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Congo : La mort tourmentée de Patrice Lumumba.Par Bill Vann Le 17 janvier marque le quarante et unième anniversaire de l'assassinat brutal de Patrice Lumumba. L'assassinat du leader de la lutte pour l'indépendance du Congo qui fut un des opposants les plus passionnés de l'oppression coloniale en Afrique n'a pas cessé de hanter les gouvernements d'Europe aussi bien que des Etats-Unis. En novembre, une commission d'enquête comprenant des membres de tous les partis politiques et mise en place par le gouvernement belge publia un rapport reconnaissant la responsabilité de la Belgique dans l'assassinat du leader congolais. Cette reconnaissance fut loin d'être suffisante et vint beaucoup trop tardivement. Le gouvernement belge décida de mettre en place cette commission en signe de repentir pour les crimes du passé. Le but en était d'ouvrir la voie à une participation plus importante dans les affaires de son ex-colonie en Afrique après la chute de la dictature de Mobutu et d'améliorer sa position de négociation par rapport aux Etats-Unis qui sont son principal rival économique dans la région. "Si nous voulons établir un dialogue franc avec nos anciens partenaires coloniaux, alors il nous faut aussi prendre en considération certains moments douloureux de notre passé colonial", a déclaré un porte-parole du ministère des Affaires étrangères à propos des révélations de la commission. En même temps, ces aveux limités ont été utilisés comme moyen de blanchir les révélations sur l'assassinat qui se sont accumulées ces dernières années, d'une part dans le livre de l'historien flamand Ludo de Witte, De Moord Op Lumumba (L'assassinat de Lumumba) publié il y a deux ans et d'autre part par des journalistes qui ont interviewé des officiers et des soldats belges ayant participé à l'exécution. Lumumba, le film récent de Raoul Peck, qui a mis en scène l'horrible meurtre, a également attiré l'attention du grand public sur l'assassinat. Le film débute par la scène cauchemardesque de soldats belges déterrant les restes du leader congolais et d'un de ses camarades qui avaient été fusillés par un peloton d'exécution juste quelques jours auparavant. Afin de s'assurer que les partisans de la libération du Congo ne disposeraient pas même d'un corps autour duquel se rallier, l'ordre fut donné d'effacer toute trace physique de Lumumba. Ainsi avec des haches, des scies, de l'acide et du feu ainsi que de larges quantités de whisky pour émousser leurs sens - les soldats procédèrent à leur sinistre besogne. Le rapport de la commission conclut que les autorités à Bruxelles ainsi que le roi Baudouin de Belgique étaient au courant de projets d'assassinat de Lumumba et qu'ils ne firent rien pour sauver celui-ci. Cependant le rapport mit l'accent sur le fait qu'il n'existe aucune preuve matérielle donnant à penser que la Belgique ait ordonné l'assassinat du leader congolais. Le rapport reconnut clairement que le gouvernement avait secrètement fait parvenir des fonds et fourni des armes aux groupes sécessionnistes régionaux du Congo qui étaient violemment opposés à Lumumba. Le rapport en faisait porter la responsabilité principale sur Baudouin, décédé en 1993, en affirmant que le roi avait poursuivi sa propre politique post-coloniale en cachette des personnalités politiques élues. Quelques partis appartenant à la coalition gouvernementale réagirent en réclamant un débat sur l'avenir de la famille royale. En réalité, des recherches antérieures apportèrent des preuves solides au fait que l'assassinat de Lumumba résultait directement d'ordres qui avaient été donnés par le gouvernement belge et par l'administration Eisenhower, agissant par l'intermédiaire de la CIA (Central Intelligence Agency) et de clients locaux financés et "conseillés" par Bruxelles et par Washington. Le livre de De Witte citait un télégramme envoyé à des représentants belges au Congo trois mois avant la mort de Lumumba, par le comte Harold d'Aspremont Lynden qui était à cette époque ministre des Affaires africaines: "Le but principal à poursuivre dans l'intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est clairement l'élimination définitive de Lumumba" disait la note. Etant donné que le leader congolais avait déjà été éjecté du pouvoir et était déjà à cette époque assigné à résidence, l'implication de ces mots était évidente. Des révélations semblables apparurent du côté américain. L'année dernière le gouvernement rendit public des archives concernant l'assassinat de Kennedy où l'on pouvait trouver une interview avec le