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Non à l'état d'urgence en France!

Par le comité de rédaction du WSWS
Le 9 novembre 2005

Le World Socialist Website s'oppose et dénonce l'instauration de l'état d'urgence par le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy en France. L'introduction de cette mesure anti-démocratique, qui donne le feu vert aux CRS, à la police anti-émeute et autres agences répressives pour lancer un assaut de plein front contre la jeunesse, est une attaque d'envergure contre les droits démocratiques et une menace envers la classe ouvrière française dans son ensemble. Ce n'est pas un hasard si le recours à cette loi fut mentionné en public pour la première fois par Marine Le Pen, fille et collaboratrice de Jean-Marie Le Pen, dirigeant du Front national néofasciste.

Nous appelons la classe ouvrière française et toutes les personnes véritablement de gauche et pour qui la défense des droits démocratiques et la lutte pour la justice sociale ont encore un sens, à prendre la défense de la jeunesse appauvrie et proposer une perspective politique dans la lutte contre le capitalisme français sclérosé.

Les événements qui se sont produits dans les banlieues ouvrières de la région parisienne et dans d'autres villes ont quelque chose de tragique et de désespéré, mais la responsabilité pour cette violence incombe entièrement à l'élite politique française, y compris son aile « gauche » et « d'extrême-gauche » qui se satisfont essentiellement du statu quo et qui ne s'intéressent aucunement au sort de la jeunesse ouvrière, condamnée à végéter dans un environnement sinistré.

L'état d'urgence annoncé le 8 novembre, tout comme l'appel à des policiers réservistes, confère aux préfets le pouvoir d'instaurer des couvre-feux, d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit et de faire des fouilles sans mandat. Le décret d'état d'urgence, qui fut rendu possible par une loi de 1955, entre en vigueur pour une période de douze jours, mais l'Assemblée nationale peut en proroger la durée au-delà « si nécessaire ». Le couvre-feu devait entrer en vigueur mardi à minuit dans des zones restant encore à déterminer. Le refus de se soumettre peut être passible d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux mois et d'une amende de 3 750 euros, ou les deux.

Ce décret autorise les élus locaux à prononcer des assignations à résidence et à ordonner la remise des armes. Les lieux publics peuvent être fermés. La loi accorde au gouvernement le pouvoir de restreindre la liberté de presse et de réunion ainsi que de fermer des théâtres.

France Inter, radio publique, rapporta le 8 novembre qu'aucune restriction ne serait appliquée à la presse et au théâtre mais un porte-parole du gouvernement refusa de le confirmer.

La grève générale de masse de 1968 n'occasionna pas un tel état d'urgence. La loi de 1955 est surtout associée, notamment pour les générations maghrébines plus âgées, aux violences et à la torture perpétrées par l'Etat français contre la population algérienne et les immigrés algériens dans les années 1950 et 1960.

Le 17 octobre 1961, en l'occurrence, durant une manifestation pacifique à Paris contre un couvre-feu similaire, la police massacra au moins 50, et peut-être jusqu'à 200 immigrés algériens, battus à mort dans la cour de la préfecture de police, et d'autres, blessés, furent jetés dans la Seine.

En annonçant les détails de cette mesure à l'Assemblée nationale dont l'hémicycle était comble mardi, le Premier ministre, Dominique de Villepin déclara que « le rétablissement de l'ordre public était un préalable Nous faisons face à des individus déterminés, à des bandes structurées, à de la criminalité organisée, qui ne recule devant aucun moyen pour faire régner le désordre et la violence. »

« La République est à une heure de vérité il est temps que la violence cesse » précisa de Villepin au parlement français en ajoutant que le gouvernement avait pris « ces événements comme un avertissement et comme un appel ».

Quelques 1 500 policiers réservistes supplémentaires seront recrutés pour renforcer les 8 000 qui sont déjà sur place dans les banlieues ouvrières affectées par la violence. Lors d'une interview télévisée, Villepin répondit à une question concernant une éventuelle intervention de l'armée dans les agglomérations urbaines : « Nous n'en sommes pas là ». Il dit que étape par étape le gouvernement prendrait les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre très rapidement dans toute la France.

Le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, dont les propos racistes et incendiaires avaient contribué à déclencher les violences déclara, de façon sinistre, après que la décision d'instaurer l'état d'urgence ait été prise, qu'il lui sera à présent possible d'agir de façon préventive pour éviter ces événements. Il dit que le gouvernement suivrait de près l'évolution des événements. Il semblerait que Sarkozy ait à l'esprit des détentions « préventives » de masse.

Villepin annonça également à l'Assemblée nationale quelques mesures alibi pour remédier au chômage chronique des jeunes et à la misère existant dans les cités touchées, dont le reversement des sommes que le gouvernement précédent de Jean-Pierre Raffarin avait diminuées. Dans les banlieues le chômage peut atteindre un niveau de 40 pour cent parmi la jeunesse.

Au cours de l'éruption sociale qui commença le 27 octobre après la mort par électrocution de deux jeunes banlieusards qui fuyaient la police, 6000 voitures ont été brûlées et 1200 personnes ont été arrêtées, dont bon nombre étaient mineurs. Quatre-vingt quatre bâtiments publics ont été incendiés. Un homme de soixante et un an est mort lundi de blessures qu'il aurait reçues quand il fut attaqué alors qu'il essayait d'éteindre une poubelle en feu. Les troubles se sont étendus de Paris à Lyon, Toulouse, Marseille et d'autres villes de province. Dans la nuit de dimanche à lundi des voitures furent incendiées dans quelques 226 villes françaises, la nuit précédente cela avait encore été le cas dans 274 villes.

