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A qui profite le silence?
Maurice Papon et le massacre d'octobre 1961 à Paris

Par Françoise Thull et Marianne Arens
(traduit de l'allemand - publié le 24 décembre 1999)

En avril 1998, Maurice Papon, âgé de 88 ans, est condamné à la réclusion criminelle par un tribunal français pour avoir organisé, en tant que secrétaire général de la préfecture de la Gironde durant le régime de Vichy, la déportation de 1690 juifs.

Le procès qui avait duré deux ans avait fait grand bruit sur le plan international pour avoir mis au jour un important chapitre sur la collaboration du régime français avec les nazis. Ce procès a, de plus, dévoilé des faits historiques d'une époque ultérieure et qui, jusque-là, étaient restés en grande partie occultés et, selon la volonté de l'élite politique française, auraient dû le rester à tout jamais. Papon qui, jusqu'en 1981, avait occupé de hautes fonctions politiques voire jusqu'au ministre des Finances, avait également commis des crimes similaires dans la France d'après-guerre. C'est ce que révéla l'historien Jean-Luc Einaudi, témoin de la partie civile, lors de sa déposition sur la personnalité de l'accusé Papon.

Einaudi est l'auteur du livre «La bataille de Paris, 17 octobre 1961» (éditions du Seuil, 1991). A la barre du tribunal de Bordeaux il évoqua en octobre 1997 ce qui s'était passé à Paris 36 ans auparavant alors que Maurice Papon était préfet de police sous de Gaulle. A cette époque, au moment où la guerre d'Algérie était à son paroxysme, des centaines d'Algériens avaient été tués et près de 12.000 arrêtés dans la capitale française à l'occasion d'une manifestation pour l'indépendance de leur pays et qui avait fait descendre dans la rue 30.000 d'entre eux.

Préfet de police en Algérie et à Paris

La carrière politique de Papon avait débuté en 1929, lorsqu'il adhère, à l'âge de 19 ans, à la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste, organisation des jeunesses radicales-socialistes. C'est là qu'il fera la connaissance d'un grand nombre de ses futurs chaperons, entre autres, Jacques Soustelle, Maurice Schumann et Georges Pompidou, qui deviendront par la suite des personnages influents du gaullisme.

Durant les années 1930, Papon sera un haut fonctionnaire dans différents gouvernements, dont le Front populaire, pour se mettre finalement au service du régime de Vichy. C'est pour les crimes commis à cette époque qu'il est à présent condamné.

En juin 1944, alors que les Alliés débarquent en France, il se procure en temps utile un alibi de «résistant» en faisant parvenir quelques informations à la Résistance. Et c'est ainsi qu'il s'assure la poursuite de sa carrière dans la France d'après-guerre.

En 1956, Guy Mollet, alors premier ministre socialiste, lui confie le poste d'inspecteur général de l'administration à Constantine en Algérie. Deux ans plus tard, le ministre de l'Intérieur radical-socialiste Bourgès-Maunoury le nomme préfet de police à Paris.

Son activité à Constantine, le maintien de l'ordre durant la guerre d'Algérie, montre ce dont le fonctionnaire de Vichy est capable. La torture la plus exécrable est à l'ordre du jour lors des interrogatoires. D'ici 1957, des milliers d'Algériens seront tués, 114.000 personnes seront internées dans des camps, dans lesquels - selon un rapport de Michel Rocard publié dans Le Monde - entre 50 et 60 personnes meurent quotidiennement. Il existe des zones interdites dans lesquelles la chasse à l'homme contre la population indigène est autorisée.

Contrairement au général de la Bollardière qui démissionne de son poste en 1957 en protestation contre les exactions commises en Algérie, Papon se distingue en les encourageant sans états d'âme. C'est de cette époque que date sa promotion d'officier de la Légion d'honneur; sa première décoration remontant à 1948.

En 1958, la France se trouve au seuil de la guerre civile. Dans le but de forcer l'Algérie à faire partie de la métropole, les parachutistes du général Massu menacent d'organiser un putsch. Pour maîtriser la situation, le gouvernement radical-socialiste fait appel au général de Gaulle après avoir nommé Papon préfet de police de Paris en mars. De Gaulle le confirmera à son poste avec pour mot d'ordre de «tenir Paris» pendant qu'il essaie à long terme de trouver une solution négociée avec les Algériens.

Papon n'est pas un inconnu pour de Gaulle. En août 1944, il avait déjà été au service d'un homme de confiance de de Gaulle, car, selon la déposition d'un témoin gaulliste au procès de Papon: «A la Libération, de Gaulle avait puisé dans la fonction publique de Vichy pour reconstruire le pays.»

