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La guerre civile en Angola et la politique étrangère des Etats-UnisPar Ann Talbot La guerre la plus longue a pris officiellement fin le 4 avril quand les deux belligérants dans la guerre civile en Angola ont signé un traité de paix pour mettre fin à un conflit de 26 ans qui a commencé lors de l'accession à l'indépendance du pays en 1975. La mort du chef de l'Union pour l'Indépendance totale de l'Angola (UNITA), Jonas Savimbi, aux mains des troupes gouvernementales le 22 février a facilité l'accord actuel. Depuis lors, la guerre, qui a dévasté le pays et qui a tué un demi million de personnes, est présentée par la presse américaine comme le résultat malheureux de la rivalité causée par la guerre froide entre deux superpuissances ou comme l'expression de problèmes inhérents à l'Afrique. Par l'enterrement d'un ancien allié, la presse américaine espère effacer le rôle joué par de nombreux éléments d'extrême droite qui lui ont servi à continuer la guerre en Angola et qui se trouvent maintenant dans l'actuelle administration américaine. Selon le New York Times, la guerre en Angola fut "un conflit tripartite ayant des bases tribales", dans lequel les combattants "se sont empêtrés dans la politique mondiale tandis que les superpuissances rivales et leurs agents se sont empressés de soutenir les factions qu'ils avaient choisies". Selon le Washington Post, l'administration américaine et la CIA étaient des éléments innocents impliqués dans une guerre provoquée par d'autres. L'Angola, selon l'éditorialiste Jim Hoagland, sert d'avertissement selon lequel, dans l'actuelle guerre contre le terrorisme, "Washington doit se garder de financer des personnages et des régimes peu recommandables qui peuvent désirer entraîner les Etats-Unis dans leurs propres conflits et pour leurs propres intérêts." Ces faiseurs d'opinions internationaux de premier rang cherchent à se laver les mains de la tragédie angolaise. Mais il ne leur est pas si facile de prendre leurs distances des crimes du brutal Jonas Savimbi. Son caractère est le reflet des milieux dans lesquels il a évolué. Proche du dictateur congolais Mobutu Sese Seko, lui même ami intime de la famille Bush, Savimbi a appris ses méthodes auprès de ses soutiens américains. Plutôt qu'un rappel tragique des conflits passés de la guerre froide, limités à un pays éloigné et barbare, la condition actuelle de l'Angola est un exemple du travail d'individus comme le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, qui au milieu des années 70, fit vigoureusement pression pour la levée des interdictions constitutionnelles d'armer des forces anti-gouvernementales, ou comme Dick Cheney, défenseur sans faille de l'UNITA, et comme George Bush père qui, en tant que président et en tant que directeur de la CIA, continua la guerre. L'Angola - où 3,5 millions de personnes, soit un tiers de la population du pays, se sont enfuies de chez elles, où 86 000 personnes sont handicapées à cause des mines anti-personnel et où toutes les trois minutes, un enfant meurt d'une maladie que l'on aurait pu éviter - est un prototype de ce qui pourrait arriver dans de nombreux autres pays si la clique de droite qui domine en ce moment la politique des Etats-Unis parvient à ses fins. En prétendant que la guerre en Angola fut la conséquence de la rivalité des superpuissances, la presse américaine se fait l'écho de Henry Kissinger. Quand celui ci était secrétaire d'Etat, il prétendit à plusieurs reprises que les Etats-Unis avaient été contraints d'intervenir en Angola parce que l'Union soviétique fournissait déjà une aide au Mouvement Populaire de Libération de l'Angola (MPLA) en envoyant des troupes cubaines. Des documents récemment publiés démontrent que cela était faux et que Kissinger avait menti au Congrès afin de justifier l'intervention américaine. La guerre en Angola est loin d'être le résultat de tentatives pour contrecarrer les ambitions soviétiques. Les documents nouvellement rendus publics par les archives de la sécurité nationale révèlent que le Kremlin ne souhaitait pas intervenir en Angola. La bureaucratie stalinienne ne souhaitait pas encourager des mouvements révolutionnaires populaires qui puissent constituer une menace pour leur propre pouvoir. Elle n'a pas commencé une guerre par factions interposées mais