Le Kosovo et la crise
de l'Alliance atlantique
Par Peter Schwarz Le 1er septembre 1999
Au lendemain de la guerre du Kosovo, de nouveaux indices dévoilant
les tensions explosives qui faisaient rage au sein de l'OTAN pendant la
guerre ne cessent d'apparaître dans des documents publics.
C'est ainsi que lors d'une émission télédiffusée
sur la BBC le 20 août, le sous-ministre des Affaires étrangères
des États-Unis, M. Strobe Talbott a déclaré que les
divergences d'opinion étaient devenues si prononcées «
qu'il aurait été vraiment très difficile de préserver
l'union et la résolution de l'Alliance » si le président
yougoslave Slobodan Milosevic n'avait pas capitulé le 3 juin. «
Je pense que c'est une bonne chose que le conflit se soit alors terminé
» a-t-il ajouté.
Le commandant suprême de l'OTAN, le général américain
Wesley Clark a reconnu lors de la même émission qu'il avait
en partie ignoré les objections soulevées par les gouvernements
allemand, grec, français et italien à propos du bombardement
d'objectifs civils tels que les stations de télévision et
les édifices gouvernementaux : « Je n'ai pas toujours écouté
ceux qui voulaient épargner certains objectifs ».
Pendant la guerre, des experts en politique étrangère étaient
déjà parvenus à la conclusion que l'unité de
l'OTAN était en jeu et que son maintien était devenu l'une
des raisons les plus importantes pour la poursuite de la guerre.
Ancien haut fonctionnaire de la Maison Blanche et du US State Department,
Peter W. Rodman a confié au périodique américain Foreign
Affairs : « à la lumière du but visé dans
cette guerre, l'unité de l'OTAN n'aurait pu empêcher les accusations
et les récriminations de fuser de part et d'autre de l'Atlantique
si la conclusion du conflit avait été différente du
résultat final attendu. L'enjeu stratégique était devenu
énorme pour l'Alliance ».
Toujours selon Rodman, si les résultats de la guerre n'avaient
pas correspondu aux attentes, les divergences entre les États-Unis
et l'Europe auraient inévitablement été amplifiées
: « avant la crise, l'UE s'était déjà engagé
à créer sa Politique étrangère et de sécurité
commune pour exercer son autonomie à l'égard des États-Unis.
La désillusion au Kosovo les entraîneraient à poursuivre
leurs efforts avec un esprit de vengeance. Rodman poursuit : une victoire
au Kosovo assurera la primauté de l'OTAN dans l'avenir de l'Europe,
démontrant indubitablement que l'OTAN constitue l'institution de
sécurité indispensable et prééminente du continent
».
La revue spécialisée en affaires militaires Jane's Defence
Weekly arrivait aux mêmes conclusions dès la fin de la
guerre : « dans l'éventualité où l'OTAN n'aurait
pas atteint ses objectifs, il est facile d'imaginer le déferlement
de récriminations qui aurait suivi... Les débris politiques
de la campagne stérile se seraient confondus aux débris matériels
de la Serbie écrasée et du Kosovo en ruine... Il aurait été
bien difficile de voir dans l'OTAN autre chose qu'un ballon crevé
dominé par une superpuissance isolée et refusant de prendre
des risques. Toute menace éventuelle aurait été inimaginable.
L'influence occidentale dans la conduite des affaires internationales aurait
diminué d'autant. » Selon la même source, la reddition
de Belgrade qui a été obtenue principalement en raison des
pressions russes a épargné à l'OTAN une crise profonde
et une scission possible.
Le recul de Milosevic a été accueilli avec soulagement
des deux côtés de l'Atlantique. Tant aux États-Unis
qu'en Europe, les cercles dirigeants sont en général favorables
à l'idée de maintenir l'OTAN. Pour les États-Unis,
l'Alliance reste son seul « lien institutionnel » avec l'Europe,
qui, pour reprendre Peter W. Rodman dans l'article cité plus haut,
« continue d'être d'intérêt vital pour les États-Unis
». Pour l 'Europe, un désaccord ou même une scission
au grand jour avec les États-Unis comprend d'énormes risque
actuellement. Car les gouvernements européens dépendent toujours
en effet de leur collaboration militaire avec les États-Unis pour
assurer la réalisation de leurs intérêts politiques
et économiques sur la scène mondiale. Une scission dans l'OTAN
porterait en son sein le risque d'une confrontation armée éventuelle
tôt ou tard avec les États-Unis.
