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Sarkozy agace l’UE sur la question de la libération du personnel médical bulgare
Par Steve James
06 août 2007
Six travailleurs médicaux, cinq Bulgares et un Palestinien, condamnés à mort sur la base d’accusations montées de toutes pièces et détenus pendant huit ans, ont en fin de compte été libérés par le gouvernement libyen.
Le gouvernement français a marqué des points dans la conclusion de l’affaire. De par l’intervention tardive de Cécilia Sarkozy, l’épouse du président français, et du gouvernement du Qatar, la France a réussi à imprégner la défense de ses intérêts sur un accord pratiquement scellé et prévoyant l’approfondissement des relations entre l’Union européenne et la Libye.
Les travailleurs médicaux avaient été faussement accusés en 1999 d’avoir infecté à Benghazi des centaines d’enfants par le virus Sida. Ils furent arrêtés, emprisonnés, torturés et condamnés à mort deux fois. Soumis à un stress psychologique prolongé, ils ont vécu une expérience dévastatrice dont ils auront à subir les conséquences longtemps après que les médias et les diplomates les auront oubliés.
Leur malheur est que leurs vies avaient été prises dans l’engrenage de machinations entre le gouvernement libyen et les grandes puissances au sujet des conditions de la réintégration de la Libye dans le système impérialiste mondial.
Sous les conditions de l’accord, dont certaines ne sont pas claires, quelque 9,5 millions de dollars US venant de la Commission européenne seront acheminés vers l’hôpital pour enfants à Benghazi. Chacune des familles des centaines d’enfants infectés par le virus HIV recevra une compensation à hauteur d’un million de dollars et il est dit que les enfants eux-mêmes auront accès à vie à des soins médicaux.
Un fonds de compensation a été mis en place s’élevant à 44 millions de dollars versés par la Bulgarie sous forme d’effacement de dettes que lui doit la Libye. D’autres pays envers lesquels la Libye a des dettes ont également accepté qu’elles soient effacées. L’intégralité du financement du fonds reste délibérément obscure afin d’éviter de donner l’impression que l’Union européenne a simplement payé la somme exigée par la Libye. Au total, quelque 460 millions de dollars américains ont été rassemblés.
Le gouvernement du Qatar, un destinataire des ventes d’armes françaises, et qui a été loué après l’accord par chacun des participants aux tractations, a bien pu être la source ou le canal par lequel est passée une grande partie du montant.
La diplomate autrichienne, Benite Ferrero-Waldner a dit que l’accord allait « ouvrir la voie à une relation nouvelle et améliorée entre l’UE et la Libye et renforcera nos liens avec la région méditerranéenne et l’Afrique tout entière. »
Le commerce libyen avec l’UE est d’ores et déjà très lucratif et dépasse de loin les sommes négociées dans l’accord pour la libération du personnel médical. Le pétrole compte pour 95 pour cent dans les exportations libyennes en allant surtout à l’UE et 40 pour cent en Italie. Le pétrole libyen se situe près de la surface, le forage est facile et géographiquement il est plus proche de l’UE que n’importe quel autre grand champ pétrolier.
Depuis la levée des sanctions contre la Libye, soutenue par les Etats-Unis, l’UE et les Nations unies, le pays est devenu une destination de premier choix pour les compagnies pétrolières en quête d’accès aux réserves pétrolières de quelque 100 milliards de barils tout comme des vastes régions désertiques inexplorées aux réserves potentiellement comparables. Avant 2015, l’on escompte de nouveaux investissements dans la prospection du pétrole et du gaz d’un montant de l’ordre de sept milliards de dollars. En mai 2007, par exemple, la compagne de pétrole britannique BP a approuvé un accord de 2 milliards de dollars, couvrant un territoire de la taille de la Virginie-occidentale.
Le commerce avec la France est déjà considérable. Les importations en provenance de la Libye avaient atteint 756 millions d’euros en 2003, en premier lieu du pétrole, et elles étaient passées à 1,9 milliard d’euros en 2006. La compagnie française Vinci, premier groupe mondial de construction, est impliquée dans la construction du projet géant d’alimentation en eau fossile du pays de la Grande rivière artificielle, cher au dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.
Et pourtant, jusqu’en 2005, la France ne représentait que 6 pour cent des importations libyennes contre 21 pour cent pour l’Italie et 11 pour cent pour l’Allemagne. En 2006, l’ensemble des exportations de l’UE vers la Libye s’élevait à 25 milliards d’euros et la part française ne représentait que 3,66 milliards d’euros. Les plus gros contrats pétroliers sont allés au Royaume Uni et aux Etats-Unis.
La France peut également dresser un bilan comme fournisseur d’équipements militaires à la Libye dans les années 1970, dont une partie est encore en usage, rendant ainsi les contrats de maintenance relativement intéressants. Les relations se sont effondrées en 1976 suite à l’annexion partielle de l’ancienne colonie française du Tchad, la très controversée bande d’Aozou riche en minerais ; les relations ne reprendront qu’après le versement par la Libye d’indemnités de dédommagement pour les victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, en 1989, au-dessus du désert tchadien.