a plutôt réagi aux manoeuvres des Américains. C'est l'administration américaine, encore sous le choc de sa défaite cuisante au Vietnam, qui a commencé une guerre d'un quart de siècle en Angola quand elle a soutenu une double invasion menée par le FNLA (Front National de Libération de l'Angola) de Holden Roberto menée depuis le Congo/Zaïre et depuis l'Afrique du Sud en vue de soutenir l'UNITA de Savimbi. Par la suite, Kissinger a affirmé que les Etats-Unis ignoraient tout de l'invasion menée depuis l'Afrique du Sud. Les documents révèlent que, non seulement les autorités américaines avaient été prévenues, mais qu'elles ont apporté leur aide à l'aéroportage d'hommes et de matériel jusqu'à la ligne de front. Ils voulaient s'emparer de la capitale Luanda avant que le MPLA ne puisse s'installer comme premier gouvernement de l'Angola indépendant. Les troupes cubaines, dont Kissinger prétendait qu'elles étaient déjà sur place, n'ont commencé à arriver qu'en novembre après le début de l'invasion sud-africaine. Une opération de la CIA était sur place depuis juillet 1975. Par contre, c'est à contrecoeur que les Soviétiques ont apporté leur contribution. Il a fallu attendre deux mois après la mise en place du déploiement pour que Moscou fournisse des avions aux cubains. Le comportement agressif de l'administration de Gerald Ford envers l'Angola était en ligne avec celui des administrations américaines qui se sont succédées depuis la guerre, qui désiraient étendre l'influence politique américaine et le contrôle des ressources stratégiques de l'Afrique. Leur implication en Angola a fait suite aux interventions antérieures au Congo/Zaïre où la CIA organisa le meurtre de Patrice Lumumba, et installa à la présidence le beau-frère de Holden Roberto, Mobutu Sese Seko. En 1950, une mission militaire commune belge et américaine visita le Congo belge qui fournissait deux tiers des besoins américains en uranium. Ils voulaient évaluer la sécurité dans une colonie qui constituait, d'après George Marshall, une "source primordiale de danger" pour les intérêts stratégiques des Etats-Unis en Afrique. Marshall, surtout connu comme le père du Plan Marshall de l'après-guerre, s'inquiétait des intentions des Soviétiques en Afrique. Mais il reconnut que la menace la plus sérieuse viendrait "d'un soulèvement à grande échelle des indigènes de la région ou d'un grand malaise des indigènes travaillant dans les mines."[1] La peur d'un soulèvement massif engageant la classe ouvrière africaine a depuis lors guidé la politique étrangère des Etats-nis en Afrique. Même après la fin de la guerre froide et après la dissolution de l'Union sviétique, la CIA ontinua à financer l'UNITA parce qu'elle avait toujours davantage craint un mouvement populaire qu'une pénétration des Soviétiques. Kissinger et d'autres dirigeants américains prétendirent à plusieurs reprises qu'ils s'inquiétaient du développement de l'influence soviétique en Afrique. Ironiquement, leur propre politique a bien plus contribué au développement de l'influence soviétique que la politique de la bureaucratie soviétique. Des politiciens impérialistes ayant l'expérience de Kissinger savaient pertinemment que les bureaucrates du Kremlin n'avaient aucun désir d'exporter la révolution. Staline et ses sbires avaient fait disparaître toute une génération de dirigeants révolutionnaires au cours des procès de Moscou et avaient fait la chasse aux Trotskistes dans le monde entier. Après la seconde guerre mondiale, ils avaient supprimé les mouvements révolutionnaires en Europe, en Asie et en Afrique. L'aversion exprimée par les dirigeants occidentaux envers l'Union soviétique n'en était pas moins une réalité. L'origine de cette aversion, ce n'était pas les visées mondiales des Soviétiques, mais c'était plutôt que la révolution d'Octobre 1917 avait retiré aux capitalistes toute possibilité d'exploiter les territoires qui formaient l'URSS et que cette révolution constituait un exemple, quoique déformé, d'une alternative au système de profit. La bureaucratie stalinienne étrangla les révolutions là où cela fut possible mais fut obligée de conserver les relations de propriété nationalisée en Union soviétique sur lesquels reposait sa propre puissance et qui empêchait l'exploitation capitaliste. En Afrique et ailleurs, les sections les plus conservatrices de la classe