rapporteur des réunions à la Maison Blanche sous l'administration Eisenhower, Robert Johnson. En août 1960, lors d'une réunion qui se tenait avec les conseillers à la sécurité, deux mois après que le Congo ait officiellement pris son indépendance de la Belgique, Johnson rapporte qu'Eisenhower donna l'ordre à la CIA d'"éliminer" Lumumba. "Il y eut un silence stupéfait qui dura près de15 secondes, puis la réunion reprit" se souvient Johnson. Le directeur de la CIA, Allen Dulles, qualifiait le leader congolais de "chien fou". Parmi les agents américains en place au Congo, il y avait un jeune agent de la CIA travaillant sous couvert diplomatique, Frank Carlucci, qui essaya de gagner la confiance de Lumumba dans les mois qui précédèrent son assassinat. Carlucci poursuivit sa carrière, devenant conseiller pour la sécurité nationale et secrétaire à la défense sous l'administration Reagan et il est actuellement président du groupe Carlyle, banque d'affaires influente qui compte l'ancien président George Bush parmi ses administrateurs. D'après Larry Devlin, alors chef des services de la CIA à Léopoldville (Kinshasa), le commandant technique de l'agence arriva dans le pays d'Afrique peu de temps après l'ordre d'"élimination" donné par Eisenhower. Il apporta avec lui un tube de dentifrice empoisonné qui devait être placé dans la salle de bains du leader congolais. Cependant, ce complot invraisemblable fut abandonné pour être remplacé par une méthode plus expéditive. Lumumba fut livré à son ennemi politique le plus acharné, Moise Tshombe, leader sécessionniste du Katanga. L'assassinat se déroula moins de sept mois après la déclaration d'indépendance du Congo qui avait alors comme Premier ministre Patrice Lumumba. Lumumba étaient un des personnages ayant le plus de courage et de principes de toute une génération de jeunes leaders nationalistes qui, au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, étaient venus sur le devant de la scène pour revendiquer la fin du joug colonial européen. Ces forces étaient mal préparées pour relever le défi qui consistait à prendre la tête de l'immense poussée de lutte sociale qui balaya le continent. De plus, aussi bien ceux qui furent assassinés, comme Lumumba, que ceux qui restèrent en vie, reçurent un cadeau empoisonné de la part des vieilles puissances coloniales: les frontières arbitraires que celles-ci avaient tracées au dix-neuvième siècle dans la lutte pour diviser et conquérir l'Afrique. Au Congo, en particulier, le colonialisme belge avait délibérément refusé toute formation ou toute éducation aux indigènes, réduisant ceux-ci au statut de bêtes de somme pour les industries minières qui pillaient la vaste richesse minérale et naturelle du pays. A la veille de l'indépendance, le Congo, territoire plus grand que l'Europe de l'Ouest, était sérieusement sous-développé. Il n'y avait aucun officier africain dans l'armée, il n'y avait que trois directeurs africains dans toute la fonction publique, et il n'y avait que trente diplômés de l'université. Néanmoins, les investissements occidentaux dans les ressources minérales du Congo (uranium, cuivre, or, étain, cobalt, diamants, manganèse, zinc) étaient énormes. Ces investissements signifiaient que l'Occident voulait à tout prix garder le contrôle du pays au-delà de l'indépendance. Les Belges organisèrent la passation du pouvoir de manière calculée pour garantir que "l'indépendance" ne serait, dans le meilleur des cas, qu'une apparence. Suite à l'étendue des émeutes et des grèves en 1959, le pouvoir colonial surprit tous les leaders nationalistes en prévoyant des élections pour le mois de mai 1960. Dans une hâte chaotique pour profiter des fruits de l'indépendance, 120 partis politiques furent constitués, ayant pour la plupart des bases ethniques ou régionales. Seul un de ces partis, le Mouvement National Congolais, dirigé par Lumumba, était en faveur d'un gouvernement centralisé ainsi que d'un Congo uni par delà les différences ethniques et régionales. L'ascension et la chute de Lumumba furent fulgurantes. Sorti d'une prison coloniale belge où il avait été battu et torturé pour avoir prôné l'indépendance, il fut envoyé en avion à Bruxelles pour participer à des pourparlers, dont le but était de favoriser une transition pacifique et sans heurts vers un régime qui ne toucherait pas aux intérêts financiers de la Belgique au Congo, tout en transférant les apparats du pouvoir d'Etat des coloniaux blancs à une nouvelle élite indigène. Le film de Peck Lumumba reproduit avec perspicacité les énormes contradictions sociales sous-jacentes au