Le 1er août, le parlement a voté une nouvelle loi sur la réforme
des universités par 165 voix pour et 46 contre. Dans l’opposition, les
députés du Parti socialiste (PS), (du moins ceux qui étaient présents), les
Verts et ceux du Parti communiste (PC) ont voté contre. Des dirigeants du PS
ont cependant déjà indiqué qu’ils ne sont pas, par principe, opposés à
une réforme des universités, mais qu’ils estiment seulement qu’elle
devrait se faire sans précipitation. Parlant au nom du gouvernement, la
ministre de l’enseignement supérieur Valérie Pécresse a souligné que la
mesure actuelle n’est « qu’un point de départ…on ne peut
engager de nouveaux moyens sans avoir préalablement changé le mode de
fonctionnement et la gouvernance. »
Au même moment, le gouvernement de droite gaulliste du
président Nicolas Sarkozy s’est engagé à supprimer 17000 postes
d’enseignants du secondaire dès l’année prochaine. Cette mesure
fait partie de sa politique visant à réduire de moitié les
fonctionnaires.
L’idée maîtresse de la politique gouvernementale sur les
universités est la privatisation accrue de l’enseignement supérieur public
au moyen de « l’autonomie » accordant à chaque université le
contrôle de son budget et de ses biens. Cette autonomie sera mise en place sur
une période de cinq ans durant laquelle le gouvernement investira un milliard
d’euros supplémentaires par an, soit un total de 5 milliards
d’euros.
Les présidents d’université auront des pouvoirs accrus. Ils
seront en mesure de mettre leur veto aux nominations de professeurs proposées
par les commissions d’enseignants et avoir davantage recours à du
personnel contractuel ne bénéficiant pas des droits et conditions de travail des
employés de l’Etat jouissant du statut de fonctionnaire. Une autre
innovation et qui forge des liens plus étroits avec le secteur privé, sera le droit
accordé aux universités de mettre en place des fondations partenariales à but
non lucratif.
Les conseils d’administration des universités passeront
de 60 à 20 ou 30 membres, composés de personnel enseignant, administratif et de
trois représentants des étudiants. Autre nouveauté, siègeront aussi à ces
conseils d’administration, huit membres extérieurs à l’université,
probablement issus des entreprises et de l’industrie.
Prises ensemble, ces mesures représentent une attaque de fond
sur l’enseignement public en France et une avancée de taille vers un
système davantage orienté vers les entreprises et basé sur la privatisation et
la commercialisation.
Divers syndicats et organisations de parents d’élèves,
conduits par le syndicat des professeurs d’université le SNESUP, ont tenu
une conférence de presse le 24 juillet, une semaine avant que la loi ne soit
votée, dénonçant cette loi comme une attaque sur les droits fondamentaux. Ils
craignent que « les mécanismes concurrentiels entre universités et entre
individus » ne conduisent à « une hiérarchisation des universités et ouvre
la porte à leur développement inégalitaire, favorisé par la course aux
financements et par le désengagement de l’Etat. » Jean Fabbri,
secrétaire général du SNESUP, a appelé à ce que la loi ne passe pas et à
« une dynamique de mobilisation » après les vacances, faisant
remarquer que « la grève n’est pas exclue. »
Cependant cette faible remontrance des syndicats était encore
trop pour le principal syndicat étudiant, l’UNEF (Union nationale des
étudiants de France), proche du Parti socialiste. Son président Bruno Julliard
a expliqué que « en l’état actuel, demander le retrait du texte ne
nous paraît pas une bonne stratégie... pour obtenir le retrait, il faut une
mobilisation étudiante et nous sommes fin juillet. » [période de vacances]
Dans ces conditions, Julliard espère donc « des amendements conséquents »
avant que la loi ne soit votée afin de la rendre plus « acceptable. »
En réalité Julliard et la direction de l’UNEF ont abandonné toute
opposition à la réforme après avoir reçu du président Sarkozy l’assurance
que la loi ne comprendrait pas de processus de sélection pour les étudiants
s’inscrivant en maîtrise.
Le premier ministre François Fillon, a énoncé ses objectifs
dans une déclaration faite au parlement le 3 juillet: « Nous allons
rebâtir l’université française …Depuis vingt-cinq ans, faute de
courage, nous acceptons la sélection par l’échec plutôt que par l’orientation
et le mérite. » Julliard a réagi de façon positive. « On sait enfin
pourquoi cette réforme importante a été engagée, et nous partageons les
objectifs annoncés », a-t-il dit. Le Figaro, quotidien pro-Sarkozy
a, le 4 juillet, clairement expliqué ces objectif : « La nouvelle
mouture du texte, remanié la semaine dernière pour apaiser les tensions
naissantes avec une partie de la communauté universitaire, conserve
l’essentiel de la réforme : des pouvoirs renforcés pour les
présidents des facultés et une autonomie accrue des universités. »
La fédération des employeurs, MEDEF, et sa présidente Laurence
Parisot ont une idée claire de la direction que ces réformes doivent
prendre : davantage de sélection et une formation orientée vers les
besoins des entreprises. Le MEDEF veut voir les fonds publics « liés à
l’employabilité des étudiants » et une augmentation des frais d’inscription
encourageant « une responsabilisation et une plus grande exigence de la
part des étudiants. » Les employeurs recherchent la création de fondations
partenariales à but non lucratif « avec des dispositions fiscales
favorables aux donateurs » et « la possibilité pour
l’université de conclure des contrats avec les entreprises leur
permettant de générer leurs ressources propres. »
L’insistance du gouvernement sur
« l’autonomie » des universités et le fait qu’il se
tourne vers les entreprises sont liés à la stratégie de Lisbonne de
l’Union européenne visant à rendre le capitalisme européen plus
compétitif sur le marché mondial. La Commission européenne a publié en 2006 un
rapport intitulé « Programme de modernisation pour les universités :
Education, recherche et innovation. » Ce rapport pressait les Etats
membres à aller de l’avant avec la « modernisation » des
universités européennes qui devrait être mise en place d’ici la fin de
2007.
