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Entrevue avec un membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire, et commentaire de David Walsh

Par David Walsh

14 mai 2002

Nous publions ci-dessous une entrevue réalisée le 4 mai avec un membre de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) française à Amiens, ville industrielle située à 130 km au nord de Paris. Des reporters du WSWS se sont entretenus avec Francis Dollé de la LCR dans le cadre d'une intervention dans la crise politique produite en France par le premier tour de l'élection présidentielle. L'entrevue est suivie d'un bref commentaire.

Le scrutin de 21 avril a vu le candidat d'extrême-droite Jean-Marie Le Pen du Front national finir au deuxième rang, avec près de 17% des voix, derrière le candidat gaulliste et président sortant, Jacques Chirac. Le Pen a fini en avant du premier ministre et candidat présidentiel du Parti socialiste (PS), Lionel Jospin, éliminant ce dernier du deuxième tour de l'élection et provoquant un véritable électrochoc dans l'establishment politique et médiatique français.

Après l'annonce des résultats du premier tour, des dizaines de milliers de jeunes, en particulier, ont répondu à la présence au deuxième tour du 5 mai de Le Pen, dont le parti est viscéralement chauvin et anti-immigrés, en descendant dans les rues. Le premier mai, deux millions de personnes ont manifesté dans les villes françaises contre l'extrême-droite et sa politique.

À peine le mouvement de protestation avait-il pris naissance que les partis de la gauche gouvernementale «plurielle», le PS, le Parti communiste (PC) et les Verts, ont mené, de concert avec divers groupes de pression et une bonne partie des médias, une campagne intensive pour canaliser l'opposition anti-fasciste derrière Chirac, proclamant qu'il n'y avait d'autre choix que de voter pour un président sortant réactionnaire et discrédité.

L'élection des députés à l'Assemblée nationale aura lieu en deux tours les 9 et 16 juin prochains; tout candidat recevant 12,5% du vote au premier tour sera qualifié pour le second. Chirac, le candidat préféré de la grande entreprise française, a nommé un gouvernement intérimaire de centre-droit, sous la direction du nouveau premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Il espère traduire sa victoire dans l'élection présidentielle en une majorité parlementaire de droite.

La LCR, dirigée par Alain Krivine, est l'une des organisations réputée faire partie de l' «extrême-gauche» de la politique française. La LCR, Lutte ouvrière (LO) et le Parti des travailleurs (PT), qui se qualifient tous de «trotskystes», ont présenté des candidats au premier tour de l'élection présidentielle, et gagné un total combiné de quelque 3 millions de voix, soit près de 10% des scrutins. La LCR a présenté son propre candidat pour la première fois depuis des décennies. Olivier Besancenot, le candidat de la LCR, a reçu 1,2 million de voix. La conjoncture politique explosive créée par le résultat du premier tour, tant le succès électoral de Le Pen que le niveau relativement élevé de son propre vote, a jeté la LCR en crise.

* * *

WSWS: Que pensez-vous de la position de la LCR sur le deuxième tour des élections présidentielles le 5 mai entre Chirac et Le Pen?

Dollé: C'est vrai que c'est un petit peu ambigu. En tout cas on n'a pas à appeler à voter Chirac. Au sein de la LCR le débat n'est pas réglé. Il y en a qui disent qu'il faut voter Chirac car c'est le seul rempart contre Le Pen. Moi, personnellement je ne voterai pas Chirac. La Gauche plurielle a appelé à voter Chirac. Nous on n'a quand-même pas fait ça. On n'a pas appelé à voter Chirac. C'est vrai que Chirac n'est pas le rempart.

WSWS: L'impression parmi les gens est que quand-même la LCR a appelé à voter Chirac. Je cite d'un tract de la LCR: «Il faut barrer la route à Le Pen dans la rue et dans les urnes». N'est-ce pas que cela veut dire: votez Chirac?

Dollé: J'ai du mal à répondre à cela parce que, il est vrai, c'est le débat qui a lieu en ce moment dans la LCR. Et on n'est pas tous d'accord. Ma femme qui est à la LCR, on s'accroche tous les jours, car elle me dit: «Je vais me salir les mains pour toi en votant Chirac». Je n'accepte pas cet argument-là. Ce n'est pas parce que je ne vais pas voter Chirac qu'elle va se salir les mains à ma place et que grâce à elle Le Pen ne passera pas.

