La « présidente à vie » du Parti
du peuple pakistanais et candidate au poste de premier ministre, Benazir
Bhutto, a été assassinée jeudi en début de soirée, heure locale, alors qu’elle
faisait campagne pour les élections nationales et provinciales qui auront lieu
le 8 janvier.
L’assassinat a eu lieu dans la ville de
Rawalpindi, siège du quartier général de l’armée pakistanaise, considérée comme
l’une des villes les plus sûres du pays.
Plusieurs versions sur la façon dont
l’assassinat a eu lieu circulent. Plusieurs reportages citent des témoins qui
ont déclaré que son assassin avait ouvert le feu sur Bhutto, la touchant à la
nuque et au torse, avant de se faire exploser. L’explosion a tué au moins vingt
autres personnes. Toutefois, le New York Times a rapporté que des hauts
responsables du Parti du peuple pakistanais (PPP) ont dit que Bhutto avait été
touchée par un tireur embusqué sur les toits avant qu’un deuxième assaillant ne
commette son attentat suicide.
Un rassemblement organisé par l’autre
principal parti d’opposition où le premier ministre renversé Nawaz Sharif
devait prendre la parole a aussi fait l’objet d’une attaque. Des tireurs
auraient tué quatre partisans de la Ligue arabe du Pakistan (Nawaz) et blessé
cinq autres personnes.
Avant même que la preuve eut été rassemblée
et encore moins analysée, et alors que les principaux faits font toujours
l’objet d’une controverse, l’establishment politique américain a dans les faits
déclaré que l’enquête était terminée, attribuant catégoriquement la
responsabilité du meurtre de Bhutto à al-Qaïda ou à une mouvance islamiste de
la même famille.
Faisant une courte déclaration qui jurait
avec la réalité politique du Pakistan, le président américain George W. Bush a
déclaré jeudi matin, heure de Washington, que l’assassinat de Bhutto était un
« geste lâche perpétré par des extrémistes assoiffés
de sang qui essayent de miner la démocratie au Pakistan ». Il a demandé
aux Pakistanais « d’honorer la mémoire de Benazir Bhutto en continuant le
processus démocratique pour lequel elle a si bravement donné sa vie ».
Plus tard, le porte-parole de la
Maison-Blanche, Scott M. Stanzel, a dit que Bush prévoyait discuter avec le
président pakistanais Pervez Moucharraf dans les heures qui venaient, mais
qu’il ne lui indiquerait pas comment agir sur la question des élections du 8
janvier. « C’est une décision qui revient aux Pakistanais » a dit
Stanzel.
Le candidat présidentiel du Parti démocrate,
Barack Obama, a pris une position semblable à celle de Bush, et les médias
américains ont rapidement entonné le même refrain : Bhutto est une martyre
de la guerre contre le terrorisme et le peuple pakistanais doit se rallier à
Moucharraf et aux élections organisées par l’armée pakistanaise.
Il est difficile de trouver dans les médias
américains un article qui laisse même entendre qu’il est possible que des
éléments proches du régime Moucharraf aient été impliqués dans le meurtre de
Bhutto. Peu importe que le régime de Moucharraf a un historique de huit années
d’abus de droits de l’homme, y compris l’orchestration d’attentats contre des
opposants politiques, et que l’appareil militaire et d’espionnage pakistanais
chapeaute depuis des dizaines d’années des groupes islamistes armés et qu’ils
les utilisent dans ses machinations géopolitiques et politiques.
Peut-on douter que Washington aurait répondu
très différemment si le principal opposant politique d’un homme fort militaire
auquel les États-Unis sont opposés avait été assassiné ? Dans un tel cas,
l’ensemble de l’establishment politique et médiatique américain aurait accusé
ce régime.
Même si le gouvernement Moucharraf n’a pas été
directement impliqué dans le meurtre de Bhutto, il devient fortement évident
qu’il y a eu négligence de sa part dans un événement qu’il accueille en privé.
Bhutto elle-même a publiquement accusé des éléments au sein du gouvernement et
de l’establishment de l’armée et du renseignement d’avoir organisé l’attentat à
sa vie du 18 octobre à Karachi, où plusieurs bombes avaient tué 140 personnes.
