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Les Etats-Unis mettent en garde l’Espagne sur sa politique cubaine
Par Vicky Short
07 août 2007
Les Etats-Unis ont mis en garde l’Espagne sur sa politique à l’égard de Cuba au moment où les pays impérialistes cherchent à y gagner du pouvoir et de l’influence et où des décennies de pouvoir de Fidel Castro arrivent à leur terme.
La longue maladie de Castro, le dirigeant de la révolution cubaine et le président depuis février 1959, l’a forcé il y a un an à déléguer ses pouvoirs présidentiels à son frère Raúl (76 ans). La femme de Raúl, Vilma Espín Guillois, une camarade et une combattante rebelle contre la dictature de Batista, soutenue par les Etats-Unis, avait joué pendant des décennies le rôle de première dame de la révolution cubaine. En tant qu’une des femmes politiquement les plus puissantes de Cuba elle est décédée le mois dernier.
L’Espagne a été le fer de lance au sein de l’Union européenne (EU) pour améliorer les relations avec l’Amérique latine, notamment Cuba. L’Europe entrevoit l’occasion de rompre le contrôle serré exercé par les Etats-Unis sur l’économie et les affaires étrangères cubaines, de protéger ses considérables investissements dans l’industrie du tourisme et du nickel de l’île et d’exploiter les ressources pétrolières nouvellement découvertes en mer.
Pour ce faire, l’Espagne est considérée être le membre de l’UE le mieux placé en raison de ses liens historiques et de sa langue et culture communes. L’Espagne avait maintenu, tout au long des années de boycott américain, des relations commerciales avec le pays et ce même durant la période fasciste du régime de Franco. Ces derniers temps, Cuba a remplacé le Venezuela pour devenir le troisième client des exportations espagnoles en Amérique latine, après le Mexique et le Brésil. Les exportations vers Cuba ont fait un bond de près de 16 pour cent en 2003 et ont continué à augmenter tandis que les importations de l’Espagne en provenance de Cuba ont augmenté de 4,5 pour cent. A la fin des années 1990, l’Espagne était devenu le deuxième pays pour ce qui est des relations d’investissements directs en Amérique latine, avec sept de ses entreprises classées parmi les premières en détenant des actifs de l’ordre de 300 milliards de dollars.
Le ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Ángel Moratinos, fut le premier des ministres des Affaires étrangère depuis 2003 à s’être rendu à Cuba en avril dernier. Cette année là, parlant de violation des droits de l’homme suite à la condamnation à la prison au terme de procès sommaires de 75 dissidents soutenus par les Etats-Unis, Washington avait lancé une campagne internationale dans le but d’isoler Cuba. Moratinos a rencontré Raúl Castro, le vice-président Carlos Lage, le ministre des Affaires étrangères Felipe Pérez Roque et d’autres responsables. Sa visite fut interprétée comme étant le prélude aux décisions prises par les Nations unies en vue d’une réaffirmation de sa condamnation des sanctions américaines à l’encontre de Cuba tandis qu’en juin le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a voté un paquet de réformes rayant de la liste noire Cuba et supprimant les mandats des rapporteurs spéciaux chargés de Cuba et de Biélorussie.
Durant cette visite, l’Espagne et Cuba se sont mis d’accord pour relancer des programmes de coopération bilatérale et pour avoir des consultations régulières prévoyant des discussions sur les questions de droits humains.
L’UE a tenté d’imposer une position commune sur Cuba en affirmant vouloir recourir aux relations commerciales et à l’interdépendance économique comme moyen de promouvoir les « principes libéraux » du pays. Elle a adopté une politique officielle de « dialogue constructif » et s’est opposée à l’embargo américain en disant qu’il vise les investissements et le commerce des nations communautaires avec le régime de Castro. Plus récemment, l’UE a fait savoir qu’elle invitera une délégation cubaine à Bruxelles pour « discuter de la démocratie, des droits de l’homme et de garanties constitutionnelles pour le peuple de l’île. »
Moratinos a déclaré, « La position espagnole s’est imposée, ceci signifie le dialogue. Le pari d’aller à Cuba a rapporté gros. Tous les Européens suivent la même ligne et la stratégie espagnole. » Il a salué le fait que la déclaration de l’UE ne mentionne pas les sanctions européennes. D’autres réunions avec le gouvernement de la Havanne sont prévues en septembre.
