France: Les syndicats français en pourparler avec le gouvernement préparent la fin des grèves contre le Contrat première embauche
Par Antoine Lerougetel et Uli Rippert
6 avril 2006
Les plus importants syndicats ouvriers et étudiants, un regroupement de douze organisations connu sous l’appellation Intersyndicale, a tenu une réunion conjointe mercredi à Paris afin de coordonner leurs négociations avec le gouvernement gaulliste portant sur le Contrat première embauche (CPE).
Cinq syndicats, la CGT (Confédération générale du Travail), la CFDT (Confédération française démocratique du Travail), FO (Force ouvrière), ainsi que deux syndicats de cadres, la CFTC et la CFE-CGC, ont plus tard tenu des discussions séparées avec des députés du parti au pouvoir, l’Union pour un mouvement populaire (UMP). D’autres syndicats rencontreront le gouvernement dans les prochains jours.
Le CPE permet le licenciement de travailleurs de moins de 26 ans, sans justification, durant leurs deux premières années d’emploi. Le président Jacques Chirac a officiellement ratifié la loi vendredi dernier mais a déclaré qu’elle ne serait pas appliquée jusqu’à ce que des lois additionnelles soient adoptées pour modifier certains aspects du CPE. Le gouvernement propose de réduire la « période d’essai » de deux à un an et d’obliger les employeurs à fournir une explication de leur congédiement aux travailleurs licenciés.
Les syndicats prétendent que leurs discussions avec le gouvernement (entreprises le jour suivant la deuxième journée nationale d’action contre le CPE où des millions de personnes à travers la France ont participé aux grèves et aux manifestations) visent à faire en sorte qu’une nouvelle loi vienne abroger le CPE. Toutefois, Chirac, le premier ministre Dominique de Villepin et le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy ont tous trois rejeté la possibilité que la loi soit retirée.
Le véritable objectif des syndicats est d’en arriver à une entente qui, ils l’espèrent, leur permettrait dans une certaine mesure de couvrir politiquement leur capitulation. Ils sont conscients de l’immense opposition populaire aux attaques du gouvernement et de la grande entreprise sur des lois en place depuis longtemps et qui offrent une certaine sécurité d’emploi aux travailleurs.
Travaillant de concert avec les partis de la gauche officielle (le Parti socialiste et le Parti communiste), les syndicats cherchent un « compromis » qu’ils pourraient vendre comme une victoire au mouvement de masse, même s’ils acceptent les éléments essentiels de la loi. Au même temps, ils cherchent à mettre un terme à la mobilisation de masse des étudiants et des travailleurs qui ont exposé l’isolement du régime gaulliste et la profonde opposition populaire à ses politiques droitières.
Il y a l’accord implicite entre le gouvernement, les syndicats et l’aile gauche de l’establishment politique que les pourparlers doivent servir d’écran de fumée derrière lequel tous les participants travaillent de concert pour supprimer la résistance populaire.
C’est ce que Chirac a indiqué mercredi en appelant les syndicats à accepter leurs « responsabilités » et à s’assurer que les discussions soient « constructives ». Il a aussi demandé que les étudiants des lycées et des universités mettent un terme à leurs grèves et à leurs occupations et qu’ils retournent en classe.
Le Monde a rapporté que Sarkozy, qui supervise les pourparlers avec les syndicats, a dit mardi « que l'abrogation pure et simple du CPE est exclue ». Le ministre de l’Intérieur, qui est aussi président de l’UMP et qui a supervisé les attaques de la police sur les manifestants résultant en des milliers d’arrestations, a ajouté que le CPE serait mis en oeuvre sous sa forme actuelle si les syndicats refusaient de négocier.
Dans un document qu’elle a rendu public mercredi, l’Intersyndicale a demandé l’abrogation du CPE avant le 17 avril, date prévue pour la suspension de l’Assemblée nationale. Les organisations syndicales « ont toutes convenu qu'elles se rendraient à l'invitation des groupes parlementaires pour exiger le retrait du CPE », a déclaré René Valladon, secrétaire confédéral de FO.