Je rejoins votre document [Non à Chirac et Le Pen! Pour un boycott des élections présidentielles en France par la classe ouvrière Lettre ouverte à Lutte ouvrière, à la Ligue communiste révolutionnaire et au Parti des travailleurs] sur ce point: Le Pen n'est pas si implanté que cela. C'est vrai que cela représente quelque chose mais c'est loin d'être la majorité. Je pense que Le Pen ne passera pas de toute façon. Même s'il passait je pense que le peuple français tel qu'il est constitué maintenant réagirait. C'est vrai qu'une partie de la classe ouvrière a voté pour Le Pen. Dès qu'on approfondit un peu on voit qu'il manque une formation politique, une compréhension politique à la classe ouvrière. La gauche n'a pas rempli le rôle de formation et d'éducation pendent des décennies.

WSWS: N'est-ce pas que c'est justement la tâche d'un parti révolutionnaire d'éduquer la classe ouvrière; est-ce que la LCR craint qu'en appelant à boycotter elle ne s'éloigne de la population?

Dollé: A la différence de LO, la LCR ne s'est pas présentée dans les élections. La LCR a été présente dans toutes les luttes sur le terrain. On est sur le terrain, on distribue l'information.

La gauche a toujours dit: «Quand on arrivera au pouvoir on changera la constitution». Mitterrand est arrivé au pouvoir et il n'y a pas touché. Il a agi en monarque de la république. Maintenant même le PC avance des arguments que renvoient à la constitution de De Gaulle

WSWS: Trois millions de gens ont voté pour la LCR, LO et le PT.

Dollé: On n'appelle pas à voter Chirac. On a rendez-vous demain dès le résultat des élections à 21h30. On s'en fout du résultat des élections, on sait bien que Le Pen ne va passer. On appelle déjà les gens à se rassembler dans la rue.

C'est vrai que les élections législatives arrivent trop vite. C'est vrai que depuis la semaine dernière on a eu une centaine de personnes venues nous voir pour adhérer à la LCR. Ces gens-là il faut les accueillir et ce ne sont pas forcément des révolutionnaires. Ce sont des gens déçus du PS et du PC qui veulent lutter sur les retraites, etc..

WSWS: La jeunesse veut lutter contre le fascisme. Tout de suite la Gauche plurielle a canalisé ce mouvement pour le diriger à nouveau vers la politique de Jospin. Ils utilisent l'épouvantail de Le Pen pour éviter de faire le bilan de la Gauche plurielle et toute discussion d'une perspective. La LCR ne dit pas «rejetons le système qui a ouvert la voie à Le Pen». Il y a une différence entre une abstention individuelle et un appel franc à boycotter ces élections qui sont une farce. Une campagne offensive engendrerait une réponse importante dans la classe ouvrière.

Dollé: J'admets les critiques et les remarques. Mais on était immédiatement dans les manifs dès le début, lundi matin. Les lycéens nous ont dit «on ne veut pas de vous, les partis politiques». Ce n'est pas simple. Le PC et le PS ne font aucune analyse de ce qui s'est passé. Dès le lundi matin en appelant à voter Chirac ils ont arrêté la discussion et l'analyse politique. Moi je ne fais pas du tout confiance au PC. Il n'aurait pas dû faire partie du gouvernement. J'ai entendu [le ministre des Transports, PC, Jean-Claude] Gayssot en personne, défendre l'ouverture du capital d'Air France. On ne peut plus leur faire confiance. Ils ne vont pas s'en relever.

Pour moi, pas question pour les législatives de faire alliance avec la Gauche Plurielle. Les socialistes continuent encore à défendre le bilan positif de la Gauche Plurielle. Ce sont des menteurs. Il faut s'en méfier.