La question reste néanmoins posée : la victoire au Kosovo
a-t-elle vraiment résolu les tensions au sein de l'OTAN à
long terme ? La victoire sur Belgrade a-t-elle vraiment renforcée
l'Alliance atlantique ?
Trois mois après la fin de la guerre, il est possible de répondre
à ces questions par un « non » sans équivoque.
Les frictions, les conflits et les récriminations mutuelles au sein
de l'OTAN sont en effet repartis de plus belle. L'appel de l'Europe à
« se libérer de l'esclavage de l'OTAN" (Süddeutsche
Zeitung du 17 août) résonne en effet de plus en plus fort.
L'OTAN et l'UCK
C'est au Kosovo même que les tensions au sein de l'OTAN sont les
plus évidentes. L'idée que l'occupation militaire apporterait
la paix dans la région s'est révélée n'être
qu'illusion insouciante. La victoire de l'OTAN est en fait un désastre.
Suite au retrait des troupes yougoslaves, le Kosovo regorge en effet de
contradictions explosives.
L'expulsion systématique des Serbes et des Gitans - des 200 000
habitants de souche non albanaise d'avant la guerre, le Kosovo n'en contient
plus que 30 000 - n'est que le dernier des problèmes de l'OTAN. Bien
que cette fuite était prévisible, il aurait été
naïf de penser que les responsables de l'OTAN auraient agit autrement
de toutes façons.
Néanmoins, cette expulsion massive dément la propagande
officielle selon laquelle cette guerre a été menée
pour la défense des droits de l'Homme et pour mettre fin au nettoyage
ethnique. C'est pourquoi les dernières expulsions ont été
condamnées. Mais en pratique, l'OTAN ne fait rien pour les empêcher.
Certains témoignages révèlent même que les autorités
se sentent soulagées qu'au moins ce problème soit en train
d'être « résolu ».
La question de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) est
encore plus grave que l'expulsion de la population non albanaise. L'OTAN
est en effet entrée en conflit à plusieurs reprises avec l'UCK
au cours des dernières semaines.
Depuis le retrait de l'administration et des forces militaires serbes,
l'UCK a systématiquement comblé le vide laissé derrière.
Elle s'est emparé des postes administratifs laissés vacants,
assume les fonctions de police et autres, en plus d'avoir mis la main sur
les usines, les propriétés et autres biens qui relevaient
auparavant de l'État serbe.
L'UCK n'a accepté que partiellement l'autorité de l'administration
établie par l'OTAN et elle a fréquemment organisé des
manifestations contre les troupes de la KFOR, notamment à Kosovoska
Mitrovica, où les troupes françaises ont dispersé des
manifestants albanais qui s'apprêtaient à déferler sur
un quartier majoritairement serbe, de même qu'à Orahovac contrôlée
par l'Allemagne où des manifestants ont tenté d'empêché
le stationnement de troupes russes de la KFOR.
L'OTAN se retrouve maintenant aux prises avec un dilemme. Si elle cède
à l'UCK et permet l'organisation de son règne sans supervision
au Kosovo, elle risque une nouvelle expansion de la crise dans les Balkans.
Le but de l'UCK est en effet la création d'un Kosovo indépendant
et d'une Grande Albanie qui comprendrait des parties de la Macédoine,
de la Grèce et de l'Albanie. La réalisation de cet objectif
entraînera inévitablement des conflits sanglants dans ces pays
et dans les régions avoisinantes. Si d'un autre côté
l'OTAN sévit contre l'UCK, cela entraînera des confrontations
sanglantes au Kosovo même. L'OTAN pourrait alors se retrouver dans
une débâcle similaire à celle de la Somalie où
les troupes internationales se sont retirées en pleine guerre civile.
Plusieurs autres facteurs viennent compliquer la situation. D'abord,
l'UCK est tout sauf un mouvement unifié. Par conséquent, elle
est difficile à contrôler. Quinze partis différents
sont en effet représentés dans le « gouvernement provisoire
» du leader de l'UCK Hashim Thaci. Il n'est pas rare d'ailleurs que
des accords conclus au niveau de la direction soient ignorés à
l'échelon local. Ensuite, il existe des rapports étroits entre
l'UCK et la mafia albanaise qui est bien connue pour son manque de scrupules
et sa prédilection pour la violence. Et enfin, l'UCK collabore étroitement
avec le gouvernement de Pandeli Majko de l'Albanie voisine, alors que l'opposition
au Kosovo formée par le KDM (Mouvement démocratique du Kosovo)
d'Ibrahim Rugova collabore avec l'opposition albanaise de Sali Berisha.
