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La politique de l'opportunisme : l'extrême gauche en France

3e Partie ­ Le 15e congrès de l'internationale pabliste

Par Peter Schwarz
19 mai 2004

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On retrouve les conceptions politiques exprimées par la LCR dans son appel pour une « gauche anticapitaliste » dans les résolutions du 15e congrès mondial de la « Quatrième Internationale » pabliste (dont la LCR est la section française officielle), reprenant souvent exactement les formulations qui y sont employées. Ce congrès s'est tenu au mois de février 2003 à Bruxelles. Les origines de l'internationale pabliste, longtemps connue sous le nom de « Secrétariat Unifié » et dont le dirigeant le plus connu fut, jusqu'à sa mort en 1995, Ernest Mandel, remontent comme nous le verrons, à 1953. A cette époque, plusieurs sections de la Quatrième Internationale rompirent avec les fondements programmatiques de la Quatrième internationale fondée par Léon Trotsky et se rapprochèrent, sous la direction de son secrétaire d'alors, Michel Pablo, du stalinisme d'obédience moscovite.

Le 15e congrès pabliste, le premier depuis 8 ans, se déclara en faveur de la construction d'une nouvelle « Internationale de masse » qui serait en rupture avec tout ce qui rappelle, même de loin, les traditions marxistes sur lesquelles s'étaient basées lors de leur fondation les internationales précédentes. Un rapport officiel du congrès, rédigé par François Vercammen, le souligne de façon explicite.

Ce membre du bureau exécutif pabliste écrit : « Cette nouvelle Internationale, ou du moins un premier pas sur la voie de sa construction, sortira des limbes des mouvements et mobilisations actuels. Elle ne ressemblera à aucune des précédentes, et certainement pas aux Internationales marxistes-révolutionnaires de type partidaire. Elle sera la riposte 'spontanée' massive au règne despotique global sans précédent dans l'histoire du capitalisme, et son point d'ancrage sera son internationalisme et son anticapitalisme intuitif ; mais aussi sa très grande hétérogénéité de tout point de vue. Sa cohérence se trouvant prioritairement dans sa propre mise en mouvement, elle sera certainement différente des cinq précédentes : la Ligue Communiste Internationaliste de 1848, la Première Internationale (1864-1876), la Seconde Internationale (1889-1914), l'Internationale communiste (la 'Troisième', 1919-1943), la IVe Internationale (fondée en 1938). » (1)

Par « mouvements » et « mobilisations » auxquels Vercammen se réfère comme constituant la base de la nouvelle « Internationale de masse », on entend les mouvements contre la mondialisation et contre la guerre en Irak ­ les grandes manifestations contre les sommets internationaux qui ont commencé à Seattle en 1999, les forums sociaux de Porto Allegre et de Florence, ainsi que les manifestations contre la guerre en Irak du mois de février 2003.

Ces mouvements reflétaient l'opposition grandissante de larges couches de la population à l'exploitation et à l'oppression ainsi qu'aux projets de domination mondiale de l'impérialisme américain. Aux côtés de vétérans du mouvement de contestation des années 1960 et 1970 ont aussi pris part à ces manifestations des couches de la classe ouvrière et surtout de la jeunesse intervenant pour la première fois dans la situation politique de manière active et largement indépendante des vieux appareils réformistes. Pour ce qui est de la politique et de l'organisation toutefois, le ton était donné par des organisations refusant ­ comme Attac ou le Parti des travailleurs brésilien ­ une perspective socialiste révolutionnaire et s'efforçant de ramener ce mouvement sous la houlette des institutions bourgeoises en place. Il est connu qu'Attac entretenait des rapports étroits avec le précédent gouvernement français dirigé par Lionel Jospin et que cette organisation compte jusqu'à ce jour de nombreux députés du Parti socialiste français parmi ses membres inscrits. Le PT brésilien d'autre part, qui a sponsorisé le Forum social de Porto Allegre, est devenu dans l'intervalle parti gouvernemental et élève modèle du Fonds monétaire international.

Ignorer ou se contenter de rejeter ces mouvements à cause de leur direction bourgeoise ou petite- bourgeoise, comme le fait par exemple Lutte ouvrière, serait une erreur. Il est cependant tout aussi erroné de s'adapter aux tendances politiques dominantes en abandonnant toute critique et d'espérer qu'une évolution spontanée engendrera d'elle-même un processus de clarification.