Valladon n’a pas expliqué pourquoi, si les syndicats demeurent toujours aussi catégoriques sur l’abrogation de la loi, ceux-ci se donnent la peine de négocier avec un gouvernement qui a fait de l’exclusion de telles demandes une condition nécessaire aux négociations. La date limite du 17 avril indique la véritable intention de la bureaucratie syndicale. Ils espèrent que cette date soit assez éloignée pour leur donner le temps de diviser et de démoraliser le mouvement de masse. Ce n’est pas le fruit du hasard que les lycéens de Paris soient en congé pascal au même moment.
En attendant, les syndicats n’appuieront plus aucune grève ou ne participeront plus à aucune manifestation étudiante, isolant de ce fait les étudiants des universités et des lycées qui continuent leurs actions en opposition aux politiques du gouvernement. Sarkozy considérera qu’il a le feu vert pour intensifier la répression policière contre les étudiants qui poursuivront les grèves et les occupations dans des centaines d’universités et de lycées.
Des journalistes pour le World Socialist Web Site ont interrogé des représentants des syndicats ouvriers et étudiants lors d’une conférence de presse qui a suivi la réunion conjointe de mercredi. Un correspondant du WSWS a demandé aux leaders syndicaux pourquoi ils avaient accepté de discuter avec le gouvernement après avoir précédemment déclaré qu’ils n’entreprendraient aucun pourparler jusqu’à ce que le CPE soit retiré. Il a poursuivi en demandant pourquoi ils avaient accepté de rencontrer Sarkozy, renforçant ainsi la position des éléments les plus à droite au sein du gouvernement.
« Votre question n’est pas admissible pour une réponse de l’Intersyndicale, a répondu Valladon de FO. Vous devrez la demander individuellement à chacune des organisations. »
Le WSWS a plus tard demandé à Maryse Dumas, une représentante de la CGT, pourquoi son syndicat avait rejeté les appels des délégués étudiants pour une grève générale et avait refusé d’appeler pour la démission du gouvernement gaulliste. Elle a reconnu que la CGT, lié politiquement au Parti communiste, s’oppose à la grève générale et à la lutte pour faire tomber le gouvernement.
« Nous sommes une organisation syndicale et notre objectif n’est pas de faire démissionner le gouvernement mais de faire pression pour qu’il change de politique, a-t-elle répondu. Oui les étudiants ont appelé à une grève générale, mais notre expérience, c’est que les grèves coûtent cher aux salariés. Nous pensons qu’il faut avoir des formes d’action qui permettent à beaucoup de monde de faire une pression énorme sur le gouvernement. »
Yasmina Vasseur, une étudiante au lycée et déléguée de la Coordination nationale étudiante, a discuté avec le WSWS après la conférence de presse des syndicats. « Nous aurions aimé qu’ils suivent notre appel, qu’il soit solidaires avec nous, a-t-elle dit. Là, ils ne le sont pas, mais nous continuerons notre lutte, nos manifestations, nos blocus des lycées et des facs, nos actions coup de poing. »
Elle a continué : « Je ne comprends pas pourquoi les syndicats ne nous soutiennent pas. Je suis déçue – nous devrions nous battre ensemble. »
Alors que les syndicats entrent en pourparler avec le gouvernement et préparent la fin du mouvement de protestation des étudiants, les partis de la « gauche » officielle cherchent à canaliser le sentiment anti-gouvernement vers les voies politiquement moins dangereuses de l’électoralisme. L’aile jeunesse du Parti socialiste a publié une déclaration mardi qui déclarait, faisant référence aux élections présidentielles qui auront lieu l’an prochain : « Le compte à rebours débute ce soir : J-382 ! »
Riposte collective, une alliance du Parti socialiste, du Parti communiste, des Verts ainsi que la Ligue communiste révolutionnaire soi-disant à l’extrême gauche, s’est réunie mercredi soir. La rencontre n’a été suivie ni d’une conférence de presse, ni d’une déclaration.