Des unités du KDM sont notamment soupçonnées d'avoir
participé à une tentative de putsch dirigée par Berisha
à Tirana, la capitale de l'Albanie, en septembre 1998. Ainsi, le
conflit du Kosovo pourrait très bien s'étendre à l'Albanie,
et vice versa.
C'est sur ce fond de situation tendue que les récriminations mutuelles
au sein de l'OTAN se sont intensifiées. D'abord, les puissances européennes
qui ont donné le ton pour l'imposition du pouvoir civil sous l'égide
de l'ONU ne sont pas prêtes à partager le pouvoir avec l'UCK.
Ensuite, la position des États-Unis est pour le moins ambiguë.
L'UCK se base ouvertement sur le soutien que lui accorde les États-Unis
qui sont derrière la proéminence politique de l'organisation.
C'est ainsi que des slogans pro-américains ont été
scandés lors de manifestations contre des unités françaises
et russes de la KFOR. De leur côté, les États-Unis n'ont
rien fait pour éliminer l'impression qu'ils soutiennent l'UCK.
Lors des négociations de Rambouillet qui ont précédé
la guerre, le US State Department a favorisé l'UCK comme partenaire
de négociation, ce qui lui permettait de lancer un ultimatum à
Belgrade, chose que l'UCK n'était pas en mesure de faire.
Avant cela, l'Armée de libération du Kosovo menait ses
actions dans la clandestinité. En Allemagne par exemple, le noyau
du mouvement formé par le KPM (Mouvement populaire du Kosovo) pro-Enver
Hoxha était sur le point d'être interdit. Mais depuis Rambouillet,
le leader de l'UCK Thaci a pu entretenir des rapports étroits avec
James Rubin, l'attaché de presse du US State Department, avec lequel
il s'est d'ailleurs lié d'amitié lors de ces pourparlers.
C'est ainsi que dans ses différends avec l'administration de l'ONU,
Thaci a régulièrement pu faire appel à Rubin qui, selon
certains, lui aurait assuré que l'UCK assumerait éventuellement
le rôle dirigeant dans le maintien de l'ordre au Kosovo.
Le KDM de Rugova
Les puissances européennes mettent actuellement tous leurs espoirs
sur le rival de Thaci, Ibrahim Rugova du KDM. Au début du mois d'août,
le représentant français de l'ONU Bernard Kouchner a personnellement
convaincu Rugova de travailler au sein du conseil de transition que celui-ci
avait boycotté jusque là simplement à cause de l'antipathie
qu'il nourrissait à l'égard de Thaci. Il s'agit de l'organisme
qui conseille l'autorité de l'ONU. Selon Le Monde, Kouchner
a justement besoin des services de Rugova pour faire contrepoids à
l'UCK.
Le 15 août, Rugova a reçu le « prix de la Tolérance
» décerné par la ville de Münster en Allemagne.
Les origines de ce prix remontent à 1648, date de l'accord de paix
qui mit fin à la guerre de Trente Ans dans ce pays. Parmi les membres
du jury de sélection figuraient le président du parlement
allemand Wolfgang Thierse (parti social-démocrate) et son prédécesseur,
Rita Süßmuth (Union démocrate chrétienne), deux
importants représentants de l'État allemand. À cette
occasion, la députée de Thierse, Antje Vollmar (Bündnis
90/Verts) a louangé Rugova comme le Gandhi ou le Mandela du Kosovo
et s'en est pris avec véhémence aux États-Unis pour
leur soutien à l'UCK.
Il est « tout à fait incompréhensible qu'un groupe
qui, depuis 1997, est reconnu avant tout pour avoir assassiné des
représentants de l'État serbe, puisse être accepté
dans des discussions diplomatiques. L'UCK est un mouvement gauchiste qui
fonctionne exclusivement sur la base de la violence ». L'abandon du
mouvement pacifiste au Kosovo (incarné par le KDM de Rugova) est
l'un des « coups bas » qui ont rapidement mené à
la guerre au Kosovo.
Rugova est loin d'être ce pacifiste célébré
en Europe. Il suffit d'examiner les rapports entretenus entre le KDM de
Rugova et Sali Berisha en Albanie. Pendant qu'il a occupé le pouvoir
à Tirana, ce dernier est loin de s'être fait remarquer pour
ses qualités de démocrate. De plus, depuis qu'il a établi
son propre fief indépendant dans le nord de l'Albanie, cette région
est devenue une plaque tournante pour le trafic de la drogue et l'immigration
clandestine.
