Interdiction du Congrès palestinien: un pas de plus vers un État policier en Allemagne

Depuis que des centaines de policiers ont dispersé un Congrès palestinien à Berlin vendredi dernier, de nouveaux détails sont révélés chaque jour sur l'arbitraire et le manque de scrupules avec lequel la police a bafoué la loi et piétiné les droits démocratiques.

La police allemande arrête la porte-parole de Jewish Voice for Peace, Udi Raz, le 12 avril 2024. [Photo: @AliAbunimah]

Le gouvernement allemand utilise la même brutalité policière contre les opposants au génocide qu’il soutient à Gaza que celle dont il accuse habituellement ses ennemis, comme le président russe Poutine. La ministre de l'Intérieur Nancy Faeser (social-démocrate, SPD) a soutenu vendredi l'action brutale de la police. Elle a écrit sur Twitter qu’il était «juste et nécessaire» que la police de Berlin «réprime le soi-disant Congrès palestinien».

Un collectif d'avocats conseillant les organisateurs de ce congrès a publié le 13 avril un communiqué détaillant les préparatifs de la conférence et le déroulement des événements. Il révèle qu'il y avait déjà eu plusieurs pourparlers sur la sécurité entre les organisateurs et la police avant le congrès. Le matin du congrès, le programme et les intervenants prévus ont été discutés avec la police et confirmés par celle-ci.

Mais bien que les organisateurs aient accepté toutes les conditions de la police, même si elles étaient plus que discutables, celle-ci a interdit la conférence de quatre jours au bout de deux heures et l'a dispersée.

Le leader du SGP, Christoph Vandreier, condamne l'attaque contre le Congrès palestinien. La vidéo est sous-titrée en francais.

Un message vidéo, prévu dans le programme, du Dr Salman Abu Sitta, 86 ans, qui milite depuis des décennies pour la cause palestinienne, a servi de prétexte. Bien qu'Abu Sitta n'ait rien dit d'illégal, même selon le représentant du parquet présent, la police a arrêté la vidéo après quelques minutes.

La raison invoquée était que l'orateur avait été interdit d'exercer toute activité à Berlin. Cependant, ni les organisateurs ni le public – et apparemment pas même la police jusqu'à peu de temps auparavant – n'en étaient conscients. En outre, les tribunaux avaient déjà précisé dans des affaires précédentes qu'une interdiction d'activités ne s'appliquait pas à la projection de vidéos.

Même lorsque les organisateurs ont proposé de ne pas diffuser la vidéo, la police n'a pas été satisfaite. Elle affirma alors que la diffusion en direct de l’événement pouvait potentiellement être utilisée pour diffuser des déclarations criminelles dans le monde entier. Les organisateurs ont même accepté de se passer de la diffusion en direct. Mais cela n’y a rien fait non plus.

La décision d'annuler l'événement avait évidemment été prise il y a longtemps, même si elle n'avait aucune base légale ni aucune excuse plausible. Le chef général des opérations de police a justifié l'interdiction par l'argument kafkaïen que la diffusion du message vidéo d'une personne contre laquelle une interdiction d'exercer une quelconque activité avait été prononcée lui donnait des raisons suffisantes de soupçonner que des déclarations criminelles seraient faites si le congrès se poursuivait.

C’est là de la justice idéologique visant des opinions, comme sous le régime nazi. Ce n’est pas une infraction pénale ou une déclaration punissable qui est sanctionnée ici; il suffit de soupçonner que les personnes concernées pourraient dire des choses qui ne sont pas en accord avec la ligne du gouvernement.

De nombreuses autres mesures répressives ont été prises contre la conférence. Des interdictions ont par exemple été imposées à d'autres orateurs annoncés. Dans au moins deux cas, des interdictions de contact ont été imposées, interdisant tout contact avec et tout hébergement de participants au congrès.

Le ministère de l'Intérieur a imposé une interdiction à l'ancien ministre grec des Finances et président du parti paneuropéen DiEM25, Yanis Varoufakis, qui comprend également une interdiction d'entrée en Allemagne et d'accès en ligne. Cela signifie pratiquement que Varoufakis n'est plus autorisé à s'exprimer publiquement en Allemagne.