A présent, Papon se révèle être un employé fidèle et qui ne reculera devant aucune violence pour maintenir l'ordre dans la capitale. L'arrestation et la torture d'étudiants arabes, la confiscation de livres ou même l'interdiction de spectacles et de meetings sont du ressort de Papon.

Le 5 octobre 1958, Papon décrète un couvre-feu aux Algériens leur interdisant de sortir entre 20 heures 30 et 5 heures 30 - ce couvre-feu est anticonstitutionnel car il instaure une ségrégation à l'égard d'une population qu'on reconnaît à son faciès. C'est littéralement le début d'une chasse au faciès dans les rues de Paris. Au Bois de Vincennes, un camp d'internement est construit, semblable en tout point à celui de Mérignac du temps du régime de Vichy. Les rafles sont nombreuses et les travailleurs algériens se plaignent du traitement que leur inflige la police française, qui leur fait subir des tabassages.

Papon distribue aux policiers des ordres d'arrestation en blanc tout en précisant parfois la nécessité de faire du chiffre. En 1960, il crée une force de police auxiliaire composée de Harkis (des Algériens servant dans l'armée française) et qui est encadrée par des policiers français. Elle est directement sous les ordres de Papon qui s'en sert pour infiltrer le FLN algérien (Front de Libération nationale). A cette fin, des hôtels sont réquisitionnés dans le 15ème et le 18ème arrondissement de Paris où la torture est pratiquée.

Les méthodes de Papon ne sont pas acceptées de tous. Un ancien déporté à Dachau, Edmond Michelet qui est ministre de la Justice depuis 1959, proteste publiquement contre la torture. Il est soutenu par Simone Weill qui est également une ancienne internée de camp de concentration et qui est employée à la magistrature. Au grand soulagement de Papon, Michelet, sous la pression de Debré, le premier ministre gaulliste, doit démissionner dans le courant de l'été 1961.

Le massacre du 17 octobre 1961

Un référendum sur l'autodétermination de l'Algérie a lieu en France en janvier 1961 qui se solde par 75,2 % de oui. En février l'OAS (Organisation de l'Armée secrète) est fondée - une organisation secrète qui lutte par le terrorisme pour une Algérie française. Elle est constituée par des pieds-noirs (colons français d'Algérie) et des membres de l'armée et organisera des attentats jusqu'à fin 1962. Le FLN riposte en organisant également des attentats en France.

En octobre 1961 la situation s'aggrave et l'atmosphère est chauffée parmi les policiers. Les paroles de Papon, prononcées le 2 octobre 1961 sont reproduites comme suit: «Pour un coup reçu, nous en rendrons dix.» Il encourage les policiers à tirer les premiers: «... on vous couvrira, vous serez en état de légitime défense.»

Pour protester contre le couvre-feu incessant le FLN ordonne à ses militants de manifester pacifiquement le soir dans les rues de Paris. Il appelle à une manifestation de masse le 17 octobre à partir de 20 heures 30 en demandant aux Algériens de se rendre avec leurs familles sur les lieux les plus connus de Paris.

30.000 Algériens prennent part à cette manifestation parmi eux se trouvent des femmes et des enfants. Dans le but de gagner la sympathie de la population parisienne pour leur manifestation pour la paix et l'indépendance, le FLN leur avait donné pour stricte consigne que toute arme «même une épingle» était prohibée. Ils tomberont dans un guet-apens ignoble.

Dès l'après-midi du 17 octobre, Papon rassemble les forces de police bien équipées et les rafles au faciès commencent systématiquement avec l'arrivée des Algériens dans le centre de Paris. Dans la soirée, les bruits circulent parmi les policiers disant que des Algériens avaient tiré sur des policiers - ce sont de fausses nouvelles. Il s'ensuit un massacre sanglant d'une extrême brutalité. Des groupes d'Algériens sont refoulés sans cesse entre l'Opéra et la Place de la République. Au Pont de Neuilly des coups de feu éclatent et des témoins observent comment des policiers jettent des blessés dans la Seine - certains criant même qu'ils ne savent pas nager.

Près des bouches de métro les Algériens sont arrêtés par les policiers et embarqués dans les cars de police et les bus de la RATP pour les conduire au Palais des Sports à la Porte de Versailles, au stade de Coubertin voire au tristement célèbre Vél'-d'Hiv' où, en 1942, des milliers de juifs avaient été rassemblés avant leur déportation. Des «comités d'accueil» de la police se livrent à des brutalités meurtrières sur les Algériens.