Le KDM de Rugova est la voix des vieilles couches influentes et possédantes
déjà établies des Kosovars. Par conséquent,
ce parti a toujours cherché à s'entendre avec Belgrade. Par
contre, l'UCK incarne les nouveaux riches parvenus et les éléments
écartés de la société qui voient dans la scission
brutale avec Belgrade le meilleur moyen pour s'enrichir rapidement.
À l'instar de l'UCK, le KDM est également divisé
en factions rivales. Bujar Bukoshi qui avait autrefois été
désigné par Rugova comme premier ministre de son gouvernement
clandestin, s'est éloigné depuis de son ancien chef. Tout
l'argent recueilli par le gouvernement clandestin auprès des exilés
albanais - selon les rapports, la somme amassée varierait entre 1
million et 100 millions de deutsche marks - est contrôlé par
Bukoshi qui jusqu'à présent a refusé de donner l'argent
à Rugova ou au gouvernement provisoire dirigé par Thaci. Mais
quelles que soient les différences qui opposent les partis et les
fractions, ces dernières relèvent moins des questions politiques
ou idéologiques que des questions d'influence, de propriété
et d'argent. Et que ces différences aient pu mener à d'importants
désaccords entre les membres de l'OTAN démontre combien les
tensions sont devenues tendues.
Le rôle des Nations Unies
Tout comme ce fut le cas pendant la guerre, la question du rôle
des Nations Unies est au cur du conflit. L'OTAN a commencé cette
guerre sans permission des Nations Unies, ce qui constitue une violation
flagrante des lois internationales actuelles. Au cours de la guerre, l'Allemagne
a notamment exercé des pressions pour que les Nations Unies occupent
un rôle plus important dans le conflit. Son but était d'empêcher
une rupture totale avec la Russie qui a vu son droit de veto à l'ONU
contourné par l'OTAN, mais également que l'ONU ne soit totalement
discréditée. Du point de vue européen, l'organisation
mondiale peut en effet représenter un contrepoids appréciable
à la domination américaine au sein de l'OTAN.
Puisque Tchernomyrdine, l'envoyé spécial d'Eltsine a joué
un rôle majeur dans l'obtention de la capitulation de Belgrade, l'OTAN
a bien été obligée de céder à l'insistance
de Moscou qui tenait à ce que ce soit les Nations Unies qui assument
la responsabilité de l'administration de transition devant être
mise sur pied au Kosovo. Mais depuis, et malgré la lente progression
de son autorité, l'ONU a été blâmée, notamment
par les États-Unis pour les problèmes au Kosovo.
De hauts responsables du gouvernement des États-Unis sont allés
jusqu'à annoncer que le succès ou l'échec de la mission
au Kosovo allait décider du sort même de l'ONU. C'est ainsi
que dans un article intitulé « Ultimatum de Holbrooke : livrez
la marchandise ou disparaissez », le magazine Newsweek citait
Richard Holbrooke, spécialiste des Balkans récemment nommé
ambassadeur des États-Unis à l'ONU : « l'avenir de l'ONU
lors de crises internationales sera déterminé en grande partie
par ce qu'elle accomplira au Kosovo ». Toujours dans Newsweek,
un autre haut fonctionnaire américain a déclaré «
s'il l'ONU échoue, plus personne ne lui accordera dorénavant
de tâches importantes à accomplir ».
Holbrooke n'est pas perçu comme un ami de l'ONU. Selon les déclarations
du Suédois Carl Bildt, l'un des principaux représentants de
l'ONU dans les Balkans, lors des pourparlers sur la Bosnie menés
par Holbrooke et qui se sont tenus à Dayton en 1995, le nom de l'ONU
n'a pas même été mentionné une seule fois. Le
Washington Post a cité Bildt : « je me souviens que lors
des pourparlers de Dayton, personne ne parlait de l'ONU. Les choses que
nous devions faire pour éviter toute association aux Nations Unies
étaient tout simplement inimaginables ».
Le gouvernement allemand a réagi aux menaces proférées
contre l'ONU en dépêchant Tom Koenigs, l'un des proches collaborateurs
du ministre allemand des Affaires étrangères Joshka Fischer,
pour travailler avec le responsable français de l'administration
de l'ONU au Kosovo. Koenigs assume depuis la responsabilité de la
mise sur pied de l'autorité civile et policière. L'amitié
de Koenigs et de Fischer remonte à l'époque du squattage des
logements, des combats de rues et des grandes manifestations contre la guerre
du Vietnam en Allemagne. Il dirigeait alors le cabinet de Fischer situé
à Essen lorsque ce dernier était ministre de l'environnement.