Il existe une opposition à l’encontre de cette stratégie au sein de l’UE. L’Italie et l’Allemagne se sont jointes à l’Espagne pour jouer un rôle pionnier dans la recherche du dialogue, mais la Pologne et la République tchèque, anciens Etats staliniens proches de Washington, favorisent une ligne dure à l’encontre de Cuba.
Les Etats-Unis ont toujours considéré l’Amérique latine comme leur arrière-cour et se sont opposés à toute intervention de la part de leurs rivaux. Depuis le début de la prise de pouvoir de Castro et de ses guérillas en 1959, Washington a cherché à renverser le régime en cherchant à l’isoler internationalement et en allant jusqu’à soutenir différentes aventures menées par des soi-disant dissidents (la plupart d’entre eux étant les héritiers de gangsters expulsés de Cuba par la révolution cubaine).
Devant l’état de santé en déclin de Castro, les Etats-Unis voient l’occasion de concrétiser leurs aspirations de longue date d’un changement de régime. Comme on pouvait s’y attendre, ils ont encouragé des groupes dissidents pour qu’ils organisent une sorte de putsch afin d’installer un gouvernement fantoche pro américain. Afin de faciliter le processus, les Etats-Unis ont maintenu et intensifié leurs blocus.
En octobre 2003, le gouvernement Bush a instauré une Commission d’Assistance à un Cuba libre coprésidée par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et le secrétaire au Commerce, Carlos Gutierrez. L’on dit que ses recommandations classifiées comprennent des projets d’opérations secrètes de la CIA et du Pengagon, si ce n’est carrément une intervention militaire américaine. En juillet 2005, le vétéran activiste républicain Caleb McCarry, fut nommé à un nouveau poste, de coordinateur pour la transition à Cuba, afin d’aider à « accélérer la destitution » du régime castriste.
Selon le site internet de la Commission, celle-ci fut reconduite en décembre 2005 par Rice qui a envoyé un « important message au peuple de Cuba, à la dictature actuelle et aux amis et alliés démocratiques : après 46 ans de cruelle dictature, le temps du changement est à présent venu pour Cuba. »
Le mois dernier, Rice avait effectué une visite des plus brèves en Espagne, la première visite effectuée par un dirigeant américain de haut rang depuis que le gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Zapatero était venu au pouvoir il y a trois ans, en mars 2004, et a retiré les troupes espagnoles d’Irak. L’ancien gouvernement du parti conservateur, le Parti populaire (PP) dirigé par José María Aznar, avait été l’un des principaux alliés de Bush, quand le secrétaire d’Etat de l’époque, Colin Powell se rendait régulièrement dans le pays.
Etant donné ses liens historiques avec Cuba, l’Espagne d’Aznar fut considérée comme étant un partenaire potentiellement utile dans le processus de changement de régime et des appels allant dans ce sens furent faits, notamment par l’ambassadeur américain d’Espagne et d’Andorre, Eduardo Aguirre, lui-même originaire de Cuba.
Durant la période qui a précédé la visite de Rice, les responsables du gouvernement espagnol et les médias se sont évertués pour présenter son arrivée comme étant la preuve qu’en fin de compte les Etats-Unis souhaitaient mettre fin à leur « gel de trois ans des relations diplomatiques » avec le gouvernement espagnol. Cela aura été l’occasion de prise de photos montrant le retour à des relations normales entre les deux pays. Des sujets tels les restitutions extraordinaires et l’assassinat du cameraman José Couso en Irak par des troupes américaines (profitant de la visite de Rice, plusieurs pétitions avaient été déposées pour l’interpeller au sujet de ce meurtre) furent enlevés de l’ordre du jour. Le ministre espagnol pour les Affaires ibéro-américaines, Trinidad Jiminez, qui s’était rendu à Washington avant le déplacement de Rice pour faire en sorte qu’il se passe sans heurts, a déclaré à son retour que les Etats-Unis et l’Espagne « travaillaient main dans la main » en laissant entendre que Cuba ne figurerait bientôt plus à l’ordre du jour.
Cependant, Rice a fait comprendre que le but de sa visite n’était pas le rétablissement de relations amicales. Elle se conduisit en maître impérialiste en émettant des avertissements sévères à l’encontre d’une puissance plus faible pour qu’elle ne « s’immisce » pas dans ses affaires. Quelques jours avant de s’envoler pour l’Espagne, le 1er juin, elle attaqua Mortinos pour avoir manqué de rencontrer les dissidents au moment de sa visite à Cuba. Elle avait fait de même en parlant aux journalistes lors de son voyage en Allemagne pour participer du 6 au 8 juin au sommet du G8.