Dans la cour de la préfecture de la police sur l'Ile de la Cité de plus en plus d'Algériens sont amenés et tabassés en présence de Papon, certains même étranglés. Un policier délégué du syndicat de la police est tellement écoeuré qu'il intervient auprès du contrôleur général de Paris pour faire cesser ce massacre. Vers minuit, plusieurs policiers sous le choc vont voir le journaliste Claude Bourdet du journal France Observateur, et lui rapportent que 50 Algériens viennent d'être tués dans la cour de la préfecture de la police, avant d'être jetés dans la Seine.

Dans le courant de cette nuit, d'après les chiffres actuels, 11730 Algériens seront interpellés et transportés à différents endroits, dont le camp d'internement du Bois de Vincennes. Des semaines durant, des cadavres seront repêchés dans la Seine. Quand Claude Bourdet, lors d'une session au conseil de Paris le 27 octobre interroge Papon directement sur les événements, celui-ci garde le silence.

Le bilan officiel fait état de trois morts - il s'agirait de règlements de compte entre factions rivales d'Algériens. L'action de la police s'était réduite à faire monter des Nord-Africains dans des autobus pour leur propre sécurité et ceux-ci ne se seraient pas fait prier. Voilà la version qui a prédominé durant plus de trente ans dans l'opinion publique.

De Gaulle couvre Papon et fait taire tous ceux qui réclament la tête du préfet de police: «La manifestation était interdite. Le préfet de police a reçu mission et avait le devoir de s'y opposer. Il a fait se qu'il devait faire.»

Un nouvel acte de violence d'Etat devait avoir lieu peu de temps plus tard. A quelques jours du 18 mars 1962, date de la signature des accords d'Evian ratifiant l'indépendance de l'Algérie, l'OAS redouble ses actions terroristes. Le 7 février 1962 elle organise un attentat qui aveugle une fillette de quatre ans, Delphine Renard. Le lendemain, à l'appel des syndicats, des manifestants descendent dans la rue aux cris de «OAS - assassins!»

De nouveau la police attaque au pas de charge avec une extrême brutalité en matraquant les manifestants. Une partie des manifestants cherche à se réfugier dans le métro le plus proche. Mais les grilles métalliques au bas de l'escalier sont fermées et les premiers arrivés sont écrasés et étouffés par les derniers. Neuf personnes dont huit militants de la CGT trouvent la mort. Quand, quelques semaines plus tard, le secrétaire général du syndicat de la police, François Rouve, prend position contre Papon, il est révoqué de ses fonctions et l'hebdomadaire l'Express, qui rapporte les faits est saisi.

Le ministre de l'Information, Alain Peyrefitte, un gaulliste invétéré, contrôle tous les bulletins d'information et veille à ce que la radiodiffusion et la télévision étouffent toute information. Il se charge des embauches et renvoie les journalistes qui ne savent pas se taire. Plus tard, dans sa qualité de garde des sceaux dans le gouvernement de Raymond Barre, il restera fidèle à sa réputation de censeur gaulliste en se faisant le champion de la peine de mort. Jusqu'à sa mort, le 27 novembre 1999, personne ne lui aura demandé des comptes.

Finalement, ce sera une action de la police parisienne d'octobre 1965 qui fera déborder le vase. L'enlèvement du dirigeant de l'opposition marocaine Mehdi Ben Barka qui, en plein jour à Paris, sera jeté dans une voiture pour être retrouvé assassiné bien plus tard.

L'implication dans l'affaire de hauts fonctionnaires de police forcera enfin de Gaulle à se séparer de son serviteur zélé.

De l'amnistie à l'amnésie

C'est ainsi que, de 1958 à 1967, Papon aura été préfet de police sous trois premiers ministres gaullistes: Michel Debré, Georges Pompidou et Couve de Murville. Mais sa carrière est loin d'être terminée.

Après un court interlude dans le secteur privé comme Président directeur général de Sud-Aviation (aujourd'hui Aérospatiale) où il fiche les syndicalistes, il devient, en 1968, le trésorier national du parti gaulliste UDF, un poste qui, par la suite, aura des conséquences heureuses pour lui: Raymond Barre, premier ministre dans le gouvernement de Giscard d'Estaing lui confiera en 1978 le ministère des Finances. Jean-Louis Debré, le fils de Michel Debré, devient alors son chef de cabinet.