Avant son retour au Pakistan à la mi-octobre
de cette année, Bhutto a écrit une lettre au gouvernement dans laquelle elle
identifiait trois personnes qui selon elle avaient l’intention de la tuer. Même
si Bhutto n’a jamais publié les noms, il était généralement admis que celui de
Ijaz Shah, le directeur général du Bureau du renseignement, s’y trouvait.
Au cours des dernières semaines, Bhutto s’est
plainte à plusieurs reprises que le gouvernement avait failli à assurer sa
sécurité, y compris à lui fournir un véhicule blindé avec des vitres teintées
et avec l’appareillage pour empêcher la détonation électronique d’une bombe.
Un de ses porte-parole américains a dit que la
dirigeante assassinée du PPP lui avait dit que si jamais elle était tuée, le
gouvernement et l’armée du Pakistan devaient en être tenus responsables.
Le sénateur américain Joseph Biden, président
du comité sénatorial sur les Affaires étrangères et impliqué dans la course présidentielle
pour le Parti démocrate, a déclaré qu’il en avait personnellement appelé au
régime de Moucharraf pour qu’il offre une meilleure sécurité à Bhutto, mais que
ses demandes avaient été ignorées.
Il semble que Bhutto elle-même, même si elle était
consciente de l’immense danger auquel elle s’exposait, comptait sur ses liens
étroits avec les Etats-Unis pour sa protection. Sur cette question, elle a fait
une grave erreur.
La
fraude de la soi-disant démocratie pakistanaise
Avec l’assassinat de Bhutto, on peut se
demander si le gouvernement militaire que dirige Moucharraf ira de l’avant avec
les élections promises de longue date. A tout le moins, on peut s’attendre à ce
que le gouvernement utilise l’assassinat et l’attentat à la bombe de jeudi
dernier comme d’un prétexte pour interdire pratiquement tous les événements de
la campagne électorale.
Moucharraf a fait une brève déclaration à la
télévision dans laquelle il a annoncé qu’il y aurait trois jours de deuil
national et fait porter la responsabilité sur les terroristes islamistes.
Nawaz Sharif, qui a vu sa candidature aux
élections bloquée par le régime de Moucharraf, a répondu à l’assassinat de
Bhutto en annonçant que son parti boycottera les élections si elles avaient
lieu le 8 janvier comme prévu.
L’assassinat de Bhutto, la dirigeante de
l’opposition la mieux connue au Pakistan et qui fut deux fois première
ministre, ne fait que souligner le caractère truqué des élections, qui ont été
présentées par l’administration Bush et les médias américains comme une étape
cruciale de la « transformation démocratique » du Pakistan.
Le 15 décembre, Moucharraf qui a pris le
pouvoir lors d’un coup d’état militaire en 1999, a levé l’état d’urgence qu’il avait imposé
six semaines auparavant. Il l’avait instauré pour abolir de façon dictatoriale
tous les empêchements légaux et constitutionnels à sa réélection en tant que
président. Même si ce n’est pas officiellement le cas, l’état d’urgence se
poursuit néanmoins dans les faits.
Les médias sont soumis à la censure la plus
draconienne. Les opposants au gouvernement peuvent être amenés devant des cours
martiales. Les défilés électoraux et toutes les protestations
anti-gouvernementales sont proscrits. La Cour suprême et les cours supérieures
du Pakistan, qui sont la plus haute autorité sur les élections, ont été purgées
des juges considérés par le régime comme insuffisamment loyaux à Moucharraf.
Comme en général dans de telles conspirations
criminelles, on ne peut dire avec certitude qui fut l’auteur de l’assassinat de
Bhutto. Mais une grande partie de la population, si ce n’est presque toute la
population, considère que le responsable est le régime de Moucharraf et ses
dirigeants militaires. Des membres du PPP en état de choc rassemblés à
l’hôpital où se trouvait Bhutto mortellement touchée scandaient « Salaud, Moucharraf,
salaud ».
