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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Discussion sur les leçons des grèves en France

Les travailleurs doivent avoir « une modalité d’action politique à échelle mondiale »

Par Antoine Lerougetel
12 décembre 2007

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Le WSWS a interviewé Jacques, un employé de la Mairie de Paris, sur la grève des cheminots et des agents des transports urbains pour la défense de leur retraite. La discussion était basée sur la déclaration, La grève des chemins de fer en France et le rôle de la LCR, affichée sur le WSWS le 1er décembre. Cette déclaration analyse le bilan de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), dirigée par Olivier Besancenot et Alain Krivine.

La LCR, qui auparavant se prétendait trotskyste, propose de fonder un nouveau parti « anticapitaliste » l’année prochaine. Cette organisation sera un amalgame centriste, regroupant des éléments déçus du Parti socialiste et du Parti communiste dont le but sera d’empêcher qu’un mouvement authentiquement socialiste et internationaliste n’émerge dans la classe ouvrière française. Dans cette optique, la LCR a officiellement abandonné toute référence au trotskysme.

Lutte ouvrière, autre organisation qui se réclame encore du trotskysme a récemment annoncé sa décision de participer, lors des élections municipales de l’année prochaine, et pour la première fois de son histoire, à des listes communes avec le Parti socialiste dont la politique ne diffère que marginalement de celle des gaullistes de droite au pouvoir.

Les cheminots, qui ont fait grève pendant huit jours, en dépit de l’hostilité du gouvernement et des médias et de l’attitude pourrie des directions syndicales, ont été durement touchés quand toutes les fédérations syndicales, dont la CGT majoritaire, et SUD-rail, syndicat plus radical (Solidarité, unité, démocratie) ont entamé des négociations avec le gouvernement et les employeurs le 21 novembre.

Jusque-là, SUD, fortement influencé par les organisations petites bourgeoises de gauche, avait refusé toute négociation avant que ne soit retirée la « réforme » du gouvernement qui détruit le régime de retraite des cheminots qui leur permettait jusqu’ici de prendre leur retraite à taux plein après 37,5 années de cotisation. Ces 37,5 annuités passent à présent à 40 et il s’ajoute une décote sévère en cas de retraite anticipée.

Les négociations, qui doivent s’achever avant Noël, se poursuivent avec tous les syndicats de cheminots, y compris SUD-rail, à l’exception du syndicat autonome des conducteurs de train qui négocie séparément. Ils discutent des modalités d’alignement du régime de retraite des cheminots avec celui des autres fonctionnaires. Cela signifie accepter les dispositions défavorables imposées aux enseignants, aux agents hospitaliers et municipaux par la trahison de la lutte de 2003 pour la défense de leur pension, une défaite qui avait ouvert la voie à l’offensive actuelle de Sarkozy sur les régimes spéciaux de retraite des cheminots, des agents de la RATP (transports parisiens) des gaziers et des électriciens.

Jacques qui a 49 ans, travaille à la Mairie de Paris depuis une vingtaine d’années comme secrétaire administratif, un poste qui lui donne une vision transversale des conditions sociales en région parisienne

Il a dit au WSWS qu’il n’était pas syndiqué parce qu’il y a « un émiettement syndical énorme que ce n’est pas toujours évident de choisir entre les différentes politiques des syndicats de la ville. » Cela est assez représentatif de la situation des travailleurs en France où le pourcentage des syndiqués est inférieur même à celui des Etats-Unis.

WSWS: Que pensez-vous de la grève des cheminots ?

J: Ca m’a un peu rappelé les grandes grèves d’auparavant. J’ai l’impression que peut-être on retrouvait un peu l’énergie de la grève de 2003. Mais en même temps il y avait un flottement. Je pense que l’organisation était un peu la même. Il y avait des comités de grève, etc., mais c’était très mou au niveau du soutien syndical.

WSWS: Pensez-vous comme nous que cette grève a été trahie ?