La tâche principale des marxistes consiste à amener dans ces mouvements un processus de différenciation politique. Leur but n'est pas la réunification de la « gauche » ­ une appellation qui regroupe toutes les tendances opportunistes et petites-bourgeoises sous le soleil ­ mais l'unification et la mobilisation de la grande masse de la population travailleuse, dont les conditions de vie sont en conflit irréconciliable avec l'existence du capitalisme.

Cela exige une lutte infatigable contre toutes les tendances qui ­ comme Attac, le PT brésilien et bien d'autres ­ ont un pied, voire même les deux, dans le camp bourgeois et qui veulent mettre le mouvement à la remorque de politiciens bourgeois de gauche ou libéraux. La politique inconséquente de ces tendances ­ le fait qu'ils se soucient de l'opinion publique bourgeoise, qu'ils s'efforcent d'interdire toutes « revendications extrêmes » pouvant effaroucher leurs alliés du camp bourgeois ­ résulte inévitablement en leur incapacité à atteindre la grande masse des gens opprimés et même à la rebuter. On ne peut parvenir à une véritable unité de la grande masse des exploités et des opprimés qu'à travers une lutte politique contre l'influence paralysante de ces tendances.

La Quatrième Internationale fut fondée en 1938 après cinq ans de lutte contre divers types de centrisme ­ le POUM espagnol, l'Independant Labour Party britannique, entre autres ­ ainsi que contre le Front populaire, qui sacrifia les intérêts de la classe ouvrière à une alliance avec l'aile gauche de la bourgeoisie. « Elle [la Quatrième Internationale] n'a, ni ne peut avoir, place dans aucun des Fronts populaires. Elle s'oppose irréductiblement à tous les groupements politiques liés à la bourgeoisie » lit-on dans le programme fondateur de la Quatrième internationale (2). Son but et sa raison d'être étaient et sont toujours de permettre à la classe ouvrière d'intervenir dans la situation politique en tant que force politique indépendante.

Les pablistes rejettent explicitement une telle finalité. Leur appel à constituer une nouvelle « Internationale de masse » s'adresse à des groupements politiques qui ­ dans le langage de Trotsky sont « liés à la bourgeoisie ». Cet appel s'adresse politiquement à des tendances centristes, opportunistes et ouvertement réformistes et du point de vue social à des sections de la petite bourgeoisie et de la bureaucratie des vieilles organisations ouvrières.

Il est caractéristique qu'ils fassent une distinction entre la « classe ouvrière » et la «gauche radicale». La résolution de leur congrès déclare : « La classe ouvrière se trouve encore dans une position de faiblesse, sur la défensive, mais où la gauche radicale se redresse et reprend l'initiative politique à une large échelle. » (3) Une autre résolution est même d'avis que la masse de la population se dirige à droite au niveau mondial. L'offensive politique et militaire de l'impérialisme américain et les interventions répressives des appareils d'Etat, peut-on y lire, « favorise le développement de courants chauvins, réactionnaires et xénophobes, visant en particulier les immigrés. Cette évolution affecte toute la planète, pays par pays ».

La nouvelle internationale, ne peut que « résider dans un rassemblement de toutes les forces de la contestation, de tous les courants politiques radicaux, dans une formation politique nouvelle (parti, mouvement, coalition, alliance) » écrit Vercammen. « Dans une telle formation, les marxistes-révolutionnaires ne font pas de 'l'entrisme' avec un but secret ou avoué de passer le plus vite possible à un 'parti révolutionnaire' d'avant-garde qui se doterait d'un programme révolutionnaire. Ils y sont co-initiateurs, co-organisateurs, co-dirigeants de ce parti large pour partager les expériences des combats actuels et à venir, pour progresser ensemble vers un parti de masse anticapitaliste, capable de lutter pour le socialisme. ».

Ailleurs, le même auteur déclare encore : « Notre objectif n'est pas de faire à court terme un forcing politico-organisationnel pour décanter le mouvement altermondialiste selon des lignes de fracture déjà perceptibles afin de s'imposer comme organisation politique. Au contraire, nous devons le construire, le renforcer comme mouvement de combat sui generis, et réaliser toutes ses potentialités sur les différents plans : comme mouvement socio-politique, comme espace de discussion et d'élaboration, comme porteur de plusieurs campagnes autonomes (taxe Tobin, annulation de la dette du Tiers monde, défense des services publics, contre l'esclavagisme moderne), comme rassemblement des mouvement sociaux constitués (syndicats, chômeurs, écologistes), comme front unique mondial (les mobilisation anti-guerre). »

Reconstruction du mouvement syndical

A côté de nombreux mouvements radicaux de contestation ­ « le mouvement des femmes, des jeunes, anti-guerre, écologiste, antifasciste et antiraciste » ­ et comme faisant partie de la « gauche radicale» qui doit constituer la base de la nouvelle « Internationale de masse », les pablistes mentionnent aussi les syndicats et des sections des vieux appareils staliniens et réformistes.

