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Pologne: les frères Kaczynski contrôlent à
présent les deux plus importantes fonctions politiques
Par Marius Heuser
14 juillet 2006
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Les jumeaux Jaroslaw et Lech Kaczynski se sont
emparés le week-end dernier dans un coup d’Etat politique des deux plus importantes
fonctions politiques de Pologne. Le président de la République, Lech Kaczynski,
a nommé son frère Jaroslaw au poste de premier ministre en lui faisant prêter
serment lundi.
En conséquence, les
deux postes-clés du pouvoir, le chef de l’Etat et le chef du gouvernement, sont
occupées par des hommes qui non seulement se ressemblent à s’y méprendre, mais
qui partagent aussi la même ligne politique. Ils ont quasiment fait le même
parcours politique et soutiennent les mêmes convictions archi- réactionnaires.
Après les élections de septembre dernier,
Jaroslaw Kaczynski, le président et le principal candidat du parti Droit et
justice (PiS), avait expressément décliné le poste de premier ministre pour ne
pas entraver les chances de son frère jumeau d’être élu aux élections
présidentielles qui avaient lieu un mois plus tard. Il existait de bonnes
raisons à cette décision : selon certains sondages, même des partisans du
PiS voyaient avec scepticisme les deux frères occuper les deux plus importantes
fonctions dans l’Etat. Au bout du compte cette décision a porté ses fruits.
Suite à un vote serré, Lech Kaczynski fut élu président.
Huit mois plus tard, la décision prise alors
est annulée et ce en dépit du fait que la situation où les
deux frères dominent la vie politique polonaise est aujourd’hui plus
impopulaire que précédemment. D’après un sondage réalisé par le Gazeta
Wyborcza, seuls 21 pour cent des personnes interrogées pensent que Jaroslaw
Kaczynski était un bon premier ministre, alors que 82 pour cent accordent leur
confiance à son prédécesseur, Kazimierz Marcinkiewicz.
Vendredi dernier,
Marcinkiewicz avait présenté « volontairement » sa démission au
président de la République dans une ambiance de remerciements et d’honneur
réciproques. C’est toutefois un secret de Polichinelle que les frères Kaczynski
l’ont forcé à démissionner. Jaroslaw Kaczynski avait déjà informé jeudi les
partenaires de la coalition du changement imminent.
Le lendemain déjà, la
direction du PiS organisait une réunion à laquelle Marcinkiewicz fut convié.
Pour participer à cette réunion il dut annuler un déplacement officiel en
Croatie. Il annonça sa démission immédiatement après la réunion. En guise de
consolation, il lui sera permis d’être candidat du PiS à la mairie de Varsovie
lors d’élections prochaines cet automne.
Marcinkiewicz, un technocrate terne issu des
rangs inférieurs du PiS, était considéré au moment de sa nomination comme un
exécutant loyal des frères Kaczynski. Toutefois, une fois au pouvoir, il
commença à se distancer de ses mentors.
Alors que les Kaczynski se détachaient de plus
en plus de la Plateforme civique (PO) et de sa politique en faveur d’une
économie de libre-marché, avec laquelle ils avaient jadis envisagé d’entrer en
coalition et qu’ils adoptaient une direction anti-européenne et nationaliste, faisant
finalement entrer dans le gouvernement les deux partis d’extrême droite, le
parti de l’Autodéfense paysanne (Samoobrona) et la Ligue des familles
polonaises (LPR), Marcinkiewicz passait pour représenter l’aile défendant le
libre-marché au sein du PiS. Il préconisait une orientation nettement plus
favorable à l’Europe et s’efforça à plusieurs reprises de faire entrer la
Plateforme civique dans la coalition. D’après les sondages d’opinion, il était
le ministre le plus populaire du gouvernement.
Les différends
entre Marcinkiewicz et les Kaczynski se manifestèrent surtout au sujet de
questions concernant le personnel.
