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Milosevic et Sharon : quand un criminel de guerre n'est-il plus un criminel de guerre ?


Par Chris Marsden
Le 2 mai 2002

Suite au massacre de Jénine, on est en droit de se poser certaines questions, dont une, évidente, qui devrait être posée par tous les grands journaux des États-Unis et d'Europe : pourquoi Slobodan Milosevic est jugé alors que le premier ministre israélien Ariel Sharon ne l'est pas ?

Soulever cette question n'équivaut pas à exprimer la moindre sympathie politique pour Milosevic -un politicien nationaliste et procapitaliste qui a sa part de responsabilité pour le désastre politique qui s'est abattu sur le peuple yougoslave. Mais c'est plutôt une dénonciation du tribunal des crimes de guerre des Nations Unies de La Haye, et de son successeur, la Cour criminelle internationale (CCI). Le double standard flagrant dans le traitement de Milosevic et de Sharon démontre que ces cours ne sont que les instruments de la politique étrangère impérialiste.

S'il y avait le moindre standard d'objectivité dans la décision de poursuivre quelqu'un pour crimes de guerre, alors Sharon devrait comparaître devant la CCI qui a le droit de juger des crimes de guerre dans le monde entier. Le fait qu'il en est autrement prouve que le tribunal de La Haye sur les crimes de guerre en ex-Yougoslavie n'est rien de plus qu'un procès politique spectacle organisé pour les États-Unis et les autres puissances de l'OTAN afin de justifier leur guerre contre la Serbie et leur occupation militaire continue des Balkans.

La crédibilité juridique du tribunal de La Haye est déjà sévèrement minée, l'ancien président yougoslave ayant monté une défense efficace en balayé les contre-accusations de crimes contre la paix des puissances occidentales du fait de leur campagne pour déstabiliser la Yougoslavie. De nouvelles preuves ont également été dévoilées contredisant certaines des accusations centrales contre lui. Le rapport de l'institut néerlandais pour la documentation de la guerre qui blâme l'intervention des casques bleus néerlandais et des Nations Unies ayant mené au massacre d'environ 7 000 musulmans bosniaques à Srebrenica en 1995, n'a pu trouvé la moindre preuve que Milosevic ou les « autorités serbes de Belgrade aient joué un rôle direct dans ce massacre ».

Même les partisans du tribunal de La Haye ont été contraints de demander pourquoi seul Milosevic est poursuivi. En février, l'organisme des Nations Unies déjà existant, la Cour internationale de justice (CIJ), rendait une décision qui servit à retarder la prise d'une décision judiciaire à savoir si une poursuite pouvait être entreprise ou non contre Sharon en Belgique. En 1993, la Belgique s'est arrogé le droit de juger tout crime de guerre commis par n'importe qui n'importe où dans le monde. Depuis, un groupe de Palestiniens a lancé une pétition pour que Sharon soit jugé pour sa responsabilité dans le massacre de 2 000 Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatilla, à Beyrouth en septembre 1982. Mais suite à l'émission d'un mandat d'arrêt par la Belgique contre un haut-fonctionnaire congolais, la CIJ a statué que ce haut-fonctionnaire, en sa qualité de haut-fonctionnaire en service ou autrefois en service, jouissait de la pleine immunité de toute juridiction criminelle » et ne pouvait être jugé par une Cour étrangère. (Les partisans d'une poursuite contre Sharon soutiennent que la décision rendue par la CIJ sur l'immunité diplomatique dans ce cas spécifique aurait été toute autre si le haut-fonctionnaire congolais en question avait été accusé de génocide. D'après les conventions de Genève en effet, certains crimes graves tels que le génocide, peuvent être jugés par n'importe quelle Cour nationale).

Dans les mois qui ont suivi le report de la décision de savoir si Sharon pouvait être jugé ou non, Sharon a ajouté l'invasion de la Cisjordanie et le massacre de Jénine à sa liste de crimes de guerre. Mais il n'en continue pas moins à recevoir tous les honneurs dus à un chef d'État de la part de l'administration Bush et des chefs d'État européens, alors que Milosevic est détenu en cellule.

Il est très peu probable que Sharon soit jugé comme Milosevic, car il n'y a rien d'impartial à propos des procédures de Cour de La Haye et autres organismes juridiques de l'ONU. Les États-Unis et les puissances européennes ont été exemptées de poursuite par le tribunal des crimes de guerre en Yougoslavie. Tant Israël que les États-Unis ont refusé de reconnaître l'autorité de la Cour pénale internationale de juger leurs citoyens. Enfin, les statuts de la cour sont tellement encadrés que toutes les grandes puissances ont un droit de veto contre toute poursuite contre ses politiciens ou son personnel militaire.

Pourtant selon n'importe quel critère raisonnable, non seulement la cause contre Sharon est plus tranchée que les accusations portées contre Milosevic, mais les crimes spécifiques dont il est accusé sont beaucoup plus importants.