Ils ne peuvent guère faire autrement que de prendre acte de l'évolution à droite des syndicats ainsi que des organisations sociales-démocrates et staliniennes. Mais ils n'essaient pas d'analyser les causes objectives du déclin de ceux-ci ­ la faillite de leurs programmes réformistes face à la mondialisation. Ils insistent sur le fait que le renouveau du mouvement ouvrier doit s'effectuer grâce à ces organisations.

« Le redressement du mouvement syndical est une tâche fondamentale », dit-on dans la résolution sur les « Tâches de la Quatrième internationale ». Plus avant dans ce texte, on peut lire : « Dans les grandes confédérations établies de longue date dans les pays au taux de syndicalisation très élevé, avec une grande tradition syndicaliste, la re-mobilisation passera certainement à travers ces organisations. [] Dans les pays où un mouvement syndical de masse est né un siècle plus tard (COSATU en Afrique du Sud, CUT au Brésil,..), celui-ci restera plus perméable aux sentiments de la base ».

L'expérience des années passées a prouvé tout le contraire. Dans « les pays à grande tradition syndicaliste » ­ on a de toute évidence en vue ici l'Angleterre et l'Allemagne ­ les grandes centrales syndicales sont aujourd'hui les soutiens les plus importants de la politique anti-ouvrière de droite des gouvernements sociaux-démocrates. Ce sont précisément les syndicats se donnant des allures militantes et allant jusqu'à organiser des protestations qui jouent un rôle-clé dans le détournement de l'opposition au gouvernement, dont ils veulent à tout prix éviter la chute. C'est ainsi que en Allemagne l'IG Metall et Ver.di ont négocié et signé de nombreux accords ayant pour conséquence une dégradation énorme des salaires et des conditions de travail.

Quant à COSATU et à la CUT, deux syndicats arrivés sur la scène au cours d'une crise sociale profonde et potentiellement révolutionnaire, ils ont produit les principaux appuis du pouvoir bourgeois en Afrique du Sud et au Brésil : Cyril Ramaphosa, le dirigeant du syndicat des mineurs et co-fondateur de COSATU, est l'un des patrons les plus riches d'Afrique du Sud et Luis Inàcio da Silva ­ Lula ­ représentant le plus connu de la CUT, est président du Brésil.

Ces expériences à elles seules prouvent la justesse et la prescience de l'analyse des syndicats que fit Trotsky juste avant sa mort en 1940 : « Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier : c'est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d'Etat. Ce processus est également caractéristique pour les syndicats neutres, sociaux-démocrates, communistes et anarchistes. Ce fait seul indique que la tendance à s'intégrer à l'Etat n'est pas inhérente à telle ou telle doctrine, mais résulte des conditions sociales communes pour tous les syndicats. » (5)

Trotsky caractérisa l'attitude des syndicats de la façon suivante : « Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à 'libérer' l'Etat de l'emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l'attirant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l'aristocratie et de la bureaucratie ouvrière qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des sur-profits du capitalisme impérialiste. Dans leurs discours, les bureaucrates travaillistes font tout leur possible pour essayer de prouver à l'Etat ­ démocratique ­ combien ils sont dignes de confiance et indispensables en temps de paix, et plus spécialement en temps de guerre. Par la transformation des syndicats en organismes d'Etat, le fascisme n'invente rien de nouveau, il ne fait que pousser à leurs ultimes conséquences toutes les tendances inhérentes au capitalisme. »

La période d'essor économique de l'après-guerre avait donné aux syndicats une certaine marge de manuvre leur permettant d'améliorer les conditions de vie de leurs adhérents. Mais ceci est fini depuis bien longtemps. Durant les deux dernières décennies, l'estimation que Trotsky fit des syndicats s'est vue pleinement confirmée. Partout, ceux-ci se sont transformés en organes de l'Etat. Une renaissance du mouvement ouvrier nécessite comme condition préalable une rébellion contre les appareils conservateurs et ossifiés des syndicats. C'est ce que les pablistes essaient par tous les moyens d'empêcher, lorsqu'ils insistent pour qu'une « mobilisation renouvelée » ait lieu par le biais de ces organisations en faillite.