C'est précisément à cette époque que son passé le rattrappe. En mai 1981, un article paru dans l'hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné révèle son rôle de collaborateur nazi durant les années 1940. L'article paraît le 6 mai 1981, juste entre les deux tours de l'élection présidentielle qui, pour la première fois après une longue traversée du désert, donnera une nouvelle chance à Mitterrand de devenir Président de la République. Ce qui explique pourquoi, Mitterrand ne s'opposera pas à la parution du Canard enchaîné. Cette attitude changera sitôt Mitterrand au pouvoir.

Les révélations sur Papon sont aussitôt qualifiées «d'attaques scandaleuses» par les barons du gaullisme. Quand, en décembre 1981, les premières plaintes sont déposées contre Papon par Gérard Boulanger, puis en mai 1982 par Serge Klarsfeld, la procédure d'instruction est tout d'abord tirée en longueur pour être ensuite annulée pour vice de forme le 11 février 1987 pendant le gouvernement de cohabitation Chirac/Mitterrand.

Les familles des victimes juives de Bordeaux ne se résignent pas et Papon est inculpé une deuxième fois en 1988 puis une troisième fois en 1992 de crimes contre l'humanité. Enfin, en octobre 1997 son procès démarre et en avril 1998 Maurice Papon est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité. Il ne sera toutefois nullement tenu compte de son rôle dans l'après-guerre.

Certes, Einaudi aura eu l'occasion de faire une déposition, mais les événements d'après-guerre seront totalement ignorés par les magistrats de la cour d'assises de la Gironde et l'ensemble des documents concernant octobre 1961 continuera à être inaccessible dans les Archives nationales.

Ces archives sont soumises à la législation la plus restrictive d'Europe. Une loi de 1979 stipule que ces documents soient couverts pendant des délais allant de 30 ans, parfois 60 ou même 100 ans. Les documents ayant trait à la guerre d'Algérie sont tout particulièrement touchés par cette mesure. En février 1999 remarque Libération: «Dès la fin de la guerre, l'amnistie (partie intégrante des Accords d'Evian -ndlr), décidée avec une rapidité et une générosité sans équivalents dans notre histoire (aucun des coupables de ce massacre et des morts de Charonne n'a été inquiété), se double en effet d'amnésie de l'Etat.»

Après le témoignage d'Einaudi lors du procès de 1997 les archives furent tout juste entrouvertes: la ministre de la Culture, Catherine Trautmann (Parti socialiste) avait fait une déclaration spontanée, promettant d'ouvrir les archives. Le professeur d'histoire David Assouline, membre de l'association créée en 1990 «Au nom de la Mémoire» se rend immédiatement après la déclaration de Trautmann aux archives de Paris où Philippe Grand, le conservateur en chef accède à sa demande pour avoir lui aussi pris au mot la ministre. Ensemble, ils évaluent les cartons contenant les documents du Parquet pour les comparer aux listes des tués et des disparus, établies par l'historien Einaudi dans son livre.

Assouline explique: «Les pages des mois d'octobre et novembre sont remplies de noms de FMA (Français musulmans d'Algérie), frappés du tampon Mort. Pour certains, figurent même la mention manuscrite repêché ou repêchage.» Après une rapide consultation ils en comptent déjà 70.

La promesse de la ministre ne sera pas tenue. Au lieu d'ouvrir les archives, le ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, charge son collaborateur, le conseiller d'Etat Dieudonné Mandelkern d'examiner les archives de la préfecture de police de Paris et du ministère de l'Intérieur. Le 8 janvier 1998, Mandelkern remet son rapport à Chevènement. Il y corrige de façon extrêmement circonspecte, la version officielle à savoir qu'il n'y avait eu que trois morts le 17. Octobre 1961. Il cite les noms de sept morts en ne pouvant plus «exclure» que pour 25 des 88 cadavres recencés durant la période en question dans le centre de Paris il y avait un lien avec la manifestation.

La réaction de Lionel Jospin est cependant tout à fait intéressante: quatre jours plus tard, le 12 janvier 1998, il fait à nouveau procéder à la fermeture des archives, ce qu'il justifie dans un communiqué officiel dans les termes suivants: «... elles pourraient interférer avec le procès en cours concernant M. Maurice Papon. Dans ces conditions, le gouvernement ne peut prendre l'initiative de publier ce rapport et d'ouvrir ces archives.»

Mandelkern a pourtant clairement constaté que de nombreux documents importants se sont récemment volatilisés. Il en va ainsi du rapport du préfet Papon au ministère de l'Intérieur et dont le Président de la République tout comme le premier ministre ont eu copie le 26 décembre 1961. Ont également disparu les archives de la brigade fluviale, les dossiers du service de coordination des affaires algériennes, le fichier du camp de Vincennes ainsi que d'autres documents.