Samedi à la manifestation, la LCR a eu un beau cortège. On a essayé de faire plein de slogans revendicatifs pour les travailleurs. On ne voulait pas que faire de l'anti-Le Pen. Tous les gouvernements qui fonctionnent comme ça, droite-gauche réunies, ça ne donne rien de bon. C'est de la politique centriste. On ne peut pas gouverner comme ça.

Les législatives si proches nous embêtent. Nos rapports avec LO ne sont pas très bons, on doit se revoir mardi. Les législatives c'est fait pour faire passer un message, cela va être très court, on n'a pas les mêmes moyens que les autres. C'est un piège, il y a possibilité de s'exprimer mais en même temps un cloisonnement très rapide, une polémique avec les médias. Ce n'est pas simple. J'ai peur de l'ambiguïté du PS et du PC et de leur place encore dans la société française. Ils ont encore un impact dans la société française.

WSWS: Ils ont déjà commencé avec leur campagne contre Le Pen.

Dollé: Chaque fois que je dis que je ne vais pas voter Chirac je me fais critiquer.

WSWS: La tâche du parti révolutionnaire est de dire la vérité, que cela plaise ou non. Il faut développer la conscience de classe de la classe ouvrière, lutter contre la confusion. C'était la méthode de Trotsky. Il faut savoir prendre des positions qui ne sont pas populaires. Ce n'est pas une question de courage personnel mais de perspective.

Dollé: Je dis à mes camarades de la LCR qu'on réagit à court terme. On ne parle pas des autres pays, il n'y a pas de vision à long terme. Tout va être fait par le PS et le PC pour éviter cela. Je sais que ça se passera comme ça aux législatives. Et en plus, je dois me présenter.

WSWS: Les jeunes ont soif de comprendre les leçons de l'histoire. Il faut utiliser cela pour construire une perspective socialiste.

Dollé: Il y a des gens qui nous reprochent de ne pas passer d'accord avec la Gauche plurielle. Ce n'est pas sérieux.

WSWS: Dans le Figaro il était dit que [le dirigeant de la LCR, Alain] Krivine avait accepté de rencontrer le PS. Si Krivine avait appelé au boycott cela aurait eu un impact énorme.

Dollé: Cela ne fait pas longtemps que je suis à la LCR. Apparemment, la LCR n'est pas arrivée à traiter le problème, à réagir et à traiter le problème de façon offensive et claire. C'est vrai. À Amiens depuis la semaine dernière on n'a pas réussi à se réunir. Je me suis aperçu qu'il y avait des positions pas toujours très claires, quelquefois trop syndicalistes. En même temps il y a plein de gens qui viennent adhérer. La direction de la LCR n'a pas su prendre les choses en main. Cela n'a pas permis de voir plus clair. Je suis d'accord que la position de la LCR est ambiguë. Il va falloir faire une analyse qui aille plus loin que le court terme.

WSWS: Le danger est de voir la LCR participer à un piège de type «front populaire» dirigé contre la classe ouvrière.

* * *

La Ligue communiste révolutionnaire fait partie du Secrétariat unifié qui, sous la direction de Michel Pablo, de Ernest Mandel et de Pierre Frank au début des années 1950, a abandonné la lutte pour bâtir le parti mondial de la révolution socialiste, la Quatrième Internationale, et s'est subordonné politiquement au stalinisme, à la social-démocratie et au nationalisme bourgeois.

Mise à l'épreuve par les événements de fin avril, début mai, la rhétorique radicale de la LCR s'est avérée entièrement creuse. Loin de défendre l'indépendance politique de la classe ouvrière, l'organisation s'est rangée dans le camp pro-Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle. Elle s'est révélée être un parti «de gauche» de l'ordre politique et social existant. Son cri de guerre était: «Le 5 mai votons contre Le Pen», ce qui, dans le contexte d'une élection avec seulement deux candidats, revenait à endosser Chirac. En fait, Besancenot, le candidat présidentiel du parti, a annoncé qu'il votait pour le président sortant.

La LCR a longtemps occupé une place à la gauche de la vie politique officielle en France. Elle est liée à la gauche gouvernementale par un millier de fils, bien qu'elle critique les sociaux-démocrates et les staliniens pour garder sa crédibilité auprès de couches plus radicalisées. Le dirigeant de la LCR, Alain Krivine, a déclaré dans une entrevue au Figaro le 30 avril que le PC et les Verts avaient invité son parti à une rencontre pour discuter de la possibilité de collaborer politiquement à un niveau ou un autre, invitation «que nous accepterons, bien sûr».