Par la suite, il est devenu trésorier de la ville de Francfort, où
il a appliqué des compressions drastiques dans les dépenses,
ce qui lui a valu de devenir le porte-parole du courant droitiste au sein
des Verts. Pour pouvoir dissiper les craintes des États-Unis à
propos de sa nomination, Koenigs doit maintenant agir comme l'homme de main
implacable garant de la loi et de l'ordre au Kosovo.
La division au sein de l'OTAN
Les tensions au sein de l'OTAN ont certes été attisées
par la crise au Kosovo, mais les divergences sont beaucoup plus profondes.
Dans la mesure où l'Alliance agissait autrefois sur un plan purement
défensif, il était possible de surmonter les différences
politiques avec relativement de facilité. Mais depuis l'effondrement
du Pacte de Varsovie et de l'Union Soviétique, le rôle de l'OTAN
s'est fondamentalement transformé. D'alliance territoriale défensive,
l'OTAN est maintenant devenue une organisation d'intervention à l'échelle
mondiale qui représente les intérêts des pays membres
à l'extérieur de leur sphère territoriale.
À cet égard, la crise du Kosovo marque une étape.
Pour la première fois en effet, l'OTAN est sorti de son territoire
pour attaquer un pays souverain et lui imposer sa volonté. Cette
guerre constitue également une répétition générale
en prévision d'autres interventions similaires ailleurs dans le monde,
notamment dans la région conflictuelle et riche en ressources naturelles
du Caucase et de la mer Caspienne.
Bien que les partenaires au sein de l'OTAN se soient entendus pour unir
leurs efforts afin de s'établir au Kosovo, ils seront cependant incapables
d'harmoniser éternellement leurs différends économiques
et stratégiques. Il est impensable en effet que le vaste territoire
ouvert à la pénétration du capital international suite
à la chute de l'Union Soviétique puisse être divisée
pacifiquement entre les grandes puissances. Même en voulant ignorer
l'importance stratégique de la région qui constitue le point
de passage entre l'Asie et l'Europe, il n'en demeure pas moins que des milliards
de dollars ont déjà été consacrés à
la construction d'infrastructures pour le transport et l'exploitation des
immenses réserves de pétrole et de gaz que recèle la
région de la mer Caspienne.
Un autre facteur important dont il faut tenir compte, c'est le changement
fondamental survenu dans les rapports entre les diverses puissances au sein
de l'OTAN au cours des dix dernières années. La réunification
de l'Allemagne a en effet transformé ce pays auparavant restreint
géopolitiquement en puissance dominante de l'Europe une fois de plus.
En outre, avec l'introduction de l'euro comme monnaie unique et les efforts
menés pour mettre sur pied un capacité de défense européenne,
l'Europe apparaît de plus en plus comme une concurrente et une rivale
des États-Unis.
Il en résulte que l'OTAN est inexorablement divisée. Cette
situation est clairement exprimée dans les tensions qui se développent
au Kosovo. L'action de politiciens isolés pourra certes accélérer
ou ralentir ce processus, mais ne pourra point l'arrêter.
Et c'est ici que repose le sens profond de la guerre au Kosovo. Contrairement
aux déclarations des propagandistes belliqueux, cette guerre n'a
rien à voir avec l'utilisation de la force militaire pour défendre
les droits de l'Homme, pas plus qu'elle ne constitue un pas vers l'établissement
d'une communauté internationale cosmopolite. L'horrible réalité
qui règne actuellement au Kosovo occupé suffit à donner
le coup grâce à ce type de propagande.
Ce qui distingue la guerre du Kosovo, c'est son rôle d'inauguration
de nouvelles guerres dans lesquelles les tensions entre les grandes puissances
ne peuvent qu'inévitablement s'accroître. La guerre et sa conclusion
rappellent le début du siècle. À cette époque
en effet, les grandes puissances s'étaient aussi alliées dans
une intervention conjointe pour la « défense de la civilisation
» lors de la suppression de la révolte des Boxers en Chine.
Mais quatorze ans plus tard, ces mêmes puissances s'entre-déchiraient
dans ce qui allait être alors la plus grande boucherie de l'histoire.
Le contrepoids à l'effondrement de l'Alliance atlantique ne peut
venir que de la base, non pas des gouvernements, mais bien des peuples mêmes,
par l'unification des travailleurs européens et américains
dans une lutte commune pour construire une société socialiste
véritablement humaine.
Voir aussi:
Après la boucherie
: leçons politiques de la guerre des Balkans 14 juin 1999
Pourquoi l'OTAN
est-il en guerre contre la Yougoslavie ? Domination mondiale, pétrole
et or 24 mai 1999
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