dirigeante occidentale ont cherché des moyens d'attaquer l'Union soviétique de façon indirecte. Elles ont essayé d'épuiser les ressources de celle-ci par le moyen de guerres prolongées dans l'espoir de pouvoir enfin récupérer ce qu'elles avaient perdu en 1917. L'Afghanistan s'est révélé être le début de la fin de la bureaucratie soviétique, mais la fraction la plus conservatrice de la classe dirigeante américaine qui était la plus agressive dans son attitude vis-à-vis de l'Union soviétique avait essayé la même chose en Angola. En finançant les éléments les plus réactionnaires et les plus dégénérés des forces nationalistes qui avaient émergé pour combattre la domination portugaise, elle a cherché délibérément à enliser l'Union soviétique. Ce faisant, elle a détruit un pays et privé tout un continent d'une partie de ses ressources les plus riches. Même après l'effacement de l'Union soviétique, la destruction a continué. La phase la plus brutale de la guerre en Angola, connue sous le nom de "guerre des villes", de 1992 à 1994, a commencé après la dissolution de l'URSS sous Boris Yeltsine alors que toute perspective d'intervention soviétique en Afrique avait définitivement disparu. Toutes les troupes cubaines avaient été retirées entre 1988 et la moitié de l'année1991 suite aux accords de New York. Le soutien des Etats-Unis pour Savimbi atteint le chiffre record de 50 millions de dollars en 1989, année de l'arrivée au pouvoir de George Bush père. Deux vols de ravitaillement militaire par jour soutinrent la campagne de l'UNITA qui devint de plus en plus brutale et de plus en plus destructrice. Alors que Savimbi avait bénéficié au début d'un certain soutien de sa propre tribu les Ovimbundu, en 1989, il fut réduit à utiliser la contrainte pure et simple. Les hommes étaient embrigadés de force dans son armée, les femmes étaient contraintes à l'esclavage sexuel et la nourriture des agriculteurs était confisquée. Ceux qui s'opposaient à son autorité étaient accusés de sorcellerie et brûlés vifs en même temps que leur famille. Après son échec aux élections de 1992, Savimbi attaqua toutes les capitales des provinces. Le siège de Huambo dura 55 jours. Bombardée par l'artillerie lourde, Cuito fut assiégée pendant huit mois, et 50.000 civils furent pris au piège dans la ville. Au milieu de l'année 1993, 1.000 personnes par jour mouraient en Angola. La partie de la classe dirigeante américaine qui s'était rassemblée autour de la famille Bush était prête à assister à la destruction de toute une nation plutôt que d'abandonner son soutien à l'UNITA. Il semble maintenant que l'actuelle administration Bush désire voir la fin de la guerre. La paix en Angola permettrait à la ligne de chemin de fer Benguela d'être à nouveau praticable et entrerait dans les projets que les Etats-Unis ont pour toute l'Afrique Centrale. Un accord, soutenu par les Etats-Unis, a récemment été imposé dans l'ancienne colonie française du Congo/Brazzaville avec le soutien du gouvernement angolais. En République démocratique du Congo, les Etats-Unis soutiennent un accord de paix en vue de mettre fin à la guerre civile qui a suivi la chute de Mobutu. Cependant, les auspices pour un succès du traité en Angola ne sont pas favorables. Les trois traités de paix précédents - en 1975, en 1991 et en 1994 - ont tous échoué quand l'UNITA avait repris la lutte armée. Néanmoins, l'ambassadeur américain, Christopher Dell, a donné toute son assurance aux journalistes que l'accord serait cette fois couronné de succès. Malgré leurs intentions, il est possible que les projets de l'administration américaine soient entravés par la situation créée par sa propre politique en Afrique. Les conditions sociales et économiques dans la région ne peuvent favoriser la paix. Des groupes d'élite sont engagés dans une lutte interne pour le contrôle des ressources stratégiques du continent. Cette lutte peut être conduite par des moyens militaires ou politiques. Pour le moment, l'UNITA a choisi le terrain politique suite à une défaite sérieuse. Mais ce choix risque de ne pas durer longtemps. Les forces de l'UNITA, menées par le général Lukamba Gato, signataire de l'accord, pourront continuer à respecter celui-ci si elles sont suffisamment récompensées. Mais il est inévitable que certains estimeront qu'ils n'ont pas reçu une part suffisante du butin. Même