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L'extrême droite entre au gouvernement polonais

Par Marius Heuser et Peter Schwarz
22 mai 2006

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Depuis le vendredi 5 mai, deux partis d'extrême-droite antisémites font officiellement partie du gouvernement polonais. Le parti paysan Samoobrona (Autodéfense) et la Ligue des familles polonaises (LPR) ont signé à cet effet un contrat de coalition avec le parti Droit et Justice (PiS) qui constituait jusqu'à présent à lui seul un gouvernement de minorité. La nouvelle coalition dispose, avec 245 sièges sur 460 au Sejm (parlement), d'une majorité absolue.

Le président de Samoobrona, Andrzej Lepper et celui de la LPR, Roman Giertych, ont chacun été nommés vice-premier ministre du gouvernement dirigé par Kazimierz Marcinkiewicz (PiS). Lepper, 51 ans, est devenu ministre de l'Agriculture et Giertych, 35 ans, ministre de l'Education. Samoobrona a en outre obtenu les ministères du Travail et de la Construction et la LPR celui de la Pêche.

En associant Samoobrona et la LPR au gouvernement celui-ci fait virer fortement à droite toute la politique officielle polonaise. Le PiS des frères Lech et Jaroslaw Kaczynski (Lech est président de la république polonaise et Jaroslaw préside le parti) est déjà notoire pour son orientation nationaliste et catholique-conservatrice. Mais Samoobrona et la LPR sont plus extrémistes encore. Des manifestations de Lycéens ont déjà eu lieu à Varsovie contre la nomination de Giertych au ministère de l'Education, ceux-ci craignant un virage clérical conservateur.

Tandis que Samoobrona est avant tout dominé par la personnalité de son fondateur et président, le colérique Andrzej Lepper, un démagogue populiste droitier, la LPR elle, a des racines dans l'histoire du nationalisme et du fascisme polonais. Ce dernier parti est étroitement associé à la station de radio « Maria », dont les tirades xénophobes, chauvines et antisémites sont notoires. Même le Vatican et certains évêques polonais ont exprimé la crainte que la station allait trop loin.

Samoobrona

Samoobrona Rzeczpospolitej Polskiej (Autodéfense de la république polonaise) a été fondée en 1992 par Lepper, un ancien membre du Parti communiste polonais. Elle s'adressait, avec un mélange de promesses sociales, d'agitation nationaliste et xénophobe et de théories du complot à la nombreuse petite paysannerie polonaise poussée à la ruine économique par l'introduction de l'économie de libre marché.

Samoobrona s'est opposée à l'Union Européenne et à l'Otan, et a exigé des droits protecteurs douaniers pour les produits agricoles ainsi qu'un durcissement du droit criminel. Il a fustigé la corruption générale et accusé l'élite dominante d'avoir cédé la richesse nationale aux étrangers et permis que de nombreux polonais vivent dans la misère. Lepper a fait de l'agitation antijuive et antiallemande. « Pour nous ce ne sont pas les Juifs qui sont le peuple le plus dangereux, mais les Allemands », a-t-il dit lors d'une réunion publique. Ce qui ne l'a par ailleurs pas empêché de faire l'éloge de la politique sociale d'Hitler.

Lepper, un ancien boxeur, s'est fait une renommée par des actions tapageuses qui lui ont valu de nombreuses amendes et peines de prison. Il a insulté ses opposants politiques, organisé de nombreuses protestations paysannes violentes, fait passer des hussiers de justice à tabac et même raser une étoile de David sur la tête de l'un d'eux. Trois jours après sa nomination au gouvernement il a été condamné de façon exécutoire par une cour d'appel de Varsovie à une peine de 15 mois de prison avec sursis, parce qu'il avait accusé deux ministres de corruption en 2001. Ce qui, dans la plupart des pays, aurait conduit à la demission immédiate est resté sans suite en Pologne.

Dans les années 1990, Samoobrona avait mené une existence falote malgré les actions spectaculaires de Lepper. C'est seulement avec l'entrée de la Pologne dans l'Union Européenne que ce parti a gagné de l'influence. Lors de l'élection législative de 2001 il a obtenu pour la première fois plus de 10% des voix et est devenu le troisième parti en importance. Depuis, il a jeté par dessus bord la plupart de ses revendications sociales et il a largement adapté son programme à celui du parti gouvernemental. Ne sont restés que le chauvinisme et la revendication de mesures autoritaires.