Les dirigeants d’al-Qaïda et d’autres milices
islamistes avaient déclaré vouloir éliminer Bhutto après que l’administration
Bush avait fait connaître sa position plus tôt cette année qu’il favorisait un
accord de partage du pouvoir entre elle et Moucharraf dans l’espoir de donner
un peu de crédibilité à la dictature. Mais cela ne signifie pas que les
islamistes ont commis le meurtre ou, même si c’est le cas, qu’il n’a pas été
orchestré ou facilité par les éléments du gouvernement et de l’appareil
militaire et du renseignement.
Plusieurs au sein de l’armée pakistanaise et
de l’élite bourgeoise n’ont jamais pardonné au PPP ses appels démagogiques visant
à soulever le mécontentement populaire envers la pauvreté et l’inégalité lors
de sa montée au pouvoir à la fin des dictatures d’Ayub Khan et de Yahya Khan.
Le père de Bhutto, le fondateur du PPP et ancien premier ministre pakistanais,
Zulfikar Ali Bhutto, a été pendu par le régime militaire de Zia-ul Haq en 1979
avec l’approbation des élites du monde des affaires et des grands propriétaires
terriens au Pakistan.
L’administration Bush a consacré beaucoup
d’efforts au courant de l’été et de l’automne pour tenter de monter une entente
de partage de pouvoir entre Bhutto et Moucharraf et, apparemment, entretenait
toujours l’espoir que les deux pourraient s’entendre après le simulacre
d’élections. Mais en soutenant Moucharraf lors du récent état d’ « urgence »,
l’administration Bush n’a laissé aucun doute qu’elle considérait Moucharraf et
l’armée comme ses alliés les plus proches.
Le fort soutien des Etats-Unis au gouvernement
pakistanais et à ses prétentions absurdes qu’il mène le Pakistan vers la
démocratie n’ont pu qu’encourager les éléments les plus brutaux et les plus
téméraires de l’armée et des partisans de Moucharraf regroupés dans la Ligue musulmane du Pakistan (Q), si ce n’est
le président lui-même, à envisager de se débarrasser de Bhutto une fois pour
toutes.
L’assassinat de Bhutto signifie la
décapitation politique du PPP, le parti que les sondages disaient en meilleure
position pour gagner le plus de sièges au parlement national du Pakistan. Un
parti dynastique, le PPP s’est complètement concentré sur le charisme politique
de Benazir Bhutto et de son père exécuté.
L’assassinat du « président à vie »
du PPP profite manifestement à Moucharraf et à son régime avec l’élimination
d’un rival potentiel pour le pouvoir et la faveur de Washington. Certains dans
l’establishment politique américain sont toutefois préoccupés, comme le montre
la conférence de presse du Council on Foreign Relations de jeudi dernier, que
l’assassinat pourrait miner ce qui reste de crédibilité au régime et être
l’étincelle de soulèvements sociaux.
Des émeutes ont eu lieu à Karachi, dans
d’autres villes de Sindh, la province natale de Bhutto, et ailleurs au
Pakistan. Selon la BBC, au moins onze personnes ont été tuées après que les
forces de sécurité furent appelées pour réprimer les manifestations.
Le
rôle de l’impérialisme américain
C’est l’impérialisme, et principalement
l’impérialisme américain, qui porte en dernière analyse la responsabilité du
cancer politique et socio-économique qui ronge le Pakistan contemporain, un
pays où l’état-major domine le gouvernement et partage avec une mince couche de
capitalistes et de propriétaires terriens les fortunes amassées par
l’exploitation brutale de la classe ouvrière et des travailleurs ruraux
pauvres.
Alors que les médias américains babillent sur
la démocratie pakistanaise, la réalité est que le capitalisme pakistanais a
échoué à résoudre les problèmes les plus élémentaires des masses travailleuses,
de la garantie des libertés civiles fondamentales à l’égalité de la femme, en
passant par l’offre des soins et de l’éducation et l’élimination du travail des
enfants ou du travail forcé.
Défendant les intérêts économiques et
géopolitiques de l’élite pillarde américaine, tant les administrations
démocrates que républicaines ont soutenu une longue suite de dictatures
militaires brutales.
