Ouverture à Manhattan du procès de Trump pour dissimulation d’«argent du silence»

Le tout premier procès pénal d’un ex-président américain s’est ouvert lundi matin à New York. L’accusation et la défense de Donald Trump ont fait des remarques préliminaires après que le juge Juan Merchan eut expliqué les procédures de base de la salle d’audience aux 12 jurés et aux six suppléants du procès.

L’ex-président Donald Trump, au centre, attend le début de la procédure au tribunal pénal de Manhattan, lundi 22 avril 2024, à New York. [AP Photo/Yuki Iwamura, Pool]

Les grands médias couvrent l’affaire de bout en bout, malgré l’interdiction des caméras et des appareils d’enregistrement dans la salle d’audience ; les réseaux câblés se livrent à une course de relais virtuelle alors que les reporters présents au tribunal envoient des messages sur les détails, qui sont ensuite lus dans les émissions.

Cette attention est motivée, non par le fond du procès même, mais par son importance en tant que dernier épisode de la crise et de l’effondrement du système politique américain. L’accusé est à la fois un ancien président et le candidat probable du Parti Républicain à l’élection présidentielle de 2024. Les Démocrates espèrent qu’une condamnation de Trump donnera un coup de pouce politique aux président et candidat Biden, en perte de vitesse.

Alors que Trump a été le fer de lance de la transformation du Parti Républicain en parti fasciste dans tous les sens du terme, le Parti démocrate s’est tellement déplacé vers la droite qu’il est devenu le principal parti de Wall Street et de l’appareil militaire et de renseignement.

Trump n’est pas jugé pour les crimes majeurs qu’il a commis pendant son mandat, en particulier pour sa tentative d’annuler sa défaite électorale de 2020 en attaquant violemment le Capitole le 6 janvier 2021. Les poursuites fédérales concernant le 6 janvier ont été retardées, en partie en raison de contestations judiciaires, mais avant tout parce que le ministère de la Justice de Biden a ralenti son enquête sur l’attaque du Congrès et n’a porté plainte contre Trump que l’année dernière.

Ce procès se concentre au contraire sur les actions de Trump pendant et après la campagne de 2016. Au cours de cette période, il a remporté la présidence, bien qu’ayant perdu le vote populaire, en raison du système réactionnaire et archaïque du Collège électoral.

En vertu de la législation de l’État de New York, il est inculpé de 34 chefs d’accusation pour avoir déposé de faux documents commerciaux dans lesquels il a dissimulé des paiements secrets d’argent du silence à la star porno Stormy Daniels pour l’empêcher de rendre public le récit d’une relation sexuelle alléguée avec Trump en 2006. Michael Cohen, avocat de longue date et entremetteur politique de Trump, a versé 130.000 dollars à Daniels et a été remboursé, avec une prime, par la Trump Organization, qui a décrit les paiements comme des «frais juridiques» dans des documents déposés auprès de l’État.

L’exposé introductif de l’accusation par le procureur adjoint de Manhattan, Matthew Colangelo, a présenté les violations de la réglementation commerciale – normalement des délits passibles d’une amende et rarement poursuivis – comme des liens dans une conspiration plus large visant à manipuler les médias pendant la campagne et, en fin de compte, à «corrompre l’élection présidentielle de 2016».

«Cohen a effectué ce paiement sur ordre de Donald Trump», a déclaré Colangelo, «et il l’a fait dans le but précis d’influencer le résultat de l’élection. Aucun homme politique ne veut avoir mauvaise presse. Mais les preuves présentées au procès montreront qu’il ne s’agissait pas là d’artifice ou de stratégie. Il s’agissait d’une conspiration planifiée et coordonnée de longue date visant à influencer l’élection de 2016, à aider Donald Trump à se faire élire par le biais de dépenses illégales, à faire taire les personnes qui avaient quelque chose de mal à dire sur son comportement, en utilisant des registres d’entreprise trafiqués. C’était de la fraude électorale pure et simple».

Bien qu’il n’y ait pas d’accusation de conspiration en tant que telle, le fait de lier les fausses documentations à un effort plus large dirigé par Trump a été la base juridique affirmée pour élever les délits au niveau d’un crime.

Colangelo a décrit le témoignage à venir d’une série de témoins qui détailleraient un arrangement qualifié d’«attraper et tuer», dans lequel David Pecker, éditeur du tabloïd National Enquirer et d’autres propriétés médiatiques, a offert d’acheter des histoires négatives sur Trump et de les supprimer plutôt que de les publier, tout en publiant des documents calomnieux sur les rivaux de Trump pour l’investiture républicaine à la présidence.

