Le sommet du 27 novembre à Annapolis sur le
conflit israélo-palestinien n’a rien à voir avec la recherche d’un accord de
paix à travers l’établissement d’un État palestinien.
Les deux parties en présence n’ont même pas pu
se mettre d’accord sur une déclaration préliminaire d’intention ou de principe
pour cette réunion d’un jour. Israël n’a accepté de discuter aucune des
questions clés à résoudre pour parvenir à un accord sur les frontières d’un
Etat potentiel quel qu’il soit, sur le droit au retour des réfugiés
palestiniens et sur le statut de Jérusalem-Est comme capitale d’un Etat palestinien.
Israël se rend à cette conférence confiant
dans le fait qu’elle est organisée par son principal allié. Un article paru la
semaine dernière dans le Washington Post citait des responsables de la
Maison-Blanche selon lesquels les Etats-Unis n’avaient aucune intention de
faire pression sur Israël pour que ce dernier fasse des concessions qu’il ne
voudrait pas faire. « Le président reste sceptique sur la capacité des
Palestiniens à faire les concessions nécessaires pour arriver à la paix »,
dit une source. « Les Israéliens font confiance à Bush… s’ils ont à
prendre des risques, ils préfèrent le faire avec lui qu’avec son
successeur », ont dit ces responsables.
Du côté palestinien, la réunion est une
grossière tentative de ficeler un marché entre le premier ministre israélien Ehoud
Olmert et le président de l’Autorité palestinienne et dirigeant du Fatah,
Mahmoud Abbas de façon à ce que celui-ci puisse se présenter comme faisant
avancer le « processus de paix » et continuer de réprimer toute
résistance à l’occupation israélienne.
Pour Washington, les pourparlers ont un
objectif politique plus étendu. En permettant au président George W. Bush
d’être vu comme celui qui tente d’une certaine manière de résoudre le conflit,
Washington va aider les régimes arabes à justifier leur approbation de
l’occupation américaine de l’Irak et ses préparatifs de guerre contre l’Iran.
Vendredi 23 novembre, la Ligue arabe, y
compris l’Arabie saoudite qui ne reconnait pas la Syrie et qui soutient
financièrement le Hamas dans la Bande de Gaza, s’est dite d’accord pour
participer à cette farce. La Syrie sera présente, les Etats-Unis ayant laissé
entendre qu’on discuterait de l’avenir du plateau du Golan. On a aussi dit que
les Etats-Unis ont donné leur approbation tacite pour la tenue de pourparlers
séparés entre la Syrie et Israël sur le Golan, immédiatement après la réunion
d’Annapolis.
Cela n’est en aucun cas la principale raison
de la participation de Damas à cette réunion. Le ministre des Affaires
étrangères syrien, Walid Moallem, est allé jusqu’à déclarer qu’un retour du
plateau du Golan à la Syrie n’était pas une condition préalable à la tenue de
pourparlers. La participation syrienne à la réunion d’Annapolis est une
tentative désespérée du régime de Bachir Assad d’obtenir un arrangement avec
Washington et d’empêcher les Etats-Unis de s’en prendre à la Syrie en même
temps qu’à l’Iran.
Le Liban lui aussi prendra part aux
pourparlers, malgré l’opposition véhémente du Hisbollah
Le ministre israélien de l’Infrastructure,
Benjamin Ben Eliezer, du Parti travailliste, a parlé de la signification
politique de la décision des régimes arabe de participer aux pourparlers,
disant à la radio de l’armée israélienne « La réunion a lieu à un moment
ou les radicaux et les modérés du monde arabo-musulman sont sur le chemin de la
collision. Il n’y a aucun doute quant au fait que cette réunion a aussi pour
objectif de contribuer à renforcer le camp arabe modéré ».
Dans les territoires occupés, Annapolis a été
précédé d’efforts frénétiques de la part d’Abbas pour obtenir un Etat minimal
qui aurait l’approbation d’Olmert. Il a abandonné dans ce but des
revendications passées pour un gel de l’extension des colonies israéliennes en
Cisjordanie et à Jérusalem-Est et une limite dans le temps pour la création
d’un Etat palestinien.
Il a ensuite accru ses efforts pour interdire
le groupe islamiste Hamas et pour reprendre le contrôle de la Bande de Gaza,
qui est la condition préalable que Washington et Israël exigent de lui pour
reconnaitre le Fatah comme un « partenaire avec qui négocier ».
Le Hamas est venu au pouvoir en janvier 2006
suite à la vaste aliénation vis-à-vis du Fatah due au fait qu’il était disposé
à accepter un marché pourri avec Bush, et due aussi à sa corruption endémique.
Les puissances occidentales et Israël ont répondu en imposant un blocus
économique, coupant Gaza du monde extérieur. Lorsque s’était profilée la
possibilité d’un gouvernement uni du Fatah et du Hamas à l’été de 2006, Israël
a déclenché une guerre brutale contre Gaza.
Après avoir fomenté une guerre civile entre
les deux factions rivales à Gaza, qui s’était terminée par la défaite militaire
du Fatah, Israël, les Etats-Unis et les pays européens avaient encouragé Abbas
à dissoudre le gouvernement du Hamas et à constituer un nouveau gouvernement,
coupant la Palestine en deux. Bush avait donné 190 millions de dollars pour
soutenir Abbas et son régime et Israël lui avait fourni des armes et de
l’entraînement afin de battre le Hamas.