Deux processus liés sont au cœur de la
démocratie pakistanaise mort-née et de son sous-développement économique :
la partition communautariste du sous-continent indien imposée par les
puissances impérialistes en 1947 et le remodelage du Pakistan par le général
Muhammad Zia ul-Haq. Étroitement lié à Washington, Zia a « islamisé »
l’armée et la politique au Pakistan, en même temps qu’il faisait du pays le
pivot de la campagne américaine contre l’Union soviétique en encourageant et en
armant les milices fondamentalistes islamiques en Afghanistan.
Le Pakistan est un Etat artificiel, dont la
création défiait toute logique économique et géographique sans parler des
traditions historiques et culturelles de l’Asie du Sud. Il a servi à perpétuer
deux éléments clés du système britannique de contrôle impérial : la
définition des musulmans par l’Etat comme étant un groupe politique distinct et
la British Indian Army dominée par les Punjabis.
Ceci n’absout pas le Congrès national indien
(CNI), un parti bourgeois, de ses responsabilités dans la partition, ni ne veut
suggérer que l’État bourgeois indépendant créé en Inde sur les fondations du
Raj britannique jouit d’une plus grande légitimité historique.
Le CNI était de connivence avec le Mahasabha
et le RSS, des mouvements communautaristes hindous. Il ne voulait ni n’était
organiquement capable de défaire les machinations de l’impérialisme britannique
en unissant le sous-continent d’en bas par la mobilisation révolutionnaire de
la classe ouvrière et de la paysannerie opprimée contre le capitalisme et les
grands propriétaires terriens.
La partition n’a été que l’expression la plus
claire et la plus sanglante de l’écrasement par l’impérialisme et les
bourgeoisies nationales en devenir de l’Inde et du Pakistan du mouvement anti-impérialiste
qui avait qui avait étreint le sous-continent pendant la première moitié du
vingtième siècle.
La partition a empêché un développement
économique rationnel, cristallisé les divisions communautaristes dans la
rivalité entre les Etats qui a résulté en trois guerres déclarées entre les
peuples de l’Asie du Sud, offert le moyen aux différentes bourgeoisies
nationales de dévier le mécontentement social vers le chauvinisme et finalement
facilité la domination impérialiste de l’Asie du Sud.
Continuant sur la voie ouverte par la Ligue
musulmane avant l’indépendance, la bourgeoisie pakistanaise s’est alignée de
façon encore plus abjecte et ouverte sur l’impérialisme que ne l’avait fait sa
rivale indienne durant la guerre froide. Au milieu des années 1950, le Pakistan
était un des Etats au « front » dans la confrontation avec l’URSS et
l’armée pakistanaise était en bonne voie de devenir la cheville ouvrière de la
stratégie géopolitique américaine. Lorsque le commandant en chef Ayub Khan a
pris le pouvoir en 1958, il a bénéficié du soutien enthousiaste de Washington,
tel que la formule « Ike [Eisenhower] aime Ayub » l’encapsulait en
quelques mots.
Après que le régime d’Ayub Khan se fut
effondré en 1968-69 devant les manifestations de masses des étudiants et des
travailleurs et l’opposition du Pakistan de l’Est à sa position subordonnée
dans la fédération pakistanaise, Nixon et Kissinger ont encouragé un nouvel
homme fort de l’armée, Yahya Khan, à entreprendre une campagne génocidaire pour
empêcher la sécession du Bangladesh.
Suite à la défaite ignominieuse du Pakistan lors de la Troisième Guerre indopakistanaise, l’élite
pakistanaise et Washington se sont tournés vers Bhutto, le descendant d’une
famille de propriétaires et ancien protégé d’Ayub Khan. Bhutto se servit de
chauvinisme anti-Indien et de phrases pseudo socialistes pour émasculer
politiquement l’opposition de masse dirigée contre l’armée et l’ordre social
complètement inégal du Pakistan.
Au cours de ses six ans au pouvoir, il oscilla de façon
précaire entre des forces sociales hostiles. Il réhabilita l’armée et l’utilisa
pour réprimer une insurrection nationaliste au Baloutchistan, proclama le
Pakistan république islamique et maintint l’alliance entre les Etats-Unis et le
Pakistan. Il procéda aussi à des réformes sociales limitées, tout en réprimant
violemment toute action indépendante de la classe ouvrière. Ultimement, alors
que la politique internationale se rangeait vers la droite à la fin des années
1970, l’armée, sous le général Zia et avec les encouragements de Washington,
prit le pouvoir.