mouvement d'indépendance et la position de classe des nouveaux dirigeants nationalistes de la petite bourgeoisie africaine. Une scène montre le discours de Lumumba au cours des célébrations de la journée d'indépendance, en présence du roi des Belges et de ses ministres ainsi que le groupe de politiciens opportunistes noirs dans les mains desquels la Belgique avait l'intention de confier le nouvel Etat indépendant. Au beau milieu d'une cérémonie au cours de laquelle les Belges s'étaient auto-félicités d'avoir apporté avec succès la civilisation aux congolais et de les avoir préparés à l'autonomie, Lumumba expliqua clairement et sans mâcher ses mots la réalité de l'oppression coloniale, décrivant celle-ci comme 80 années "d'esclavage humiliant qui nous ont été imposées par la force". "Nous avons connu le travail harassant, extorqué en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger assez pour éloigner la faim, ni de nous vêtir, ni de nous loger décemment ni d'élever nos enfants comme des êtres qui nous sont chers Nous avons connu des railleries, des insultes, des coups que nous avons endurés matin, midi et soir parce que nous sommes des noirs Nous avons vu nos terres confisquées au nom de lois prétendument légitimes, qui en fait ne reconnaissaient que la raison du plus fort. Nous n'oublierons jamais les massacres où tant d'entre nous ont péri, les cellules où étaient jetés ceux qui refusaient de se soumettre à un régime d'oppression et d'exploitation." La caméra de Peck passe de la colère stupéfiée sur les visages des Belges écoutant ce discours, à l'allégresse des foules d'Africains rassemblés autour des radios, applaudissant le courage de Lumumba qui brossait un tableau honnête de leur existence. Les revendications directes de Lumumba pour l'indépendance économique, pour la justice sociale et pour l'autodétermination politique et son hostilité envers une organisation politique basée sur les divisions tribales, utilisée de façon efficace par les colonialistes pour diviser et pour diriger l'Afrique, scella son destin. La menace qu'il proféra de faire appel à l'aide de l'Union Soviétique en dernier recours pour libérer le pays de la domination persistante des intérêts miniers belges et de l'armée belge, qui continuait à intervenir aux lendemains de l'indépendance, fournit à Washington le prétexte pour s'allier avec la vieille puissance coloniale pour éliminer Lumumba. Peu de jours après l'indépendance, la situation politique au Congo échappa à tout contrôle. Les soldats noirs se mutinèrent contre les officiers belges. La province du Katanga, la principale région minière, s'autoproclama Etat séparé sous la direction de Tshombe, qui agissait sous la protection des intérêts miniers occidentaux et de l'armée belge. La Belgique organisa le retour de son armée dans son ancienne colonie, dans le soi-disant but de protéger ses nationaux. Lumumba invita les forces de maintien de la paix des Nations Unies, mais ils se soumirent très vite aux manuvres de la Belgique et des Etats-Unis, refusant de faire quoique ce soit pour empêcher l'assassinat du nouveau premier ministre. Bien que Tshombe soit devenu premier ministre après l'assassinat de Lumumba, son règne ne dura pas. En 1965, Joseph Mobutu, chef de l'armée congolaise qui avait livré Lumumba à ses assassins, fit un coup d'Etat sans effusion de sang, instaurant pour 32 ans une dictature à la corruption et à l'avidité légendaires. Cette "kléptocratie" qui donna au pays le nouveau nom de Zaïre, devint l'allié africain le plus proche de Washington et lui servit de plate-forme pour ses interventions contre-révolutionnaires dirigées contre les mouvements de libération en Afrique australe. Après sa mort, Lumumba fut transformé en inoffensive icône de la libération de l'Afrique et de la politique du tiers-monde. Même Mobutu, qui avait manigancé sa mort, rendit hommage à l'ancien leader, comme le fit la bureaucratie stalinienne soviétique, qui donna son nom à sa première université internationale. En réalité, l'Union Soviétique n'avait aucune intention d'aider Lumumba. Sa présence et son intérêt en Afrique ne furent jamais aussi forts que l'affirmaient les occidentaux - afin de justifier leur stratégie néo-colonialiste - ou que Moscou lui-même le prétendait afin de promouvoir son image de champion de la libération nationale. Quand elle intervint réellement ce n'était pas dans le but de favoriser la révolution sociale, mais dans le but de maintenir sa position de négociation vis-à-vis de l'impérialisme américain comme une partie de sa politique de guerre froide dans le cadre