La LPR

La Ligue des familles polonaises (LPR) est plus récente que Samoobrona mais elle a ses racines dans la tradition historique du nationalisme polonais.

Elle est sortie, tout comme le parti Droit et Justice (PiS), des ruines de l'Action électorale Solidarité (AWS) qui a été, entre 1997 et 2001, le parti du chef du gouvernement et qui a perdu ensuite tout soutien dans la population dû à sa désastreuse politique sociale. Tandis que les frères Kaczynski ralliaient les partisans d'un Etat policier dans le parti conservateur PiS, les fondateurs de la LPR se concentraient eux, sur les cercles antisémites et d'extrême-droite. Ce parti est devenu le réceptacle de la frange d'extrême-droite en Pologne.

Le président de la LPR, Roman Giertych, est issu d'une dynastie politique. Son grand-père était un étroit collaborateur du national-démocrate Roman Dmowski ; son père, Maciej Giertych, a contribué en 1989 à refonder le Parti national-démocrate et joue encore un rôle actif dans la politique. Le rôle des nationaux-démocrates et de Dmowski dans l'histoire polonaise jette une lumière révélatrice sur l'actuelle LPR.

Dmowski, né en 1864, passe pour le rival, dans la période entre les deux guerres, de Josef Pilsudski qui organisa un coup d'Etat et établit une dictature en 1926. Tous deux étaient des nationalistes de droite. Mais alors que Pilsudski avait en vue une extention du territoire polonais et concevait par conséquent que des gens ayant une autre langue, une autre culture et une autre religion avaient une place dans l'Etat polonais, pour Dmowski, la langue polonaise et la religion catholique étaient les principaux critères définissant la nation polonaise.

Dmowski était un darwiniste social et un antisémite hystérique qui voyait partout un complot international juif. Il considérait toutes les minorités nationales comme des ennemis potentiels de la nation polonaise. Dans son livre « Pensées d'un Polonais moderne » il avait écrit en 1902 : « Dans le caractère de cette race [juive] se sont rassemblées tant de valeurs étrangères à notre constitution morale et nusibles à notre vie que l'assimilation d'une grande quantité de juifs nous détruirait, nous remplaçant par des élements décadents, plutôt que par les fondations jeunes et créatrices sur lesquelles nous puissions construire notre avenir ».

C'est surtout après la Révolution russe de 1905, dans laquelle Dmowski combattit dans le camp du Tsar et contre la rébellion socialiste polonaise, que l'antisémitisme joua un rôle important dans le programme de celui-ci. Dès 1912, il revendiquait le boycott des magasins juifs en Pologne et préconisait la confiscation de la propriété juive et l'émigration hors de Pologne de l'ensemble de la population juive.

On retrouve dans le programme de la LPR de nombreux éléments issus de la tradition de Dmowski : le chauvinisme, la xénophobie, l'antisémitisme (et ce après que la presque totalité de la population juive ait été exterminée par les nazis !) et l'intégrisme catholique. La LPS s'oppose ainsi strictement au droit à l'avortement, aux relations homosexuelles et à toute législation en contradiction avec la doctrine morale du catholicisme.

Roman Giertych a relancé en 1989, à l'âge de 18 ans, les Jeunesses de la Grande Pologne, qui dans les années 1930 avaient fait fonction d'organisation de jeunesse du Parti national (SN) de Dmowski et se caractérisaient par des actions militantes nationalistes et antisémites. Elles se servaient à l'époque de symboles nationaux-socialistes tels que le salut hitlérien et on lui doit des excès antisémites dans plusieurs universités où elle était parvenue à imposer l'exclusion totale d'étudiants juifs.

La nouvelle édition des Jeunesses de la Grande Pologne de Giertych a elle aussi repris l'usage des symboles fascistes. C'est ainsi que deux députés LPR au Sejm se sont fait photographier l'automne dernier faisant le salut hitlérien, ce qui a provoqué un scandale. Les Jeunesses polonaises de Giertych se sont aussi fait une réputation par leurs troupes de nervis au crâne rasé qui attaquent brutalement les manifestations d'homosexuels ou les expositions artistiques qui ne sont pas du goût de cette organisation à l'horizon extrêmement bas.