Le régime Zia allait entraîner de terribles conséquences
pour le développement subséquent du Pakistan. Durant onze ans, et ce à partir
de 1978-79, Washington utilisa Islamabad comme liaison pour l’intervention
américaine dans la guerre civile afghane, fomentant et organisant les forces
islamiques antisoviétiques et servant d’intermédiaire pour les armes et
l’argent américains et saoudiens destinés aux Moudjahiddines afghans. Cela vint
compléter les propres efforts de Zia au Pakistan pour développer la droite
islamique en tant que rempart contre la classe ouvrière et la gauche, et faire
la promotion du fondamentalisme islamique comme idéologie d’Etat.
Alors que l’Etat se retirait de son rôle en éducation et dans
d’autres services publics fondamentaux, des institutions religieuses islamiques
furent encouragées à remplir les trous béants, en accord avec la politique
économique de droite du régime Zia.
Le résultat final fut la promotion de l’obscurantisme
religieux, la montée des conflits sectaires, l’accroissement de l’oppression
des minorités et le développement de liens entre l’armée et les groupes armés
islamiques; toutes les sections de l’élite pakistanaise cherchaient alors à
utiliser ces derniers dans le conflit géopolitique qui opposait le Pakistan à
l’Inde.
Durant la Guerre froide, Washington incita l’élite
pakistanaise à poursuivre son conflit désastreux avec l’Inde, lui fournissant
et lui vendant toutes sortes d’armes et de systèmes de guerre. Mais à la suite
de l’effondrement de l’URSS et de la répudiation par la bourgeoisie indienne de
sa politique économique nationale, les Etats-Unis, sous l’administration
Clinton, élaborèrent un nouveau partenariat stratégique avec l’Inde.
Bien que le Pakistan était alors moins central à la
stratégie géopolitique américaine, le partenariat militaire entre le Pentagone
et le Pakistan fut maintenu, Washington voyant toujours l’armée pakistanaise
comme un atout précieux et un rempart de l’Etat pakistanais.
Lorsque l’administration Bush utilisa les événements du 11
septembre 2001 pour mettre de l’avant une politique étrangère plus agressive
visant à établir le contrôle américain sur les ressources pétrolières de l’Asie
centrale et du Moyen-Orient, la relation militaire entre le Pentagone et le
Pakistan fut revigorée et Moucharraf émergea rapidement comme l’un des plus
importants alliés des Etats-Unis.
Washington reconnaît avoir fourni 10 milliards de dollars
au Pakistan depuis septembre 2001, la plus grande partie sous la forme d’aide
militaire et de paiements à l’armée pour le soutien à la « guerre au terrorisme ».
En retour, le régime Moucharraf a fourni un appui logistique essentiel pour
l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan, a permis aux forces de sécurité
américaines de maintenir des centres de torture et permet maintenant que le
Pakistan devienne un terrain d’entraînement pour une possible attaque
américaine contre l’Iran.
Alors que le régime Moucharraf se montre menaçant une fois
de plus, ayant imposé l’état d’urgence pour une durée de six semaines, les
Etats-Unis tentent de renforcer davantage leurs liens avec l’armée
pakistanaise.
La semaine dernière, le Congrès démocrate américain a
approuvé l’envoi supplémentaire de 785 millions de dollars en aide pour Islamabad
en 2008. D’après des reportages parus dans le Washington Post et le New
York Times, et selon un accord récemment conclu entre les Etats-Unis et le
Pakistan, plusieurs centaines de soldats des Forces spéciales américaines
seront déployés au Pakistan dans les prochaines semaines afin de « former
et soutenir les forces indigènes de contre-insurrection et les unités
clandestines de contre-terrorisme ». (26 décembre, Washington
Post)
La classe ouvrière et la lutte pour la démocratie au Pakistan
La lutte pour la démocratie au Pakistan est une lutte
contre l’appareil d’Etat militaire financé et défendu par les Etats-Unis et le
système d’Etat-nation imposé par les impérialistes en Asie du Sud. Cette lutte
nécessite l’intervention des masses ouvrières pakistanaises dans la vie
politique, dans le combat pour les libertés civiles fondamentales, mais aussi
pour les emplois, les services publics et le soutien aux producteurs ruraux —
c’est-à-dire une lutte pour des mesures radicales anticapitalistes.
