L’Union européenne va intensifier la guerre des véhicules électriques

L’Europe devient un champ de bataille clé pour la commercialisation des véhicules électriques (VE) alors que la Commission européenne se prépare à présenter ce qui est qualifié de rapport «explosif» sur la question de savoir si les subventions chinoises sont injustes pour leurs rivaux européens.

Des mannequins posent près de la BYD Seal 06 Dmi dévoilée lors du salon Auto China 2024 qui s’est tenu à Pékin, le jeudi 25 avril 2024. [AP Photo/Ng Han Guan]

Le commerce et les droits de douane ont été certains des principaux sujets abordés lors des discussions entre le président chinois, Xi Jinping, et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, lundi à Paris.

À l’issue de la réunion, Macron a déclaré que des avancées avaient été réalisées sur la question de savoir si la Chine imposerait des droits de douane de rétorsion sur le cognac français.

Von der Leyen a adopté un ton belliqueux sur la question clé des véhicules électriques. Elle a répété que la «production excédentaire» de la Chine entraînait des déformations du marché.

«Nous défendrons nos entreprises, nous défendrons nos économies», a-t-elle déclaré.

Les préoccupations de Marcon vont bien au-delà du cognac. Il a adopté un ton similaire à celui de Von der Leyen lors d’une récente interview, dans laquelle il a déclaré que les relations commerciales avec la Chine devaient être encadrées par rapport à la sécurité économique de la France.

Une «mise à jour» est nécessaire, car la Chine a «des capacités excédentaires dans de nombreux domaines et exporte massivement vers l’Europe».

Il ne propose pas que la France prenne ses distances avec la Chine, mais «nous devons mieux protéger notre sécurité nationale, notre souveraineté [...] et être beaucoup plus réalistes dans la défense de nos intérêts nationaux».

Les mêmes questions sont soulevées aux États-Unis, où le gouvernement Biden élabore de nouvelles mesures anti-chinoises sur une série de produits de haute technologie. Il s’agit notamment des véhicules électriques et des «voitures intelligentes», au motif qu’ils constituent une menace pour la «sécurité nationale», ce qui souligne le lien entre la guerre économique et la guerre militaire.

Il ne fait aucun doute que l’État chinois soutient ce qu’il considère comme des secteurs clés de l’industrie manufacturière.

Cette démarche s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par Xi pour développer les «nouvelles forces productives», considérées comme essentielles pour la prochaine étape du développement économique de la Chine. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où l’ancien «modèle», fondé sur des projets immobiliers et d’infrastructure massifs, se heurte à des problèmes majeurs, notamment l’augmentation de la dette.

La politique de la Chine n’est cependant pas en décalage avec ce qui se passe dans le reste du monde. L’un des plus importants programmes de subventions publiques est la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) du gouvernement Biden, qui prévoit d’importantes subventions et des allègements fiscaux pour les entreprises qui investissent dans les technologies vertes et qui a été dénoncée par l’UE comme étant protectionniste.

Le rapport de la Commission européenne, dont la rédaction a commencé en septembre dernier, sera publié dans quelques semaines et l’on s’attend à ce qu’il réclame des droits de douane sur les importations chinoises de l’ordre de 15 à 30 pour cent.

Le développement technologique des entreprises chinoises et leurs méthodes de production plus efficaces sont tels que le prix de leurs VE restera inférieur à celui de leurs homologues européens si les droits de douane sont fixés à ce niveau.

Selon l’analyse du groupe Rhodium, un organisme de recherche indépendant, dont les résultats ont été rapportés par le Financial Times, il faudrait des droits de douane aussi élevés que 50 pour cent pour rendre le marché européen moins attrayant pour les exportateurs chinois de VE.

En examinant la position de BYD, l’un des principaux fabricants chinois de VE, l’étude a révélé que même avec des droits de douane de 30 pour cent, les exportations chinoises vers l’Europe resteraient «très attrayantes». La production chinoise augmente rapidement et devrait atteindre 6,6 millions de VE par an d’ici 2026, contre 2,9 millions à la fin de l’année dernière.

Un article sur BYD publié dans le FT le mois dernier a indiqué les forces motrices de sa montée en puissance.

Les subventions de l’État jouent un rôle en Chine, comme elles l’ont fait pour tous les développements technologiques dans le monde, ainsi que le montre l’histoire.