Les pablistes veulent également ­ malgré l'expérience faite avec Blair, Schröder et Jospin ­ rester liés aux partis sociaux-démocrates. « Sachant l'incurie des organisations sous direction social-démocrate quant à la défense des revendications élémentaires, nous ne renonçons pas pour autant à les impliquer dans l'action de masse » peut-on lire dans la résolution sur les « Tâches de la Quatrième internationale ».

La résolution constate avec beaucoup de regret le déclin des partis staliniens. « Les grands partis communistes 'maintenus' sont en fin de cycle, leurs prises de position contre le néolibéralisme et l'impérialisme n'ont pas débouché sur un projet politique anticapitaliste et un mode de fonctionnement démocratique-pluraliste, et aucune tendance de gauche non-stalinienne vertébrée nationalement n'a vu le jour. ». Mais là encore les pablistes n'ont pas totalement perdu espoir. Ils font référence à l'exception digne de louange du Parti de refondation communiste, un des produits de la désintégration du Parti communiste italien, dont fait partie depuis des années la section italienne de l'internationale pabliste. Rifondazione a dans les années 1990 soutenu le gouvernement de centre gauche, qui a préparé le retour au pouvoir de l'alliance de droite de Berlusconi. Elle s'est depuis déclarée prête à présenter des candidats dans le cadre de l'alliance de l'Olivier de Romano Prodi et à assumer des fonctions ministérielles dans un prochain gouvernement de centre gauche.

Le mouvement paysan

Les résolutions du congrès mondial pabliste mentionnent encore les « mouvements paysans » comme « acteurs importants de la mobilisation anticapitaliste ». Outre des mouvements paysans de l'Inde, du Brésil et de la Bolivie, on y fait aussi état des Zapatistes du Mexique et de la Confédération paysanne de José Bové en France, comme éléments d'une nouvelle internationale de masse.

Encore une fois, on fait disparaître d'un trait de plume plus de cent ans d'expérience du mouvement marxiste, en l'occurrence ici avec la question paysanne. Les paysans, en particulier les couches les plus pauvres et les plus exploitées de la campagne ­ travailleurs agricoles et paysans sans terres ­ sont de précieux alliés de la classe ouvrière dans la lutte pour une société socialiste. Mais livrés à eux-mêmes, ils sont cependant incapables de développer une politique anticapitaliste conséquente. Cela est directement dû à leur position sociale de petits producteurs.

« Le paysan suit ou l'ouvrier ou le bourgeois. » écrivit Trotsky dans son livre « La révolution permanente » (6) L'« obstacle infranchissable » qui s'oppose à la formation d'un parti révolutionnaire paysan autonome est « le manque d'indépendance économique et politique de la petite bourgeoisie et sa profonde différenciation interne ». C'est pourquoi une alliance révolutionnaire des travailleurs et des paysans n'est possible que si le prolétariat dirige les masses paysannes. La Révolution russe de 1917 a confirmé cette conception. A l'apogée de la révolution, le plus grand parti paysan, les Sociaux révolutionnaires, se tenait fermement dans le camp de la réaction bourgeoise, tandis que la masse des paysans pauvres s'était mise derrière le prolétariat et les bolcheviques. D'autres expériences vinrent à maintes reprises confirmer l'estimation de Trotsky ­ que ce soit en Chine, en Inde, en Amérique Latine ou dans d'autres régions du monde. Nulle part, la paysannerie ne fut en mesure de suivre une politique révolutionnaire autonome.