Ces efforts avaient commencé par une réunion à la «Trump Tower» en août 2015. Lors des précédentes enquêtes du ministère de la Justice sous le gouvernement Trump, qui avaient abouti à la poursuite et à l’emprisonnement de Michael Cohen, les documents judiciaires désignaient les trois personnes présentes à cette réunion comme étant Pecker, Cohen et un «haut responsable de la campagne». Pecker témoignera que ce responsable était Trump même, a déclaré le procureur.

Colangelo a décrit en détail plusieurs épisodes des efforts déployés pour supprimer le geyser d’informations sur les aspects scabreux de la vie personnelle de Trump. Après la diffusion de la fameuse cassette «Access Hollywood» le 9 octobre 2016, la plupart des responsables de sa campagne ont baissé les bras, concluant que la campagne avait été irrémédiablement détruite par la cassette montrant Trump se vantant de son pouvoir, en tant que «star» des médias, de commettre des agressions sexuelles sur toute femme qu’il choisirait.

La crise a été aggravée par la nouvelle demande de Stormy Daniels, qui a exigé que Trump lui verse 130.000 dollars pour signer un accord de non-divulgation afin de garder le silence sur la brève relation qu’elle avait eue avec Trump dix ans auparavant. Craignant que cela ne soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase de sa campagne, Trump a demandé à Cohen d’effectuer le paiement et a promis de le rembourser.

L’exactitude des faits relatés par Colangelo ne fait aucun doute et n’a même pas été contestée par l’avocat de la défense, Todd Blanche, dans son exposé introductif. Le procès pourrait donc fournir un compte rendu plus complet du milieu corrompu et sordide de l’immobilier à Manhattan, des jeux de casino et des émissions de télévision «réalité» dont Trump est issu.

Mais il n’est pas certain que l’un ou l’autre des comportements douteux allégués constitue une violation du droit américain – contrairement aux preuves massives du rejet de la Constitution de la part de Trump tout au long de ses quatre années à la Maison-Blanche, et de son rôle central dans la toute première tentative d’un président américain de renverser une défaite électorale et de s’emparer du pouvoir.

L’avocat de Trump, Blanche, n’a fait aucun effort pour réfuter le procureur sur les faits essentiels de l’affaire, se concentrant plutôt sur l’affirmation que rien de ce que Trump avait fait n’était contraire à la loi. Il a rejeté l’argument de l’accusation que Trump corrompait l’élection, déclarant qu’essayer d’influencer le résultat d’une élection «c’est ce qu’on appelle la démocratie».

Il a souligné que les «accords de non-divulgation» n’étaient pas illégaux. En effet, ils constituent un élément essentiel du monde des affaires américain, les entreprises exigeant régulièrement que les travailleurs se taisent sur les pratiques commerciales que les patrons souhaiteraient dissimuler.

Blanche a affirmé que Trump n’avait «rien à voir» avec le flux de la paperasse, si ce n’est la signature des chèques, et qu’il n’était pas responsable des fausses déclarations commerciales, qui avaient été approuvées par Allen Weisselberg, le directeur financier de la Trump Organization. Il a souligné qu’en dépit des allégations de complot, le procureur n’avait pas effectivement porté d’accusation de complot contre Trump.

L’avocat de la défense a passé la majeure partie de son temps à attaquer les deux principaux témoins attendus par l’accusation, Michael Cohen, l’homme de main de Trump dans l’affaire des pots-de-vin, et Stormy Daniels elle-même. Sa déclaration d’ouverture a été interrompue à deux reprises, de manière inhabituelle, par des objections de l’accusation lorsqu’il a qualifié Michael Cohen de criminel et suggéré que Stormy Daniels avait «extorqué» Trump en cherchant à être payée pour son silence.

Cohen a purgé une peine de trois ans de prison pour des accusations de financement de campagne liée au paiement de Stormy Daniels, et a admis avoir commis plusieurs délits de parjure, tous alors qu’il était au service de Trump.

Le procès a été suspendu mardi, le juge Merchan devant entendre une requête des procureurs visant à sanctionner Trump pour de multiples violations d’une ordonnance lui interdisant d’attaquer publiquement les avocats, les fonctionnaires de la cour et les témoins du procès, ou les membres de leurs familles. Trump a continué à publier des déclarations vitrioliques sur sa plate-forme Truth Social, ce qui a déclenché une vague de menaces et de dénonciations de la part de ses partisans fascistes, ainsi que des efforts pour obtenir des informations personnelles comme l’identité des jurés.

Le procès reprendra mercredi avec le premier témoin, David Pecker, qui n’est resté lundi que quelques minutes à la barre avant la suspension de l’audience.

(Article paru en anglais le 23 avril 2024)

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