Possibilité de grève chez plus de 9.300 cheminots canadiens dès le 22 mai

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Environ 9.300 cheminots du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique Kansas City Ltd. (CPKC) ont voté en faveur d’une grève dès le 22 mai si aucune entente de principe n’est conclue entre les compagnies et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC).

Locomotive du Canadien Pacifique à Calgary, Alberta [Photo by Jason Corbett) / CC BY 4.0]

Les mécaniciens de locomotive, les chefs de train et les agents de triage des deux compagnies travaillent en vertu d’un contrat expiré depuis le 31 décembre 2023. Un contrat séparé pour les contrôleurs du trafic ferroviaire du CPKC est en cours de renégociation.

Le vote a été écrasant, avec 97,6 % de votes en faveur de la grève au CN, et plus de 95 % chez les deux groupes au CPKC. Ces résultats témoignent de la détermination des cheminots à lutter contre la dictature des entreprises, qui les contraignent à travailler dans des conditions dangereuses pour assurer des profits toujours plus importants aux géants du secteur ferroviaire.

Le CN et le CPKC exploitent chacun un vaste réseau ferroviaire traversant le Canada d’est en ouest et descendant vers le sud jusqu’aux États-Unis, dans le cas du CN, et jusqu’au Mexique, dans le cas du CPKC. Les chemins de fer sont essentiels à l’économie canadienne pour l’exportation des céréales, de la potasse, des produits du bois et du charbon, entre autres, vers le marché mondial. Dans un contexte de guerre contre la Russie en Ukraine et de préparatifs de guerre contre la Chine, l’élite dirigeante du Canada mettra tout en œuvre pour éviter toute perturbation de ses lignes d’approvisionnement économiques et militaires.

Une grève simultanée des cheminots des deux compagnies mettrait rapidement l’économie du pays à genoux et aurait un impact important sur l’économie nord-américaine dans son ensemble. C’est pourquoi on peut supposer que des discussions sont déjà en cours entre le gouvernement libéral de Trudeau et l’administration Biden sur la façon de faire échouer la grève des chemins de fer. Les deux gouvernements ont collaboré en coulisses l’an dernier pour écraser la grève de plus de 7.000 débardeurs de la côte ouest dans les ports canadiens et empêcher ceux-ci d’unir leur lutte à celle des débardeurs des ports américains qui sont plus de 20.000. Plus tôt cette année, le président de Teamsters Canada, François Laporte, participait à une table ronde organisée à la demande expresse de Biden avec l’ambassadeur américain au Canada et le ministre du Travail de Trudeau, Seamus O’Regan, afin de discuter «des points forts et des opportunités en matière de relations de travail aux États-Unis et au Canada».

Cette situation démontre que si les travailleurs veulent exploiter l’énorme levier économique dont ils disposent pour obtenir des gains importants en matière de salaires, de conditions de travail et de sécurité, ils doivent reconnaître qu’ils sont confrontés à une lutte politique contre le programme anti-travailleur du gouvernement Trudeau, qui consiste à faire la guerre à l’étranger et à imposer l’austérité à l’intérieur du pays.

La bureaucratie des Teamsters n’a pas l’intention de mener la moindre lutte sérieuse et vise plutôt à obtenir un accommodement avec les patrons en coordination avec le gouvernement libéral appuyé par le Nouveau Parti démocratique. Soutenus par leurs alliés syndicaux, les Libéraux ont à maintes reprises forcé les travailleurs à accepter des concessions en recourant à des lois de retour au travail ou en menaçant de le faire. L’an dernier, le gouvernement Trudeau est intervenu directement pour faire capituler les débardeurs de la Colombie-Britannique en grève, les accusant de mettre en danger «l’intérêt national».