Lorsque Rice arriva finalement dans la capitale, à Madrid, elle y passa tout juste huit heures, enfilant les réunions individuelles les unes aux autres, avec le roi Juan Carlos, Zapatero, Moratinos et le dirigeant du PP, Mariano Rajoy, suivies d’une conférence de presse et d’une réception donnée pour le personnel de l’ambassade. Il est fait état que les sujets discutés comprenaient l’Amérique latine, le Proche-Orient, l’Afghanistan, la Russie, le conflit du Sahara et des questions bilatérales.
Le Washington Post a mentionné que « le fait qu’elle n’ait pas passé la nuit en Espagne laisse supposer que le gouvernement Bush n’a encore pas pardonné à l’Espagne » d’avoir retiré ses troupes d’Irak, en dépit de l’affirmation de Rice que les divergences avaient été « surmontées ».
Moratinos et Rice ont cherché à minimiser leurs divergences en disant avoir le même objectif d’un gouvernement démocratique à Cuba. Toutefois, au moment où Moratinos a défendu « l’engagement » de l’Espagne avec le gouvernement de Cuba en suggérant que Rice verrait le mérite de cette méthode, Rice fit les gros yeux pour dire silencieusement en se tournant vers les journalistes américains, « Ne retenez pas votre souffle. »
Rice a souligné qu’« une transition majeure est en vue » à Cuba et que les puissances occidentales avaient « l’obligation d’agir démocratiquement, c’est-à-dire en soutenant l’opposition à Cuba, et en ne donnant pas au régime [de la Havane] l’impression que cela va juste être une transition d’une dictature à une autre. »
La secrétaire espagnole aux Relations internationales, Elena Valenciano, a dit que le dialogue entre l’UE et Cuba se poursuivrait « de la même manière que les Etats-Unis le font avec d’autres pays non-démocratiques, tels la Chine et l’Arabie saoudite » en insistant que les méthodes de « blocus et d’isolation » n’étaient pas acceptables.
Moratinos, d’un ton plus doux, a dit que la réunion avec Rice avait été « très fructueuse » mais qu’il existait encore « quelques désaccords » quant à la « méthode et à la forme » de s’attaquer au problème de Cuba. Il n’y a toujours pas eu de discussion au sujet d’une réunion entre Bush et Zapatero, a-t-il déclaré.
Le PP a déclaré que la visite de Rice avait montré que les relations étaient loin d’être normalisées et que le dialogue avec les Etats-Unis continuait d’être aussi gelé que par le passé.
Entre-temps, le gouvernement espagnol fait aller de l’avant ses ambitions en Amérique latine. Le 14 juillet, Zapatero s’était rendu au Mexique et avait approuvé un « plan d’action » avec le dirigeant mexicain, Felipe Calderón, qui conduira à un accroissement considérable des investissements espagnols dans le pays, la plus grande part concernant l’industrie touristique, avec ses huit millions de travailleurs, mais aussi les banques, les télécommunications, les services public, le pétrole et le gaz naturel. Zapatero a déclaré : « Je tiens à offrir le soutien de mon gouvernement et de moi-même et de faire tout ce qui est en notre pouvoir à la fois aux entreprises espagnoles et au gouvernement mexicain pour que les investissements se poursuivent et pour contribuer à l’accroissement économique », en indiquant une croissance prévue de 25 pour cent dans le tourisme à lui seul d’ici les deux prochaines années.
L’hostilité entre l’Espagne et les Etats-Unis au sujet de la question des troupes espagnoles à l’étranger ne s’est toujours pas calmée, compte tenu du nombre croissant de morts en Afghanistan et, il y a quelques jours, des six parachutistes tués au Liban. Le journal le plus proche du PSOE, El Pais, a dénoncé la division du travail en vigueur dans les pays où les forces armées multinationales opèrent comme étant « inacceptable ». Ceci contrastait avec la manière avec laquelle les pilotes américains lâchent les bombes à une distance sûre de milliers de mètres sans aucun risque de représailles pour laisser ensuite les troupes au sol faire face aux conséquences.
(Article original anglais paru le 30 juillet 2007)
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