France: La lutte contre le CPE soulève la question de la nécessité d’une nouvelle direction pour la classe ouvrière
Déclaration du comité de rédaction du
World Socialist Web Site
28 Mars 2006
La déclaration suivante sera distribuée par les sympathisants du World Socialist Web Site et du Comité International de la Quatrième Internationale lors des manifestations de masse qui se tiendront dans toute la France durant la journée nationale d’action du 28 mars contre le CPE (Contrat première embauche) du gouvernement gaulliste. Nous encourageons vivement nos lecteurs et sympathisants à télécharger cette déclaration qui est aussi affichée en format pdf, et à la diffuser le plus largement possible.
La journée d’action de mardi contre le Contrat Première embauche (CPE) du gouvernement gaulliste fait ressortir clairement le conflit entre les besoins des jeunes et des salariés et les intérêts de l’élite dirigeante française. Les grèves et manifestations concernent la plus fondamentale des questions sociales : le droit à un travail stable.
Ce n’est pas seulement en France que ce droit social est attaqué, mais à travers toute l’Europe. Tous les gouvernements, qu’ils soient travailliste (Grande-Bretagne), socialiste (Espagne), conservateur (France, Italie), ou une coalition droite-« gauche » (Allemagne) cherchent à détruire les protections légales obtenues par la classe ouvrière et à démanteler le système de prestations sociales mises en place à la fin de la Seconde guerre mondiale.
La nature universelle de cette attaque montre clairement qu’elle n’émane pas d’un homme politique en particulier (le premier ministre français Villepin), d’un parti politique en particulier (les gaullistes), ni même d’un gouvernement en particulier. Cette attaque représente la réponse des élites dirigeantes et de tous les partis bourgeois, de gauche comme de droite, à la crise mondiale du système capitaliste, système économique qu’ils défendent tous.
Le but du CPE n’est pas fondamentalement différent de la législation Hartz IV introduite en Allemagne par le précédent gouvernement de coalition des Sociaux-démocrates et Verts. Il est conforme aux « réformes » sociales exigées par la Commission de l’Union européenne, la banque centrale européenne et les grandes entreprises au niveau international.
Pour dire les choses plus simplement : la subordination incessante des besoins humains au profit privé et à l’accumulation de richesse personnelle, que ce soit en France, en Grande-Bretagne, au Japon ou aux USA, signifie la destruction du niveau de vie et des droits fondamentaux de la classe ouvrière.
C’est pourquoi la lutte des étudiants, lycéens, jeunes et salariés en France soulève la question de la nécessité de construire une nouvelle direction révolutionnaire, une direction qui luttera pour l’unification de la classe ouvrière d’Europe et du monde entier sur la base d’un programme socialiste et d’une lutte pour que la classe ouvrière prenne le pouvoir politique.
La condition préalable à une défense fructueuse des intérêts des salariés et des étudiants c’est de comprendre que les vieilles organisations - syndicats, Parti socialiste, Parti communiste- ne peuvent pas et ne veulent pas mener la lutte nécessaire contre le système capitaliste. Aucune de ces organisations n’a même soulevé la revendication de faire tomber le gouvernement du premier ministre Dominique de Villepin et du président Chirac. Au lieu de cela, ils plaident auprès du gouvernement pour que celui-ci fasse quelque concession superficielle face à cette opposition de masse contre le CPE, et travaillent pendant ce temps à épuiser et démoraliser la mobilisation contre le gouvernement.
La détermination des étudiants à mettre en échec le CPE n’est pas entamée, comme le démontre clairement la déclaration publiée dimanche par la Coordination nationale des étudiants réunie à Aix-en-Provence, qui exige la démission du gouvernement et promet de bloquer les réseaux routiers et ferroviaires jeudi si Villepin ne cède pas.
Le rôle du Parti socialiste, qui s’oppose à une telle lutte et s’efforce de mettre fin aux protestations, apparaît clairement dans la réponse de Bruno Julliard, président de l’UNEF, principal syndicat étudiant. Julliard, associé au Parti socialiste, dit lors d’un entretien à la radio Europe 1, « Ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait un terme apporté à cette mobilisation, nous sommes demandeurs d'une discussion. Je demande à voir le premier ministre. »
La remarque de Julliard fait écho aux déclarations des principaux représentants des syndicats et des Partis socialiste et communiste. « Nous sommes inquiets de savoir où tout cela va mener », déclara Arnaud Montebourg, le député en vue à la gauche du Parti socialiste. « La situation est à présent bloquée. C’est une situation explosive où les institutions politiques sont discréditées ».
« Le pays est dans une situation de violence et nous sommes venus ici faire preuve de responsabilité », dit François Chérèque, dirigeant de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) vendredi à la sortie de la réunion entre Villepin et les syndicats. La secrétaire nationale du Parti communiste français, Marie-George Buffet lança un appel à Villepin, lui demandant de faire preuve « d’un peu de responsabilité » et de « se placer au service de la France ».
Toutes ces forces travaillent pour trahir le mouvement de masse et le conduire à la défaite, tout comme ils le firent lors de la vague de grèves de 1995 et des protestations contre les « réformes » des retraites et de l’éducation du gouvernement gaulliste en 2003.
Elles sont aidées en cela par les organisations dites d’« extrême-gauche ». La Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Lutte ouvrière (LO) et le Parti des travailleurs (PT) adaptent leur langage à l’humeur combative des salariés et des jeunes tout en travaillant à subordonner le mouvement contre le CPE à la bureaucratie syndicale, au Parti socialiste et au Parti communiste. Quelles que soient les différends qui les séparent, leur dénominateur commun est leur prosternation devant les bureaucraties syndicales. On ne trouve dans aucune de leurs publications une critique sérieuse de la traîtrise des syndicats et des partis officiels de la gauche.
