Comité International de la Quatrième Internationale
Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme

Les perspectives du Quatrième congrès du WRP (mars 1979)

Le Quatrième congrès du WRP, qui s’étala sur près de deux semaines, fut tenu moins d’un mois après le renversement de cette marionnette de l’impérialisme qu’était Bakhtiar et la victoire de la révolution nationale iranienne sous la direction de Khomeyni. C’est dans une longue résolution programmatique de ce congrès, écrite par Michael Banda, que furent officialisées les révisions fondamentales du marxisme et de la théorie de la Révolution permanente de Trotsky. Etant donné le rôle important et critique que ce document joua en sanctionnant la transformation du WRP en une agence des régimes nationalistes bourgeois, il mérite une analyse attentive.

Il y avait deux aspects essentiels intimement liés dans ce document éclectique. Premièrement, l’analyse est faite de façon à justifier les relations opportunistes déjà établies par le WRP avec divers régimes bourgeois et avec l’OLP. Ainsi, la nécessité d’une révolution socialiste n’était reconnue que dans les pays où le WRP n’avait pas encore établi de liens avec les nationalistes bourgeois, comme en Iran (du moins à cette époque). Deuxièmement, on y présentait pour la première fois une perspective qui élimine virtuellement les distinctions entre les classes dans les pays semi-coloniaux, pour élever ensuite la lutte armée au niveau d’une stratégie, en en faisant le critère fondamental pour évaluer la crédibilité des diverses directions nationalistes comme combattants anti-impérialistes. Ce document établit clairement le rôle central de Banda dans la dégénérescence politique de l’ex-section britannique. Il n’a pas réussi à assimiler la composante essentielle de la théorie de la Révolution permanente en tant que stratégie du prolétariat international. A sa place il a avancé une position petite-bourgeoise qui n’était rien d’autre que du pablisme revêtant des formes pseudo-maoïstes.

Dans une partie du document traitant de la lutte au Zimbabwe et des efforts de l’impérialisme britannique pour imposer un accord négocié, on déclarait que les effets de la crise économique mondiale « poussent des masses de plusieurs millions de personnes en Asie, en Afrique, en Amérique Latine et au Moyen-Orient à la révolte armée. » (traduit de Perspectives of the Fourth Congress, p. 14)

Cette déclaration ne serait pas fausse si les forces sociales antagonistes présentes dans ces « masses de plusieurs millions de personnes » étaient correctement identifiées, et si on y définissait la nature de classe des tendances politiques qui étaient à la direction de cette « révolte armée ». En fait, le document ne faisait jamais référence aux intérêts de classe indépendants et aux tâches du prolétariat qui se bat pour établir son hégémonie dans la lutte anti-impérialiste. Au lieu de cela, Banda justifiait la subordination du prolétariat et de la paysannerie à la bourgeoisie nationale.

Décrivant le rôle de Nkomo et Mugabe en termes flatteurs, le document déclarait : « Les puissants coups de massue des guerilleros du Front patriotique contre les forces armées du régime de Smith ont démoli efficacement la conspiration de Muzorewa, Sithole et Chirau, et ont ravivé les forces et le courage du peuple zimbabwéen dans sa lutte pour la libération complète de son pays. »

Ces remarques qui remplacent l’analyse par des adjectifs et des adverbes, ne servirent qu’à désarmer les militants du WRP et les ouvriers et paysans zimbabwéens – comme les événements ultérieurs allaient le démontrer. La profondeur politique de l’opposition de Mugabe et Nkomo à Muzorewa, Sithole et Chirau était exagérée. Tandis que ce trio agissait en complices ultra-lâches de l’impérialisme, Mugabe et Nkomo, dont les représentants avaient avec le WRP des contacts réguliers, représentaient une section plus influente de la bourgeoisie zimbabwéenne, manipulant avec adresse les mouvements de masse pour s’assurer les meilleures positions possibles dans leur marchandage avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

La formule astucieuse et traîtresse employée par Banda pour justifier la capitulation du WRP devant les agents zimbabwéens de l’impérialisme britannique est celle-ci :

« Le WRP se tient de façon inconditionnelle aux côtés de la classe ouvrière et de la paysannerie africaines contre les régimes au pouvoir et leurs agents dans le mouvement national. Nous soutenons le Front patriotique de Mugabe et Nkomo dans la mesure où il poursuit sa lutte armée contre Smith et rejette un compromis constitutionnel. Seul le renversement armé de l’Etat capitaliste en Afrique australe et en Afrique centrale et l’établissement d’un gouvernement ouvrier et paysan peut mettre fin à l’apartheid, rendre la terre à la paysannerie et nationaliser les mines, les grandes propriétés foncières et les usines.  » (Idem., p. 15)