La LCR est active au sein d'une série d'organisations radicales et de protestation, qui reçoivent le soutien officiel et officieux du PS et du PC. Christophe Aguiton, par exemple, membre du bureau politique de la LCR, était un membre fondateur de Attac, mouvement anti-mondialisation qui a été endossé par Jospin. La LCR était également active au sein d'organisations telles que SOS Racisme, Ras l'front, le mouvement des sans-papiers, et d'autres. Ces mouvements et leurs supporters qui viennent surtout des classes moyennes, ont quasiment tous soutenu Chirac lors du vote du 5 mai.

L'establishment de gauche, qui a cherché à se défendre et à défendre le statu quo français en se ralliant à Chirac au second tour de l'élection présidentielle, comprend la LCR sur son «extrême gauche». Le groupe de Krivine a fortement senti cette pression et était organiquement incapable de rompre ses liens avec ce milieu entièrement corrompu et anti-révolutionnaire.

On prépare la LCR, et elle se prépare elle-même, à prendre part à un nouvel alignement politique à la gauche du PS et du PC discrédités, qui servirait de nouveau piège pour la classe ouvrière et la jeunesse. Krivine a décrit ce regroupement envisagé comme étant «un nouveau parti féministe, écologiste, anticapitaliste, qui ne se réduise pas à l'extrême gauche telle qu'elle est actuellement».

La discussion avec Francis Dollé permet de mieux saisir le mécanisme par lequel des groupes de gauche tels que la LCR parviennent à adopter et à appliquer une politique centriste et opportuniste. Il décrit un parti divisé à l'interne, dans un profond désarroi, et surtout, pas du tout préparé pour les responsabilités politiques qui lui incombaient suite au vote du 21 avril. Que Dollé en soit pleinement conscient ou non, son commentaire que «la direction de la LCR n'a pas su prendre les choses en main» est une condamnation de cette organisation.

Tout en reconnaissant le manque d'analyse politique sérieuse et l'absence de ligne politique claire et de principes dont a fait preuve la LCR, Dollé souligne la participation militante du parti à diverses manifestations ainsi que ses appels à des protestations de masse, comme s'il s'agissait de côtés positifs qui compensaient d'une certaine façon les manquements politiques de l'organisation. Ce genre de politique de protestation est propre au type particulier d'opportunisme que pratique l'organisation. Pendant des décennies, la LCR a camouflé son adaptation aux bureaucraties ouvrières et aux courants bourgeois gauchisants sous l'écran de fumée de l' «action de masse».

La situation interne du parti que décrit Dollé est un cas de figure d'un mouvement centriste plongé dans de grands événements. Un tel parti ne s'oriente pas d'une manière politiquement cohérente et de principe en s'appuyant sur les intérêts de la classe ouvrière et sur l'histoire du mouvement marxiste international. Au contraire, il subit la situation et se voit entraîné sur une voie opportuniste par de puissantes forces de classe. La confusion et le manque de préparation deviennent les manifestations subjectives d'une trajectoire politique objective. Par son désarroi interne et son traitement évasif des questions politiques de principe, l'organisation est conditionnée à capituler au courant dominant de l'opinion publique officielle, en l'occurrence: le camp pro-Chirac.

Sans le vouloir, Dollé confirme de l'intérieur, si l'on peut dire, le fait que la LCR ne se prend pas au sérieux en tant qu'organisation révolutionnaire. Confrontée à la tâche de fournir une direction politique à la classe ouvrière, dans un contexte où le parti a reçu plus d'un million de voix, la LCR tergiverse et louvoie, et finit par capituler. Cette capitulation a toutefois été préparée par toute l'histoire de l'organisation. La LCR a toujours rejeté la responsabilité historique de la Quatrième Internationale de donner une direction révolutionnaire à la classe ouvrière, attribuant plutôt ce rôle à d'autres forces, des forces anti-marxistes.

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