C’est ainsi qu’en
mai, le ministre des Affaires étrangères pro-Europe, Stefan Meller,
démissionnait pour protester contre l’entrée au gouvernement des deux partis
d’extrême-droite. Pour le remplacer, le président Kaczynski désavoua son
premier ministre en nommant Anna Fotyga qui suit une ligne dure en politique
extérieure.
Puis en juin, la ministre des Finances
de Marcinkiewicz, Zyta Gilowska, fut forcée de partir à la suite d’accusations
sur des liens avec la police secrète stalinienne qu’elle aurait tus. Les
accusations non prouvées furent probablement lancées par les services secrets
dont le contrôle est assuré par le PiS. Gilowska passait pour la championne
d’une économie libérale et fut pendant longtemps un membre influent de la PO.
Ce qui fit définitivement pencher la balance
en faveur du au limogeage de Marcinkiewicz fut la
soi-disant « affaire de la pomme de terre ». Le quotidien allemand taz
avait publié sous le titre « La nouvelle pomme de terre de Pologne »
une satire d’un goût douteux sur le président polonais qui fit bien des remous
à Varsovie. Plusieurs journaux polonais spéculèrent sur le fait que cette
affaire serait la véritable raison de l’absence de Kaczynski à la réunion du
« Triangle de Weimar » prévue le 3 juillet et qu’il justifia par des
maux d’estomac. Les présidents français et polonais ainsi que la chancelière
allemande participent à ce sommet qui a lieu régulièrement.
Les huit anciens ministres des affaires
étrangères qui se sont succédé en Pologne depuis l’effondrement du régime
stalinien ont protesté dans une lettre contre cette attitude. Wladyslaw
Bartoszewski, l’un des signataires de la lettre, dit que pour qu’un président
manque un rendez-vous aussi important il faudrait au moins qu’un « avion
se soit écrasé ». On rapporte que Marcinkiewicz a fortement critiqué cette
attitude de façon interne.
Jeudi dernier, Marcinkiewicz a alors rencontré
le dirigeant de l’opposition, Donald Usk de la PO. L’absence de Kaczynski au
sommet du Triangle de Weimar aurait été discutée par les deux hommes et
l’éventualité d’une nouvelle alliance entre le PiS et la PO aurait été abordée.
Cependant, il était déjà trop tard. Marcinkiewicz devait démissionner le
lendemain.
La nomination de Jaroslaw Kaczynki signifie
une accentuation du virage à droite du gouvernement qui s’appuiera désormais
exclusivement sur le PiS et les forces les plus à droite au parlement. Le nouveau
chef du gouvernement déclara que son objectif central était la réalisation
d’une « Quatrième République » qui avait déjà été propagée lors de la
campagne électorale, à savoir d’un Etat fort et autoritaire où les pouvoirs
sont concentrés entre les mains du président.
Le gouvernement Marcinkiewicz avait lui aussi
déjà élargi les pouvoirs de l’appareil d’Etat et développé des structures
autoritaires. L’un de ses premiers projets de loi avait été une loi dérogatoire
concernant la radiodiffusion qui permettra au PiS de contrôler totalement le Conseil
de la radiodiffusion. Parallèlement on donna des pouvoirs accrus à ce conseil
lui permettant d’intervenir dans la radiodiffusion publique soi-disant dans le
but de « protéger l’éthique journalistique ».
Les frères Kaczynki sont déterminés à aller
encore plus loin. Tous deux défendent les attaques contre les homosexuels et
préconisent un durcissement du droit criminel. Leur but est de renforcer les
liens entre l’Etat polonais et l’Eglise catholique tout en le purgeant de toute
influence « communiste ».
La direction qu’ils envisagent de suivre est révélée par le projet du ministre de l’Education, Roman Giertych,
de faire figurer des cours de patriotisme dans les programmes scolaires.
Giertych est le président de la Ligue des familles polonaises (LPR), mais ses
projets qui sont également appuyés par les députés du PiS ont déjà occasionné
de nombreuses protestations. Des écoliers et des enseignants rassemblèrent en
un rien de temps, 140.000 signatures réclamant la démission de Giertych.
