Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de
la République en mai dernier, on assiste à une augmentation tangible de
l’activité répressive et de la brutalité policière. C’est de cette
façon que son gouvernement gaulliste droitier entend venir à bout de la
résistance à son programme de destruction des droits démocratiques et sociaux
des travailleurs, des jeunes et des immigrés. Sarkozy espère ainsi créer les
conditions pour une augmentation de la profitabilité et de la compétitivité du
patronat français dans l’économie mondialisée.
Cette répression s’est particulièrement intensifiée après
la trahison de la grève des cheminots le 21 novembre qui a laissé les
travailleurs et les jeunes politiquement isolés et a renforcé la confiance du
gouvernement dans sa capacité à intensifier ses mesures policières brutales.
La révolte des jeunes à Villiers-le-Bel, en banlieue nord de
Paris, avait été provoquée par la mort le 25 novembre de deux adolescents,
Larami, 16 ans et Moushin, 15 ans, dans une collision avec une voiture de
police. Suite à cela, la rébellion avait été réprimée par une occupation de la
ville par 1000 policiers lourdement armés.
Sarkozy avait alors déclaré, « Ce qui s’est passé
n’a rien à voir avec une crise sociale » et il avait accusé ces
jeunes très remontés, de n’être que des voyous et des trafiquants. Ses
paroles faisaient écho à la fameuse phrase de Margaret Thatcher, « la
société, cela n’existe pas. »
Le juge Jean de Maillard, vice-président du tribunal de grande
instance d’Orléans et enseignant à Sciences Po de Paris est allé
jusqu’au bout de l’argument. Dans une déclaration sur
l’utilisation d’armes à feu contre la police, le juge a décrit les
jeunes comme des tueurs potentiels : « Je suis persuadé que nous
avons encore eu de la chance jusqu’à présent, que les voyous et futurs
tueurs des banlieues n’aient pas encore osé faire usage de leur puissance
de feu. »
Les rapports sur le nombre de policiers blessés par armes à
feu ont beaucoup varié, entre l’interview télévisée du président Sarkozy
le 29 novembre où il mentionnait 3 blessés et le compte-rendu de
l’hebdomadaire Marianne qui, lui, faisait état de 55. Ce qui
ressemble à une manipulation des chiffres a occasionné une certaine tendance à
utiliser des expressions fortement exagérées telles « guérilla
urbaine » pour décrire les heurts entre les jeunes et la police. Cela
fournit aussi une justification pour intensifier encore plus les mesures répressives
de l’Etat qui sont déjà très importantes.
Le ministre de l’Immigration et de l’Identité
nationale de Sarkozy, Brice Hortefeux, a fixé à 25 000 l’objectif à
atteindre en matière de déportations d’immigrés sans-papiers en 2007.
Ceci, combiné à la politique d’« immigration choisie » contenue
dans la toute dernière loi sur l’immigration a conduit à une
détérioration aiguë des relations entre les organisations de soutien aux
immigrés et la police. Les descentes de police chez des immigrés terrifiés à
l’idée d’être déportés ont provoqué des tentatives de suicide, des
blessures graves et la mort alors que les victimes cherchaient à
s’échapper.
Lors d’une réunion de militants des droits de
l’Homme du groupe de soutien aux sans-papiers d’Amiens jeudi
dernier, il a été rapporté comment les autorités refusent de tenir compte des
appels d’organisations telles RESF (Réseau éducation sans frontière) pour
réduire l’impact des descentes de la police dans les quartiers immigrés,
police qui doit organiser l’expulsion de plus de 500 sans-papiers par
semaine pour atteindre son objectif annuel.
La police continue à faire usage de la violence pour disperser
les manifestations de soutien aux 600 000 personnes mal-logées en France
et aux 86 000 SDF (sans domicile fixe.) Cela avait fait les gros titres de
l’actualité samedi dernier quand l’association Les enfants de
Don Quichotte avaient essayé de monter 250 tentes sur les quais de la Seine,
tout près du parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ils protestaient
contre les promesses non tenues de trouver des logements pour les SDF que le
gouvernement avait faites l’année dernière pour mettre fin à une
protestation similaire le long du canal Saint Martin.
Cela a été un choc pour les Français de voir à la télévision des
images de sans-papiers et de personnes qui les soutiennent, brutalement
bousculés lors d’une intervention massive de police à peine avaient-ils
commencé à monter les tentes. L’un d’entre eux était même tombé
dans les eaux glacées de la Seine. Parmi les manifestants il y avait des
militants d’organisations telles le Secours catholique, et des
associations laïques comme le Secours populaire et le DAL (Droit au logement.)
Le député UMP du Rhône s’était dit « choqué »
et que « Les cris de désespoir, il faut les traiter autrement que par la
force.» François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste a dit de
Sarkozy : « Plutôt que de respecter sa promesse, il envoie les forces
de police punir, chasser, expulser, comme si on pouvait mettre la misère au
bord de la Cité. »
Denis Baupin, conseiller municipal Vert de la ville de Paris,
et adjoint de Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris, avait déclaré,
« Je dénonce la violence incroyable qui a été déployée par les forces de
police pour déloger ce début de campement. [ ...] La réponse à apporter au
scandale du mal logement n'est ni la matraque, ni jeter des individus dans la
Seine, mais d'apporter des réponses immédiates, concrètes, à tous ces gens en
situation d'urgence. »
L’hypocrisie de ces déclarations, notamment dans la bouche
de représentants de la « gauche » à Paris, n’est pas passée
inaperçue auprès de nombreux SDF. Les municipalités ont légalement le droit de
réquisitionner les appartements vacants, qui existent par milliers à Paris et qui
sont pour beaucoup la propriété de spéculateurs dans une période où les prix de
l’immobilier flambent dans la capitale. Mais ces hommes politiques
craignent la réaction de la bourgeoisie si elle voyait son droit à la propriété
empiété. Tous ces partis ont présidé, quand ils étaient aux commandes que ce
soit au niveau local ou national, à des décennies de détérioration de la
situation du logement et d’augmentation du chiffre des SDF dans la région
parisienne et dans toute la France.