Les zapatistes du Mexique mentionnés par les pablistes l'ont encore une fois prouvé. Ils commencèrent à faire parler d'eux en 1994 lorsqu'ils se livrèrent à des combats armés avec l'armée mexicaine dans la province extrêmement pauvre des Chiapas. Conduits par l'ex-professeur d'université Sebastian Guillen, alias Subcomandante Marcos, les zapatistes avaient réussi à gagner une partie de la population paysanne indienne à une lutte de guérilla. Sept ans plus tard, le Subcomandante Marcos entrait à Mexico où il fut accueilli par Vincente Fox, le président mexicain et ancien président de Coca-Cola, et où on lui fit la promesse d'un statut d'autonomie pour la population autochtone. Cela n'a absolument rien changé aux rapports de propriété capitalistes au Mexique, à la dépendance de celui-ci vis-à-vis de l'impérialisme américain ou à l'extrême pauvreté des ouvriers et des paysans mexicains y compris celle de la population autochtone. Le Subcomandante Marcos fut néanmoins célébré avec enthousiasme comme le porteur d'un nouvel espoir par la gauche petite-bourgeoise en Europe et aux Etats-Unis.

Le dirigeant paysan français José Bové est, d'un point de vue politique, une figure plus déplorable encore que le Subcomandante Marcos. L'étudiant et ex-radical devenu paysan et producteur de Roquefort fit beaucoup parler de lui dans toute la France lorsqu'en 1999, pour protester contre la « malbouffe » américaine, il démolit un restaurant McDonald's en construction. Depuis c'est devenu une célébrité et un interlocuteur bienvenu pour de nombreux politiciens ­ de Jospin au gaulliste de droite Charles Pasqua avec qui il débattit en public peu après l'affaire du McDonald's, en passant par Chirac. Bové exprime les inquiétudes des paysans français d'une manière qui les lie aisément à la défense des intérêts commerciaux français surtout vis-à-vis des Etats-Unis. Cela a vraiment très peu de choses en commun avec une perspective socialiste.

Vaincre le « néolibéralisme »

Pour ce qui est aussi de leur programme les pablistes se sont largement adaptés aux tendances petites-bourgeoises qu'ils veulent rassembler dans la nouvelle « Internationale de masse ». Dans les documents du 15e congrès, la lutte contre le « néolibéralisme » est systématiquement qualifiée de tâche stratégique centrale. C'est ainsi que dans la résolution sur les « Tâches de la Quatrième Internationale » on peut lire : « La lutte pour battre le 'néolibéralisme' est au cur de notre combat politique ».

On élève ainsi la lutte contre une certaine forme de politique économique capitaliste au rang d'axe stratégique central et on laisse ouverte la possibilité de soutenir d'autres formes de politique économique capitaliste ­ comme le font effectivement nombre de ceux que les pablistes ont sélectionnés pour participer à leur « Internationale de masse ».

Les pablistes ne recherchent pas les causes objectives qui font que la politique économique néolibérale domine sur toute la planète. La transition de la politique économique keynésienne de la période d'après-guerre basée sur la péréquation sociale, à un courant néolibéral monétariste s'est opérée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ce courant est étroitement lié au nom de Paul Volker, nommé par le président Jimmy Carter à la tête de la Banque centrale des Etats-Unis, à celui de Margaret Thatcher arrivée au gouvernement la même année en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan qui devint président des Etats-Unis en 1981. Thatcher et Reagan, ainsi que l'élite bourgeoise qui les avaient choisis comme figures de proue et les soutenaient, réagissaient par cette politique à une crise profonde de l'économie capitaliste mondiale.

Cette crise avait commencé dès la fin des années 1960. Elle se manifesta par une baisse des taux de profits, une croissance de la dette publique et une hausse de l'inflation. Elle déclencha des luttes militantes de la classe ouvrière qui se mêlèrent à la contestation étudiante et au mouvement contre la guerre du Vietnam et firent tomber des gouvernements de droite dans de nombreux pays. Au début, la bourgeoisie réagit par des concessions sociales qui exacerbèrent encore la crise économique. A la fin des années 1970, elle passa à la contre-offensive. Pour affaiblir les exigences de la classe ouvrière, Volcker organisa délibérément une récession au moyen d'une hausse massive des taux d'intérêt. Thatcher et Reagan déréglementèrent les marchés financiers internationaux afin de gagner accès à de la main d'uvre à bon marché et à de nouveaux marchés et d'accroître ainsi à nouveau les taux de profits.

Les organisations réformistes n'avaient rien à opposer à cette politique. La tentative de François Mitterrand de réaliser une suite de réformes après son élection à la présidence de la république française se termina bien vite face à la réaction des marchés financiers internationaux. Les syndicats organisèrent défaite sur défaite soit par la trahison ouverte de grèves militantes soit par leur isolement. Reagan réussit ainsi à briser la grève du syndicat des aiguilleurs du ciel américain PATCO parce que celui-ci fut abandonné par l'organisation centrale de l'AFL/CIO. La plus grande grève qui eut lieu en Europe, celle des mineurs britanniques qui dura un an en 1984 et 1985 se termina également par une défaite parce que les autres syndicats et le Parti travailliste refusèrent une confrontation avec le gouvernement Thatcher. Le dirigeant de la grève, Arthur Scargill, ancien stalinien, évita de son côté tout conflit avec la bureaucratie syndicale et travailliste.