Paul Boucher, président de la CFTC, déclarait dans un communiqué annonçant les résultats du vote de grève le 1er mai: « Un arrêt de travail simultané au CN et au CPKC perturberait les chaînes d’approvisionnement à une échelle que le Canada n’a probablement jamais connue. Je tiens à préciser que provoquer une crise de cette ampleur n’est pas, et ne sera jamais, notre objectif. La réalité est que nous aimerions vraiment éviter un arrêt de travail. Forts de ces résultats, nous avons l’intention de retourner à la table des négociations, de travailler avec les médiateurs fédéraux et de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour parvenir à un accord équitable pour nos membres. Un accord qui ne compromette pas la sécurité et qui ne privilégie pas les profits au détriment du monde. »

Mais de qui Boucher se moque-t-il? Non seulement les Teamsters «compromettent» la sécurité des cheminots, mais ils les forcent même sciemment à travailler dans des situations à haut risque depuis de nombreuses années. Et quiconque se laisse convaincre par son engagement à faire passer le «monde» avant les «profits» devrait jeter un coup d’œil aux salaires les plus élevés des dirigeants du CN et du CPKC, ainsi qu’aux profits faramineux de ces entreprises depuis le début de la pandémie.

L’aveu effronté de Boucher selon lequel «un arrêt de travail simultané au CN et à CPKC [...] n’est pas, et ne sera jamais, notre objectif » dit tout ce que les travailleurs doivent savoir sur le caractère de la bureaucratie syndicale. Avec leurs salaires à six chiffres et leurs liens étroits avec le gouvernement, ces bureaucrates craignent plus que tout la perspective d’une lutte unifiée des travailleurs du rail.

Une telle lutte pourrait servir de catalyseur à un mouvement plus vaste de la classe ouvrière remettant en question le programe pro-guerre et pro-austérité soutenu par Trudeau et ses alliés syndicaux et échappant rapidement à leur contrôle étouffant. Plus de 12.000 travailleurs des transports en commun de la région du Grand Toronto sont en mesure de faire grève depuis qu’ils ont voté pour à la fin du mois de mars. Les dirigeants du syndicat des travailleurs de la TTC (Commission de transport de Toronto), la section 113 de l’ATU (Syndicat uni du transport), se trainent délibérément les pieds, refusant également de fixer une date limite pour aller en grève. Le tout se déroule dans un contexte politiquement explosif, avec des occupations étudiantes se répandant dans tout le pays pour protester contre la complicité du Canada dans le génocide israélien contre les Palestiniens.

Lors du dernier cycle de négociations à CP Rail en 2022, les Teamsters avaient aussi refusé de fixer une date pour la grève, malgré le vote écrasant de leurs 3.000 membres mécaniciens de locomotive, chefs de train et agents de triage, laissant plutôt la direction prendre l’initiative de mettre en lock-out les travailleurs pendant plusieurs jours. Le directeur général du CP, Keith Creel, et les médias du monde des affaires ont mené une campagne virulente contre les travailleurs, les dénonçant pour avoir interrompu les chaînes d’approvisionnement quelques semaines seulement après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un conflit provoqué par les États-Unis. Lorsqu’il est apparu clairement que le gouvernement s’apprêtait à intervenir directement pour imposer un accord favorable à l’employeur, les Teamsters ont épargné la réputation de Trudeau en acceptant un processus d’arbitrage obligatoire excluant pratiquement toutes les principales revendications des travailleurs. En août de la même année, un arbitre fédéral a imposé un contrat soutenu par le syndicat, reléguant les travailleurs à une baisse de salaire à court terme dans un contexte d’inflation élevée, tout en maintenant leurs conditions de travail pénibles et dangereuses.

CP Rail a ensuite fusionné avec Kansas City Southern en avril 2023, créant CPKC, une entreprise de 20.000 employés reliant le Canada, les États-Unis et le Mexique sur un réseau ferroviaire couvrant 32.000 kilomètres à l’échelle du continent. La société a enregistré un bénéfice de 3,9 milliards de dollars en 2023 et Creel a perçu une rémunération totale de 20 millions de dollars pour l’année.