Milosevic est accusé de génocide, de crimes contre l'humanité et de violations des lois et du droit coutumier de la guerre relativement aux guerres de Croatie de 1991, de Bosnie de 1992-1995 et du Kosovo de 1999. Les accusations relatives à la Croatie et à la Bosnie n'ont été ajoutées que parce que la cause contre Milosevic au Kosovo était trop faible pour assurer son inculpation. Le nombre de morts au Kosovo dont il est tenu responsable -cités lors de la mise en accusation comme étant des victimes albanaises tuées par des tireurs, des policiers ou des paramilitaires serbes- est de 346. Sharon a déjà été reconnu coupable pour les massacres de Sabra et Shatilla par un tribunal israélien qui ne lui a infligé qu'une petite tape sur la main à l'époque tout en lui permettant de poursuivre sa carrière politique et même d'occuper le plus haut poste en Israël.

L'affirmation selon laquelle les forces serbes auraient massacrées 45 civils albanais dans le village kosovar de Racak en 1999 a servi de prétexte à l'OTAN pour déclencher la guerre contre le régime de Milosevic. Mais les événements de Racak ont toujours été un sujet de controverse.

Le présumé massacre serait survenu aux « alentours » du 15 janvier 1999. Le caractère vague des accusations est justement dû à l'absence de tout témoin indépendant. La Serbie a toujours déclaré que les corps étaient ceux de combattants de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) morts lors de combats précédents et rassemblés à des fins de propagande. L'Union européenne a envoyé une équipe d'enquêteurs dirigée par un haut-fonctionnaire américain et Washington a endossé sans critique la version des événements de l'UCK comme preuve de « crime contre l'humanité » commis sous les ordres de Milosevic. Moins de deux mois plus tard, les avions de l'OTAN sous commandement des États-Unis, commencèrent à bombarder Belgrade.

Un rapport largement diffusé cette année par une équipe de pathologistes finnois est venu renforcer la version serbe des événements de Racak. Lors d'une entrevue diffusée par la chaîne allemande ARD, la doctoresse Helena Ranta a déclaré être consciente qu'« il est bien possible que toute l'histoire autour de ce qui s'est réellement passé dans cette petite vallée pourrait être une mise en scène Cette conclusion a été ajoutée dans notre premier rapport d'enquête, de même que dans notre rapport médico-légal subséquent effectué en novembre 1999 directement à Racak ».

Qu'en est-il de Jénine ? Là, il ne fait aucun doute qu'Israël ait commis des atrocités. Toutes les chaînes de télévision, tous les grands quotidiens du monde ont publié les photos des hélicoptères israéliens en train de bombarder des habitations civiles et des chars en train de raser des bâtiments. Les journalistes ont parlé de la puanteur des cadavres émanant des ruines et des corps alignés dans les rues parce que les Forces israéliennes de défense se sont vues interdire par une injonction de la Cour de les enterrer dans des fosses communes sans identification.

La plupart des premières estimations chiffraient les morts par centaines, des chiffres qui n'ont pu être vérifiés du fait qu'Israël s'est opposé à ce que des enquêteurs officiels de l'ONU puissent aller voir sur place alors que ses forces armées continuent d'ensevelir des cadavres au bulldozer. Les derniers rapports parlent de 54 corps, dont plusieurs ne pouvant être des combattants -femmes, enfants, vieillards, et même des handicapés en fauteuil roulant.

Contrairement à ce qui s'est passé pour Racak, les puissances occidentales ont démontré une résistance extraordinaire pour ne pas accuser Israël de quelque crime que ce soit. L'ONU a cédé à reculons afin de répondre aux demandes d'Israël que toute enquête ne se limiterait qu'à une mission purement de recherche de faits et ne serait accompagnée d'aucun verdict et ne pourrait mener à aucune poursuite. Pour sa part, Washington n'est pas parvenu à exprimer la moindre critique. Bien que le secrétaire d'État Colin Powell n'ait fait aucun effort pour essayer de visiter Jénine lors de sa mission diplomatique en Israël en avril, cela ne l'a pas empêché de témoigner devant un sous-comité sénatorial qu'il n'avait vu aucune preuve de massacre à Jénine et de qualifier l'enquête proposée par l'ONU comme un moyen de réfuter les « grossières spéculations à propos de ce qui s'était passé, accompagnées de termes tels que massacres et fosses communes, rien qui jusqu'à maintenant ne semble être le cas ».

Il est bon de signaler également la raison officielle évoquée par le gouvernement Sharon pour les actions de ses forces à Jénine. Israël a rejeté les accusations d'avoir perpétré un massacre en déclarant que seulement environ 40 personnes avaient été tuées, la majorité étant des membres du Hezbollah, du Jihad islamique ou d'autres groupes militants. Pour parler poliment, disons qu'on ne peut reprendre sans méfiance l'estimation du nombre de victimes donné par Israël sans critique. Mais signalons tout de même que ces chiffres quant au nombre de Palestiniens tués à Jénine sont pratiquement identiques au nombre de tués à Racak -qui sont des combattants de l'UCK selon la Serbie.