L'histoire des vingt dernières années est jonchée de cadavres d'organisations et de politiciens ayant promis à la classe ouvrière de remplacer le néolibéralisme par un capitalisme plus humain et qui ont lamentablement échoué. Parmi eux il y a Lionel Jospin, Oskar Lafontaine, l'architecte de la coalition Rouge et Verte en Allemagne, les post-communistes italiens ainsi que le PDS allemand. L'exemple le plus récent est celui du gouvernement du Parti des travailleurs brésiliens (PT), dans lequel les pablistes ont eux-mêmes un ministre.

On a pu constater à d'innombrables reprises qu'il est impossible de mettre un terme à l'offensive anti-ouvrière sans s'attaquer aux fondements du capitalisme lui-même. L'affirmation selon laquelle il y aurait au « néolibéralisme » une autre réponse qu'une réponse socialiste sert à semer des illusions, à mener la résistance de la classe ouvrière dans une impasse et à la réconcilier avec les institutions bourgeoises. La désillusion qui résulte inévitablement de telles tentatives peut souvent dans ce cas être mise à profit par des organisations de droite.

Contre l'avant-gardisme et le sectarisme

Tandis que les pablistes accueillent à bras ouverts des opportunistes et des charlatans dans leur « Internationale de masse », ils déclarent la guerre à l'« avant-gardisme » et au « sectarisme ». Ils lancent des invectives hystériques contre le « dogmatisme », les « dirigeants infaillibles » et les « réponses révolutionnaires » sans jamais nommer les organisations qu'ils visent. C'est un thème qu'on retrouve systématiquement dans les dizaines de pages de résolutions et de décisions produites par le 15e congrès.

La résolution intitulée « Les tâches de la Quatrième Internationale » s'insurge contre le « concept d'une avant-garde éclairée et arrogante, qui parasite ou se soumette le mouvement ». Elle met en garde contre « des courants radicaux sectaires qui, eux, s'emparent des jeunes à la recherche de solutions révolutionnaires fortes et d'un engagement militant. » Il existe des dizaines de formulations de ce genre.

Par sectarisme, les marxistes entendent l'abstention passive, le fait de tenir à des formules abstraites tout en comprenant mal le véritable développement de la lutte des classes. Finalement, le sectarisme n'est que le revers de l'opportunisme. Tandis que l'opportuniste renonce aux fondements théoriques et aux principes et nage avec le courant politique qui se trouve être dominant à un moment déterminé, le sectaire, lui, renonce à intervenir dans la lutte politique au nom des principes abstraits. Il est donc possible que le sectaire qui ne veut pas mouiller ses principes, reste assis sur le rivage et fait des leçons de morale aux masses engagées dans la lutte de classes, s'effondre dans le désespoir, pique une tête dans l'eau et se noie en compagnie de l'opportuniste ­ comme l'a décrit Trotsky de façon très expressive dans un article sur le sectarisme. (7)

Les pablistes entendent par sectarisme quelque chose de différent : pour eux, le sectarisme est la défense des principes et de la clarté programmatique, le refus de se subordonner au mouvement spontané, une attitude intransigeante vis-à-vis de l'opportunisme, bref tout ce qui constitue une organisation révolutionnaire.

« Le choix pour une organisation qui se dit marxiste-révolutionnaire, devient très simple » écrit Vercammen, « ou bien s'ouvrir vers l'extérieur et donner libre cours à la dialectique interne (avec son inévitable lot d'hétérodoxie, de doute et de fragmentation), ou bien écraser le débat par la 'dogmatisation' des analyses et de la théorie, imposer la 'bonne ligne' politique, renforcer la discipline activiste, cristalliser une 'direction infaillible'».

