«La situation ne peut pas durer» : le FMI met en garde contre l’accumulation de la dette américaine

Le premier chapitre du rapport «Perspectives de l'économie mondiale» du Fonds monétaire international, publié lors de sa réunion de printemps à Washington mardi, présente un rapport généralement optimiste sur l’état de l’économie mondiale, du moins en apparence. Mais la tempête pointe à l’horizon.

Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du FMI, présente une tablette contenant le rapport sur les Perspectives de l'économie mondiale. [AP Photo/Jacquelyn Martin]

Dans son avant-propos au rapport, Pierre-Olivier Gourinchas, conseiller économique du FMI, a écrit: «L’économie mondiale reste remarquablement résistante, avec une croissance qui se maintient tandis que l’inflation revient à son niveau cible.»

En dépit de «sombres prédictions», le monde a évité une récession et le système bancaire s’est avéré «largement résistant». Il s'est également félicité qu'en dépit de la poussée inflationniste et de la crise du coût de la vie, il n'y ait pas eu de «spirale prix-salaires».

En d’autres termes, grâce à l’action des syndicats dans toutes les grandes économies, qui ont réprimé les revendications salariales et imposé des conventions collectives sous l’inflation, les travailleurs ont dû supporter le coût de la spirale inflationniste déclenchée par la pandémie de COVID-19 et la hausse des prix de l’énergie due à la guerre en Ukraine.

Contrairement aux perspectives généralement optimistes de la situation immédiate, l’examen des données et des projections du FMI pour le moyen terme révèle une situation différente: la croissance au cours des cinq prochaines années ne devrait pas revenir à des niveaux proches des normes historiques antérieures.

Et même les projections immédiates pour les principales économies montrent un ralentissement significatif de la production économique. Au sein du G7, l’économie américaine est en tête avec une croissance de 2,7 pour cent pour cette année, soit une amélioration de 0,6 point de pourcentage par rapport à l’estimation précédente.

Mais c’est la seule lumière au tableau. Le deuxième pays le plus performant est le Canada, avec une croissance attendue de 1,2 pour cent. L’économie allemande, qui, selon certaines estimations, est désormais la troisième économie mondiale après les États-Unis et la Chine, ne devrait croître que de 0,2 pour cent, soit la croissance la plus faible du G7.

Le Japon, désormais relégué au rang de quatrième économie mondiale, connaîtra une croissance de 0,9 pour cent, tandis que le Royaume-Uni arrivera à 0,5 pour cent, après avoir connu une croissance nulle en 2023.

En ce qui concerne la croissance de l’économie américaine, qualifiée d’«exceptionnelle», Gourinchas a mis en garde contre l’augmentation des dépenses publiques. Elles ont conduit à une «orientation budgétaire qui n’est pas conforme à la viabilité budgétaire à long terme».

Il s’agit d’une référence à l’augmentation de la dette publique américaine, désormais équivalente au PIB des États-Unis, qui devrait s’accélérer dans les années à venir et qui est qualifiée d’«insoutenable» par le département du Trésor lui-même.

«Cela soulève des risques à court terme pour le processus de désinflation, ainsi que des risques à plus long terme pour la stabilité fiscale et financière de l’économie mondiale, car cela risque d’augmenter les coûts de financement au niveau mondial. La situation ne peut pas durer», a écrit Gourinchas.

Bien qu’il ne l’ait pas précisé, le principal moteur de cette expansion est l’escalade des dépenses militaires ainsi que les importantes subventions accordées aux grandes entreprises dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, du Chips Act et d’autres mesures.

Le FMI a également exprimé son inquiétude concernant l’économie chinoise, qui a été un pilier de la croissance mondiale depuis la crise financière mondiale de 2008. Elle continue d’être fortement touchée par la crise immobilière et le FMI a appelé à des mesures fortes pour augmenter la demande intérieure afin de relancer la croissance.

Mais il n’y a guère d’indications en ce sens. Le gouvernement chinois cherche à stimuler la fabrication, en particulier dans des domaines de haute technologie tels que l’énergie verte et les véhicules électriques, qu’il peut produire à un coût inférieur à celui de l’Occident, ce qui risque d’«exacerber les tensions commerciales dans un environnement géopolitique déjà tendu».

Ces conflits ont été mis en évidence lors de la réunion du FMI. Janet Yellen, secrétaire d’État au Trésor américain, a organisé des réunions avec ses homologues dans le but, entre autres, d’élaborer une réponse unifiée face à l’afflux d’exportations chinoises de produits de haute technologie qui pénalisent le marché américain et d’autres marchés.