Le Dr Ghassan Abu Sittah, médecin et recteur de l'université de Glasgow, s'est également vu interdire l’entrée du pays au dernier moment par la police fédérale. Il a été arrêté à son arrivée à l'aéroport de Berlin, interrogé pendant trois heures, puis embarqué dans un avion pour Londres. Il lui a également été interdit de prononcer son discours en ligne.

Ghassan Abu Sittah a travaillé pendant plusieurs semaines avec Médecins sans frontières dans les hôpitaux de Gaza pendant la guerre et en a témoigné devant la Cour internationale de Justice, où l'Allemagne est accusée d'avoir aidé et encouragé le génocide . Il souhaitait rendre compte de ses expériences déchirantes à Gaza lors de la conférence.

Avant le congrès, les autorités avaient déjà eu recours à diverses méthodes d'intimidation pour tenter de l'empêcher d'y assister.

Par exemple, le compte bancaire de l’association Jewish Voice for a Just Peace, qui collectait des dons pour le congrès, a été bloqué. Il y eut des «avertissements de sécurité» contre le Café MadaMe , où devait avoir lieu une soirée de collecte de fonds pour le Congrès palestinien. Ceux-ci furent finalement annulés sous la pression.

Le propriétaire de la salle où devait avoir lieu la conférence a également été mis sous pression par diverses autorités pour constater de prétendues lacunes en matière de sécurité incendie et de conditions d'utilisation. Difficile de dire si ces méthodes sont plutôt issues du répertoire de la mafia ou de celui d’une dictature autoritaire.

Toutes les mesures d’intimidation n’ayant pas porté leurs fruits, le congrès a été interdit sans aucune base juridique. Le collectif d'avocats conclut son explication des développements par cette déclaration:

Toutes les tentatives constitutionnelles visant à protéger la réunion et ceux qui y participaient et à garantir son bon déroulement et la légalité ont été torpillées par la police. On a créé l'impression que la protection juridique devait ici être limitée, au-delà de toute l'expérience éprouvée en matière de droit de réunion, de jurisprudence et de dispositions constitutionnelles.

Visiblement enhardie par l’interdiction, la police berlinoise a pris des mesures contre de nouvelles manifestations pro-palestiniennes dans les jours qui ont suivi.

Samedi, environ 1.900 personnes se sont rassemblées pour manifester contre l'interdiction du congrès. La manifestation fut accompagnée d'un important contingent de policiers armés. Dans une chaleur intense, la police a stoppé la manifestation pendant un peu moins d'une demi-heure avant d’y pénétrer en chargeant sans sommation et d'en extraire un groupe de participants. Au total, six personnes ont été arrêtées au cours de la manifestation.

Le lendemain, la police a mené une action encore plus brutale contre le camp de protestation « Occupy against occupation» devant le Reichstag (bâtiment du Parlement). Ce camp de protestation avait été dûment annoncé lundi de la semaine précédente pour plusieurs jours afin de protester contre le rôle actif joué par l'Allemagne dans le génocide en cours.

Dimanche, la police a brutalement attaqué ce rassemblement pacifique. Plusieurs personnes, dont des Juifs, ont été jetées au sol et blessées, étant tabassées, étranglées et aspergées de spray au poivre. Plusieurs ont dû être hospitalisées. Quatre personnes ont été arrêtées, dont un membre de Jewish Voice (Voix Juive)

Il y a eu d'autres incidents au cours de la conférence au cours desquels les droits démocratiques ont été bafoués. Le quotidien taz raconte par exemple comment un participant a été dénoncé à la police parce qu'il portait un T-shirt avec les mots «Palestine libre» et un poing stylisé aux couleurs palestiniennes. Il a dû enlever le T-shirt et le remettre à la police comme preuve. Plusieurs participants et journalistes ont rapporté avoir été suivis, observés, soumis à un contrôle d'identité et fouillés par la police alors qu'ils rentraient chez eux.

Ce sont là des méthodes telles qu’on les connaît de régimes dictatoriaux. Elles sont dirigées contre quiconque s’oppose à la politique pro-guerre de l’Allemagne. Cela montre également de l’énorme peur de la classe dirigeante quant à l’opposition à sa politique de guerre. La classe ouvrière doit être mobilisée pour mettre fin au génocide, à la politique de guerre et aux attaques contre les droits démocratiques.

(Article paru en anglais le 17 avril 2024)

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