Olmert a insisté publiquement pour que tout
accord futur dépende d’une reprise du contrôle de Gaza par l’Autorité
palestinienne. « Il n’y aura aucune mise en œuvre du traité avant que tous
les engagements contenus dans la feuille de route ne soient exécutés »
dit-il à des journalistes après des pourparlers avec le président égyptien
Hosni Moubarak dans la station balnéaire de Sharm el Sheikh.
« Ces engagements sont aussi valables
pour la bande de Gaza, [pour les Palestiniens] Gaza doit faire partie de l’Etat
palestinien et ensuite, naturellement, les Palestiniens doivent lutter contre
le terrorisme et cela comprend la bande de Gaza » poursuivit-il. La
semaine dernière, le plan du ministre israélien de la Défense pour un début de
réduction de l’approvisionnement en électricité vers Gaza à partir du 2
décembre a été approuvé par le ministre de la Justice, Manahem Mazuz.
Abbas a répondu à ces exigences en mobilisant
ses forces en vue d’un conflit ouvert avec le Hamas. Lorsque 100.000 partisans
du Fatah se sont rassemblés le 12 novembre à Gaza pour marquer le troisième
anniversaire de la mort de Yassir Arafat, les forces de sécurité du Hamas ont
ouvert le feu, tuant sept manifestants et en blessant plus de 90. Plus de 400
partisans du Fatah ont été arrêtés et des dizaines d’entre eux détenus pour interrogatoire.
Deux jours plus tard, Abbas appelait
publiquement au renversement du gouvernement du Hamas à Gaza. « Nous
devons renverser ce gang qui s’est emparé de Gaza par la force et qui profite
des souffrances et des blessures de notre peuple » dit-il à la télévision.
Le Hamas n’est pas une alternative
progressiste du Fatah et il articule les intérêts de sections de la bourgeoisie
et de la petite bourgeoisie arabe. Ayant des liens de dépendance, pour ses
finances et son armement, tant vis-à-vis de l’Arabie saoudite que de l’Iran et
du Hezbollah en Syrie, le Hamas a visiblement été secoué par la décision de ces
deux régimes d’approuver la conférence d’Annapolis. Le porte-parole du Hamas,
Sami Abu Zuhri, a qualifié la tenue de la conférence de « grand choc pour
les Palestiniens parce qu’elle ouvrait la porte à une normalisation directe de
l’occupation en même temps que se poursuit l’escalade et l’agression ».
« Nous escomptions qu’un consensus arabe
allait rompre le siège imposé à la Bande de Gaza et allait sauver les vies de
nombreux Palestiniens échoués aux frontières », dit-il. « Nous ne
nous attendions pas à voir un accord entre les Arabes sur une réunion avec
Israël. »
Le président palestinien déposé, Ismael
Haniyeh, a dit qu’« Israël cherch[ait] la normalisation spécialement avec
des pays clés comme l’Arabie Saoudite. Nous devons éviter de donner de la
légitimité à une libre normalisation de l’occupation israélienne. »
De telles manifestations de surprise ignorent
l’amère expérience faite pendant des décennies avec les régimes arabes,
l’Egypte, la Jordanie et la Syrie en étant les exemples les plus infâmes. Ces
régimes ont commis des trahisons monstrueuses vis-à-vis des Palestiniens et qui
les ont menés dans la situation impossible d’aujourd’hui. A présent, les Etats
arabes participent à un crime plus énorme encore, la préparation d’une guerre
contre l’Iran.
Le Hamas n’a guère d’autres options que celle
de se rallier à l’opposition interne contre Abbas, de s’unir au Jihad islamique
et aux divers groupes radicaux moins importants pour la tenue d’une conférence
de l’« Anti-Annapolis » dans la Bande de Gaza.
Khaled Abu Hilal du mouvement Fatah-al-Yasser,
qui a rompu avec le Fatah, y assistera et il sera soutenu par divers groupes
politiques et civils palestiniens. Abu Mujahed, le porte-parole des Comités
populaires de résistance à Gaza a averti que toute concession faite par Abbas
déclencherait une troisième Intifada qui sera « plus véhémente que les
précédentes ».
Abbas fait aussi face à un défi sur sa droite
de la part de Salaam Fayyad, le premier ministre, qui a son petit parti à lui
(Troisième voie) et dont on dit qu’il collabore avec le négociateur de
l’Autorité palestinienne, Yasser Abed Rabbo, pour créer un nouveau parti et se
présenter aux prochaines élections. Cette lutte interne a laissé l’équipe de
négociation palestinienne divisée en deux camps.
Fayyad incarne la couche sociale riche qui
collabore à présent, plus ouvertement encore qu’Abbas, avec Washington.
Absolument rien ne le relie à la lutte passée du Fatah contre Israël.
Décrit par Haaretz comme « le
Palestinien favori de tout le monde » et comme le « partenaire
idéal », il était assis aux côtés d’Ariel Sharon lors d’une cérémonie de
mariage et fait la leçon à « l’élite économique et politique
d’Israël » sur sa philosophie politique et économique.
Il a un doctorat en économie de l’Université
du Texas (1987), a travaillé à la Banque mondiale et à la Banque centrale
américaine à Washington. Lorsque l’Autorité palestinienne fut établie, il fut
représentant du Fonds monétaire international puis dirigeant pour la
Cisjordanie de la Banque arabe, la plus importante banque du Moyen-Orient. Il
fut adopté comme favori par la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice
qui veilla à ce qu’il devienne ministre des Finances de l’Autorité
palestinienne. A la suite de la division entre Gaza et la Rive Gauche, il fut
nommé, en violation de la constitution, premier ministre, gardant son poste de
ministre des Finances.
(Article original anglais paru le 26 novembre
2007)