Ce sujet a été au cœur des discussions qu’elle a eues avec des fonctionnaires et des représentants du gouvernement chinois lors de sa visite au début du mois, mais aucun accord n’a été trouvé.

Dans les commentaires qu’elle a faits ce week-end, à la veille de la réunion du FMI, elle a clairement indiqué ce qui était en jeu.

«Il s’agit d’une question complexe qui concerne l’ensemble de la stratégie macroéconomique et industrielle de la Chine. Cela ne sera pas résolu en un après-midi ou en un mois», a-t-elle déclaré.

Ces remarques soulignent la nature existentielle du conflit. Les États-Unis exigent la subordination totale de la Chine à leurs exigences, à savoir qu’elle abandonne complètement son orientation vers ce que le président Xi Jinping appelle le développement de «nouvelles forces productives», car cela est considéré comme l’une des principales menaces à la poursuite de leur domination de l’économie mondiale.

Du côté chinois, cette stratégie est considérée comme le seul moyen de maintenir la croissance économique, même à l’objectif beaucoup plus bas de 5 pour cent, de maintenir la «stabilité sociale», c’est-à-dire d’essayer d’empêcher l’irruption de luttes de la classe ouvrière chinoise qui menaceraient le régime de l’oligarchie capitaliste au pouvoir représenté par le Parti communiste.

Ce conflit ne peut que s’intensifier dans des conditions où, comme le FMI l’a clairement indiqué dans le chapitre 3 de son rapport publié la semaine dernière, la croissance mondiale ralentit nettement.

Dans un blogue consacré à ce chapitre, deux de ses auteurs ont averti qu’au cours de la période à venir, la croissance «devrait tomber bien en dessous de sa moyenne historique».

«L’économie mondiale», écrivent-ils, «est confrontée à une réalité qui donne à réfléchir. Le taux de croissance mondial, débarrassé de ses hauts et de ses bas cycliques, n’a cessé de ralentir depuis la crise financière mondiale de 2008-09».

Le rapport indique que la croissance économique devrait atteindre seulement 2,8 pour cent d’ici 2030, ce qui est bien inférieur à la moyenne historique de 3,8 pour cent.

La perspective d’une croissance plus faible est «exacerbée par les vents contraires de la fragmentation géoéconomique et des politiques commerciales et industrielles unilatérales néfastes».

Ils ont noté que la moitié du déclin de la croissance était le résultat d’une baisse de la «productivité totale des facteurs» (PTF), qui mesure l’apport de capital et de main-d’œuvre et la façon dont ces ressources sont utilisées.

Ces dernières années, «une répartition insuffisante des ressources entre les entreprises a entraîné une baisse de la PTF et, partant, de la croissance mondiale».

Cela n’a pas été mentionné, mais l’un des facteurs clés de ce processus est que les entreprises ont utilisé leurs bénéfices et même accumulé des dettes non pas pour des investissements productifs, mais pour financer des rachats d’actions afin de répondre aux demandes des fonds spéculatifs et d’autres institutions financières parasitaires pour une augmentation de la «valeur des actions».

Dans l’ensemble, la réunion du FMI n’avait pas pour but de traiter les problèmes économiques mondiaux croissants, mais s’apparentait davantage à un conseil de guerre dont la cible immédiate était la Chine, d’une part, et la classe ouvrière, d’autre part.

Les participants ont insisté sur la nécessité de poursuivre la lutte contre l’inflation, expression codée pour désigner la baisse des salaires réels, la nécessité d’accroître la productivité, l’intensification de l’exploitation et le maintien d’amortisseurs financiers – c’est-à-dire la réduction des dépenses sociales – pour faire face à l’augmentation de la dette.

En ce qui concerne la résolution des problèmes économiques, le FMI a déclaré qu’une «coopération multilatérale» serait nécessaire.

Mais cette coopération n’est plus d’actualité. Les propos tenus cette semaine par le premier ministre travailliste australien, Anthony Albanese, qui a annoncé le soutien du gouvernement aux industries liées à la guerre, ont mis en évidence l’absence de cette coopération.

En commençant par les États-Unis, il a énuméré une série de mesures nationalistes introduites par une série de pays pour renforcer leur sécurité économique et nationale.

Cette «concurrence stratégique», orientée vers la guerre, est désormais une «réalité».

(Article paru en anglais le 17 avril 2024)

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