Le prédécesseur de Sarkozy, Jacques Chirac, avait effectué une visite en Libye en 2004. Deux mois plus tard, le ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, signait une lettre d’intention en vue d’une coopération militaire. Un contrat de maintenance militaire suivit. Kadhafi a exprimé son intérêt pour l’achat de nouveaux avions de chasse et hélicoptères français.
En 2006, un accord initial de coopération dans le nucléaire civil fut signé. La France a également des visées sur l’infrastructure, les projets de satellites et de réseau routier dont la Libye aura besoin dans un avenir proche.
En dépit du développement de ces relations, à la fois pour l’UE et la France, la détention du personnel médical et la réaction d’intense indignation de par le monde qu’elle a provoquée, a représenté un obstacle grandissant. Ceci fut de plus accentué du fait de l’accession de la Bulgarie à l’UE, le 1er janvier 2007.
Un concept destiné à sauver la face devenait impératif et avait déjà été prévu avant la victoire électorale de Sarkozy, en grande partie sous les auspices de la présidence allemande de l’UE.
Néanmoins, durant la campagne présidentielle française, Nicolas Sarkozy avait promis de faire de la résolution de l’affaire du personnel médical l’une de ses priorités. Ce qui sous-tendait son urgence avait à la fois été les exigences des industriels français pour une part de plus en plus grande du marché libyen et les aspirations françaises d’employer de manière plus agressive leurs ressources diplomatiques et militaires.
Après son élection, Sarkozy avait promis à Kadhafi qu’il se rendrait en Libye. Son épouse y fut immédiatement envoyée.
Selon un fonctionnaire de l’UE qui a repris les remarques de Cécilia Sarkozy, elle aurait dit à Kadhafi, « Mon mari viendra demain si vous acceptez l’accord… Vous allez les [le personnel médical] libérer de toutes manières, alors décidez-vous. C’est votre chance de revenir sur la scène internationale. »
Il est significatif de noter que la première fois que l’UE a eu connaissance de l’intervention française, c’était lors de la descente d’avion de Cécilia Sarkozy à Tripoli. Sarkozy semble aussi avoir accordé à son épouse la permission d’offrir des friandises tangibles allant au-delà de sa présence présidentielle.
Sarkozy lui aussi s’est rendu dans la capitale libyenne après la libération du personnel médical. Les deux gouvernements ont alors annoncé la signature d’un document qui est un « mémorandum d’entente » fixant l’installation de deux centrales nucléaires civiles en Libye par le constructeur français Areva. Selon le magazine Der Spiegel, la France aura également accès au stock de 1600 tonnes d’uranium libyen.
Les commentaires effectués par Sarkozy ont clairement montré que l’accord avec la Libye ne pouvait pas être séparé des préoccupations impérialistes françaises en général quant à la menace faite à ses intérêts en raison de la déstabilisation du monde arabe suite à l’occupation américaine de l’Irak.
Sarkozy a prévenu que priver la Libye du nucléaire c’est s’exposer à une « guerre des civilisations…Si on ne donne pas l’énergie du futur aux pays du sud de la Méditerranée, comment ils vont se développer ? Et s’ils ne se développent pas, comment on va lutter contre le terrorisme et le fanatisme ? »
Depuis son arrivée au pouvoir, Sarkozy a également eu des pourparlers avec l’Algérie et la Tunisie au sujet d’éventuels contrats nucléaires pour Areva et de promotion d’une « Union méditerranéenne ». Considérée comme une zone de libre échange tout comme un moyen de contrôler l’immigration, l’alliance diplomatique et militaire étendrait l’influence de l’UE et notamment l’influence française de par l’Afrique du nord et même jusqu’au Liban.
La Libye se trouve au centre des efforts entrepris par le gouvernement Sarkozy en Afrique sub-saharienne, où la Libye et la France sont précédemment entrées en conflit et où des milliers de troupes françaises sont actuellement déployées.
Au même moment où Cécilia Sarkozy s’envolait pour Tripoli, Sarkozy s’immisçait dans la crise au Liban. Rompant avec la politique de Chirac, le ministre des Affaires étrangères de Sarkozy, l’ancien membre du Parti socialiste, Bernard Kouchner, invitait tous les partis du Liban, y compris le Hezbollah, à participer à une réunion à la Celle Saint Cloud, près de Paris. Bien que la réunion se soit achevée sans aucun résultat concret, Kouchner a l’intention de tenir d’autres pourparlers fin de juillet.
Cette réunion de tous les partis avait été rejetée par le gouvernement Bush dont les Français avaient refusé d’inviter des représentants. Les Etats-Unis avaient cherché à s’opposer à tout ce qui pourrait légitimer une opposition au gouvernement libanais de Fouad Siniora.
La réaction des Etats-Unis à l’accord avec la Libye sur le personnel médical a plutôt été froide. Bien que les fonctionnaires ont qualifié les résultats de « positifs », la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, a limité ses remarques en disant qu’elle espérait se rendre bientôt en Libye.
Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, a déclaré benoîtement vouloir « tendre la main » à la Libye. Le journal The Guardian a rechigné en disant qu’en dépit du rôle de « resquilleuse » jouée par Cécilia Sarkozy lors de la libération du personnel médical, le dénouement de l’affaire a été « un succès pour le pouvoir ‘doux’ tant vantée de l’UE » mais que ceci impliquait « suspendre un jugement moral. »
(Article original anglais paru le 30 juillet 2007)
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