La lutte des étudiants, qui a commencé il y a sept semaines et
se poursuit toujours, contre la loi d’autonomie des universités, LRU, qui
ouvre l’enseignement supérieur aux entreprises privées et à la réduction
massive de l’accès à l’université, n’a cessé de faire
l’objet d’interventions brutales de la police pour briser les
piquets, les sit-in et les manifestations. Des dirigeants d’université
ont innové en recourant à des vigiles privés, qui font penser à des milices de
droite, pour intimider à la fois les étudiants et les professeurs
d’université.
Un compte-rendu d’Alice Verstraeten, professeur
d’anthropologie à l’université Lyon 2, sur la situation dans son
université circule largement sur des sites Internet d’étudiants et de
syndicats. Cela donne une idée des évolutions qui se produisent dans les
universités dans toute la France. Elle a affiché ses remarques suite au manque
de couverture médiatique par les grands médias de ces méthodes dignes
d’un Etat policier
Elle décrit la scène : « Depuis quelques jours, le
président de l'Université a fait appel aux "forces de l'ordre": des
vigiles privés, très jeunes, non assermentés, arrogants et dépassés par les
événements, patrouillent dans la fac avec au bras un brassard orange marqué
"sécurité". Ils apostrophent tout le monde, tutoient tout le monde,
et nous demandent de justifier de notre présence dans l'Université en
montrant notre carte "cumul"…
Elle poursuit : « Il semble bon de rappeler qu'une
Université est, selon la loi, un "établissement public à vocation
scientifique et culturelle"... Les étudiants qui manifestaient scandaient
à l'encontre des vigiles, hier matin: "Voyous, racailles". Car
certains d'entre eux s'amusent à retenir les étudiantes pour les draguer,
d'autres en sont venus aux mains avec des étudiants de leur âge… »
Neuf cars de CRS soutenus par des unités de la gendarmerie
mobile étaient postés chaque matin à 7h30 dans deux des campus.
« J'étais là, hier matin », écrit Madame Vertraete.
« Deux de mes étudiantes m'avaient dit avoir été "molestées" par
les CRS la veille et voulaient que j'en sois témoin. Eh bien oui, ils les
plaquent au sol, les jettent plus loin, les matraquent dans le ventre et sur la
tête. »
Elle décrit un autre incident : « Sur les quais, hier,
deux leaders syndicaux étudiants (un de Lyon 2, l'autre de Lyon 3) ont été
désignés du doigt par des policiers en civil avant d'être poursuivis dans une
rue adjacente par les CRS. Ce qui signifie, nous sommes d'accord, qu'un
travail préalable "d'information" a été effectué et que ces
arrestations sont ciblées pour détruire les mouvements syndicaux. »
Les deux hommes ont été placés en garde à vue et déférés à la
justice le jour suivant. Dans un communiqué mensonger, le bureau du président
de l’université a prétendu qu’ils étaient "extérieurs à
l'Université" et que ces arrestations sont survenues après des
troubles. » L’enseignante a affirmé, « Il n'y a pas eu de
troubles autres que la manifestation pacifique, nous sommes plusieurs
enseignants à en être témoins. »
Alice Verstraeten interroge: « S'ils ont effectivement
été convoqués par le président de l'Université dans le seul but de permettre
aux étudiants qui veulent suivre les cours d'entrer dans la fac, pourquoi
filment-ils? »
Elle dit que face à cette situation, « plusieurs
enseignants, dont je suis, ont refusé de faire cours. Je refuse d'entrer dans
une fac investie de forces de police, de gendarmerie et de vigiles privés non
assermentés. Je refuse de montrer des papiers d'identité pour me rendre sur mon
lieu de travail. Je refuse de me faire bousculer par des CRS. Je refuse de me faire
tutoyer avec mépris par des individus que je ne connais pas. Je refuse
d'entendre un vigile insulter un de mes collègues… »
Elle fait remarquer que ceux qui continuent à enseigner et à
assister aux cours le font en prenant des risques considérables au cas où se
déclarerait un incendie dans les locaux vétustes, puisque toutes les issues de
secours ont été scellées par les forces de sécurité.
Elle exprime la colère ressentie à travers le pays par les
étudiants et les enseignants : « Nous ne sommes pas, que je sache,
dans un État policier. Ou alors, il faut nous le dire clairement, parce que
cela signifie que les règles du jeu ont changé. Je croyais que l'on avait le
droit de grève dans notre pays. Je crois que ce qui m'inquiète le plus, c'est
de recevoir des communiqués de la Présidence affirmant que la situation est
désormais "normale". Si cette situation est normale, je
démissionne. »
(Article original anglais paru le 20 décembre 2007)