Le WSWS a interviewé Jacques, un employé de la Mairie de
Paris, sur la grève des cheminots et des agents des transports urbains pour la
défense de leur retraite. La discussion était basée sur la déclaration, La grève des
chemins de fer en France et le rôle de la LCR, affichée sur le WSWS
le 1er décembre. Cette déclaration analyse le bilan de la LCR (Ligue communiste
révolutionnaire), dirigée par Olivier Besancenot et Alain Krivine.
La LCR, qui auparavant se prétendait trotskyste, propose de
fonder un nouveau parti « anticapitaliste » l’année prochaine.
Cette organisation sera un amalgame centriste, regroupant des éléments déçus du
Parti socialiste et du Parti communiste dont le but sera d’empêcher
qu’un mouvement authentiquement socialiste et internationaliste
n’émerge dans la classe ouvrière française. Dans cette optique, la LCR a
officiellement abandonné toute référence au trotskysme.
Lutte ouvrière, autre organisation qui se réclame encore du
trotskysme a récemment annoncé sa décision de participer, lors des élections
municipales de l’année prochaine, et pour la première fois de son
histoire, à des listes communes avec le Parti socialiste dont la politique ne
diffère que marginalement de celle des gaullistes de droite au pouvoir.
Les cheminots, qui ont fait grève pendant huit jours, en dépit
de l’hostilité du gouvernement et des médias et de l’attitude
pourrie des directions syndicales, ont été durement touchés quand toutes les
fédérations syndicales, dont la CGT majoritaire, et SUD-rail, syndicat plus
radical (Solidarité, unité, démocratie) ont entamé des négociations avec le
gouvernement et les employeurs le 21 novembre.
Jusque-là, SUD, fortement influencé par les organisations
petites bourgeoises de gauche, avait refusé toute négociation avant que ne soit
retirée la « réforme » du gouvernement qui détruit le régime de
retraite des cheminots qui leur permettait jusqu’ici de prendre leur
retraite à taux plein après 37,5 années de cotisation. Ces 37,5 annuités
passent à présent à 40 et il s’ajoute une décote sévère en cas de retraite
anticipée.
Les négociations, qui doivent s’achever avant Noël, se
poursuivent avec tous les syndicats de cheminots, y compris SUD-rail, à
l’exception du syndicat autonome des conducteurs de train qui négocie
séparément. Ils discutent des modalités d’alignement du régime de
retraite des cheminots avec celui des autres fonctionnaires. Cela signifie
accepter les dispositions défavorables imposées aux enseignants, aux agents
hospitaliers et municipaux par la trahison de la lutte de 2003 pour la défense
de leur pension, une défaite qui avait ouvert la voie à l’offensive
actuelle de Sarkozy sur les régimes spéciaux de retraite des cheminots, des
agents de la RATP (transports parisiens) des gaziers et des électriciens.
Jacques qui a 49 ans, travaille à la Mairie de Paris depuis
une vingtaine d’années comme secrétaire administratif, un poste qui lui
donne une vision transversale des conditions sociales en région parisienne
Il a dit au WSWS qu’il n’était pas syndiqué parce
qu’il y a « un émiettement syndical énorme que ce n’est pas
toujours évident de choisir entre les différentes politiques des syndicats de
la ville. » Cela est assez représentatif de la situation des travailleurs
en France où le pourcentage des syndiqués est inférieur même à celui des
Etats-Unis.
WSWS: Que pensez-vous de la grève des cheminots ?
J: Ca m’a un peu rappelé les grandes grèves d’auparavant.
J’ai l’impression que peut-être on retrouvait un peu
l’énergie de la grève de 2003. Mais en même temps il y avait un
flottement. Je pense que l’organisation était un peu la même. Il y avait
des comités de grève, etc., mais c’était très mou au niveau du soutien
syndical.
WSWS: Pensez-vous comme nous que cette grève a été trahie ?