Le rapport Mandelkern ayant été très contesté, un deuxième rapport sera établi. Cette fois la ministre de la Justice Elisabeth Guigou (Parti socialiste) en charge, en octobre 1998, l'avocat général Jean Geronimi. Son rapport, qui est remis le 5 mai 1999 à Jospin, constate que 48 Algériens auraient été tués, tout en estimant que cette évaluation est vraisemblablement inférieure à la réalité. Par ailleurs, l'on peut y lire: «Une note du directeur du cabinet du garde des sceaux au directeur du cabinet du premier ministre, datée du 27 octobre 1961, mentionne la découverte d'une centaine de cadavres et ajoute que le plus souvent , selon certains indices, les meurtres pourraient être imputables à des actions policière.» Une deuxième note adressée le 2 novembre 1961 directement à Debré, souligne que les assassinats résultent dans une large mesure d'actions policières.

Le rapport Geronimi révèle indubitablement que les autorités gouvernementales étaient parfaitement informées de ces faits. La justice avait à l'époque enquêté, mais les documents montrent que toutes les informations judiciaires ont débouché sur des non-lieux. C'est ainsi que sur les 186 commissions rogatoires, 147 restèrent inexécutées. Les informations judiciaires ont toutes été closes par des non-lieux, à l'exception de deux qui avaient été engagées contre des journaux ou des journalistes qui avaient dénoncé le massacre du 17 octobre 1961.

Einaudi réitère ses accusations dans une lettre adressée au journal Le Monde. Maurice Papon qui n'avait pas poursuivi Einaudi ni à la parution de son livre (1991) ni après son témoignage lors du procès, lui intente à présent un procès en diffamation en réclamant un million de francs de dommages et intérêts. Le procès en diffamation a lieu le 4 février 1999 à Paris. Einaudi qui, pendant de nombreuses années, dans un travail méticuleux a rassemblé un matériel inestimable sans avoir jamais eu accès aux archives, a pu retourner le procès contre son accusateur qui sera débouté.

Pour ce qui est des deux témoins qui avaient simplement confirmé que le livre d'Einaudi recoupait fortement la vérité, le conservateur Philippe Grand et sa collègue, leur déposition aura des conséquences néfastes: ils font l'objet de menaces de sanctions disciplinaires et sont, depuis, mis à l'écart par Jean Tiberi, chiraquien et maire de Paris qui est lui-même soupçonné d'être impliqué dans des affaires de corruption.

Et aujourd'hui?

Jusqu'en novembre 1999, Maurice Papon n'aura passé au total que trois nuits en prison durant l'ensemble des 18 ans que son rôle de collaborateur nazi aura été connu, voire jusqu'à l'ouverture de son procès à Bordeaux en octobre 1997. Il y était apparu au banc des accusés avec, à la boutonnière, sa décoration d'officier de la Légion d'honneur pour se faire attester par Raymond Barre sa loyalité tout en jouissant de privilèges exceptionnels. En effet, en raison de son grand âge et de son état de santé précaire, il lui avait été possible de quitter le tribunal au bout de trois jours seulement en homme libre et en possession de son passeport.

Il a donc pu rester en liberté en attente de l'épuisement de ses voies de recours. Pour sa protection personnelle et celle de sa résidence, il a bénéficié d'un dispositif de surveillance 24 heures sur 24. Il suffira d'un signe de Papon pour que ce dispositif soit levé. Sur ordre de Didier Cultiaux, le directeur général de la police nationale, la levée du dispositif de surveillance de ses déplacements se fera le 5 octobre 1998. Cultiaux relève du ministère de l'Intérieur de Chevènement et ne sera révoqué de son poste que le 24 novembre 1999, c'est-à-dire plus d'un mois après la fuite de Papon en Suisse. Il n'est donc pas étonnant que Papon ait eu le temps de préparer en toute tranquilité sa fuite vers la Suisse.

Papon se trouve, quant à lui, à présent sous les verrous. Mais, l'histoire d'après-guerre n'en est pas pour autant élucidée. Les Archives nationales demeurent inaccessibles, les chiffres contradictoires, les instigateurs et les réseaux les plus divers restent dans l'ombre. Quel intérêt peut avoir l'actuel gouvernement pour maintenir une chape de plomb sur la vérité? Il est grand temps de répondre à cette question.



 

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