Peu de politiciens occidentaux et quelques rares journalistes n'ont pas hésité à qualifier les événements de Racak de massacre, alors que beaucoup d'articles ont été publiés pour se porter à la défense des actions des Forces israéliennes à Jénine et affirmer qu'il n'y a jamais eu de massacre. Écrivant dans l'Observer du 21 avril, Peter Beaumont met en garde ses lecteurs : « il est facile d'être distrait par la présence des corps... Mais du fait de l'importance même du nombre de corps déposés sur le sol -près de 30 cet après-midi seulement- on peur penser que ces gens ont bien été victimes d'un massacre ».

« Mais non, déclare Beaumont, un massacre -dans le sens qu'on l'entend habituellement -n'est pas survenu dans le camp de réfugiés de Jénine. En dépit des crimes commis ici -et il semble y en avoir eu beaucoup- il n'y a pas eu de massacre délibéré et calculé de civils par l'armée israélienne ».

Beaumont reprend ensuite la déclaration non fondée de l'ONU qu'« il apparaît de plus en plus clairement d'après les preuves recueillies par ce journal et d'autres journalistes, que la majorité des cadavres identifiés sont ceux de combattants Palestiniens du Jihad islamique, du Hamas et des brigades al-Aqsa ».

Le reportage de la BBC du 29 avril dans lequel était interviewé le major de l'armée territoriale David Holley, expert militaire britannique d'Amnesty International, fait mention de 54 corps. Ce nombre comprendrait plusieurs civils, « dont possiblement entre 20 et 30 nouveaux cadavres, un ou deux civils abattus ou exécutés » et gens abattus en pleine rue par des tireurs d'élite sachant très bien qu'il s'agissait de civils tentant d'échapper aux combats ».

Malgré tout, Holley réussit à dire que « le terme massacre est trop souvent utilisé dans de telles situations et cela n'apporte rien », avant de faire part de son soutien pour les efforts d'Israël pour déterminer la composition de l'équipe enquêteurs de l'ONU. La BBC a diffusé ce reportage en mettant le terme massacre entre guillemets.

Une semaine après l'article de Beaumont, Sharon a déclaré sans la moindre hésitation qu'il ne tolérerait aucune enquête de l'ONU, même la plus édentée, à Jénine.

Plusieurs points supplémentaires doivent également être signalés. L'accusation contre Milosevic reconnaît que ce sont les séparatistes albanais de l'UCK qui ont précipité la guerre civile au Kosovo en menant « une campagne insurrectionnelle armée et en résistant violemment aux autorités serbes » en prenant pour cible principale les forces de police serbes et de l'ex-Yougoslavie ». Pourtant la prétention d'Israël qui affirme que son incursion en territoire palestinien est une façon de combattre une menace terroriste est acceptée sans problème alors que les efforts du gouvernement serbe pour mater une menace terroriste sur son propre territoire sont condamnés comme un crime de guerre.

Jusqu'à présent, le tribunal de La Haye n'est pas parvenu à identifier une seule occasion où Milosevic aurait autorisé ou sanctionné personnellement les atrocités mentionnées et surtout attribuées à des forces nationalistes serbes irrégulières qui n'étaient pas sous son commandement. À Jénine comme ailleurs, il n'y pas cette ambiguïté. Les destructions en Cisjordanie ont été effectuées par les forces armées israéliennes placées sous les ordres directs de l'état-major militaire lui-même placé sous l'autorité de Sharon qui est le chef du gouvernement.

Peut-être le point le plus éloquent : l'accusation portée contre Milosevic repose en dernière analyse sur l'affirmation que, indépendamment que sa responsabilité directe ou non soit prouvée, sa promotion de la purification ethnique a créé l'environnement politique qui a rendu possible ces atrocités. Mais n'est on pas en droit de se demander : en quoi la politique de Sharon en ce qui a trait à la Cisjordanie et à la bande de Gaza diffère-t-elle de la purification ethnique ?

Que des civils aient été pris délibérément pour cible et tués ou non, il n'empêche que la destruction systématique des habitations, des routes, des moyens de transport, des réseaux d'électricité, d'aqueduc et d'égouts -bref de toutes les composantes essentielles à la vie- par les forces de défense israéliennes, vise à forcer les arabes à quitter leurs terres afin qu'Israël puisse établir de nouvelles bases militaires et de nouvelles colonies. Ce fait seul témoigne du double standard employé par les puissances occidentales et de l'hypocrisie des déclarations des défenseurs de l'État d'Israël qui soutiennent être mus par des considérations humanitaires.

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