J: Je suis un peu hésitant. Ce que je ne trouve pas normal,
c’est qu’il y a une espèce de connivence entre les syndicats et le
gouvernement. Il y a eu des réunions secrètes avant la grève. Je pense que les
relations entre les syndicats et le gouvernement devraient être totalement
transparentes et ouvertes. Il ne doit pas y avoir de relations dont les
adhérents des syndicats ne soient pas informés. A partir du fait que cela
n’existe pas, on ne peut pas avoir confiance dans les représentants
syndicaux.
La déclaration de Sarkozy qu’il fallait « sauver le
soldat Thibault » : j’ai bien compris dans le détail de quoi
cela pouvait retourner. Ils ont négocié sur autre chose que ce qui était
demandé par les comités de base, c'est-à-dire sur autre chose que ce qui était
demandé en ouvrant des négociations, soi-disant avantageuses, pour ne pas que
les leaders syndicaux soient pris à contre-pied par rapport à la base.
En tant que fonctionnaire territorial, j’ai été touché
par la « réforme » des retraites des fonctionnaires de 2003. A
l’époque je n’ai pas fait grève, j’ai participé au dossier politique,
mais pas tellement aux dossiers syndicaux ni aux actions.
WSWS: D’après vous, quelles seront les conséquences de
la trahison des cheminots ?
J: Je pense qu’ils doivent négocier une échelle des
salaires plus avantageuse en fin de carrière et des choses de cet ordre là.
C’est mieux que rien pour les salariés, mais cela ne maintient pas les
régimes spéciaux, et puis et surtout cela s’inscrit dans un affrontement
entre les travailleurs et le gouvernement. La pression sur le code du travail,
sur la sécurité sociale, les projets très néfastes sur la franchise médicale…
il y a beaucoup de choses qui ne sont pas cohérentes. Il y a comme une volonté
de mettre une espèce de chaos dans des choses comme le code du travail, la
sécurité sociale, etc., de déséquilibrer en fait ces apports qu’on a,
pour dire quelque part, « Ça ne marche pas, vous le voyez. » Ils vont
progressivement les démanteler. Il n’y a aucune volonté de réfléchir sur
comment faire que les choses fonctionnent mieux. Ils veulent casser des choses
qui fonctionnent pour après lancer des propositions pour une France très
libérale.
Le Parti socialiste, le Parti communiste et les syndicats, ils
acceptent cela.
WSWS : Je cite la déclaration: « LO et la LCR se
sont servis de leur influence pour couvrir la trahison des syndicats et de la
gauche officielle et pour étouffer dans l’œuf une rébellion contre
ces organisations. Ils portent la principale responsabilité de la trahison de
cette grève. S’ils avaient utilisé leur influence pour
contrecarrer la trahison des syndicats, pour mettre en garde les travailleurs
et pour appeler à la résistance, cela aurait eu un impact. Mais c’est la
dernière chose qu’ils voulaient. Ils se sont délibérément efforcés
d’empêcher une rébellion contre les appareils bureaucratiques. »
Que pensez-vous de cette analyse accablante de la LCR et de LO ?
J: Effectivement, ils soutiennent plutôt les appareils
syndicaux que les mouvements des salariés à la base. Ils sont assez
opportunistes. Je pense que c’est plus une stratégie médiatique et un
soutien plutôt formel aux syndicats et aux travailleurs en général.
Il n’y a pas vraiment de participation du côté des
travailleurs qui soit vraiment dynamique pour faire en sorte qu’ils
approfondissent la réflexion et l’action des travailleurs sur le terrain
pendant la grève.
WSWS: Cela signifie apporter une conscience socialiste.
J: Oui, tout à fait. Il faut qu’il y ait une réflexion
sur la crise du capitalisme dans un cadre qui dépasse le cadre national, comme
vous le proposez. Au moins, il faut avoir une perspective européenne.
WSWS: Nous proposons de construire une organisation socialiste
et internationaliste qui soit complètement indépendante des organisations qui
maintiennent le capitalisme : c’est à dire les syndicats, le Parti
socialiste, le Parti communiste.