pendant les négociations, une faction dissidente de l'UNITA a tué sept personnes dans une embuscade près de Huambo. Quelle que soit l'issue du dernier accord de paix en date, personne n'a la moindre intention d'apporter une solution à l'épouvantable désastre social dans lequel a sombré le peuple angolais. Le coda de la tragédie angolaise se trouve dans l'évolution ultérieure du MPLA. Au début des années 70, on pouvait voir Edouardo dos Santos administrer des programmes médicaux dans la jungle. Il est maintenant président d'un Etat dans lequel 76 pour cent de la population n'a aucun accès aux soins médicaux de base. L'élite du MPLA est occupée à s'enrichir sur la base du revenu de 20 millions de dollars par jour rapportés par le pétrole. Durant toute la durée de la guerre, de grandes sociétés américaines telles que la Gulf Oil, la Chase Manhattan Bank et la General Tire ont conservé leurs intérêts en Angola. L'unique fois où elles ont été obligées de suspendre leurs opérations, ce fut sous la pression des autorités américaines. Le MPLA, malgré sa rhétorique pseudo-marxiste a toujours accueilli avec bienveillance les investissements provenant des sociétés transnationales et n'a jamais rompu avec la domination économique occidentale. A la chute de l'Union soviétique, le MPLA a cessé toute prétention socialiste et a abandonné toutes les mesures à caractère social commencées au moment de son arrivée au pouvoir. Une récente enquête menée par Global Witness suggère que le régime du MPLA porte la responsabilité du pillage systématique de l'économie nationale. Pierre Falcone, le marchand d'armes, emprisonné en France sur des accusations de corruption, a été une figure essentielle. Il a travaillé en étroite collaboration avec le fils du président François Mitterrand et une figure de proue de la mafia russe, Arkadi Gaidamac, afin de fournir des armes à l'Angola. Il était fréquent que la valeur réelle de la marchandise envoyée ne corresponde en réalité qu'à une fraction de sa valeur déclarée, permettant par là, à tous les participant, de récupérer pour eux-mêmes des bénéfices substantiels. Falcone a également continué à entretenir des relations privilégiées avec la classe dirigeante aux Etats-Unis, et en particulier avec la famille Bush. On dit que sa femme est une amie de Laura Bush. Il a apporté 100.000 dollars à la campagne électorale de Bush; la même somme que celle apportée par Kenneth Lay de la société Enron. Bush a été contraint de rendre l'argent de Falcone quand le scandale de l'Angolagate a éclaté en France, mais cette contribution démontre que les hommes d'affaires associés avec le MPLA sont très occupés à acheter des influences auprès de la clique criminelle qui entoure Bush. Le vice-président Dick Cheney a entretenu des liens avec Falcone par l'intermédiaire de sa société de services pétroliers, Halliburton. Cheney soutient depuis très longtemps l'UNITA tout en s'opposant au MPLA, mais il est possible que Falcone aie joué un rôle dans l'attribution de contrats en Angola pour Halliburton. Ces liens étroits avec ces mêmes forces de droite qui ont détruit l'économie de l'Angola et plongé son peuple dans le dénuement le plus total est un exemple de la dégénérescence du MPLA. Les partisans libéraux et de gauche ont, par le passé, considéré le MPLA comme le sauveur de l'Angola et un exemple pour le reste de l'Afrique. Ils ont jeté l'anathème sur l'UNITA et Savimbi tout en faisant l'éloge du MPLA. Mais la mise à l'écart de Savimbi n'a pas résolu les problèmes de l'Angola. Au lieu de cela, le MPLA a établi des relations avec exactement les mêmes forces que celles qui soutenaient Savimbi. Alors que la responsabilité principale de ce qui se passe en Angola incombe à la clique de droite qui entoure Bush, une part de responsabilité doit être attribuée aux nationalistes qui prétendent libérer leur pays de l'impérialisme mais qui n'ont fait que livrer celui-ci à une conspiration criminelle. Le MPLA ne peut offrir aucune alternative aux ravages causés par les sociétés pétrolières et ne peut plus affirmer que les effets du néo-colonialisme peuvent être améliorés par des mesures de protection sociale. Notes: [1] The destruction of a nation, United States' policy towards
Angola since 1945, George Wright, Pluto Press 1997, p. 19
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