répondu que ce type de cartes est si commun et facile à
obtenir qu’il ne prouve rien », cita le journal.
Dans les semaines à venir, l’offensive propagandiste
américaine va sans aucun doute s’intensifier dans le but
d’obscurcir les véritables raisons des préparatifs de guerre contre
l’Iran. En premier lieu, Washington est déterminé à empêcher l’Iran
d’étendre son influence suite aux désastres créés par les États-Unis dans
l’Irak et l’Afghanistan voisins. Plus largement, cependant,
l’administration Bush voit l’assujettissement de l’Iran qui
s’en suivra comme une étape nécessaire dans le plan depuis longtemps
élaboré de domination américaine sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale
et leurs riches réserves de pétrole et de gaz.