Le CN, société d’État jusqu’à sa privatisation en 1995, a pour sa part réalisé l’an dernier un bénéfice de 9,2 milliards de dollars. Ce chiffre est légèrement inférieur au bénéfice de 9,5 milliards de dollars enregistré en 2022, décevant les investisseurs qui espéraient voir le chemin de fer soutirer encore plus d’argent aux travailleurs. La PDG Tracy Robinson, nommée «cheminote de l’année 2024» par Railway Age, a déclaré aux actionnaires de la société en janvier: «notre pivot vers une croissance rentable est en cours». Un revenu annuel de 14 millions de dollars lui est garanti.

Alors que les cheminots de tout le Canada sont déterminés à mener une lutte sérieuse contre ces mastodontes, le Syndicat des Métallos (USW) annonçait le 29 avril qu’il avait fait adopter un contrat de capitulation de trois ans à sa section locale 2004 réunissant près de 3.000 travailleurs de l’entretien des voies et des ponts au CN – un contrat limitant la hausse des salaires à seulement trois pour cent par année. Cet accord a affaibli la lutte des travailleurs du rail, le CN s’étant vanté que le contrat lui permettra d’augmenter sa productivité, ce qui signifie en termes clairs une exploitation accrue des travailleurs.

En l’absence de détails sur le résultat du vote, de nombreux travailleurs se sont rendus sur la page Facebook de la section locale 2004 pour exprimer leur incrédulité à l’égard du résultat et leur dégoût face à cette capitulation. «C’est une perte énorme pour les travailleurs», écrit un travailleur, «3% par an, c’est une blague [...] le nouveau plan d’avantages est certes génial, mais c’est NOUS qui le payons [...] Le CN agit en fier-à-bras avec ses employés». Un autre travailleur déclare: « Embarrassé. La production se fait encore avoir.» «Une fois de plus, c’est le CN qui gagne», fait remarquer un autre.

Les problèmes de sécurité soulevés à maintes reprises par les cheminots ont été tragiquement mis en lumière le mois dernier lorsque Juver Balmores, 36 ans, employé de maintenance du CN, père de trois enfants, a été tué dans une collision frontale avec un semi-remorque sur une autoroute réputée mortelle entre Kamloops et Clearwater, en Colombie-Britannique. Un passager du semi-remorque a également été tué dans la collision avec le camion ferroviaire que Balmores conduisait.

Lors du conflit de travail de 2022, les travailleurs du CP ont formé le Comité des travailleurs de la base du Canadien Pacifique pour défendre les intérêts des travailleurs indépendamment de la bureaucratie syndicale, organiser l’opposition à la capitulation des Teamsters et proposer une stratégie pour s’opposer à la conspiration entreprise-syndicat-gouvernement. Cette alliance tripartite fait tout pour maintenir les travailleurs dans le système très restrictif de la «négociation collective» au Canada afin de bloquer toute opposition aux politiques d’intensification de l’exploitation des travailleurs et subordonner toutes les ressources de la société pour mener la guerre impérialiste.

Les travailleurs du CN et du CPKC doivent développer la même approche dans l’actuelle ronde de négociations en mettant sur pied des comités de base sur chaque ligne de chemin de fer, dans chaque gare de triage et dans chaque atelier, d’un océan à l’autre. Ces comités doivent prendre le contrôle de la lutte contractuelle et redonner le pouvoir aux travailleurs afin qu’ils puissent mener une contre-offensive contre les profiteurs du rail et ceux qui les représentent au sein du gouvernement. Toute lutte unie des travailleurs du rail au Canada doit nécessairement s’étendre au-delà des frontières nationales à leurs frères et sœurs aux États-Unis et au Mexique. L’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) a été créée à cette fin. Tous ceux qui, au CN et chez CPKC, veulent mener cette lutte doivent contacter l’IWA-RFC en cliquant ici.

(Article paru en anglais le 5 mai 2024)

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