Plus de 10.000 personnes manifestèrent à ce propos dans les grandes
villes du pays.
Giertych a
également présenté un logiciel qui, une fois installé sur l’ordinateur, devra
empêcher l’accès à des sites précis, entre autres ceux de l’opposition.
Son père, Maciej
Giertych, qui siège au Parlement européen pour la LPR, a, dans sa fonction de
député européen, loué récemment Franco, le dictateur fasciste espagnol. Il
avait exprimé son regret de ne plus trouver de nos jours des hommes d’Etat d’une
stature comparable à celle de Franco. C’est avant tout au général Franco que
l’Europe devrait être reconnaissante d’avoir refoulé l’attaque communiste
contre l’Espagne catholique.
L’on peut s’attendre à ce que les frères
Kaczynki utilisent de façon machiavélique les pouvoirs nouvellement gagnés pour
faire avancer leurs propres intérêts et recourir davantage au copinage. Dans le
court espace de temps que le PiS a passé au pouvoir, il a déjà attribué toute
une série de postes importants à ses partisans.
En premier lieu, les hommes de tête des
services secrets furent remplacés. Ludwik Dorn, le ministre de l’Intérieur a
nommé un nouveau chef de la police qui à son tour est en train de remplacer les
préfets de police des régions. Le ministre de la Justice, Zbigniew Ziobro, a
nommé de nouveaux procureurs de la république et cherche à contourner la loi
dans le but de contrôler le Conseil supérieur de la magistrature. Le ministre
des Affaires étrangères a remplacé les ambassadeurs de vingt pays. Il est de
plus projeté de centraliser à l’avenir la prise de telles mesures dans un
Bureau central anticorruption (ZAB).
Kaczynki a pris la tête du gouvernement dans
une situation extrêmement difficile. Un certain nombre de ministres avaient
déjà dû faire leurs valises durant le court mandat de Marcinkiewicz et la
Pologne a connu au cours de ces derniers huit mois pas moins de quatre
ministres des finances différents. Tous les quatre avaient tenté d’imposer un
budget d’austérité en dépit dune résistance féroce.
Quelques semaines à peine après son élection,
le gouvernement fut confronté à de violentes manifestations du personnel
hospitalier. Partant de la région de Podkarpacie, aux confins sud-est de la
Pologne, des manifestations et des grèves s’étaient étendues à tout le pays.
Les travailleurs revendiquèrent une augmentation de salaire immédiate de 20
pour cent et un salaire double l’année prochaine. Compte tenu d’un salaire
mensuel entre 1.400 et 1.500 slotys (environ 350-400 euros) ces revendications
sont bien modestes. Le gouvernement Marcinkiewicz avait réagi en menaçant de
durcir le droit de grève et d’appliquer des mesures disciplinaires contre les
grévistes.
Au printemps, les
mineurs déclenchèrent également une grève surprise et des protestations dans le
but de profiter d’une part des bénéfices des entreprises. L’année dernière
uniquement, les profits de trois entreprises minières avaient augmenté de 250
millions d’euros.
D’après un sondage réalisé par l’Institut
Pentor, une nette majorité de la population polonaise a soutenu les
revendications et les grèves des mineurs et du personnel hospitalier. Selon un
autre sondage de l’Institut Gfk Polonia, si une élection avait lieu
aujourd’hui, les trois partis gouvernementaux devraient se partager un peu plus
de 30 pour cent des votes.
Parallèlement, une nouvelle analyse effectuée
en juin dernier par l’Organisation de coopération et de développement
économique (OCDE) dit que « Le marché de l’emploi en Pologne est le pire
d’Europe. » Le rapport demande au gouvernement de simplifier le système
fiscal et de baisser nettement les taux d’imposition des entreprises. Ceci s’accompagnerait
d’autres restrictions qui seraient imposées à la population.
Voir aussi : L'extrême
droite entre au gouvernement polonais
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