J: Oui, complètement. C’est vraiment fondamental. Il faut construire au niveau de chaque pays. Je vois qu’en France
cela reste un petit noyau qui démarre l’action. Je pense qu’il y a
notamment besoin d’avoir des gens qui soient capables de suivre et d’analyser
les différents dossiers. Par exemple, il y a eu la grève, mais aussi tout un
dossier très complexe ne serait-ce que pour le code du travail, la sécurité
sociale, la santé.
Il faut en même temps une action internationale au niveau national,
des gens qui soient capables d’analyser ce qui se passe dans ce pays et
de coordonner au niveau international.
Les patrons, les capitalistes sont unis. Il y a des dizaines
d’organisations syndicales. Il n’y a qu’une organisation
patronale. Au niveau européen, il y a un patronat extrêmement bien organisé. Le
patronat européen se coordonne dans des organisations internationales mondiales
entre Etats-Unis et Europe.
Il faut absolument que les travailleurs aient une modalité
d’action politique à échelle mondiale. Sinon il y a une espèce
d’impuissance qui détruit la capacité d’action des travailleurs.
WSWS: Que pensez-vous des émeutes des jeunes à Villiers-le-Bel ?
J: Il ne faut peut-être pas se focaliser sur l’incident
où deux jeunes sont morts suite à un accident. Il y a des relations extrêmement
difficiles entre la jeunesse paupérisée dans certaines villes et la police où
il y a des taux de chômage quand même assez effrayants. J’ai vu des taux
de chômage, chez les jeunes, incroyables. Ce sont des populations qui subissent
souvent des contrôles au faciès et une pression policière constante. Donc il y
a des tensions très fortes. C’est dans ce cadre général qu’il faut
voir la situation. C’est pour cela qu’il y a des explosions périodiques
dès qu’il y a un accident, une bavure.
Cela est resté localisé à Villiers-le-Bel parce qu’ils
ont mis des moyens énormes localement pour éviter que cela s’étende.
WSWS: Est-ce que cela vous a surpris qu’aucune
organisation de gauche n’appelle au retrait de la force d’intervention
d’un millier de policiers ?
J: Cela m’étonne. Et de toute façon, il n’y a
aucune action d’éducation politique de la jeunesse. Cela arrange tout le
monde que les jeunes soient plutôt dans la démarche de l’autodestruction
que de la prise de conscience politique, de vraies revendications.
Depuis les années 1980, on voit que les partis politiques
essaient de créer de fausses organisations de représentation de la jeunesse
dans les quartiers, qui sont complètement contrôlées par le haut, et du coup ne
font aucune éducation citoyenne et politique des jeunes dans une perspective
socialiste.
Il y a par exemple SOS Racisme qui a complètement dégénéré. Tout
l’encadrement était en fait contrôlé par le Parti socialiste, mais de
façon à ce que les jeunes se tiennent tranquille, pas du tout dans le sens
d’une prise de conscience politique.
WSWS: Que pensez-vous de notre site Web?
J: Très riche. Actuellement j’essaie de lire la partie « Histoire
et Culture ». Je trouve cela assez intéressant. Je connais un petit peu le
marxisme, pas d’une façon extrêmement approfondie. Le trotskysme
m’avait relativement échappé. C’est Trotsky qui avait voulu sauver
le marxisme-léninisme de la réaction du stalinisme et donc d’autres
tendances pour garder un esprit en filiation avec l’esprit
révolutionnaire du dernier siècle.
Je suis en train de lire sur la constitution de la Quatrième
Internationale et comment il l’a fait à un moment où c’était très
difficile. C’était pour la longue durée parce que c’est
indispensable, sinon, s’il n’avait pas fait ça, comme il y a eu un
génocide politique complet des bolcheviques en Russie, il ne serait rien resté
de l’esprit bolchevique s’il n’avait pas fondé la Quatrième
Internationale.
Donc, c’est toute cette dimension que je suis en train
d’étudier parce que je m’intéresse beaucoup à l’histoire
humaine et ce sont des choses que je n’avais pas perçues.
(Article original anglais paru le 10 décembre 2007)