Le rapport déclare, « Tout comme la France, tous les Etats
membres de l’UE sont confrontés à la compétition de leurs rivaux,
notamment la Chine et l’Inde », dit le rapport. « Le
développement rapide des universités asiatiques est à présent un défi pour
l’Europe, pour ce qui est de la production de doctorants en sciences et en
études d’ingénieur. Cela sera une menace à la position de l’Europe
en tant qu’économie la plus compétitive et la plus innovante du monde
comme le déclare les objectifs de Lisbonne. » D’après ce rapport,
« les programmes universitaires devraient être structurés de telle manière
qu’ils augmentent directement l’employabilité des diplômés et contribuent
à l’effort de formation de la main d’œuvre en général. »
Quant au financement, « il devrait se baser sur ce que les universités font
et non sur ce qu’elles sont. Les universités devraient avoir plus
de responsabilité pour leur viabilité financière à long terme, en travaillant
avec l’industrie, des fondations et d’autres pourvoyeurs de fonds
privés. »
La lutte pour défendre le droit d’accès à l’enseignement
supérieur et à une formation de qualité est antérieure à la stratégie de
Lisbonne et à la politique éducative de l’Union européenne. A deux
reprises déjà l’élite française a tenté d’imposer « l’autonomie
financière » aux universités afin de réduire les dépenses de l’Etat
et limiter le nombre d’étudiants qui est aujourd’hui de 2,2
millions. En 1986, la réforme Devaquet, sous la présidence de Mitterrand du
Parti socialiste, avait été abandonnée après une révolte étudiante au cours de
laquelle un étudiant Malik Oussékine avait trouvé la mort victime de la
répression policière. En 2003, le ministre droitier de l’Education
nationale, Luc Ferry, avait encore essayé d’imposer les réformes mais
avait reculé face à l’opposition des étudiants et enseignants.
L’actuelle ministre de l’enseignement supérieur,
Valérie Pécresse, a ainsi exprimé la frustration de l’élite française,
« On n’a que trop attendu. D’Allègre à Lang, tout le monde est
d’accord sur la nécessité d’une réforme depuis quinze ans. »
Claude Allègre et Jack Lang sont d’anciens ministres de l’Education
nationale, issus du Parti socialiste. Lang a applaudi la réforme sur Radio RTL
disant qu’elle « donn[e] du souffle à l’université. » Il
a récemment rejoint la commission de réforme sur les institutions de
l’Etat, mise en place par le président Sarkozy.
François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, a
exprimé son soutien pour une réforme des universités, soucieux toutefois de ne
pas raviver le mouvement d’opposition de masse qui avait contraint
l’année dernière le gouvernement Chirac-Villepin à abroger la loi sur le
Contrat première embauche (CPE). « On devrait se retrouver tous pour
mettre les universités françaises dans l’excellence, et pas la
précipitation et l’incompréhension », a-t-il dit.
Un article daté du 5 juillet dans Le Point met en avant
la frustration et le sentiment d’urgence de l’élite dirigeante
française à privatiser l’enseignement supérieur, ce qui le rendrait
inaccessible aux jeunes issus de la classe ouvrière. « Pour mettre les
universités françaises aux normes standard européens, ce serait plus de 10
milliards d’euros supplémentaires par an qu’il faudrait lui
consacrer. La seule solution crédible pour financer l’enseignement
supérieur à un niveau convenable repose sur une augmentation sensible des frais
de scolarité. Car la misère de l’université est en fait à la mesure de ce
que paie chaque étudiant pour s’y inscrire. Un peu moins de 180 euros par
an, moins que son forfait de téléphone portable ! Tel est le montant
dérisoire des frais d’inscription à l’université…qui fait
croire aux jeunes que les études universitaires quasi gratuites sont la clé de
la réussite. »
Les raisons avancées par Valérie Pécresse pour
« l’autonomie » soulignent la nature fallacieuse de la réforme.
« Chaque année, 90 000 étudiants quittent l’université sans
diplôme » et « les universités françaises sont perdues au bas
des classements internationaux. » Elle dit que pour remédier à cette
situation « c’est par la gouvernance qu’il faut
commencer, en accordant notamment des pouvoirs renforcés aux présidents
d’université et une autonomie étendue. » Le financement
supplémentaire prévu est, en grande partie, destiné à promouvoir le
développement d’établissements d’élite. Un investissement public
plus important visant à compenser les années de retard pris dans l’enseignement
supérieur et qui ont eu pour résultat un grand nombre d’étudiants sans
qualification, n’est certainement le choix fait par ce gouvernement.
L’Etat dépense 6 800 euros par an et par étudiant en France contre
une moyenne de 9 000 euros dans les pays développés de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques.)
L’élite européenne est pleinement consciente du défi que
représentent les coupes budgétaires pour l’enseignement supérieur et plus
particulièrement en France où il reste encore à attaquer les acquis sociaux comme
cela a été fait sous Thatcher et Blair en Grande-Bretagne et Schröder en
Allemagne.
Richard Lambert, directeur général du syndicat patronal
britannique CBI avait clairement expliqué cette priorité dans le Financial
Times du 5 juin 2006 : « Etant donné les contraintes fiscales de
l’Europe, tous les grands pays d’Europe devront tôt ou tard
introduire des frais de scolarité. Le Royaume-Uni a commencé ce processus et
l’Allemagne va dans la même direction. Le défi politique en France sera
énorme. »