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Paris: 48 immigrés africains meurent dans des incendies d'immeubles

Par Antoine Lerougetel
1er septembre 2005

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Le 15 avril, 24 Africains meurent dans un incendie à l'hôtel Paris-Opéra dans le IX arrondissement de Paris. A minuit le 25 août un autre incendie se déclare dans un immeuble au 20, boulevard Vincent-Auriol dans le XIII arrondissement et tue 17 Africains. Quatre jours plus tard, sept Africains périssent dans l'embrasement d'un immeuble du quartier du Marais dans le III arrondissement portant le total à 48 victimes en quatre mois.

Les causes des incendies sont toujours en cours d'investigation, mais cependant il est évident que les conditions de surpopulation et de délabrement des édifices en faisaient une cible facile pour des attaques racistes. Les attaques incessantes du gouvernement contre les « sans papiers », et la loi contre le port du voile à l'école ont conforté les préjugés des racistes.

Les incendies du Marais et du boulevard Vincent-Auriol se déclarèrent tous deux dans la cage d'escalier des immeubles, et de ce fait auraient pu être le fait d'intrus.

Les enquêteurs affirment qu'ils n'ont pas trouvé de trace d'hydrocarbures ni d'explosifs dans les bâtiments sinistrés mais ils n'écartent pas la possibilité d'un acte criminel.

Julie, 16 ans, qui habite tout près, parlant des enfants du quartier, s'exclama : « Ils vont tous à l'école ensemble depuis la maternelle. La France a merdé, c'est un crime. Pourquoi c'est toujours les immeubles où habitent les noirs qui brûlent ? ». Les survivants des immeubles posent la même question : « Pourquoi c'est toujours les immeubles habités par les Africains ? »

Douze familles ivoiriennes, soit une quarantaine de personnes, vivaient dans le squat de cinq étages situé dans le Marais, et parmi les victimes on compte quatre enfants. L'incendie avait pris dans la cage d'escalier. Pierre Aidenbaum, maire socialiste du III arrondissement, dit, « On signalait depuis plusieurs années que les conditions de vie y étaient inadmissibles » Les personnes « devaient être relogées en septembre pour effectuer des travaux ».

René Dutrey, président de la société mixte SIEMP, propriétaire de l'immeuble, dit qu'il faisait partie des « 423 pires immeubles insalubres" de Paris. Il ajouta : « Tant qu'on ne créera pas d'offre de logements, on sera obligés de ramasser des gens qui brûlent dans les immeubles ».

Yves Contassot, adjoint (Verts) au maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, a expliqué que les travaux avaient été retardés car certains locataires étaient des sans papiers et qu'on ne pouvait donc pas les reloger. « Il faut sortir de ça, arrêter de traiter les gens comme au XVIII siècle. », s'exclama-t-il.

L'incendie de l'hôtel Paris-Opéra, le 15 avril, dans le quartier luxueux des grands magasins du IX arrondissement, n'a pas fini d'infliger son lot de souffrances humaines. Un survivant est mort de ses blessures en juillet, et deux autres sont toujours hospitalisés. Les promesses faites par les politiques n'ont pas été tenues.

On compte parmi les morts de l'incendie du boulevard Vincent-Auriol 14 enfants et 3 adultes, dont certains décédèrent cherchant à échapper aux flammes en sautant par les fenêtres de l'immeuble de six étages. Parmi les 30 blessés, un enfant et un adulte seraient dans un état critique.

La série d'incendies meurtriers souligne de façon tragique la crise du logement dans la région parisienne tout comme la négligence criminelle des autorités nationales et locales et leurs intermédiaires.

27 adultes et 100 enfants habitaient les appartements du 20, boulevard Vincent-Auriol. Serge Blisko, maire socialiste du XIII arrondissement et partisan du courant de Laurent Fabius, dit à la presse que l'immeuble sinistré n'était peut-être pas dans un état impeccable mais qu'il n'était pas insalubre. Martin Hirsch, président de l'association caritative Emmaüs responsable de l'immeuble, dit, « Je ne dis pas que tout était parfait, mais l'immeuble était entretenu régulièrement et de façon responsable ».

Ces affirmations suffisantes sont démenties par plusieurs faits. La façade de l'immeuble sur la rue Edmond-Flamand, au numéro 2, est fissurée pour cause d'affaissement. Julie, 17 ans, qui a perdu plusieurs cousins dans l'incendie, dit à la presse : « On aurait pu éviter tout ça. Tout le monde savait que les escaliers tremblotaient, que tout était vieux et pourri ! Personne n'a rien fait! C'est un meurtre, ce n'est pas un accident !". Un habitué des lieux ajouta, "Ces pauvres gens n'étaient pas en attente de logement: ils étaient en attente de mort".

En effet, les escaliers, unique issue, étaient en bois. Il n'y avait pas d'escalier de secours ­ situation que les autorités reconnaissent exister dans de nombreux immeubles d'habitation vétustes de Paris. Conscientes que la peinture à base de plomb qui s'écaille provoque le saturnisme chez les jeunes enfants, les autorités avaient recouvert de bois la peinture, rendant ainsi l'immeuble encore plus dangereux en cas d'incendie.

