WSWS : Nouvelles et analyses : Europe
Ce sont l’amertume et la
rancoeur généralisée qui caractérisent les relations au sein de l’OTAN une
semaine après que son commandant militaire eut demandé que des renforts de 2500
soldats soient rapidement déployés pour venir en aide aux 8000 soldats
britanniques, canadiens et hollandais qui sont impliqués dans de violents
combats dans les provinces du sud de l’Afghanistan. Devant une occupation de
l’OTAN qui risque terriblement de perdre du terrain et d’affronter une
résurgence de l’appui pour l’ancien régime taliban, les plus importants membres
européens de l’alliance ont refusé d’envoyer même un seul soldat.
Le 14 septembre, lors d’une
réunion du haut commandement aux quartiers généraux de l’OTAN dans la ville
belge de Mons, les Etats-Unis ont clairement fait
savoir qu’ils s’attendaient à ce que des pays comme l’Allemagne, la France,
l’Italie et l’Espagne fournissent les troupes supplémentaires.
En visite au Canada le 13
septembre, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a
sermonné l’OTAN en disant que si « l’Afghanistan ne complète pas son
évolution démocratique pour devenir un Etat stable
combattant le terrorisme, il reviendra nous hanter. Il hantera nos successeurs
et leurs successeurs. » L’ambassadrice américaine à l’OTAN, Victoria Nuland, a déclaré que « la question importante est la
capacité de combattre et la volonté de combattre de tous les alliés ».
Pour l’administration Bush,
soumettre le peuple afghan et appuyer un régime proaméricain à Kaboul est
maintenant le problème de ses alliés européens et le prix qu’ils doivent payer
pour garder de bonnes relations avec Washington. L’armée américaine est
utilisée au maximum à cause du nombre de soldats qu’elle a dû garder en Irak et
des préparatifs ordonnés en vue d’agir contre l’Iran.
En juillet, les Etats-Unis ont cédé la responsabilité de tout le sud de
l’Afghanistan à la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF)
dirigée par l’OTAN qui, jusqu’à maintenant, avait essentiellement réalisé des
opérations de maintien de l’ordre dans des régions relativement stables du
pays. Bien que les Etats-Unis gardent le contrôle de
lieux stratégiques clé tels que la base aérienne de Bagram,
il ne reste plus maintenant que 19 000 soldats américains en Afghanistan
et leur nombre sera réduit à seulement 16 000 d’ici la fin de l’année.
Le gouvernement Blair, en
échange d’une entente avec Washington pour réduire progressivement son nombre
de soldats en Irak, s’est porté volontaire pour fournir 5400 soldats
britanniques et le coeur de la division de combat de la force de l’OTAN et de
l’ISAF, celle-ci totalisant ainsi 20 000
soldats.
Toutefois, les combats en
Afghanistan se sont avérés beaucoup plus difficiles que ne l’avait prévu
l’armée britannique. Un officier servant dans la province de Helmand a déclaré
au journal britannique Independent :
« Nous ne nous attendions pas à une telle férocité dans les combats. Nous
nous attendions aussi à ce que les talibans mènent des raids éclair. Au lieu de
cela, nous avons souvent dû les affronter de très près. Nous sommes mieux armés
et cela nous avantage, mais il faut penser que chaque fois que nous en tuons
un, nous créons de nouveaux ennemis. »
Un autre soldat a
affirmé : « Nous rasons des zones que nous avions déjà rasées, mais
les attaques n’arrêtent jamais. Nous les avons tués par dizaines, mais d’autres
prennent la relève [...] Presque chaque déplacement au sol est la cible d’une embuscade.
Il faut avoir un groupe de combat entier pour progresser. »
Bien que les forces
britanniques réclament d’urgence des renforts, les envoyer de la
Grande-Bretagne est difficile, autant sur le plan logistique que politique.
Quelque 7000 soldats britanniques sont encore en Irak. Les pertes subies en
Afghanistan au cours des derniers mois, incluant les 14 tués dans un accident
d’avion le 2 septembre, ont alimenté l’intense opposition intérieure aux deux
opérations néo-coloniales et les remous contre Blair au sein du Parti
travailliste au pouvoir. Un sondage mené par la BBC révélait cette semaine que
52 pour cent des répondants voulaient le retrait des toutes les soldats de
l’Afghanistan aussi que de l’Irak.
S’adressant aux
journalistes de Londres mardi, Blair a lancé un appel désespéré pour que les
autres pays européens lui viennent en aide. Il était important, a-t-il déclaré,
« que l’ensemble de l’OTAN voie ceci [l’Afghanistan] comme sa
responsabilité. L’OTAN examine quels sont les besoins et les pays de l’OTAN ont
le devoir d’y répondre. » Reflétant la pression venant de Washington et de
Londres, le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer a publiquement supplié à la veille de la
conférence de l’OTAN pour une « alliance solidaire parce que certaines
nations en ont plus sur les épaules que d’autres ».
La réponse en Europe a été
l’équivalent diplomatique du doigt d’honneur. Après plusieurs heures de
négociation mercredi, James Apparthurai, un porte
parole de l’OTAN, affichant une tête d’enterrement, a dit à la conférence de
presse qu’« aucune offre officielle (pour l’envoi de troupes) n’a été mise
sur la table ».