La LPR a bénéficié d'un soutien considérable en fait de propagande de la part de « Radio Maria », une des stations de radio la plus écoutée du pays et dirigée par Tadeusz Rydzyk, un membre de l'ordre catholique des Rédemptoristes, soutenu par des sections de l'épiscopat catholique. Les quotidiens à fort tirage Nasz Dziennik (Notre feuille quotidienne) ainsi que la chaîne de télévision Trwam (Je persiste) font partie du même empire médiatique catholique.

Outre des programmes religieux, « Radio Maria » diffuse des messages politiques sans équivoque. Les théories du complot antisémite tout comme les attaques vis-à-vis des homosexuels et des étrangers sont une partie intégrante de son programme vespéral. Selon les mots du dernier survivant encore en vie de la rébellion du ghetto de Varsovie, Marek Edelman, cette station de radio propage « la xénophobie, le chauvinisme et l'antisémitisme ». Un des commentaires diffusés par cette radio au mois de mars affirme qu'au moment où les Polonais luttaient pour la démocratie en Ukraine et en Biélorussie, ils furent trahis par les Juifs. Selon ce commentaire, « les Juifs » ont « rançonné » la Pologne sous couvert de compensations et ont humilié la nation en se présentant comme les principales victimes d'Auschwitz.

Lors de la campagne électorale de l'année dernière, les frères Kaczynski se sont eux aussi appuyés sur cette station de radio et sur ses auditeurs des régions plus arriérées du pays. Ils ont mis l'accent sur leur propre religiosité et revendiqué l'unité de l'Eglise catholique et de la nation polonaise. « Radio Maria » a répondu en prenant parti pour Lech Kaczynski dans l'élection présidentielle. Depuis, la station de radio a été promue au rang d'un correspondant de cour officiel. Les membres du gouvernement lui donnent régulièrement des interviews et on la fournit continuellement en informations exclusives.

Des années durant, le Vatican et les évêques polonais avaient vu « Radio Maria » d'un oeil complaisant. Même si le pape polonais n'était pas d'accord avec toutes les opinions émises par la station, celle-ci propageait ses propres conceptions morales conservatrices parmi quatre millions d'auditeurs. Ce n'est qu'en novembre dernier que le successeur de Woytila, Ratzinger, a exprimé pour la première fois et sur l'insistance de quelques évêques polonais plus libéraux, une faible critique. « Radio Maria » a réagi en attaquant le pape à qui elle a reproché d'avoir « une peur terrible qu'on ne le présente comme un antisémite » parce qu'il était allemand.

La responsabilité des post-staliniens

L'entrée de deux partis d'extrême-droite dans le gouvernment polonais n'est pas le résultat d'un mouvement de masse droitier où fasciste. Bien que le nouveau gouvernement dispose d'une majorité des sièges au parlement, il disposait, il y a sept mois, du soutien de moins d'un cinquième de l'électorat. La majorité des électeurs était simplement restés chez eux. La LPR a obtenu tout juste 8% des voix, Samoobrona 11%, le PiS 27 % et la participation n'avait été que de 40%. Selon un sondage d'opinion réalisé par téléphone, 64% des polonais rejettent un gouvernement avec participation de la LPR et de Samoobrona.

La droite s'est avancée dans le vide politique qui s'est ouvert dû au discrédit où était tombé l'Alliance démocratique de gauche (SLD), qui avait gouverné de 2001 à 2005 et dont était issu le président qui fut en poste pendant une décennie, Aleksander Kwasniewski. Cette organisation qui avait succédé au parti d'Etat stalinien représentait les intérêts d'une couche corrompue de nouveaux riches qui avaient fait main basse sur la propriété d'Etat.

Pour ce faire, cette couche a agi avec une grande brutalité vis-à-vis de la population travailleuse. La restructuration de l'agriculture et la privatisation des entreprises d'Etat, deux préconditions à l'entrée de la Pologne dans L'Union Européenne ont entraîné un chômage officiel de près de 20%. En Pologne, ce chiffre recouvre en fait une prodigieuse misère. La protection sociale et médicale déjà bien maigre fut, dans le cadre du « Plan Hausner », encore réduite par le gouvernement au cours des dernières années. Des millions de familles durent lutter pour leur survie alors que le SLD faisait les titres des journaux avec des scandales à la corruption sans fin.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les partis de droite aient réussi à influencer des couches d'électeurs désespérés grâce à un mélange de promesses sociales et d'attaques vis-à-vis de l'Union Européenne.