Un policier interviewé sur le lieu du drame fit remarquer qu'il n'y avait pas moyen de fermer à clé la porte d'entrée et d'empêcher le libre accès à la cage d'escalier. «Il suffit d'un mégot pour enflammer les papiers qui traînaient par terre. ». Les résidents font état de cinq départs de feu bénins dans l'immeuble ces dernières années, dont les autorités reconnaissent au moins un.

M. Jammeh, Gambien d'une soixantaine d'années, informa la presse, "ça fait quatorze ans que je suis là, que je demande un autre logement. Je paye 500 euros de loyer et la CAF paye 500 [par mois], pour six pièces. Il y a des fuites d'eau, et des rats qui ont mordu les enfants d'une ivoirienne ».

Christian Oudot, président de France Euro Habitat (Freha), association spécialisée dans le logement des défavorisés et extension d'Emmaüs, qui gère l'immeuble, dit, «On se bat depuis trois ans pour reloger ces familles africaines, afin de refaire l'immeuble en entier, mais personne ne voulait d'eux ». Il prétendit que des appartement suffisamment spacieux pour reloger des familles si nombreuses (certaines sont polygames et ont 10 enfants et plus) sont quasiment introuvables.

L'ironie de la chose c'est que, à peine quelques mois auparavant, Hervé Gaymard, ministre de l'économie nouvellement nommé fut contraint de démissionner après qu'il fut révélé qu'il occupait un appartement de 600 mètres carrés en plein cur de Paris pour un loyer de 14 000 euros par mois payé par le contribuable. Le ministre, auquel le président Chirac avait confié la mission de réduire de manière draconienne les dépenses d'état pour « augmenter la compétitivité de la France », est propriétaire d'un appartement spacieux à Paris, qu'il donne en location et avait dédaigné la suite ministérielle qui lui revenait au Ministère des finances à Bercy.

Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et numéro deux du gouvernement après le Premier ministre Dominique de Villepin, rejeta la responsabilité de la tragédie sur l'immigration clandestine. Usant de la bonne vieille méthode réactionnaire consistant à faire porter la responsabilité de leur malheur aux victimes de la négligence gouvernementale, il dit au journal Le Monde, le 27 août, « La difficulté, c'est que tout un tas de gens, qui n'ont pas de papiers pour certains, s'amassent à Paris, et qu'il n'y a pas de conditions pour les loger ».

Contrairement aux insinuations de Sarkozy, les familles logées au 20, Boulevard Vincent Auriol ont tous leurs papiers en règle. Elles rejettent avec indignation l'idée qu'elles squattent l'immeuble. Elles travaillent et paient un loyer. Les femmes, pour un bon nombre, travaillent comme femmes de ménage dans les immeubles voisins. Ces familles ne sont pas la cause mais bien plutôt les victimes d'un manque chronique de logements sociaux à Paris et dans tout le pays.

D'après la Mairie de Paris, quelques 105 000 demandes de logements sociaux seraient en attente. Dans la région parisienne, en Ile de France, ce chiffre ne cesse d'augmenter depuis les années 90 : 264 000 en 1996, 315 000 en 2002. Certaines familles ont fait la demande de logement il y a 5 ans, d'autres 10 ans, voire plus. Entre temps, ils doivent se contenter de logements tel celui du 20, Boulevard Vincent-Auriol.

Les primes d'encouragement gouvernementales auprès du secteur privé de location n'ont pas réussi à réduire le problème. Les gouvernements et administrations successifs de la Mairie de Paris ont laissé la situation se dégrader. D'après la Fédération nationale d'aide et de réintégration sociale (Ferhars), en France 15 000 personnes vivent dans des centres d'hébergement temporaire et il manque 500 000 logements sociaux. Quelques 3, 5 millions de personnes sont mal logées.

Très peu de communes se soumettent à l'exigence statutaire de faire de 20 pour cent de leurs constructions des logements sociaux. A Paris, la proportion n'est que de 14 pour cent.

Le Groupe pour l'étude et la lutte contre la discrimination (GELD) a découvert que les demandes pour un logement social émanant de familles africaines ont 58 pour cent de chances d'être satisfaites dans un délai de six mois contre 75 pour cent pour les autres demandeurs.

Le gouvernement, pendant ce temps, discute de projets visant à vendre les logements sociaux à des particuliers. Agences immobilières et spéculateurs amassent en ce moment des fortunes colossales avec les loyers et les prix des appartements qui flambent dans la capitale.

La plupart des habitants du 20, Boulevard Vincent-Auriol vivait là depuis 1992. Ils font partie d'un groupe de salariés africains qui avaient occupé le Quai de la Gare et l'Esplanade de Vincennes en 1991 pour protester contre leur expulsion d'appartements vétustes sans qu'il leur soit proposé un autre logement. Connues sous le nom de « 101 familles du Quai de la Gare », ces familles en majorité d'Afrique de l'Ouest avaient fait les gros titres des journaux pendant des mois au début de l'année 1991. Ils campaient dans 26 tentes tout près du Ministère des finances et du chantier de la Grande Bibliothèque, et devinrent le symbole des mal logés.