L’Espagne a déclaré sans
détour que les 690 soldats qui sont déjà en Afghanistan sont « plus que
suffisants ». La France et l’Allemagne, l’Italie et la Turquie ont dit que
leur engagement militaire dans le cadre de l’opération de l’ONU dans le sud
Liban, signifie qu’ils n’ont pas troupes disponibles. L’Allemagne, qui a une
force militaire de plus de 200 000 soldats, a aussi refusé de redéployer
l’un de ses 2900 soldats allemands stationnés à Kaboul vers la zone de combat
dans le sud de l’Afghanistan. Comme Blair, tous les dirigeants politiques
craignent les conséquences dans leur pays de l’augmentation des pertes en
Afghanistan.
Le désespoir produit par
l’impasse à la conférence de l’OTAN est reflété par les efforts déployés pour
trouver des troupes additionnelles des pays de l’Europe de l’Est. Jeudi, le
gouvernement polonais annonçait qu’il allait envoyer 900 soldats, mais pas
avant février et seulement pour des opérations dans la zone contrôlée par les Etats-Unis dans les provinces de l’est du pays.
Selon le Financial Times, les représentants officiels
de l’OTAN ont même approché la Serbie, qui a été soumis à un bombardement
massif de l’OTAN il y a sept ans seulement. Il est évident que le calcul a été
que le gouvernement serbe pouvait être forcé à fournir la chair à canon
pour l’Afghanistan en échange de discussion pour son entrée dans l’Union
européenne. Cependant, Belgrade a annoncé que sa contribution se limiterait à 5
spécialistes de la sécurité des aéroports.
James Appathurai, porte-parole pour l’OTAN, a cherché à présenter le désarroi dans l’alliance sous le meilleur jour possible en déclarant qu’une offensive majeure pour détruire les forces talibanes dans la province de Kandahar, l’opération Medusa, « allait bien » et que « les deux tiers de ses objectifs » étaient réalisés. Un communiqué de presse émis par la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) le mercredi 13 septembre rapportait que plus de 500 talibans avaient été massacrés et que plusieurs villes et villages étaient maintenant contrôlés par les forces de l’occupation.
Un rapport a aussi été coulé dans la presse australienne qui prétend que les troupes spéciales de l’armée de l’air australienne ont tué plus de 150 talibans lors d’une opération de neuf jours en juillet dans la province voisine d’Uruzgan.
Mesurer le succès par le nombre des morts, toutefois, ne fait que confirmer une des principales condamnations que le comité d’experts européens Senlis avaient fait de la politique des Etats-Unis et de l’Europe en Afghanistan dans un rapport publié ce mois-ci. En se basant sur ses recherches et sur des entrevues en Afghanistan, Senlis a trouvé que « les tactiques brutales utilisées par les forces militaires internationales […] ont provoqué un désillusionnement important envers la communauté internationale et une méfiance généralisée et toujours plus grande envers le monde occidental. »
Les Afghans, a noté Senlis, « décrivent les promesses initiales de stabilité, de reconstruction et développement comme des mensonges » et « croient que leur vie quotidienne est pire depuis l’arrivée des coalitions militaires internationales en Afghanistan ». Cinq années d’opérations de contre-insurrection brutale contre les villes et villages pachtous du sud et de l’est de l’Afghanistan ont créé un mouvement de résistance de masse, qui a la possibilité de se réfugier au Pakistan.
Les assassinats de masse de combattants talibans sont loin d’affaiblir la résistance et il y a tout lieu de croire que les combats vont s’intensifier au cours de la période qui vient. Au cours du prochain mois, le dur hiver afghan va débuter, ce qui rendra les opérations des Etats-Unis et de l’OTAN dans les régions frontalières montagneuses plus difficiles, si ce n’est impossible. Les talibans auront le temps de se regrouper, de se réapprovisionner et de recruter. Ils seront aidés par la trêve entre le gouvernement pakistanais et les tribus pachtoues pakistanaises près de la frontière qui aident les talibans. Cinq années de ce qui fut pratiquement une guerre civile dans les régions frontalières ont fait 375 morts dans l’armée pakistanaise et provoqué un mécontentement de masse envers le régime de Pervez Musharraf. Selon les termes du cessez-le-feu, qui serait plus exactement décrit comme une reddition du gouvernement pakistanais, les 70 000 soldats pakistanais qui ont tenté d’empêcher les mouvements transfrontaliers des combattants afghans sont retirés de la région.
En refusant d’envoyer de nouvelles troupes, les puissances européennes ont envoyé un message à l’administration Bush : elles ne sont pas prêtes à s’impliquer davantage dans une guérilla de plus en plus sanglante de laquelle elles ne gagneront rien. L’invasion de l’Afghanistan, dès le début, avait pour but de mieux positionner les Etats-Unis géopolitiquement pour assurer sa domination sur les anciennes républiques de l’Union soviétique en Asie centrale, où l’on trouve les plus importantes quantités pétroles hors du Moyen-Orient. La présence militaire américaine en Afghanistan a été utilisée par Washington en tant que contrepoids stratégique à l’influence des autres puissances de la région, comme la Russie, la Chine et l’Union européenne elle-même.
La possibilité qu’une division sur la question de l’Afghanistan entraîne des tensions ouvertes entre les Etats-Unis et l’Europe est déjà discutée. Le Financial Times a écrit un éditorial le 15 septembre que « la crédibilité de l’OTAN dépend du succès » de l’opération en Afghanistan. « S’il fallait que l’alliance échoue, a averti le quotidien, les Etats-Unis vont possiblement se tourner vers des « coalitions des volontaires » pour les entreprises futures. » A long terme, c’est la survie de l’alliance de l’OTAN elle-même qui est en jeu.
(Article original anglais paru le 15 septembre)
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