Selon un porte parole de la police nationale, des jeunes de Toulouse, dans le Sud-Ouest de la France, ordonnèrent aux passagers d'un bus de descendre, mirent le feu au véhicule puis lancèrent des pierres et des bouteilles remplies d'essence sur la police. Un autre bus fut incendié à Stains, dans la banlieue Nord de Paris. A Sevran, aussi en banlieue parisienne, un collège fut incendié. Selon la police, un hôpital fut attaqué dans la ville de Vitry-sur Seine et à Chenove, en Bourgogne, des émeutiers attaquèrent un commissariat de police. Sebastien Roche, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique dit à la presse que jamais autant de villes n'avaient été affectées simultanément par des émeutes.

Les médias font le silence sur ce que la police anti-émeute fait dans les quartiers, mais ce qu'on sait des CRS laisse à penser que tout jeune qui tombe entre leurs mains peut s'attendre a être traité avec brutalité. Ceux qui sont arrêtés sont jugés en procédure d'«urgence», ce que critiquent des défenseurs des libertés civiles. L'agence de presse Associated Press fait remarquer que dans un tribunal de Bobigny, dans la banlieue Nord Est de Paris, on a traité en un jour soixante affaires liées aux émeutes et que trois juges supplémentaires avaient été requis «pour faire face à l'engorgement». Cinquante deux adultes et vingt trois mineurs ont été condamnés à des peines de prison ou dans des centres de détention.

Michel Gaudin, chef de la police nationale dit à des reporters mardi que la violence décroissait en intensité et que les attaques contre des bâtiments publics avaient diminué du point de vue des dommages causés. Les choses se calmaient moins en province qu'à Paris, et la violence se poursuit dans les grandes villes comme Toulouse, Lyon et Saint Etienne.

L'Euro est tombé à son niveau le plus bas vis-à-vis du dollar depuis deux ans suite au reportage de violences à Bruxelles et à Berlin.

L'annonce par de Villepin de l'instauration de l'état d'urgence a provoqué une réponse nerveuse de la part du journal Le Monde, de centre gauche et dont l'éditorial de mardi déclarait "qu'exhumer une loi de 1955 c'est envoyer aux jeunes des banlieues un message d'une sidérante brutalité : à cinquante ans de distance, la France entend les traiter comme leurs grands-parents".

Libération, un autre quotidien du centre gauche, qualifia de «farce tragique» l'instauration de l'Etat d'urgence. Ce journal reconnut que la priorité première était de «rétablir l'autorité de l'Etat», mais pas à n'importe quel prix.'

La Ligue des droits de l'homme qualifia de «catastrophique» l'imposition du décret instaurant l'état d'urgence. Cette organisation affirma : «Ceci est une crise sociale, pas une guerre.'

La réaction des partis de la gauche officielle à l'annonce de de Villepin était prévisible. Le Parti socialiste (PS) qui est, avec le parti gaulliste et d'autres partis de droite, responsable des conditions déplorables qui existent dans les quartiers ouvriers, parla bien de la «lourde responsabilité» du gouvernement, spécialement de celle du ministre de l'Intérieur Sarkozy, dans le déclenchement de la violence. Mais le porte-parole du PS Jean-Marc Ayrault déclara immédiatement : «Nous ne sommes pas hostiles par principe au couvre-feu'. Ayrault prononça cette phrase creuse : «L'état d'urgence c'est d'abord l'état d'urgence sociale».

Le parti communiste francais (PCF) s'est opposé à l'instauration du couvre-feu, se plaignant de ce que le gouvernement avait ressorti une loi vieille de 50 ans «comme si nous étions en guerre». Les staliniens proposent, à la place, une révision du budget de l'Etat. La secrétaire nationale du PCF, Maire George Buffet avertit le gouvernement que le décret pouvait inciter la jeunesse à continuer : «cette mesure pourrait être prise comme une sorte de défi par les jeunes». les Verts aussi s'opposèrent aux mesures d'urgence arguant qu'«on n'était pas dans une guerre civile».

La Ligue communiste révolutionnaire qualifia la mesure d'«intolérable». Olivier Besancenot, porte parole de la LCR lança un appel à «toute la gauche et à toutes les organisations démocratiques pour qu'elles organisent ensemble des manifestations». Dans une déclaration publiée sur le site Internet de Rouge, la direction de la LCR fait la leçon aux jeunes leur disant que bien que leur colère «est compréhensible, ils se trompent de cibles lorsqu'ils incendient les voitures des habitants, des écoles, des gymnases ou des crèches".

Les partis de la soi-disant «extrême gauche», y compris Lutte Ouvrière, portent la responsabilité du manque de perspective politique de la jeunesse. L'unique préoccupation de ces partis consiste à s'insinuer dans les bonnes grâces des diverses factions du Parti socialiste, du Parti communiste et de la bureaucratie syndicale. Ils ont, eux aussi, trahi et abandonné les couches les plus pauvres de la jeunesse.

Alors que de Villepin annoncait l'Etat d'urgence, un nouveau sondage d'opinion indiquait que trois adultes sur quatre en France désapprouvaient la manière dont la crise avait été gérée. Le sondage réalisé pendant le week-end par l'institut LH2, trouva que 71 pour cent des personnes interrogées pensaient que la réponse du gouvernement au soulèvement «allait dans la mauvaise direction».

Le sondage ne dit pas de quel point de vue le gouvernement était critiqué, si c'est pour avoir été trop brutal ou trop coulant vis-à-vis des jeunes en colère, mais le vendeur interviewé sur un marché parisien par le Washington Post n'est probablement pas le seul à penser comme il le fait. Michel Narbonne, 59 ans, dit à ce journal : «ce n'est pas un hasard si ces gosses protestent quand leur avenir ressemble à une impasse. Ils sont frustrés comme la majorité des français. Ces jeunes font ce que la plupart des français veulent faire depuis dix ans».