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Comment le gouvernement français traite les vieux travailleurs immigrés issus de la colonisation
Par Françoise Thull
Le 24 mars 2006
Depuis quelques années les travailleurs immigrés, issus de la colonisation et arrivés en France pendant les années 1960 et 1970 à la demande du patronat français, arrivent à l’âge de la retraite. Ces travailleurs maghrébins de plus de 65 ans, majoritairement des hommes appelés « chibanis » (signifiant cheveux blancs en arabe dialectal), étaient en 2002 près de 90.000 (Algériens, Marocain et Tunisiens) à vivre en France selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Recrutés comme main-d’œuvre bon marché, ils ont travaillé aux quatre coins de France pour un salaire de base, effectuant les tâches les plus pénibles dans le bâtiment, la sidérurgie, aux chantiers navals de l’Atlantique ou dans les mines de charbon de Lorraine. A leurs conditions de travail les plus éprouvantes s’ajoutèrent des conditions de logement tout aussi désastreuses dans des foyers bâtis à la hâte où ils se partageaient une chambre à cinq ou six, ou dans des hôtels meublés vétustes.
Arrivés seuls en France dans le but de nourrir leur famille restée au pays, ils vivaient chichement, prêts à endurer tous les sacrifices dans l’espoir de pouvoir rejoindre les leurs à l’heure de la retraite. Mais à présent, pour ces « chibanis » ce moment tant attendu signifie précarité, maladie et isolement.
Nombre d’entre eux, dont la vie professionnelle fut faite d’emplois peu qualifiés et de contrats successifs, s’apercevront au moment de constituer leur dossier de retraite que certains employeurs n’avaient pas versé les cotisations de retraite. Pour ces travailleurs immigrés de la première heure, les conséquences en sont d’autant plus dramatiques si l’on considère que, le plus souvent, lorsque l’on comptabilise toutes les années de travail pour le calcul de la retraite, celle-ci est inférieure à 450 euros.
Après une vie de labeur, ces travailleurs se retrouvent à un niveau de précarité qui les force à toucher le minimum vieillesse, à savoir de 589 euros par mois. Le minimum vieillesse est accordé aux personnes âgées d’au moins 65 ans (60 ans en cas d’inaptitude au travail). Il est fixé chaque année par décret dans le cadre du financement de la sécurité sociale. Alain Vasselle, rapporteur au nom de la Commission des affaires sociales du Sénat écrivit dans son rapport déposé le 9 novembre 2005 que « la disposition présente encore une faille coûteuse pour les finances sociales ». Dans le projet de loi sur le financement de la sécurité sociale pour 2006, une nouvelle disposition entre en vigueur, l’article 46, qui vise précisément à éliminer cette faille. L’article 46 concerne le minimum vieillesse et affectera essentiellement les « chibanis ».
Sous prétexte de simplifier les minima sociaux, l’article 46 du projet de loi de financement, supprime une partie du minimum vieillesse exportable dont dépendent les « chibanis ». Ce minimum vieillesse se constitue de deux allocations : la première, un complément de retraite de 290 euros par mois et la seconde, une allocation de 299 euros par mois. Le complément de retraite de 290 euros peut être touché même si on vit à l’étranger. La suppression de l’allocation de 299 euros équivaut pour le gouvernement à une économie de dix millions d’euros annuels, car elle touche quelques 8.000 retraités qui décident chaque année de retourner dans leur pays.
L’argumentation de Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la Famille est très révélatrice de l’arrogance et du cynisme de la classe dirigeante à l’égard des travailleurs : « … le minimum vieillesse, pas plus que le RMI ou l'allocation adulte handicapé, n'est pas ‘exportable’, tout simplement parce que ces minima sont calculés par rapport au pouvoir d'achat en France, pour y permettre un niveau de subsistance, ailleurs, le pouvoir d'achat représenterait dix fois plus! … Cette possibilité d'exporter le minimum vieillesse est une anomalie, nous avons décidé d'y mettre fin dès que nous l'avons découverte ! … Elle est du reste injuste, puisque moins longtemps le travailleur étranger a travaillé en France, plus l'allocation différentielle est importante, et c'est celui qui est venu quelques mois dans les années 1970, par exemple, qui touche le plus ! »
L’article fut adopté à la majorité absolue des suffrages exprimés pour prendre effet au 1er janvier 2006.
Pour ces « faux célibataires » qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas bénéficié du regroupement familial, il ne leur reste à présent qu’à faire la « navette » entre la France et leur pays d’origine pour revoir leur famille sous peine de perdre leurs droits sociaux - assurance-maladie et la part non -exportable du minimum vieillesse.
Pour les bénéficiaires du minimum vieillesse cela signifie être obligés de vivre de manière ininterrompue pendant huit mois de l’année sur le territoire français sous peine de perdre leurs prestations. Pour les « chibanis » un durcissement supplémentaire des conditions du regroupement familial tel que l’envisage le gouvernement met cette option hors de leur portée.
En effet, les conditions justifiant le regroupement familiales sont les suivantes d’après une note de synthèse du Sénat : « Pour bénéficier du regroupement familial, ils doivent disposer d'un logement dont la superficie correspond à la composition de la famille et qui répond aux normes minimales d'habitabilité édictées pour les locaux mis en location. Ils doivent aussi justifier de revenus stables et équivalents au moins au SMIC, toutes les ressources du foyer étant prises en compte, à l'exception des prestations familiales. » Conditions dont ces travailleurs n’ont pratiquement jamais bénéficié.