Le 20, Boulevard Vincent-Auriol avait alors été réquisitionné et acheté par l'état pour reloger quelques-unes des "101 familles".

Le Secrétaire d'état au budget d'alors, Christian Sauter, avait écrit à plusieurs des occupants, « je prends l'engagement, au nom de l'Etat, de veiller à votre relogement définitif dans un délai maximum de trois ans». C'est sur la base de cette promesse que les familles avaient accepté de déménager dans cet immeuble. Depuis lors, on dit aux familles qu'il n'y a pas de logements décents disponibles. Il a fallu cette tragédie pour que la municipalité de Paris déroge aux procédures habituelles et que sous les feux des projecteurs braqués sur les lieux du désastre, elle révèle qu'elle dispose en fait des logements disponibles et qu'elle va reloger ces familles correctement dans un avenir très proche.

Il y a non loin de là deux immeubles présentant des conditions pires que celles de l'immeuble du 20, boulevard Vincent-Auriol. Au 150 de ce même boulevard, 250 Ivoiriens vivent dans 77 appartements de 12 mètres carrés dans un immeuble vétuste de sept étages infesté de rats et de cafards. On y a déjà répertorié plusieurs départs de feux.

A quelques centaines de mètres de là, rue Dunois, 20 familles vivent dans un immeuble abandonné. Sans chauffage et sans électricité, ils cuisinent sur des butagaz, se chauffent avec des poêles à mazout et s'éclairent à la bougie et avec des lampes. C'est la mairie qui approvisionne chaque famille en bouteilles de gaz. Madame Ngitukulu raconte qu'un matelas prit feu au sous-sol il y a de cela quelques mois et que cela aurait pu causer un drame. Elle dit à Libération que son fils de cinq ans a des amis au 20, Boulevard Vincent-Auriol et que bien sûr elle était inquiète. Elle dit avoir l'impression d'être assise sur une bombe.

Nombreux sont ceux qui refusent d'être logés dans des hôtels parce que « on n'a pas le droit de cuisiner », dit M. Ngitukulu qui en a plus qu'assez des promesses de relogement non tenues.

Tout à fait conscientes de ces conditions terribles, les autorités ont passé le relais de leur responsabilité envers les milliers de personnes mal logées aux associations caritatives et ONGs, et comptent sur les efforts de ces dernières pour dissimuler l'échec de l'état à fournir des logements sociaux adéquats.

Les associations comme celles de l'Abbé Pierre et de feu Mère Thérésa sont soutenues par les politiciens les plus réactionnaires et les riches, du fait qu'elles ne remettent nullement en question la société capitaliste, encouragent le recours passif à la charité et de ce fait contribuent à éviter les explosions sociales.

Pierre Brard, maire communiste de Montreuil-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis déclara que la FREHA avait la charge d'une douzaine de foyers dans sa commune: "Elle règle les situations impossibles et témoigne d'un sens aigu du dialogue avec les familles en détresse ».

Le Monde du 28 août cita le travail de René Baillin, La Documentation française (2004): "L'intervention des associations manifeste des faiblesses défaut de professionnalisation, surtout dans le domaine immobilier ; faiblesse financière des structures". Il se demande, avant tout, si les associations caritatives n'ont pas été « entraînées» à promouvoir des formes d'habitat plus ou moins éloignées de la norme de droit commun.

Jean-Baptiste Eyraud, président du DAL (Droit au logement), dit à la presse que les autorités comptaient beaucoup sur les associations pour loger les pauvres : « C'est une vraie sous-traitance institutionnelle. Depuis deux ans, le processus s'accélère, le gouvernement a enclenché la marchandisation du logement social. On démolit. On vend, on dérégule les loyers».

Jean-Baptiste Eyraud a annoncé qu'il y aurait une manifestation de soutien aux mal logés samedi à Paris. Il y a des appels à une journée nationale de deuil en hommage aux victimes des incendies. Le DAL en appelle au gouvernement pour qu'il réquisitionne les immeubles non occupés comme mesure d'urgence et qu'il lance un vaste programme de développement du parc de logements sociaux.

Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement s'est contenté de proposer la construction de davantage d'hôtels pour les mal logés. Laurent Fabius, ancien premier ministre socialiste fit le commentaire suivant : « Le logement, c'est la qualité de vie, la dignité, la sécurité, les résultats scolaires Notre système est infichu de donner des logements décents ».

Martine Aubry, maire socialiste de Lille et personnalité importante du gouvernement de Gauche plurielle de Lionel Jospin reconnut en toute franchise sur France Inter « qu'aucun des gouvernements, de gauche comme de droite, ne s'est attaqué véritablement à la crise du logementun problème majeur dans notre pays ».


 

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