de la coexistence pacifique. Pour cela, l'URSS put fournir de l'aide à l'Angola face à l'agression militaire du régime d'apartheid de l'Afrique du Sud, tout en soutenant une dictature militaire brutale en Ethiopie, qui plongea toute la Corne de l'Afrique dans une crise atroce. Par-dessus tout, le film de Peck, Lumumba, dépeint le nouveau premier ministre du Congo comme un homme isolé, pris au piège dans une suite de complots politiques dont il ne peut s'extirper. Né à Haïti, Peck a passé une partie de sa jeunesse au Congo, où son père exerçait le métier de professeur. C'est un sympathisant du pan-africanisme et il dit à plusieurs reprises qu'il avait surtout fait le film pour que l'histoire de Lumumba soit présentée à un public africain. Il présente avec justesse toutes les forces qui s'opposaient au premier ministre nationaliste, des agents de la CIA soutenant Mobutu, chef militaire du gouvernement de Lumumba, aux colonialistes et aux officiers militaires belges, en passant par des politiciens africains fourbes et cupides. Mais ce que Peck ne peut voir ni démontrer, ce sont les forces sociales en oeuvre au sein du nouveau régime. Lumumba ne parvint pas à contrecarrer ses ennemis parce que, au bout du compte, lui-même était en balance entre d'une part les impérialistes et d'autre part les masses africaines opprimées. L'assassinat de Lumumba faisait partie d'un processus politique qui se développa dans toute l'Afrique sub-saharienne et par lequel les aspirations des masses - travailleurs, paysans et pauvres - à un changement social révolutionnaire furent cruellement trahies. L'élite nationaliste de la petite bourgeoisie qui parvint au pouvoir après la décolonisation fut satisfaite de recevoir l'héritage légué par le colonialisme, s'emparant des institutions étatiques et des frontières nationales qui avaient été créées et dessinées par les puissances coloniales lors de leur conquête de l'Afrique. La concession officielle de souveraineté nationale n'a, nulle part en Afrique, vraiment signifié la réalisation des aspirations démocratiques des masses africaines. Même dans les zones où la fin du colonialisme avait été le fruit d'une lutte armée, l'indépendance de l'Etat n'avait fait que servir de couverture au maintien de l'impérialisme sur les masses des anciennes colonies, avec des cliques corrompues de la bourgeoisie nationale qui utilisaient l'Etat pour s'enrichir au dépens de tout progrès social. Alors que l'assassinat brutal de Lumumba le transformait en martyr de l'agression impérialiste occidentale en Afrique, ceux qui l'avaient inspiré, comme Nyerere, Nkrumah et Kenyatta dirigeaient des régimes corrompus qui furent remplacés par des régimes militaires et policiers au service des banques internationales et des capitaux étrangers. Le Congo lui-même, 41 ans après l'assassinant de Lumumba, donne la confirmation la plus crue du caractère totalement réactionnaire de la bourgeoisie nationale. Mobutu fut renversé en 1997, après que son régime criblé de dettes ait cessé d'être utile à Washington à la fin de la guerre froide. Son successeur, Laurent Kabila, fut à son tour assassiné, remplacé par son fils Joseph, qui chercha à être encore plus accommodant avec les intérêts financiers occidentaux. Au cours des trois années de guerre civile, plus de 2,5 millions de Congolais sont morts, pour la plupart des femmes et des enfants victimes de la faim et de la maladie. Les armées des régimes africains voisins - Rwanda, Ouganda d'une part et Zimbabwe d'autre part - sont intervenus dans la guerre civile du Congo, prétextant solidarité politique et sécurité régionale. En réalité, ils se sont simplement inspirés du rôle historique de l'impérialisme occidental, s'appropriant et exploitant illégalement des installations minières afin d'enrichir des officiers militaires et leurs amis en politique et en affaires dans les trois pays. Il n'y a pas d'issue à la terrible crise sociale et
économique qui s'est abattue sur le Congo et l'Afrique
toute entière, sous la direction de la bourgeoisie nationale
et sous la domination des banques et des multinationales occidentales.
Les idéaux de libertés démocratiques, de
progrès économique et de justice sociale qui ont
inspiré tant de Congolais et d'Africains dans leur lutte
contre le colonialisme il y a plus de quatre décennies
ne se matérialiseront que par la création d'un
nouveau mouvement qui réunira la classe ouvrière
d'Afrique avec celles d'Europe et d'Amérique et du reste
du monde sur la base du programme du socialisme international.
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