J: Je suis un peu hésitant. Ce que je ne trouve pas normal, c’est qu’il y a une espèce de connivence entre les syndicats et le gouvernement. Il y a eu des réunions secrètes avant la grève. Je pense que les relations entre les syndicats et le gouvernement devraient être totalement transparentes et ouvertes. Il ne doit pas y avoir de relations dont les adhérents des syndicats ne soient pas informés. A partir du fait que cela n’existe pas, on ne peut pas avoir confiance dans les représentants syndicaux.

La déclaration de Sarkozy qu’il fallait « sauver le soldat Thibault » : j’ai bien compris dans le détail de quoi cela pouvait retourner. Ils ont négocié sur autre chose que ce qui était demandé par les comités de base, c'est-à-dire sur autre chose que ce qui était demandé en ouvrant des négociations, soi-disant avantageuses, pour ne pas que les leaders syndicaux soient pris à contre-pied par rapport à la base.

En tant que fonctionnaire territorial, j’ai été touché par la « réforme » des retraites des fonctionnaires de 2003. A l’époque je n’ai pas fait grève, j’ai participé au dossier politique, mais pas tellement aux dossiers syndicaux ni aux actions.

WSWS: D’après vous, quelles seront les conséquences de la trahison des cheminots ?

J: Je pense qu’ils doivent négocier une échelle des salaires plus avantageuse en fin de carrière et des choses de cet ordre là. C’est mieux que rien pour les salariés, mais cela ne maintient pas les régimes spéciaux, et puis et surtout cela s’inscrit dans un affrontement entre les travailleurs et le gouvernement. La pression sur le code du travail, sur la sécurité sociale, les projets très néfastes sur la franchise médicale… il y a beaucoup de choses qui ne sont pas cohérentes. Il y a comme une volonté de mettre une espèce de chaos dans des choses comme le code du travail, la sécurité sociale, etc., de déséquilibrer en fait ces apports qu’on a, pour dire quelque part, « Ça ne marche pas, vous le voyez. » Ils vont progressivement les démanteler. Il n’y a aucune volonté de réfléchir sur comment faire que les choses fonctionnent mieux. Ils veulent casser des choses qui fonctionnent pour après lancer des propositions pour une France très libérale.

Le Parti socialiste, le Parti communiste et les syndicats, ils acceptent cela.

WSWS : Je cite la déclaration: « LO et la LCR se sont servis de leur influence pour couvrir la trahison des syndicats et de la gauche officielle et pour étouffer dans l’œuf une rébellion contre ces organisations. Ils portent la principale responsabilité de la trahison de cette grève. S’ils avaient utilisé leur influence pour contrecarrer la trahison des syndicats, pour mettre en garde les travailleurs et pour appeler à la résistance, cela aurait eu un impact. Mais c’est la dernière chose qu’ils voulaient. Ils se sont délibérément efforcés d’empêcher une rébellion contre les appareils bureaucratiques. »

Que pensez-vous de cette analyse accablante de la LCR et de LO ?

J: Effectivement, ils soutiennent plutôt les appareils syndicaux que les mouvements des salariés à la base. Ils sont assez opportunistes. Je pense que c’est plus une stratégie médiatique et un soutien plutôt formel aux syndicats et aux travailleurs en général.

Il n’y a pas vraiment de participation du côté des travailleurs qui soit vraiment dynamique pour faire en sorte qu’ils approfondissent la réflexion et l’action des travailleurs sur le terrain pendant la grève.

WSWS: Cela signifie apporter une conscience socialiste.

J: Oui, tout à fait. Il faut qu’il y ait une réflexion sur la crise du capitalisme dans un cadre qui dépasse le cadre national, comme vous le proposez. Au moins, il faut avoir une perspective européenne.

WSWS: Nous proposons de construire une organisation socialiste et internationaliste qui soit complètement indépendante des organisations qui maintiennent le capitalisme : c’est à dire les syndicats, le Parti socialiste, le Parti communiste.