Ce membre du comité exécutif pabliste mélange absolument tout. Comment la défense d'une ligne politique correcte peut-elle « écraser » un débat ? Cela reste un mystère. Quiconque a une expérience, même réduite, des appareils bureaucratiques sociaux-démocrates, staliniens et syndicaux sait que leur profonde aversion de tout principe va de pair avec une répression systématique de tout débat démocratique. Les congrès de ces organisations sont infailliblement marqués par les manuvres bureaucratiques, les coups joués en coulisse, les tentatives d'intimidation parce que la bureaucratie ne dispose ni d'une analyse, ni d'une perspective et parce qu'elle n'ose pas regarder la réalité en face ni ne peut appeler par leur nom ses véritables objectifs politiques.

Une organisation marxiste ne produira certes jamais une « direction infaillible ». Mais c'est l'autorité politique de sa direction qui sera son plus précieux capital. Celle-ci s'accroît dans la mesure où la direction s'avère capable d'estimer correctement les événements politiques et de prévoir leurs conséquences et aussi si elle se refuse, pour citer encore une fois Trotsky, à prendre des « décisions 'faciles' et 'commodes' qui nous libèrent de tout souci aujourd'hui mais préparent des catastrophes pour le lendemain » (8) L'ironie de Vercammen à propos de la « direction infaillible » est une tentative cynique de placer les efforts pour parvenir à la clarté politique au même plan que les méthodes du stalinisme qui lui prouvait son « infaillibilité » non à l'aide d'arguments mais à l'aide des chambres de torture du KGB.

Une chose ressort en tout cas clairement des résolutions de l'internationale pabliste : si elle prêche l'ouverture et la tolérance vis-à-vis de toutes sortes de courants opportunistes elle est dépourvue de toute tolérance vis-à-vis des marxistes révolutionnaires. Ceci ne devrait pas être pris à la légère et considéré comme des menaces en l'air. C'est un fait historique que le Front populaire des années 1930 alla de pair avec les procès de Moscou et la persécution des marxistes révolutionnaires dans le monde entier. Tandis que les staliniens et pour finir aussi les anarchistes et le POUM prenaient en charge l'Etat bourgeois, la police secrète stalinienne réglaient dans les coulisses leur compte à tous ceux, membres des organisations anarchistes ainsi que du POUM, qui mettaient en danger les bonnes relations avec la bourgeoisie par des revendications trop exigeantes ou des actes audacieux.

Le 15e congrès pabliste eut lieu dans le contexte d'une crise avancée du capitalisme mondial. La profonde polarisation de la société américaine pour laquelle l'élite au pouvoir n'a pas de réponse est une cause majeure de la guerre en Irak. En Europe, la bourgeoisie réagit face à l'agressivité du gouvernement Bush en se réarmant, en intensifiant les attaques contre la classe ouvrière et ce faisant elle aggrave la crise. Par le passé, elle avait dans des crises semblables toujours pu s'appuyer sur les organisations ouvrières réformistes mais dans l'intervalle, celles-ci se sont elles-mêmes largement discréditées. Dans ces conditions, l'initiative pabliste en vue de construire une « Internationale de masse » centriste représente une tentative de créer un nouveau mécanisme de captage de l'opposition grandissante de la classe ouvrière et de la jeunesse afin de la neutraliser politiquement. Elle-même ouverte à toutes les formes d'opportunisme, elle déclare une guerre sans concession au « sectarisme » - c'est à dire au marxisme révolutionnaire !

Les pablistes sont prêts à aller très loin dans la défense du pouvoir bourgeois. De ce point de vue aussi leur 15e congrès mondial a apporté une nouveauté. Il s'est ouvert par des félicitations adressées à Miguel Rossetto, membre de la section brésilienne officielle, qui ayant des fonctions ministérielles, porte la responsabilité de la politique du gouvernement Lula. Ce gouvernement a pour un temps préservé le pays du danger d'un bouleversement révolutionnaire ­ au grand soulagement de la bourgeoisie nationale et du Fonds monétaire international. Nous y reviendrons dans un prochain chapitre.

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Notes

1) « XVe congrès mondial : Au coeur du combat anticapitaliste ­ Relance, ouverture, regroupement et repositionnement » par François Vercammen

2) Léon Trotsky, « Programme de Transition »

3) « Rôle et tâches de la IVème Internationale »

4) « Une nouvelle situation mondiale »

5) Léon Trotsky, « Les syndicats à l'époque de la décadence impérialiste »

6) Léon Trotsky, « La révolution permanente »

7) « Sectarisme, centrisme et la Quatrième Internationale » uvres, tome 7, p 37-38, EDI, Paris 1980.


 

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