Il suffit de rappeler le rôle du complexe militaro-industriel financé par l’État aux États-Unis dans la technologie informatique et dans de nombreux autres domaines, ou le rôle du financement public dans l’essor économique du Japon.

Les subventions jouent un rôle, mais l’essor de BYD et d’autres entreprises chinoises est principalement dû à des avancées technologiques majeures et à des méthodes de production plus efficaces. BYD rivalise déjà avec Tesla en tant que premier fabricant mondial de véhicules électriques et fonctionne comme une structure verticalement intégrée. En Chine, qui est le plus grand marché automobile du monde, les véhicules hybrides rechargeables et à batterie pure de BYD, moins coûteux, représentent un tiers de l’ensemble des véhicules électriques vendus.

L’année dernière, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires équivalent à 83,2 milliards de dollars, soit cinq fois plus qu’en 2018.

Selon le reportage du FT, l’entreprise détient des participations dans six mines de lithium réparties dans trois pays, ce qui lui assure l’accès au métal indispensable à la production de ses batteries. Elle développe ses propres puces informatiques et ses propres logiciels. Des forces sociales plus larges jouent également en sa faveur.

«L’entreprise est en mesure de recruter parmi les millions de diplômés en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques (Stem) formés en Chine chaque année : la Chine comptait 3,6 millions de diplômés en Stem en 2020, contre 820.000 aux États-Unis, selon les données de l’université de Georgetown», indique l’article.

Elle emploie près de 100.000 personnes dans la recherche et le développement sur 11 sites différents en Chine et «en moyenne, ses chercheurs déposent 19 nouvelles demandes des brevets chaque jour ouvrable».

Les entreprises chinoises bénéficient d’un avantage de coût significatif dans la construction de nouvelles usines pour la fabrication de batteries. Le coût en Chine est de 50 à 60 millions de dollars par gigawattheure, contre 100 millions de dollars ailleurs.

En 2022, BYD a fait une percée majeure en développant une nouvelle technologie qui fusionne la cellule de la batterie avec la carrosserie du véhicule, applicable non seulement aux voitures, mais aussi aux bus, camions et autres véhicules commerciaux, réduisant ainsi les coûts et le poids tout en augmentant la rigidité et en améliorant la sécurité en cas d’accident.

Un autre facteur est à l’œuvre, auquel Tim Buckley, du groupe de réflexion Climate Energy Finance, basé en Australie, a fait allusion dans le reportage du FT.

«Ils ont une vision stratégique à long terme», a-t-il déclaré à propos des entreprises chinoises. «Ils n’ont pas la myopie à court terme du capitalisme occidental.»

Il s’agit d’une référence au parasitisme endémique des grandes entreprises, en particulier aux États-Unis, où la valeur actionnariale, souvent augmentée par l’investissement des bénéfices dans des rachats d’actions, est devenue la principale force motrice de leurs activités. Cela se fait au détriment du développement technologique et de la sécurité, comme l’illustre le cas de Boeing et ses multiples écrasements d’avion.

Cependant, rien de tout cela n’empêchera les États-Unis ou l’UE d’imposer des droits de douane et d’autres restrictions aux producteurs chinois de véhicules électriques.

L’UE a déjà fait l’expérience de l’irrationalité économique de telles mesures. En 2012, elle a imposé un régime tarifaire sur les importations de panneaux solaires chinois, mais a ensuite dû lever les contrôles parce qu’elle ne trouvait pas suffisamment de fournisseurs en Europe.

Malgré cette histoire, elle ne se répétera pas, car une nouvelle dynamique est désormais à l’œuvre dans l’économie mondiale.

Ce qui domine, ce n’est plus la doctrine du libre marché et l’exploitation des gains de la division internationale du travail selon laquelle, si quelqu’un d’autre peut produire quelque chose à moindre coût, il faut le lui acheter plutôt que de le produire. Au contraire, chaque économie nationale est placée sur le pied de guerre.

Comme l’expliquait Léon Trotsky en 1934, alors que les nuages de la guerre s’amoncelaient, les droits de douane et autres restrictions, bien que totalement irrationnels d’un point de vue économique, constituaient une «réalité menaçante puisqu’il s’agit de concentrer toutes les forces économiques de la nation en vue de la préparation d’une nouvelle guerre».

(Article paru en anglais le 8 mai 2024)

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