J: Oui, complètement. C’est vraiment fondamental. Il faut construire au niveau de chaque pays. Je vois qu’en France cela reste un petit noyau qui démarre l’action. Je pense qu’il y a notamment besoin d’avoir des gens qui soient capables de suivre et d’analyser les différents dossiers. Par exemple, il y a eu la grève, mais aussi tout un dossier très complexe ne serait-ce que pour le code du travail, la sécurité sociale, la santé.

Il faut en même temps une action internationale au niveau national, des gens qui soient capables d’analyser ce qui se passe dans ce pays et de coordonner au niveau international.

Les patrons, les capitalistes sont unis. Il y a des dizaines d’organisations syndicales. Il n’y a qu’une organisation patronale. Au niveau européen, il y a un patronat extrêmement bien organisé. Le patronat européen se coordonne dans des organisations internationales mondiales entre Etats-Unis et Europe.

Il faut absolument que les travailleurs aient une modalité d’action politique à échelle mondiale. Sinon il y a une espèce d’impuissance qui détruit la capacité d’action des travailleurs.

WSWS: Que pensez-vous des émeutes des jeunes à Villiers-le-Bel ?

J: Il ne faut peut-être pas se focaliser sur l’incident où deux jeunes sont morts suite à un accident. Il y a des relations extrêmement difficiles entre la jeunesse paupérisée dans certaines villes et la police où il y a des taux de chômage quand même assez effrayants. J’ai vu des taux de chômage, chez les jeunes, incroyables. Ce sont des populations qui subissent souvent des contrôles au faciès et une pression policière constante. Donc il y a des tensions très fortes. C’est dans ce cadre général qu’il faut voir la situation. C’est pour cela qu’il y a des explosions périodiques dès qu’il y a un accident, une bavure.

Cela est resté localisé à Villiers-le-Bel parce qu’ils ont mis des moyens énormes localement pour éviter que cela s’étende.

WSWS: Est-ce que cela vous a surpris qu’aucune organisation de gauche n’appelle au retrait de la force d’intervention d’un millier de policiers ?

J: Cela m’étonne. Et de toute façon, il n’y a aucune action d’éducation politique de la jeunesse. Cela arrange tout le monde que les jeunes soient plutôt dans la démarche de l’autodestruction que de la prise de conscience politique, de vraies revendications.

Depuis les années 1980, on voit que les partis politiques essaient de créer de fausses  organisations de représentation de la jeunesse dans les quartiers, qui sont complètement contrôlées par le haut, et du coup ne font aucune éducation citoyenne et politique des jeunes dans une perspective socialiste.

Il y a par exemple SOS Racisme qui a complètement dégénéré. Tout l’encadrement était en fait contrôlé par le Parti socialiste, mais de façon à ce que les jeunes se tiennent tranquille, pas du tout dans le sens d’une prise de conscience politique.

WSWS: Que pensez-vous de notre site Web?

J: Très riche. Actuellement j’essaie de lire la partie « Histoire et Culture ». Je trouve cela assez intéressant. Je connais un petit peu le marxisme, pas d’une façon extrêmement approfondie. Le trotskysme m’avait relativement échappé. C’est Trotsky qui avait voulu sauver le marxisme-léninisme de la réaction du stalinisme et donc d’autres tendances pour garder un esprit en filiation avec l’esprit révolutionnaire du dernier siècle.

Je suis en train de lire sur la constitution de la Quatrième Internationale et comment il l’a fait à un moment où c’était très difficile. C’était pour la longue durée parce que c’est indispensable, sinon, s’il n’avait pas fait ça, comme il y a eu un génocide politique complet des bolcheviques en Russie, il ne serait rien resté de l’esprit bolchevique s’il n’avait pas fondé la Quatrième Internationale.

Donc, c’est toute cette dimension que je suis en train d’étudier parce que je m’intéresse beaucoup à l’histoire humaine et ce sont des choses que je n’avais pas perçues. 

(Article original anglais paru le 10 décembre 2007)


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