Cette conception repose sur une tromperie : l’affirmation qu’il peut y avoir une conciliation entre des classes opposées et irréconciliables. Violant tous les principes marxistes, le WRP remplaçait dans son programme le programme de classe par la lutte armée comme critère pour déterminer l’attitude de la QI envers une direction nationaliste bourgeoise. La lutte armée – considérée en tant qu’abstraction séparée de son contenu politique de classe – servait de tremplin pour justifier le programme du Front populaire dans les pays sous-développés. Plutôt que d’affirmer clairement que la bourgeoisie zimbabwéenne est incapable de gagner une véritable indépendance nationale et qu’elle ne continuera la lutte armée que dans les limites de ses propres intérêts de classe, le document liait le sort de la classe ouvrière à la politique de la bourgeoisie. Le « dans la mesure où » de Banda était une supercherie, qui laissait croire que la lutte armée, sous la direction de Nkomo et Mugabe, mènerait automatiquement – sans la construction d’une direction indépendante et révolutionnaire de la classe ouvrière – au renversement de l’Etat capitaliste et à la réalisation d’une politique socialiste.

La condition posée par Banda, Slaughter et Healy au Front patriotique – de « rejeter un compromis constitutionnel » – était politiquement sans valeur et revenait à accorder sa confiance à la bourgeoisie africaine. Il représentait un reniement de la responsabilité qu’a le mouvement trotskyste de se battre pour l’organisation politique de la classe ouvrière, indépendamment de la bourgeoisie et avant que n’intervienne la trahison inévitable de cette dernière de la lutte contre l’impérialisme.

C’était, de plus, une farce politique que de suggérer qu’un gouvernement ouvrier et paysan puisse être instauré sous l’égide du Front patriotique, peu importe le temps que durerait la lutte armée. Cette référence à la création d’un gouvernement ouvrier et paysan – par l’intermédiaire d’une lutte armée sous la direction de la bourgeoisie nationale bénéficiant du soutien non-critique du WRP – revient à duper la classe ouvrière à la façon des pablistes. C’est ainsi que le WRP contribua à désorienter les masses zimbabwéennes en les livrant à la trahison des dirigeants du Front patriotique.

Ces profondes révisions du trotskysme avaient leur origine politique dans la conception petite-bourgeoise de Banda selon laquelle la « lutte armée » est une stratégie qui, dans la lutte anti-impérialiste, relègue les questions de classe à l’arrière plan, et non pas une tactique employée par des forces sociales déterminées poursuivant leurs propres intérêts de classe. Cette position répudiait toutes les leçons de la lutte de Trotsky contre la trahison de l’Internationale Communiste en Chine en 1927. S’opposant au soutien donné par Staline au bourgeois Tchang Kaï-Chek « dans la mesure où la bourgeoisie ne s’oppose pas à l’organisation révolutionnaire des ouvriers et des paysans et mène une lutte effective contre l’impérialisme, » Trotsky écrivit :

« L’unique ‘condition’ de tout accord avec la bourgeoisie, accord séparé, pratique, limité à des mesures définies et adapté à chaque cas, consiste à ne pas mélanger les organisations ni les drapeaux, ni directement ni indirectement, ni pour un jour ni pour une heure, à distinguer le rouge du bleu et à ne jamais croire que la bourgeoisie puisse ou soit disposée à mener une lutte réelle contre l’impérialisme et à ne pas s’opposer aux ouvriers et aux paysans. L’autre condition ne nous est d’aucune utilité pour des accords pratiques. Au contraire, elle ne pourrait que nous être nuisible et rendre confuse la ligne d’ensemble de notre lutte contre la bourgeoisie, lutte qui ne cesse pas durant la brève période de la conclusion d’un tel ‘accord.’ » (Léon Trotsky, L’Internationale Communiste après Lénine, Ed. PUF, p. 289)

Le caractère perfide de la formule de Banda et la nature menchevique et pabliste de sa politique allaient être clairement révélés moins d’un an plus tard, lorsque le WRP laissa tomber sa seule et unique condition – que le Front patriotique rejette un compromis constitutionnel – afin de préserver sa lâche alliance avec la bourgeoisie zimbabwéenne.