Il faut toujours garder à l’esprit qu’en 2002 ces organisations firent campagne pour la réélection de Chirac comme président, disant aux salariés et jeunes que ce vétéran de la droite représentant français du capital était l’incarnation de la démocratie et l’unique alternative au dirigeant néofasciste du Front national, Jean-Marie Le Pen, qui avait battu le premier ministre sortant, Lionel Jospin, au premier tour des élections. Les syndicats, le Parti communiste et le Parti socialiste partagent la responsabilité politique du programme réactionnaire mené par Chirac.
Pendant ce temps le gouvernement refuse de retirer le CPE et mène la politique de la main de fer dans un gant de velours. Il déclare être prêt à discuter et à écouter le langage de la raison, alors même qu’il intensifie les provocations policières et les attaques violentes contre les étudiants et les jeunes. Les manifestants ont été attaqués par les CRS à coups de gaz lacrymogènes, canons à eau et coups de matraque. Plus de 1 400 ont déjà été arrêtés. Cyril Ferez, salarié des télécommunications de 39 ans est toujours plongé dans le coma après avoir été brutalement attaqué par la police.
En coulisses, Nicolas Sarkozy, de droite, attend sa chance. C’est lui qui orchestre la répression policière du mouvement, tout en attaquant Villepin pour son manque de « dialogue » avec les syndicats. D’après des reportages de presse, c’est Sarkozy en personne qui ordonna le 11 mars l’expulsion violente par les CRS des étudiants occupant la Sorbonne.
Dans l’espace de 70 ans, en commençant par la défaite de la grève générale de 1936 aux mains du gouvernement de Front populaire, en passant par la trahison du mouvement de grève générale de mai-juin 1968, et en d’autres occasions plus récentes, les salariés et les jeunes en France se sont heurtés à la question cruciale de la direction révolutionnaire et à la nécessité d’élaborer un programme socialiste – contre les programmes capitalistes des partis bourgeois – qui exprime leurs besoins et leurs intérêts.
Cette question ne peut pas être éludée. Aucun mouvement, fût-il le plus militant et le plus large, ne peut la résoudre automatiquement. C’est une question à laquelle on doit s’attaquer consciemment à travers la construction d’une nouvelle direction qui se base sur les leçons des grandes expériences historiques du mouvement ouvrier non seulement en France mais dans le monde entier. Seule une telle direction peut poser les fondements d’un parti socialiste de masse de la classe ouvrière.
Même la chute du gouvernement Chirac-Villepin ne ferait que poser avec plus d’acuité les questions de la direction et de la perspective révolutionnaires. Un gouvernement de la gauche officielle poursuivrait une politique qui ne serait pas en essence différente de celle du régime actuel, comme on a pu le voir avec le bilan du gouvernement de gauche plurielle de Jospin.
Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, signala le virage encore plus à droite pris par les partis de la « gauche » officielle quand il dit au Financial Times que la France avait besoin d’un nouveau dirigeant semblable au premier ministre britannique, Tony Blair. Le modèle de Ayrault s’est non seulement engagé aux côtés des USA dans l’invasion et l’occupation de l’Irak, mais il s’est livré à des attaques sans précédent contre les conditions de vie et les droits démocratiques en Grande-Bretagne.
Le point central d’une perspective politique indépendante doit être l’unité internationale de la classe ouvrière. A l’époque de la mondialisation capitaliste, aucune des questions posées par le CPE ne peut se résoudre au sein uniquement des frontières de l’Etat nation France. Il ne peut pas non plus y avoir de retour en arrière vers les politiques réformistes des années 1960 et 1970, quand il était alors possible pour la classe ouvrière d’obtenir des concessions dans le cadre de l’Etat nation. Aujourd’hui, la classe ouvrière en France et partout ailleurs est confrontée aux grandes entreprises transnationales qui ne cessent de licencier et de délocaliser les emplois des pays industrialisés avancés vers les régions appauvries où la main d’œuvre est bien moins chère.
La lutte contre l’attaque universelle des droits et du niveau de vie des salariés nécessite le développement d’un mouvement international de masse de la classe ouvrière basé sur une perspective socialiste. Un tel mouvement doit unifier les salariés de toutes nationalités, origines ethniques et religions et soutenir le droit des travailleurs à vivre et travailler dans le pays de leur choix quel qu’il soit et à jouir des mêmes droits légaux que les gens du pays.
Ce mouvement doit défendre inlassablement les droits démocratiques et sociaux et s’opposer à la guerre impérialiste, et commencer par exiger le retrait immédiat de tous les soldats étrangers d’Irak et d’Afghanistan.
Ce mouvement doit oeuvrer pour que les principales entreprises financières, industrielles et commerciales deviennent propriété publique et démocratique de façon à ce que la vie économique ne soit plus subordonnée à l’accumulation de profit par les entreprises et de richesse personnelle, mais plutôt qu’elle soit organisée sur une base rationnelle et internationale visant à éliminer la pauvreté et à fournir des emplois sûrs et des conditions de vie décentes pour tous.
La classe ouvrière d’Europe doit s’unir contre la politique capitaliste de l’Union européenne sur la base de son propre programme : celui des Etats socialistes unis d’Europe.
Le World Socialist Web Site est un instrument fondamental pour la construction d’un mouvement socialiste international de la classe ouvrière. Il fournit au quotidien une analyse et une orientation socialistes sur les événements du monde.
Le WSWS est la publication Internet du Comité International de la Quatrième Internationale qui défend et développe le programme et l’héritage marxiste du mouvement trotskyste depuis de nombreuses décennies. Nous invitons les jeunes et les salariés à lire le WSWS et à soutenir la construction d’une section du Comité International en France.