Il ne restera toutefois pas grand-chose de ces promesses sociales dans le nouveau gouvernement. Le PiS a déjà démontré au cours des derniers mois qu'il poursuivra de façon conséquente la politique d'austérité de son prédecesseur et qu'il réprimera brutalement toute résistance. Son plan de budget pour l'année 2006 ne se distingue que peu du budget d'austérité du précédent gouvernement. Il ne comporte que quelques modifications de facade. On a ainsi doublé la prime familiale unique de 500 Zlotys (environ 126 euros) et on a légèrement augmenté les dépenses pour la construction de logements sociaux et pour des mesures caritatives.

Lorsque la ministre des finances a pris la démagogie sociale de son parti trop au sérieux et a déclaré que les chaînes de distribution étrangères n'étaient pas les bienvenues en Pologne, elle a dû quitter son poste et céder la place à Zyta Gilowska. Gilowska prend fait et cause pour un taux d'imposition unique de 15% et a elle-même reproché à Jerzy Hausner, notoire pour sa politique dure d'austérité financière, de vouloir réintroduire le socialisme en Pologne.

L'accord passé par les partis de la nouvelle coalition prévoit que le déficit budgétaire ne devra pas dépasser 30 milliards de Zlotys (environ 8 milliards d'Euros) et qu'il devra être réduit à moyen terme. D'autres restrictions sont donc ainsi programmées. L'analyste économique Janusz Jankowiak est convaincu que rien ne restera de la démagogie sociale de Leppers lorsque celui-ci sera au gouvernement. « L'entrée de Leppers au gouvernement ne signifie aucunement la réalisation de son programme économique utopique. » dit-il.

La politique du nouveau gouvernement vise surtout à un renforcement de l'appareil d'Etat. Outre de nombreuses purges qu'il a effectuées sous couvert de lutte contre la corruption, le PiS a déjà introduit une modification de la Loi sur la radiodiffusion qui lui permet d'obtenir le contrôle total du Conseil natinal de la radiodiffusion. Parallèlement, ce conseil a été, « en vue de protéger l'éthique journalistique », doté du pouvoir d'intervenir dans la diffusion d'information par la radio publique polonaise.

On projette également un durcissement du droit criminel et une extension des pouvoirs du président. On a précisément élu Janusz Kochanowski, connu pour être un ardent défenseur de la peine de mort, comme responsable pour les droits civils au parlement. Selon le nouvel accord de coalition, il s'agit de combattre la corruption et la vénalité et de renforcer les valeurs traditionnelles et la famille. A cet effet doivent être créés une police anticorruption, une sorte de police secrète d'Etat aux pouvoirs étendus et un « Institut national de l'éducation ».

Plusieurs manifestations de lycéens se sont déjà produites contre l'ingérence conservatrice dans l'éducation. « Nous craignons qu'à présent ne règne dans toutes les écoles un climat de nationalisme, de chauvinisme et de radicalisme clérical dans le style de Radio Maria et que que le pluralisme déjà limité ne disparaisse complètement », ont écrivit les lycéens dans un manifeste. Le journal Gazeta Wyborcza a qualifié la nomination de Giertych au poste de ministre de l'Education de « coup de poing dans la figure de tous les enseignants polonais ».

La participation de Lepper et Giertych au gouvernement polonais revient à peu de chose près à faire du chef du Front national, Jean-marie Le Pen, vice-premier ministre ou à confier des postes ministériels au parti néo-fasciste NPD à Berlin. Néanmoins cette participation n'a guère provoqué de réactions internationales.

Un porte parole du ministère des Affaires étrangères français a simplement dit que son gouvernement espérait « naturellement » pouvoir poursuivre son travail avec la Pologne afin de faire avancer l'Union Européenne et les relations bilatérales. Pas un mot de l'antisémitisme de la LPR ou du nationalisme de Samoobrona.

Lorsque le FPÖ de Jörg Haider était entré dans le gouvernement autrichien il y a six ans, quatorze Etats de l'Union Européenne avaient suspendu leurs relations bilatérales avec ce pays. Ils craignaient une déstabilisation politique du fait de l'arrivée des populistes de droite au gouvernement. Le silence actuel des gouvernements européens en dit long sur l'état de la politique européenne. L'accroissement des tensions sociales a rendu la politique d'un Haider présentable au niveau international.

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