En dernière analyse, le fait que la bourgeoisie
pakistanaise soit incapable d’adhérer aux normes démocratiques les plus
élémentaires et ait recours à maintes reprises à la dictature militaire et à
des mesures extraconstitutionnelles est dû à l’extrême polarisation de la richesse
dans la société pakistanaise et à la subordination de cette dernière à
l’impérialisme.
Aucune section de l’opposition démocratique bourgeoise, y
compris la minorité de partis qui ont appelé au boycott de l’élection, ne
souhaite ni ne peut se tourner véritablement vers les masses, et lier la lutte
contre la dictature militaire aux demandes socioéconomiques de la classe
ouvrière et de la paysannerie du Pakistan, avant tout les travailleurs de
l’agriculture et les métayers.
Cela est souligné par l’évolution de Bhutto. Au cours de la
dernière année, alors que s’exprimait de plus en plus publiquement l’opposition
au régime de Moucharraf, Bhutto s’est opposée à maintes reprises à toute
agitation populaire contre le gouvernement, craignant que cela ne puisse échapper
au contrôle de l’élite politique.
Toutes les sections de l’opposition bourgeoise dépendent de
l’armée afin de défendre leurs propres privilèges de classe contre la classe
ouvrière et maintenir l’intégrité territoriale de l’Etat pakistanais en crise.
De plus, elles sont liées à l’impérialisme par un réseau d’interconnections
financières. C’est pourquoi elles craignent et s’opposent à une véritable
opposition populaire dirigée contre la dictature militaire et la domination
impérialiste.
Le mécontentement populaire croissant face aux inégalités
sociales grandissantes, à la montée du chômage, aux pénuries de nourriture et
d’énergie et à la hausse des prix fait que l’opposition bourgeoise est encore
moins tentée de faire appel au peuple pakistanais pour s’opposer à la
dictature. Elle est hantée par la crainte qu’une fois en action, les
travailleurs pakistanais ne retourneraient pas rapidement dans l’ombre et
tenteraient de poser des revendications démocratiques et égalitaires qui
attaqueraient leurs propres privilèges.
Dans la lutte pour mobiliser les masses et renverser la
dictature de Moucharraf et briser l’influence politique pernicieuse de
l’opposition bourgeoise, la classe ouvrière et les étudiants et intellectuels
alliés du socialisme devraient exiger la libération immédiate de tous les
prisonniers politiques, le rejet de toute mesure contre la liberté de presse,
l’abolition de toute prohibition des manifestations politiques et des grèves,
la dissolution du régime Moucharraf et la tenue de véritables élections.
Mais ainsi, ils devraient rejeter tout le cadre du débat de
l’élite dirigeante sur la constitution et la démocratie, qui limite la
démocratie au respect de quelques libertés civiles et prend pour acquis l’ordre
capitaliste pakistanais et la relation de soumission aux Etats-Unis et à
l’impérialisme mondial.
Une véritable démocratie nécessite la liquidation du
rapport locateur-locataire en agriculture, le démantèlement de l’Etat militaire
soutenu par les Etats-Unis, la séparation de la mosquée et de l’Etat, des
mesures socialistes afin de fournir des emplois et des revenus pour tous, et le
renversement du système d’Etat communautariste imposé par l’impérialisme sur l’Asie
du Sud en 1947-48 avec la complicité du Congrès national indien et de la Ligue
musulmane. Cette démocratie ne pourra être réalisée que sous la forme d’un
gouvernement ouvrier et paysan qui liera consciemment le destin des
travailleurs du Pakistan et de l’Asie du Sud à la lutte de la classe ouvrière
internationale pour mettre un terme au capitalisme.
Le World Socialist Web Site appelle nos lecteurs et
supporters du Pakistan et de l’Asie du Sud à entreprendre le combat pour un
nouveau parti révolutionnaire de la classe ouvrière, une section pakistanaise
du Comité International de la Quatrième Internationale, qui conduira cette
lutte.